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(Dé)construction

L’engagement des femmes marocaines du Women SenseTour, un élan du cœur

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Dans le cadre du parcours bénévole organisé par Lallab, je fus conviée le jeudi 20 octobre 2022 à la projection du film documentaire « Women SenseTour in Muslim Countries », épisode 1 sur le Maroc sans imaginer à quel point j’allais être bouleversée par ces récits de cœur.

 
Sarah Zouak raconte son incroyable aventure dans le 1er épisode de cette série de cinq, réalisé avec Justine Devillaine. Sarah Zouak, réalisatrice, entrepreneuse sociale, co-fondatrice et directrice de Lallab, est partie à la rencontre de femmes engagées à travers le Maroc. Des femmes marocaines plurielles, vivant en ville ou à la campagne, ayant fait des études  ou non, et qui, sans parfois en avoir conscience, ont décidé de livrer un combat sans fin pour le respect de leurs droits.

 

Avant même le début de la projection, une question me taraudait : pourquoi ? Pourquoi, décide-t-on de consacrer sa vie aux autres ? Comment parvient-on à faire ce choix, quelles sont les motivations ? J’obtenais ma réponse dès les premières minutes de visionnage…

 Crédit : @dalal.tmr

 

Une expérience de vie traumatisante comme point de départ

Le levier d’action était toujours semblable : une expérience personnelle saisissante et insoutenable. Aïcha Ech-Channa, Nora Belhacen Fitzgerald, Maha Laziri, Khadija Elharim et Asma Lamrabet disaient toutes la même chose : aider, militer n’était pas une voie sciemment choisie, cela s’était comme imposé à elles. Un jour, la misère, l’injustice, la colère et l’intolérable étaient venus frapper à leur porte. À partir de là, leur cœur avait été touché, meurtri, et il était devenu vital de réagir.

 

 
Maha Laziri, co-fondatrice et présidente de l’association Teach4Morroco à Meknès, a, quant à elle, eu le déclic au détour d’une rencontre avec, selon ses termes « une magnifique petite fille » dans le village d’Ischbaken (Haut Atlas). Frappée par la beauté singulière de la petite Hajer, Maha conjure ses parents d’adopter la petite fille et de lui donner l’instruction « qu’elle mérite en raison de sa grande beauté ». Son père, en colère, lui apportera, en réponse, deux enseignements. Le premier : la beauté ne doit pas être un critère qui donne droit à une éducation, celle-ci doit être souhaitable pour tous. Le second : on ne peut pas arracher un enfant à son environnement. Il faut l’aider à l’endroit exact où il se trouve. Une véritable leçon de vie à l’origine de la fondation de Teach4Morocco, dont l’un des premiers projets a été la rénovation de l’ancienne école de la petite Hajer.
 

 
La prise de conscience de Nora Belahcen-Fitzgerald, fondatrice de l’association Amal, un restaurant à Marrakech au profit des femmes issues de milieux défavorisés, se fit avec la visite de son amie américaine au Maroc. Cette dernière fut choquée et indignée devant le nombre de mères vivant dans la rue avec leurs enfants. Touchée par le regard de son amie, Nora décide de délaisser ses préjugés et d’ écouter leurs histoires. L’association Amal verra le jour quelques mois plus tard.
 

 
Pour Khadija El Harim, vivant dans un petit village de la vallée d’Ammeln, co-créatrice de l’association « Féminine pour le Soutien Social », et de l’association et coopérative« la Préservation de l’Arbre d’Arganier », c’était différent : ce fut une expérience de survie personnelle qui marqua le début de son engagement.

Première femme divorcée élevant seule ses cinq enfants, celle-ci va être la première à défendre ses droits et ceux des femmes divorcées. À l’origine de son action, un conflit de voisinage qui sera porté au tribunal. Le voisin en tort pour avoir laissé ses bêtes manger les cultures de Khadija va jusqu’à s’en prendre physiquement à elle. Elle comprend alors qu’ensemble les femmes sont plus fortes et décide de les soutenir à son tour à travers son village.
 

 
Enfin, Asma Lamrabet, médecin biologiste et directrice du Centre d’Études et de Recherches sur la question des Femmes dans l’Islam (CERFI) à Rabat, prend conscience de son futur combat au moment où elle découvre une autre interprétation possible du Coran. En effet, cette dernière propose une relecture de celui-ci pour enrayer l’interprétation traditionaliste, rigoriste et patriarcale des savants, et coller davantage à son esprit, juste et libérateur. Elle prône alors un féminisme musulman de troisième voie en défendant notamment, la conception égalitaire du divorce (les deux époux peuvent en faire la demande), ainsi qu’en démontrant que le Coran encourage fortement à la monogamie.

 

Des valeurs d’humanité et de solidarité comme ressources premières

À la fin de l’épisode, j’ai réalisé où et comment ces femmes marocaines puisaient leurs forces : dans le cœur, l’empathie, la foi, l’intolérable et parfois même la survie. Passé la douleur et la prise de conscience, la mise en action devait se faire. Il fallait frapper fort, vite et à long terme.
 

 
Aïcha ne supportait plus, chaque année, la mort de centaines de nourrissons nés hors mariage au Maroc ; les « ould haram », traduit en français par « bâtards ». L’humanité devait primer. Celle-ci dira – en substance – que la vie humaine, véritable cadeau de Dieu doit être protégée et préservée.

Maha apprit très tôt de ses parents à embrasser une cause plus grande que sa personne. L’éducation deviendra son cheval de bataille.

Nora agissait avec cœur et dans le respect de sa foi musulmane en appliquant au quotidien un célèbre Hadith prononcé par le Prophète Mohamed (que la prière d’Allah et Son salut soient sur lui): « Aucun de vous ne sera croyant jusqu’à ce qu’il aime pour son frère ce qu’il aime pour lui-même » d’après Anas Ibn Malik (qu’Allah l’agrée). Elle nous confiera s’être sentie soutenue par Dieu dès le début de son projet.

Khadija s’est engagée afin de survivre, mais aussi par empathie avec les femmes divorcées qui subissaient la même chose qu’elle.

Enfin, Asma était motivée par l’injustice du sort des femmes de son pays. Il devenait vital d’endiguer les conséquences néfastes d’une justice basée sur une lecture biaisée du Coran.

 

Une expérience saisissante que je n’oublierai pas

Quand les lumières se sont rallumées, j’ai ressenti une profonde admiration envers ces femmes, maghrébines comme moi, qui avaient décidé de prendre le taureau par les cornes et d’agir. Je fus fière qu’une femme telle que Sarah Zouak, fasse le choix de nous montrer ces véritables figures féministes auxquelles on peut désormais s’identifier.

Des personnalités si différentes les unes des autres, mais animées par le même amour de l’autre ; car secourir l’autre, c’est aussi se secourir un peu soi-même.
 

 Crédit : @dalal.tmr

  
Un projection débat du documentaire aura lieu le vendredi 10 mars 2023 à 18h30 à la Maison de Quartier Petit Ivry (44 rue Jean le Galleu, 94200 Ivry sur Seine). Lallab lancera également à cette occasion ses programmes d’éducation populaire POUVOIR pour reprendre le pouvoir face aux oppressions sexistes, racistes et islamophobes. Vous pouvez vous inscrire au 01 72 04 66 06

Crédit photos à la une et portraits : Sarah Zouak

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Femmes musulmanes dans l'histoire Portraits

Fatima Al Fihria : fondatrice de la plus ancienne université au monde

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« Lis, lis au nom de ton Seigneur », telle fut la première révélation faite au prophète de l’islam par son Créateur, telle fut la première révélation qui vint alimenter le célèbre livre sacré consulté quotidiennement par les musulman.e.s. Face à cette révélation, il va de soit que la recherche du savoir est centrale et fondamentale. Ce premier verset en est un rappel, destiné à l’ensemble des croyant.e.s, femmes, hommes et enfants confondu.e.s.
La femme dont nous allons parler aujourd’hui l’avait semble-t-il très bien compris. Elle fut de ceux et celles qui consacrèrent leur vie, leur temps et leur fortune pour l’acquisition de cette finalité. La femme dont nous allons parler, bien plus que de rechercher le savoir à son échelle, fit le choix de créer les outils qui permirent à un grand nombre de personnes, musulman.e.s comme non-musulman.e.s, croyant.e.s comme non croyant.e.s d’accéder au savoir dans sa globalité.
Fondatrice de la première université du monde, Fatima Al Fihria dédia tout ce qu’elle avait à ce projet qu’elle voulut penser comme un cadeau, une offrande au nom du divin. Marchons ensemble sur ses pas et découvrons son incroyable impact qui perdura bien après la date de son décès.

Issue du célèbre clan de la famille des Fihrides, c’est à Kairouan en l’an 800 que Fatima vit le jour. Elle fut la fille de Mohamed al-Fihri, un riche marchand connu dans toute la ville de Kairouan. C’est dans cette ville commerçante que Fatima et sa sœur Maryam grandirent et évoluèrent. Elles y nourrirent leur curiosité, et flânèrent ensemble à travers les allées du souk faites de marchands d’épices, de parfums, de bijoux et de métaux précieux en tout genre.

Issues d’une famille pieuse et pratiquante, les deux sœurs reçurent très tôt une éducation religieuse portée sur l’apprentissage des textes sacrés et des histoires relatives à la vie du prophète et à ceux et celles l’ayant accompagné.e.s.

A l’âge de 19 ans, Fatima se maria avec l’un de ses voisins. Ensemble, ils eurent deux fils. Leur éducation devint alors sa priorité et partout où elle allait, les deux jeunes garçons l’accompagnaient, ce qui lui valut le surnom de Oum Al Banine, « la mère des deux enfants ». Alors qu’ils vivaient paisiblement en famille, plusieurs événements tragiques vinrent bousculer leur quotidien.

Aux alentours des années 820, la mère de Fatima et de Miryam décéda, laissant place à un immense chagrin familial, car la figure maternelle occupait une place centrale. Encore endeuillée, la famille dut faire face aux violentes émeutes qui éclatèrent à Kairouan, la conduisant à fuir l’insécurité pour s’exiler au Maroc. C’est dans la ville de Fès, où déjà plus de 800 familles musulmanes et juives venues d’Andalousie s’étaient réfugiées, qu’ils décidèrent de poser bagage en 825.

Quelques années après leur arrivée, l’époux et le père de Fatima décédèrent. Les deux sœurs devinrent donc les héritières d’une fortune conséquente. Après réflexion, elles décidèrent toutes deux de dépenser leur héritage au service de la communauté pour honorer la mémoire de celui qui leur avait tout donné. Souhaitant vivre dans la dévotion et l’extrême simplicité, elles consacrèrent l’ensemble de leur richesse à la construction d’œuvres pieuses.

Fatima, bien que n’ayant aucune compétence en architecture, souhaita commencer avec la construction d’une mosquée dans le quartier d’Al Quaraouiyine. Elle acheta donc à proximité un terrain nu. Entourée de personnes pour la conseiller, elle commença à creuser les premières fondations le premier jour du mois de Ramadan de l’an 859.

Pendant que Fatima entreprit le chantier de la mosquée Al Quaraouiyine, sa sœur Maryam dirigea la construction d’une mosquée dans le quartier Al-Andalous. Fatima fit le choix d’extraire tous les matériaux de construction d’un terrain voisin et s’engagea à jeûner tous les jours jusqu’à la fin des travaux. Elle jeûna donc trois années durant et fonda la mosquée Al Quaraouiyine ainsi qu’une université accolée. Elle construisit donc la plus ancienne université du monde encore en activité aujourd’hui.

Fès, qui faisait déjà partie des villes les plus influentes du monde musulman, joua un rôle encore plus central avec la fondation de cette mosquée et université. Des grand.e.s penseur.se.s du monde entier s’y rendaient afin d’étudier. Parmi ceux et celles-ci l’on peut notamment citer Abou Al-Abbas al-Zwawi, Abou Madhab al-Fâsi, un grand théoricien de l’école malékite, ou encore Léon l’Africain, le célèbre voyageur et écrivain. Des sommités y auraient notamment enseigné, l’on peut citer, le grand Ibn al-‘Arabi, l’historien Ibn al-Khaldoun ou l’astronome andalous Al Bitruji.

L’université joua un rôle de premier plan dans les relations culturelles et universitaires entre le monde islamique et l’Europe. En effet, l’université ne dispensa pas seulement un savoir religieux, mais un savoir profane et scientifique y étaient rendu accessibles. Ainsi des cours de grammaire, de médecine, de mathématiques, d’astronomie, de chimie, d’histoire, de géographie, et même de musique étaient proposés !

Cette polyvalence en fit une institution de savoir à part entière. Grâce à Fatima, Al Quaraouiyine attira ainsi des érudit.e.s et des étudiant.e.s du monde entier, et de toutes confessions. Un célèbre philosophe et théologien juif, Ibn Maimoun ou encore Gerbert d’Aurillac, qui devint le pape Sylvestre II furent également des élèves assidus.

Aujourd’hui, la mosquée comprend l’une des plus grandes bibliothèques du Maroc et contient notamment des milliers d’ouvrages et manuscrits rares, comme le Muwatta de l’imam Malik et la Sirah d’Ibn Ishaq.

Fatima el Fihriya mourut en 880 à l’âge de 80 ans. Nul ne sait où elle est enterrée, ni ne connaît sa descendance. Cependant, son œuvre, la Quaraouiyine, est reconnue dans le monde entier. Le Livre Guinness des records et l’Unesco la présente notamment comme l’université la plus ancienne au monde, bien avant ¬Bologne, Oxford, Salamanque ou La Sorbonne.

Aujourd’hui, il est attesté que la générosité, la bonté et l’intelligence de Fatima permirent l’émergence d’un des plus grands centres architectural et intellectuel. Œuvrer dans ce bas-monde pour satisfaire Dieu et construire son au-delà fut la devise de Fatima, si bien qu’elle la traduisit quotidiennement en actions.

Pour la construction de cette mosquée et le don de temps et de moyens qu’elle consacra pour la réaliser, Fatima est très respectée au Maroc et notamment à Fès où un musée lui est dédié. Plusieurs prix en son honneur nous rappelle le fascinant travail qu’elle a effectué.

Un prix portant son nom fut créé en 2017 par le Programme MED21, un réseau de Prix meditéerranien, afin de récompenser les initiatives pour l’accès des femmes à la formation et aux responsabilités professionnelles ainsi qu’un programme universitaire et une bourse « Erasmus Mundus Fatima al-Fihri », destinée aux étudiant.e.s universitaires d’Europe et d’Afrique du Nord.

Alors si un jour vous vous rendez dans la ville de Fès, n’oubliez surtout pas d’aller marcher sur ses pas en entrant visiter l’université et prier en sa mémoire dans la célèbre mosquée.

Crédit image à la une : Imène. Imène est graphiste, illustratrice et rédactrice. Pour découvrir ses projets et travaux, je vous invite à visiter ses différentes pages :
➡️ benhimene.wixsite.com/nomfeminin
➡️ www.raconte-editions.fr
➡️ Et page Instagram @raconte_editions

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Femmes musulmanes dans l'histoire Portraits

Sayyida Al Hurra : femme pirate

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Des histoires de piraterie, on en a tou.te.s entendues étant enfants. Des histoires que l’on trouvait souvent fascinantes, parfois intrigantes, mais toujours prenantes. L’histoire que je m’apprête à vous raconter aujourd’hui sera tout cela à la fois. Cependant, elle changera des histoires de piraterie que vous aviez l’habitude d’entendre dans votre enfance.
Notre pirate à nous ne s’appellera ni Jack Sparrow, ni Bigorneau, elle se prénommera Sayyida. Elle sera une femme et qui plus est musulmane.
Notre pirate à nous ne volera pas par plaisir, elle menacera et négociera rançons et butins afin de lutter contre la colonisation. Notre pirate à nous a été oubliée, mais elle mériterait bien une certaine renommée dans nos dessins animés !
Aujourd’hui nous parlerons de Sayyida al Hurra, qui fut pirate et gouverneure de la ville de Tétouan durant 30 années.

C’est vers 1485 que naquit Sayyida al Hurra au sein du Royaume de Grenade dans le Sud de l’Espagne actuelle. Issue de la famille musulmane des Banu Rashid, elle avait des origines maroco-andalouses.

Son père fut le célèbre chef idrisside Ali Ibn Rashid, fondateur en 1471 de la ville de Chefchaouen. Sa mère, Zahra Fernandez, était une femme espagnole convertie à l’islam .

De l’enfance de Sayyida, nous ne savons que très peu de choses, son nom nous est d’ailleurs à ce jour inconnu. Aucune certitude à ce sujet, certaines chroniques prétendent qu’elle se serait appeler Aïcha, d’autres Fatima. Quoiqu’il en soit, c’est sous le nom de Sayyida al Hurra qu’elle est aujourd’hui présentée. Ce titre honorifique, lui fut donné à la suite de sa nomination en tant que gouverneur de la ville de Tétouan faisant d’elle « La Dame Libre ».

L’enfance de Sayyida s’inscrivit dans un contexte marqué par un nombre croissant de tensions. Elle et ses proches durent faire face à la violente Reconquista en Andalousie où de nombreux.ses musulman.e.s perdirent la vie mais également à l’occupation des Ibères près de plusieurs villes côtières.

En l’an 1492, les souverains d’Espagne Ferdinand le Catholique et Isabelle la Catholique finirent par conquérir le Royaume de Grenade, obligeant un grand nombre de musulman.e.s à s’enfuir ou à se convertir. C’est ainsi que Sayyida et sa famille firent le choix de s’en aller et de s’installer au Maroc. Son père fonda alors la ville de Chefchaouen et en devient le gouverneur. Il fit de Chefchaouen, une ville-Etat qui s’imposa comme une forteresse pour les tribus avoisinantes et comme un centre de résistance contre les Portugais qui occupaient les villes voisines de Sebta, Tanger, Asilah et Larache.

Après le tumulte de la Reconquista, c’est à Chefchaouen que l’enfance de Sayyida se déroula paisiblement. Attachée à la terre d’Espagne qu’elle avait tant aimée, Sayyida resta longtemps marquée par l’exil forcé.

Durant l’année de son seizième anniversaire, Sayyida épousa le prince de Tétouan, Ali Al-Mandri de trente ans son aîné. Leur union fut le fruit d’une consolidation de relations politiques et diplomatiques entre deux familles d’influence, faisant front commun contre l’occupation chrétienne. Son époux, n’était autre que le neveu et successeur du grand chef militaire grenadin Abou-l-Hassan Ali Mandari.

A ses côtés, et puisque fréquemment il lui demandait de l’assister, elle découvrit l’art de gouverner et y fut formée.

C’est donc à Tétouan qu’elle était à présent établie, retrouvant dans cette ville, à l’instar du Chefchaouen de son enfance, un raffinement urbain propice à son épanouissement. Ce fut également pour elle les premiers pas déterminants de son engagement politique.

A la mort de son époux en 1515, elle lui succéda comme gouverneure de la ville de Tétouan et y gagna à ce titre le surnom d’al-Hurra, signifiant « la libre ».

A présent au pouvoir, la seule pensée qui l’animait était de se venger de la perte du Royaume infligé par les chrétiens. C’est donc comme un rempart aux invasions portugaises et espagnoles qu’elle souhaitait se dresser.

Pour solidifier sa stratégie et avoir un impact plus conséquent, elle se rapprocha du redoutable corsaire turc Arudj Reïs Bab Oruc, connu également sous le nom de Barberousse, avec qui elle souhaitait s’allier. Ensemble, leur mission était de mener des expéditions punitives contre les Espagnols et les Portugais. Il était donc décidé que Barberousse parcourrait l’est de la Méditerranée, et que la flotte de Sayyida al-Hurra contrôlerait l’ouest. Comme mode d’action, tous deux choisirent la piraterie.

Sayyida, accompagnée d’une flotte formée et qualifiée, parvint très vite à mettre en difficulté les camps espagnols et portugais. Ses expéditions devinrent rapidement d’une grande utilité. Elles lui permettaient d’une part de porter des coups durs à ses ennemis portugais et espagnols mais aussi de profiter d’une source de revenus appréciable qui permit d’entretenir et d’améliorer les infrastructures de sa cité. Pour chaque prisonnier.e qu’elle capturait, elle imposait aux dépens de leur vie rançons et butins.

C’était au nom de la liberté que Sayyida gouvernait et naviguait. Convaincue par sa mission, elle désirait effrayer les armées opposées et montrer que nulle conquête ne pouvait être envisagée ou espérée. Lorsqu’on lit aujourd’hui les chroniques chrétiennes du XVème siècle, on se rend compte à quel point ces expéditions furent dissuasives. En effet, son nom devint très vite craint, et quiconque savait que Sayyida pouvait se trouver sur ces eaux ne souhaitait prendre le risque de s’y aventurer.

Grâce à la réussite de ses opérations qui résonna dans l’ensemble du royaume marocain, Sayyida al-Hurra obtint une grande renommée. Si bien qu’en 1541, le roi du Maroc Ahmed al-Wattassi demanda sa main. Fidèle à elle-même, Sayyida refusa de se déplacer et demanda à ce que le roi s’il souhaitait réellement l’épouser vienne la rencontrer dans sa célèbre cité de Tétouan. Lorsqu’il vint à elle, elle lui expliqua et lui rappela, que si ce mariage se faisait alors, elle n’aurait nullement l’intention d’arrêter de régner.

L’année suivante, le mariage fut contracté, Ahmed al-Wattassi, fit le voyage jusqu’à Tétouan pour l’épouser. Comme promis, Sayyida al-Hurra continua à diriger la cité et resta gouverneure pendant plus de trente années.

En 1542, alors qu’elle ne s’y attendait pas, son beau-fils la destitua. Dépouillée de ses biens, de son pouvoir et de sa gloire, elle s’en alla et fit le choix de finir ses jours dans son berceau natal de Chefchaouen.

L’histoire de Sayyida al Hurra est intéressante à bien des égards. Elle est intéressante car elle vient une fois de plus nous rappeler que le modèle de pensées et d’actions que certain.e.s tenteraient de nous imposer à travers des arguments d’autorité est très facilement questionnable.

En effet, l’histoire de cette femme, gouverneure et pirate, nous rappelle une fois de plus qu’en tant que femme et notamment qu’en tant que femme musulmane, les notions d’équité, d’égalité et de justice devraient occuper une place bien plus importante dans les discours que celles de « pudeur » et de « décence » constamment rappelées et mentionnées au sein de nos mosquées.

Sayyida à travers son histoire et ses actions nous permet également une fois de plus de nous extirper de cette vision genrée à laquelle il n’est pas toujours évident d’échapper.

Dans le Maroc du XVème siècle, être femme, musulmane, gouverneure et pirate pouvait être un choix publiquement assumé qui conférait par la même un certain respect.

Crédit image à la une : Charlotte. Charlotte est une illustratrice passionnée de dessin et notamment par l’univers de la mode. Je vous laisse découvrir son univers :
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Portraits

Azzelige Amália, l’artiste qui met humour et politique en symbiose

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Azzelige Amália, qui a repris des études en histoire, est également une grande artiste. Son site nous fait d’ailleurs très bien ressentir à quel point l’art et l’histoire habitent tout son être. Elle nous raconte son parcours atypique, entre différents mondes, et les raisons qui l’incitent à pratiquer un art politique.

 

L’harmonie entre plusieurs milieux méditerranéens

 

Son pseudonyme résume parfaitement son identité. « Le zellige est un clin d’œil à cet art islamique omniprésent au Maroc, mais aussi au Portugal, en tant qu’azulejo, » explique-t-elle. Le zellige, en tant que représentation symbolique du divin, porte l’héritage islamique. Mais il rassemble en fait parfaitement les éléments artistiques marocains et portugais qui constituent la personnalité de la dessinatrice. « Il s’agit d’un trait d’union entre mes différentes racines, » comme nous l’indique également le prénom Amália, choisi en hommage à l’une des plus grandes chanteuses portugaises de fado, la fadista Amália Rodriguez. « C’est l’équivalent portugais d’Edith Piaf, » selon l’artiste, qui « l’aime énormément », car elle incarne le plaisir de la nostalgie, la saudade. « Cela a beaucoup compté dans ma construction personnelle, il s’agit de l’un des moyens par lesquels j’ai pu m’approprier la culture portugaise. »

Azzelige Amália a grandi entourée de ses grands-parents et de sa mère portugais·e·s, mais aussi auprès de son père marocain, dont la mère était juive et le père arabe yéménite. Le rapport de son père au royaume chérifien est différent de celui de sa famille maternelle vis-à-vis du Portugal. Le père d’Amália a plutôt connu une assimilation culturelle. « On ne parlait pas arabe à la maison, mes grands-parents n’étaient pas du tout religieux, je n’ai donc pas reçu l’éducation archétypale de la famille maghrébine, » confie-t-elle. En revanche, dans sa famille portugaise — au sein de laquelle l’artiste estime avoir essentiellement évolué — « on parlait portugais, on mangeait portugais, on respirait portugais ».

 

Le dessin, un besoin difficile à assumer

 

Ainsi, son identité est multiple. « Ma famille maternelle est chrétienne, mais je me suis convertie à l’islam. » Cela se ressent beaucoup dans son art. Amália dessine depuis son plus jeune âge. Lorsqu’elle se convertit, l’artiste pense que le fait de dessiner est haram (illicite). Elle s’interdit donc toute pratique durant quelques années. « J’ai pris conscience du fait qu’il s’agissait d’un besoin profond, d’une partie de moi, c’est revenu viscéralement. » C’est après avoir réalisé qu’elle n’a conservé aucun dessin depuis sa tendre enfance qu’Amália décide d’enregistrer ses productions de façon immatérielle. Elle utilise pour cela Facebook, sans être totalement convaincue par ce média, comme « moyen de garder une trace ».

 

L’incroyable univers d’Azzelige Amália. Crédit : Azzelige Amália
 

Cependant, la dessinatrice souligne qu’il est difficile de rester authentique sur les réseaux sociaux. Elle y publie ses dessins, depuis deux ans, sans utiliser les publicités. « Je suis dépendante des likes, même si c’est triste à dire. » Facebook exerce en effet une pression sur les utilisateurs, les incitant régulièrement à utiliser certains sponsors afin que leurs publications soient davantage visibles sur le fil d’actualité des internautes. L’artiste déplore le fait que l’utilisation des réseaux sociaux nécessite d’apprendre à être « un bon community manager ». « Je m’aperçois que je tente souvent de trouver les bons hashtags, je trouve ça ridicule mais je suis obligée de vivre avec mon temps, » rit-elle. Amália reconnaît que la tentation de produire des choses plus « mainstream » est parfois présente, dans l’espoir de gagner plus d’argent. Cela n’est pas évident à gérer, quand il faut payer le loyer, mais ne pas y perdre son âme…

C’est pourquoi les retours positifs valent pour Azzelige Amália « tout l’or du monde ». Elle garde par exemple un bon souvenir d’un message très chaleureux d’un chercheur au CNRS, qui lui propose de la rencontrer autour d’un verre pour échanger sur son art. Elle trouve aussi incroyable de recevoir des commandes de personnes ne vivant pas en France. Considérant faire partie de la « génération Zara et H&M », la dessinatrice estime que nos « goûts sont complètement déterminés » et que nous en sommes de plus en plus dépossédé·e·s. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles elle souhaite que son art s’affiche sur des vêtements. Amália souhaiterait proposer des créations ayant plus de sens. Elle évoque avec beaucoup d’émotion ces beaux moments, quand des inconnu·e·s lui sourient dans la rue, après avoir observé ses dessins sur ses sacs, par exemple. « Parfois, j’ai l’impression d’être seule dans mon délire, mais lorsque je vois que mes gribouillages parlent aussi à d’autres personnes, c’est un réel bonheur, c’est juste immense ». Elle veille à ce que les supports de ses créations soient produits en Europe.

 

La politique, fil conducteur de ses créations

 

« Je me découvre à travers Azzelige Amália, » confie-t-elle. Sans se poser de question, elle dessine, et sa production contient toujours un message politique. Il s’agit du « fil conducteur » de ses illustrations. « Ça vient tout seul, ça m’habite. » C’est ainsi que nous retrouvons des représentations de Manuel Valls, Alain Finkielkraut ou encore Elisabeth Badinter, accompagnées d’extraits de titres de rap. Par le biais de ses créations, Amália espère faire passer plusieurs messages. Elle a par exemple dernièrement produit plusieurs dessins se moquant des injonctions au corps parfait, le fameux « summer body », le corps que l’on peut assumer en maillot de bain, en été. On y voit de la cellulite, des poils, des varices et des vergetures. « J’aimerais que les personnes puissent prendre du recul et que les vêtements puissent être des outils politiques pour se moquer de ces pressions sociales. » Amália déplore les répercussions psychologiques de ces injonctions, qui peuvent entraîner des troubles du comportement alimentaire, notamment chez les adolescentes.

 

Manuel Valls et des extraits de Humble, de Kendrick Lamar. Crédit : Azzelige Amália
 

L’artiste estime être parfois incomprise, voire exclue. « On m’a déjà dit que je n’étais pas arabe. On dirait que le fait d’avoir des sedaris (canapés marocains) chez soi permet de détenir une carte de membre ; on n’accepte pas que l’on puisse avoir le cul entre plusieurs chaises. » Ainsi, l’artiste regrette les nombreuses injonctions touchant à l’identité, qui compliquent beaucoup les choses pour les métis·se·s, qui existent pourtant « depuis la nuit des temps ». Ce même souci se pose vis-à-vis de la religion. Elle considère que l’on attend beaucoup des musulman·e·s. « S’iels ne sont pas considéré·e·s comme orthodoxes, alors iels peuvent être soupçonné·e·s d’être de faux·sses musulman·e·s. » Elle déplore aussi que les femmes musulmanes soient hypersexualisées par certain·e·s non-musulman·e·s, pour être par ailleurs considérées comme les « plus grandes pécheresses » si elles ne correspondent pas totalement au modèle de chasteté fantasmé par certain·e·s musulman·e·s. Les musulmanes vivraient ainsi des injonctions contradictoires, subissant le racisme, mais aussi plusieurs « éléments excluants en intracommunautaire ». Cela lui a inspiré le dessin d’une femme qui semble originaire de différents continents, et nous interpelle : « T’es de quel minhaj ? » (voie religieuse). « Il y a souvent cette idée qu’il n’existe qu’une seule réponse valable, sinon, on n’est pas suffisamment croyant·e. »

 

Ainsi, Azzelige Amália lutte à travers ses dessins pour l’inclusion de tou·te·s les individu·e·s subissant des attaques politiques, des pressions sociales ou encore une marginalisation de la part de certain·e·s de leurs coreligionnaires. Et je ne suis pas la seule à être impressionnée par ses créations, brillantes et drôles, qui font toujours sourire autour de moi, que ce soit dans le métro ou à la fac.

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Portraits

Raïssa Leï : militante par le biais de la danse

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Leïla est une danseuse et chorégraphe franco-marocaine et berbère. Son nom de scène est Raïssa Leï, signifiant « présidente Leï » en arabe, ce qui peut aussi désigner une directrice de troupe. Elle est ingénieure, tout en considérant également vivre « la danse comme un métier ». Elle nous raconte son parcours et ce qui l’amène à utiliser la danse afin de promouvoir la justice et l’ouverture d’esprit.

 

Le poids des origines culturelles et sociales

 

« Je viens de tellement loin », pense-t-elle, en évoquant son père, berger dès six ans dans un village montagneux près d’Oujda. Venu par hasard en France dans les années 60, à la suite d’une proposition d’un garde-frontière, il fut même contraint durant ses premiers jours en France à dormir sous les ponts de Paris. Inspirée par ses grands frères et sa sœur ayant suivi des études prestigieuses, Leïla a choisi une classe préparatoire scientifique dans un lycée parisien puis une école d’ingénieurs à Toulouse, étudiant l’informatique ainsi que les mathématiques appliquées. C’était psychologiquement très dur, le niveau étant très élevé et sa bourse étant faible pour vivre correctement. « Mes grands frères étaient géniaux, ils m’ont beaucoup épaulée, il n’y avait pas de différence entre les garçons et les filles, à part que je faisais plus de ménage », rit-elle. Ces derniers la soutiennent beaucoup dans ses projets artistiques. « Ils ont insisté pour que je les prévienne à chaque événement, ça m’a beaucoup émue, alors que je faisais la hechmena » (timide en darija, dialecte marocain), sourit-elle. « Les mamans aiment beaucoup ce qu’on fait, tant que ça n’est pas l’activité de leurs filles », révèle-t-elle cependant, les danseuses pouvant être mal perçues dans les familles maghrébines.
 
« Depuis toute petite, je sais que je veux danser », affirme Leïla, ayant grandi dans le quartier de la Banane, dans le XXème arrondissement de Paris. De condition modeste, sa famille a bénéficié de tickets loisirs, lui ayant fait découvrir la danse modern jazz au conservatoire du XXème. Ses camarades de danse venaient de quartiers aisés et Leïla y était une des rares élèves originaires de la Banane et d’origine maghrébine. Cela lui a donné une grande ouverture d’esprit, mais elle n’assumait pas forcément de se rendre dans cet endroit considéré comme très bourgeois par ses amies, et se sentait inférieure en raison de son quartier, faisant si peur à ses camarades de danse qu’elles faisaient un détour afin de l’éviter. Elle est cependant ravie de cette expérience, commencée à sept ans et lui ayant permis de participer à des spectacles dès ses huit ans. Cette formation académique lui semble nécessaire pour se familiariser avec la technicité de la danse. « C’est rentré dans mon corps. Certaines filles dansent très bien, mais la chorégraphie peut vraiment leur poser problème », déclare Leïla. Parallèlement, elle continuait de danser à la maison, devant les chaînes algériennes et marocaines, comme sur 2M ou encore dans les mariages. « C’était du raï, du chaabi, les danses chleuhs, kabyles, de la reggada », énumère-t-elle.
 
Leïla a également eu l’opportunité de pratiquer plusieurs autres danses, telles que le Voguing – pour lequel elle a eu très jeune un coup de cœur, jusqu’à aller à New-York pour prendre des cours -, le Charleston, des danses tziganes, la danse contemporaine, et d’autres danses venant d’Afrique ou d’Asie. Elle donne aussi des cours de Waacking, style funky féminin des années 70, le mercredi soir à Paris, depuis 2010. Son nom de scène est Leï The Night, Leïla signifiant nuit en arabe, tout comme « the night » en anglais, « pour faire genre lmerican (comme les Américains, en darija) », rit-elle. L’artiste a développé depuis 2009 des fusions entre le Waacking, le Voguing et les danses d’Afrique du Nord. « Beaucoup de personnes découvraient ce mélange exclusif, hallucinés, à la fois dans les milieux de danse orientale et de Waacking / hiphop, c’était une rencontre entre deux mondes », s’exclame-t-elle. Elle a gagné plusieurs concours internationaux, en France, en Allemagne, en Angleterre et en République tchèque. Désormais, elle développe son approche de danses contemporaines amazigh (berbères) et maghrébines, fruit de son évolution.
 

Crédit : Leï The Night de Paul Green
 

La danse comme moyen de militer de façon apaisée

 

Ayant côtoyé des artistes de différents styles, elle s’est vite rendu compte qu’il n’y avait pas grand-chose sur les danses du Maghreb. « Mon plus fort constat en France est le manque de représentativité des danses du Maghreb dans les théâtres, les grandes salles de spectacles ou les institutions », ce qu’elle déplore. Elle affirme que les seules performances s’effectuent en Ile-de-France dans des lieux déjà dédiés à la culture arabe et maghrébine, « ce qui ne favorise pas la diversité et le brassage culturel ». « Je souhaite briser ces barrières pour faire rencontrer les cultures et visions, mais c’est un travail de longue haleine », déclare-t-elle, très déterminée.
 
C’est ainsi qu’elle a eu l’idée de former un groupe uniquement féminin de danses nord-africaines et du Moyen-Orient, souvent confondues à tort avec la danse orientale. La troupe se réapproprie les danses du Maroc, de l’Algérie, de Tunisie ou encore du Liban, dont la Reggada, style de prédilection de Leïla, danse guerrière historiquement réservée aux hommes. Leïla a fondé la troupe Kif-Kif Bledi, une troupe pleine de sororité. Elle est accompagnée par ses amies danseuses : des femmes d’origine maghrébine telles que Hind, Rawand, Sabrina et Zaera ; polonaise comme Karolina, une voisine de quartier ; libanaise à l’instar de Tania, ou encore sénégalaise, telle que Astou, qui participe aussi au projet 30 nuances de noir(es), dans une démarche afro-féministe. Leïla collabore également avec la danseuse belge d’origine marocaine Soumaya, vivant à Boston depuis quelques années et valorisant aussi le patrimoine nord-africain, à l’autre bout du monde.
 
Les membres maghrébines de la troupe apportent systématiquement des vêtements de leurs pays d’origine respectifs. « Chaque bout de costume a une histoire », affirme Leïla. L’appropriation culturelle est aussi un sujet cher à la Raïssa, mais elle ne condamne pas le fait que des non-Maghrébines fassent partie du groupe, en raison du profond respect de leur démarche, contrairement à d’autres personnes utilisant la culture uniquement pour le profit économique ou pour le côté « folklorique » sans même jamais s’être rendu·e une fois au Maghreb. Dans ce cadre, des stages de danse sont régulièrement organisés et ouverts à tou·te·s, durant deux heures et quel que soit le niveau. « J’espère une connexion entre plein d’artistes. Il est temps de rendre la pareille aux détenteurs du patrimoine maghrébin », s’enthousiasme-t-elle.
 

Crédit : Eddy Lamazzi
 

« Je créé tout dans mes écouteurs dans le RER le matin. Je m’évade très loin et c’est dans les moments les plus rudes que j’ai les meilleures idées », confie-t-elle. Leïla est également ravie d’avoir chorégraphié un spectacle dans le cadre d’un partenariat avec l’association APAC, avec des élèves de Clichy-sous-Bois âgé·e·s de cinq à dix ans, notamment d’origine algérienne et marocaine. En 2014, elle a aussi fondé l’association Diaspor’Arts marocaines. Son projet Oujda Street, avec l’aide financière du Ministère des Affaires étrangères français, a permis aux jeunes de cette ville, excentrée par rapport aux autres grandes villes du Maroc, d’assister à différents événements liés à la danse hip-hop. Un partenariat avec une troupe de théâtre leur a accordé une salle de danse au prestigieux Théâtre Mohamed VI d’Oujda. Leïla souhaite profiter de chaque action menée en France afin d’aider financièrement des jeunes filles au Maghreb pour qu’elles puissent plus facilement accéder à l’éducation.
 
Elle a également animé des conférences sur les danses du Maghreb, insistant sur le fait qu’elle n’était ni chercheuse, ni anthropologue. Elle déplore un manque de recherche à ce sujet. Ses sources étaient principalement constituées de livres d’ethnomusicologues français·es datant des années 50 et de chercheurs·euses. « On manque de chercheurs locaux pour établir une Histoire des Maghrébin·e·s », insiste-t-elle, refusant toute instrumentalisation. La culture lui semble ainsi importante à transmettre afin d’éviter les rivalités pouvant exister entre les différents pays du Maghreb. Leïla évoque plusieurs hommes et femmes de sa famille marocaine ayant participé à la résistance indépendantiste en Algérie. « Le Maghreb United a tout son sens », selon la danseuse, pour qui il est « urgent de conserver et faire rayonner notre patrimoine, afin de sortir de cette atmosphère qui tire vers le bas ». Elle regrette aussi que les différentes diasporas maghrébines soient systématiquement renvoyées à la religion depuis les années 2000, de façon péjorative.
 

Crédit : Eddy Lamazzi
 

« Avec Kif-Kif Bledi et les contes de Raïssa Leï, on veut montrer que nous faisons partie intégrante de la société française, mais que cela n’empêche pas un attachement profond à nos pays d’origine », explique-t-elle. « Aujourd’hui, les enfants de la dernière génération ont des cours d’arabe, mais ils ne savent pas tous parler la darija [l’arabe dialectal] », regrette-t-elle, ce qui fait écho à certain·e·s membres de sa famille ne sachant plus parler berbère après s’être installé·e·s en ville. « Quand je raconte à mes neveux et nièces les trajets en voiture de la France au Maroc, ils rigolent », explique Leïla, pour qui ce souvenir est très marquant. Elle est ravie d’avoir profité des vacances pour vivre « à l’ancienne, dormir sur un frach (matelas fin en darija) par terre, accompagner [s]a cousine chercher le pain au forane (four partagé par les habitants d’un quartier), faire chauffer de l’eau dans le mokrache (bouilloire) à mélanger dans le bermil (tonneau en plastique) pour prendre une douche… ». Elle est aussi reconnaissante de la chance qu’elle a de faire partie des dernières générations témoignant de l’héritage de l’ouchem, ces tatouages berbères sur le visage, les mains, les poignées et les chevilles, très à la mode auparavant, « que nos descendants ne verront plus dans la vraie vie ».
 
Tout cela la rend profondément déterminée à continuer de conter ses histoires, rendant ainsi les patrimoines nord-africains, marocains et berbères éternellement vivants. Leïla souhaite donc militer de façon pacifique et différente, par le biais de la culture, la danse lui permettant de passer des messages de façon agréable. Elle travaille actuellement sur plusieurs projets, dont une grande surprise que nous avons hâte de découvrir, inshAllah.
 
 
Crédit image à la une : Eddy Lamazzi

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Des prolétaires silencées aux sultanes oubliées : Fatima Mernissi ouvre les voix/voies

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A l’occasion de l’anniversaire du décès de Fatima Mernissi, je souhaitais lui rendre un hommage / femmage et vous montrer pourquoi il est important de la lire, de la relire, de diffuser ses écrits et de se rappeler de son travail d’éclaireuse. Elle a ouvert la voie aux interprétations féministes des textes sacrés et sa vie et son œuvre sont intrinsèquement liées à la notion de sororité, si chère à Lallab !

 

 

 Sa vie : la sororité en action

 

Mernissi passe son enfance dans un harem dans le Maroc des années 1940-50, au moment où les nationalistes luttent contre la colonisation et accèdent à l’indépendance. Qu’est-ce qu’un harem ? C’est une maison entourée de quatre murs que seuls les hommes peuvent franchir librement. Elle saisit dès sa petite enfance la notion de « hudud », de frontière, dans un milieu très fortement marqué par la séparation hommes/femmes, privé/public, libre/enfermé. Cette notion reviendra tout au long de son travail, interrogeant sans cesse les barrières que rencontrent les femmes sur leur chemin.

Le harem n’est pas cet endroit rempli de femmes lascives et désirantes qu’imaginent les peintres orientalistes, mais bien un lieu d’enfermement au sein duquel des femmes se révoltent. Mernissi fait l’expérience de la sororité dès son plus jeune âge, en voyant sa mère et ses tantes se rebeller contre le patriarcat qui les retient prisonnières : elles convoquent différentes figures féminines par le conte, le chant, la lecture pour s’échapper au moins symboliquement des murs de la maison.

 

Il y a d’abord Shéhérazade, la conteuse des Mille et une nuits, convoquée pour son intelligence et sa maîtrise de la langue. Mernissi remarque avec malice dans Le Harem et l’Occident le fossé qui sépare la conception occidentale d’une Shéhérazade hyper sexualisée et dépolitisée, alors même que c’est une femme forte qui stoppe un féminicide perpétré par son époux. Pour rappel, ce dernier, après avoir été cocufié par sa première femme, s’est engagé à assassiner chaque nuit une de ses courtisanes afin de venger son humiliation. Shéhérazade met fin au massacre en le tenant en haleine chaque nuit par ses récits merveilleux, remplis de figures de femmes subversives.

Mernissi et ses tantes s’inspirent également des grandes chanteuses de l’époque dans leurs rêves de liberté : Oum Koultoum bien sûr, mais surtout la syro-libanaise Asmahan et sa vie romanesque de femme libre d’aimer et de voyager.

Enfin, c’est par la lecture que les femmes de la famille tentent de s’évader : elles qui n’ont jamais été alphabétisées forcent leurs maris à leur lire à voix haute les écrits des féministes égyptiennes du début du 20ème siècle. Leurs paroles d’égalité résonnent haut et fort entre les murs du harem !

 

Odalisque à la culotte rouge, Henri Matisse (1869-1954)

 

La jeune Fatima bénéficie quant à elle du projet des nationalistes marocains : elle échappe au sort de sa mère et de ses tantes, et passe la porte du harem chaque jour pour se rendre à l’école.

Sa mère reporte tous ses espoirs de libertés sur sa fille et la charge d’une mission : « Tu vas changer le monde toi, n’est-ce pas ? Tu vas conduire des voitures et des avions comme Touria Chaoui. Tu vas créer une planète sans murailles ni frontières, où les gardiens seront en vacances tous les jours de l’année. » (Extrait de son ouvrage Rêves de femmes, Une enfance au Harem)

Tout au long de sa vie, elle poursuit ces engagements aux côtés des femmes pour les femmes, notamment au sein de l’Association des femmes africaines pour la recherche et le développement, à partir de 1977, ou encore avec Musawah, mouvement pour l’égalité et la justice au sein des familles musulmanes.

Elle a également payé le prix fort de certains de ses engagements, contre la guerre du Golfe ou encore lorsqu’elle a pris place sur une flottille de femmes en direction de Gaza, ce qui lui a valu une certaine ostracisation dans le monde arabe.

 

Son œuvre nous fournit les armes de nos combats

 

Les femmes sont toujours au centre de son œuvre : à la fois en tant que sociologue du travail lorsqu’elle s’intéresse aux femmes prolétaires et paysannes du Maroc, mais également dans ses relectures des textes fondateurs de la religion musulmane.

Sa thèse majeure est que les graves atteintes à la liberté des femmes dans les pays dits « islamiques » ne trouvent pas tant leur origine dans les sources scripturaires que dans des formes de contrôle théorisées dans un second temps de l’Islam.

Dans Le harem politique, elle écrit : « Être prophète (…) consiste à pousser les gens à aller aussi loin que possible, à tendre vers une société idéale. (…) Mohammed était définitivement un prophète, un constructeur d’horizons si vastes que les contempler simplement donne le vertige » (p.194). Elle y expose le projet révolutionnaire en matière d’égalité hommes-femmes porté par Muhammad et présente les raisons de son échec aux vues du contexte défavorable de l’époque. Elle semble nous inviter à nous ressaisir de cet esprit égalitaire qui agite les débuts de l’islam et à continuer ce travail de re-contextualisation des révélations et des hadiths (ndlr : paroles rapportées de Muhammad).

Ses longues recherches l’amènent à la conclusion que : « Nous, femmes musulmanes pouvons marcher dans le monde moderne avec fierté, sachant que la quête pour la dignité, la démocratie et les droits humains, pour la pleine participation dans les affaires politiques et sociales de notre pays, ne proviennent pas de valeurs occidentales importées, mais font véritablement partie de la tradition musulmane ».

 


Crédit photo : Tumblr The Woman project

 

La force du travail de Mernissi, c’est qu’elle déconstruit la maison du maître « avec les outils du maître » (pour détourner la formule d’Audre Lorde) : elle s’appuie sur les sources et les méthodes de la jurisprudence, elle avance sur le terrain et avec les critères formulés par les oulémas (ndlr : théologiens) pour leur démontrer que les conditions qu’ils ont eux-mêmes définies concernant la validité de certains hadiths ou les interprétations de certains versets ne tient pas, justement lorsque cela concerne les femmes. Elle dit : « Enorme est la tâche de celui qui veut retourner aux sources ! J’ai donc lu, armée de cette farouche volonté de connaissance, Tabari et les autres auteurs (…). Et ce, pour comprendre et éclairer le mystère de cette misogynie que doivent affronter les femmes musulmanes en 1986. » (Le Harem Politique, p.17) Et nous d’ajouter… 30 ans plus tard, en 2017 !

 

L’exemple le plus frappant concerne le rôle politique des femmes musulmanes. Face à l’élection des premières députées au parlement marocain, la rumeur populaire enfle : le hadith court sur toutes les lèvres, jusqu’à ce qu’il arrive aux oreilles de Mernissi : « Ne connaîtra jamais la prospérité le peuple qui confie ses affaires à une femme » (rapporté par Bukhari).

Interrogeant le bien-fondé de cette parole attribuée au Prophète de l’islam, Mernissi démontre, preuves à l’appui, qu’il a été forgé de toutes pièces. Elle poursuit ses recherches en remontant dans l’histoire et exhume du passé les « sultanes oubliées » (ou plutôt occultées !) qui ont régné sur des pays musulmans de l’Indonésie à la Mongolie, en passant par le Yémen.

 

Mernissi n’a eu de cesse de donner à entendre des voix inaudibles, celles des femmes de sa famille ou des prolétaires marocaines, ou oubliées, comme les reines du passé ; mais elle a surtout ouvert une voie : celle de la relecture des textes selon leurs contextes, pour être plus fortes, moins dépendantes des lectures faites pour nous, mais sans nous, et donc au final contre nous.

 

Soyons ce que Mernissi appelait des « Shéhérazade modernes », contemporaines : ne nous arrêtons plus de parler à l’aube, mais plutôt saisissons-nous des moyens de communication qui sont à notre disposition pour faire porter nos voix, chacune avec ses spécificités, à toute heure du jour ou de la nuit – via Twitter, Youtube, Instagram et bien sûr Lallab, parce que : « La dignité c’est d’avoir un rêve, un rêve fort qui vous donne une vision, un monde où vous avez une place, où votre participation, si minime soit-elle, va changer quelque chose » (Rêves de femmes, Une enfance au Harem).

 

Article écrit par Diane, membre du collectif Musulmanes en mouvement

 

Crédit photo à la une : Amy Toensing

 

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(Dé)construction Nos Voix

Peut-on voyager partout quand on est une femme noire ?

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On peut dire qu’avoir un passeport français est un privilège : sûr·e·s d’obtenir notre visa pour quasiment tous les pays du monde, on a l’embarras du choix pour partir en voyage. Sauf que quand on est Noire, d’autres réalités entrent en jeu et les vacances peuvent vite avoir une drôle de saveur, nous incitant à réfléchir à deux fois avant de choisir notre prochaine destination…
« Cho – cho – chocolat, chocolat ! »

Non, il ne s’agit pas du dernier tube qui passe sur toutes les ondes de radio. C’est l’appellation utilisée par les habitant·e·s pour nous qualifier, ma sœur et moi, pendant nos vacances à Marrakech. Vous trouvez ça marrant, insignifiant ? Moi, je dirais plutôt insultant, rabaissant, humiliant… et j’en passe. Alors qu’en France, nous aurions certainement réagi de façon virulente, là-bas, nous adoptons un tout autre comportement : essayer de passer outre, faire mine de ne rien entendre… Horrible !
 
Déçue par cette expérience courte – mais amplement suffisante à mes yeux -, j’engage, quelques mois plus tard, la préparation d’un autre voyage avec une amie, cette fois en Inde. Plusieurs personnes essaient de me mettre en garde sur le fait que le Sud de l’Inde n’est pas une région connue pour son ouverture à l’égard des étranger·e·s, notamment de couleur noire. Sur mon nuage et très enthousiaste à l’idée de m’envoler vers cette destination, je minimise leurs propos et n’en mesure pas la portée. Pourtant, j’aurais dû…
 

Crédit photo : Manuel Secher

 
Voilà que j’arrive en Inde avec mon amie, pleine d’illusions, de rêves et d’espoirs. Les premiers jours se passent relativement bien, jusqu’au jour où nous arrivons à Pondichéry, dans la région du Tamil Nadu, au Sud de l’Inde. Nous décidons de nous rendre au marché pour nous mêler à la vie, à la population locale. Après avoir acheté ce qu’il nous fallait en fruits et légumes auprès d’une marchande, nous voulons nous prendre en photo avec elle. Et là, comment vous dire ? Je m’aperçois de manière claire et évidente que ma présence près d’elle sur la photo la gêne et qu’elle préférerait que mon amie, qui est blanche, prenne ma place. Je souris tant bien que mal, alors que je trouve la situation gênante, humiliante, et qu’immortaliser ce moment n’a vraiment aucun sens à mes yeux. Je garde pour moi le malaise provoqué par cette situation et mon mal-être d’être dans ce pays qui me rejette clairement du fait que je suis Noire. Je cogite, je me dis que je me fais des films, qu’il n’y a rien, que c’est dans ma tête… Mais non ! Tout ce que je vis, tout ce que je ressens de négatif dans mes échanges avec les locaux est bien réel. Le soir, je me confie à mon amie, qui me conseille de passer outre, d’ignorer… Plus facile à dire qu’à faire !
 
D’autant plus qu’au cours de notre voyage, je suis de nouveau confrontée à des situations tout aussi gênantes, comme les nombreuses fois où nos interlocuteurs·trices s’adressent uniquement à mon amie, même lorsqu’il s’agit de questions me concernant (hey, ho, je suis là !). J’ai déjà entendu que les étranger·e·s attirent beaucoup l’attention en Inde ; mais contrairement à la curiosité que suscite la présence de Blanc·he·s, ma couleur de peau suscite l’hostilité.
 
Après trois longues semaines et un passage au Sri Lanka, arrive enfin ce moment tant attendu : notre départ, ma délivrance. Jusqu’à la dernière minute, je suis pointée du doigt : lors de nos derniers instants au Sri Lanka, mon amie remarque que des personnes me regardent avec insistance et se moquent de moi dans la rue (je ne savais pas que c’était si hilarant de voir des Noir·e·s, mais why not ?). Visiblement, sous d’autres latitudes, les gens ne sont pas non plus habitués à voir des Noir·e·s : à l’aéroport, un couple originaire d’un pays de l’Est me dévisage…
 

Pourquoi ?

 
Avec le recul, j’essaie de comprendre… Comment de tels comportements, qu’il s’agisse du Maroc ou de l’Inde, peuvent-ils s’afficher si ouvertement ? Malheureusement, je crains qu’il soit monnaie courante dans ces pays d’interpeller les Noir·e·s en les qualifiant de « chocolat » ou encore de les regarder avec insistance, avec moquerie, avec dédain. Ma vision idéaliste me faisait supposer – à tort – que ces pays adoptaient, conformément à leurs religions, des valeurs humanistes, de tolérance et d’ouverture d’esprit. Malheureusement, l’Histoire montre combien les Noir·e·s, réduit·e·s à leur couleur, ont fait l’objet de discriminations et de persécutions.
 
Alors, je me questionne… Qu’est-ce que cette couleur renvoie de si terrible, de si violent intérieurement pour que l’on ait envie de l’extérioriser en blessant tant physiquement que verbalement ?
 
Au sein même de certaines communautés, la couleur de peau est à l’origine de discriminations, la blancheur étant considérée comme le critère ultime de beauté. En Inde, un mouvement appelé « Fair and lovely » (Claire et belle), promouvant et incitant à la blancheur, avait été lancé sur les réseaux sociaux… Ce à quoi le slogan « Unfair and lovely » avait répondu en guise de contestation. Comme le demandait Rokhaya Diallo lors d’une conférence à laquelle j’ai assisté, la beauté serait-elle réservée aux Blanc·he·s ?!
 

Photo avec le hashtag « Unfair and lovely », célébrant les peaux foncées
 
Des mentalités, des points de vue orientés s’inscrivent, comme des traditions, et se perpétuent de génération en génération. Il s’avère donc difficile de bouleverser ce qui est déjà bien ancré dans les esprits en termes de conception de la beauté, de relation à l’autre dans le respect des différences liées à la culture, à la religion, à la couleur de peau.
 
Aujourd’hui, je ne peux plus refréner l’énervement, l’agacement profond qui m’envahit lorsqu’un garçon me regarde avec insistance à la caisse d’un supermarché, que des serveurs·ses nous dévisagent, mes sœurs, mes cousines et moi lorsque nous allons boire un verre, ou qu’un serveur refuse de placer et de servir mon frère dans le restaurant dans lequel il souhaite manger.
 
J’ai finalement choisi de boycotter purement et simplement les destinations où je sais que je rencontrerais de telles discriminations. Est-ce la bonne solution ? Je n’en suis pas convaincue, mais c’est la seule que j’ai trouvée à ce jour. Toutefois, à celles et ceux qui trouvent cette solution radicale, à celles et ceux qui justifient ces discriminations par le fait qu’ « ils·elles ne sont pas habitué·e·s à voir des Noir·e·s », je leur répondrai qu’il est difficile d’entendre ce genre de discours simplistes à notre époque – surtout que cela n’efface pas le tort causé et le mal-être que ces rejets provoquent.
 
 
Crédit image à la une : Oneika the traveller
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(Dé)construction Nos Voix

5 choses que j’aurais aimé savoir avant de porter le voile

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#MAROC.
Mon choix de porter le voile date de plusieurs années durant lesquelles je ne me suis généralement pas sentie différente. En effet, je vis dans un pays musulman où règne une diversité précieuse, dans laquelle le port du voile est loin de vous attirer tensions ou violences. Néanmoins, et depuis le matin où j’ai pris cette décision, demeurent ancrés dans ma mémoire toutes ces réactions, ces regards et ces répliques que j’ai reçus lorsqu’à des moments donnés et aux yeux des autres, seul mon voile m’a définie.
Aujourd’hui, l’accumulation de ces situations, bien qu’elles paraissent dérisoires, ne m’a pas laissée indifférente. C’est pour cette raison qu’il y a 6 ans, j’aurais aimé que l’on me dise certaines choses.

 

1) Tu pourras être rejetée dans le monde du travail.

 

J’ai pris conscience de cette réalité pour la première fois il y a plusieurs années. C’est l’histoire d’une connaissance fraîchement diplômée à qui le recruteur avait insinué sans scrupules que le seul moyen pour elle de décrocher le job était de se passer de son voile.

Dès lors, j’ai cru que les années passeraient et que le recruteur finirait par se rappeler que nous vivons dans un pays musulman où le monde du travail est régi par un code qui interdit clairement toute discrimination fondée sur des considérations religieuses, raciales, idéologiques ou politiques. J’ai cru qu’au fil des années, au lieu de m’interdire un choix qui n’affectera en rien mes compétences et ma motivation pour un poste X, sous prétexte qu’être voilée est synonyme de repli sur soi, de manque d’ouverture d’esprit et de mauvaise image face à la clientèle, le recruteur aurait pris le temps de redéfinir ce qu’est réellement l’ouverture d’esprit. J’ai cru qu’en 2016, le port du voile ne sera plus une « barrière » pour la simple raison que nous sommes en 2016 et que nous vivons à l’ère de la mondialisation.

J’ai cru oublier cette histoire jusqu’à ce que la réalité s’impose : on a proposé à mon amie, durant un entretien pour un stage, de choisir entre son voile et le poste. Elle pouvait prendre 24 heures pour y réfléchir. Mais on ne réfléchit pas dans ce genre de situations… on a mal au cœur.

Ne t’en fais pas, car même si ça existe bel et bien au Maroc, ce n’est pas le cas général. Mais si par malchance, le poste qui t’intéresse t’est refusé pour la simple raison que tu es voilée, attache-toi à tes principes mais quelle que soit ta décision, sache que toute l’équipe de Lallab te soutiendra et pense très fort à toi.

 

2) Tu inspireras du respect… mais pas forcément le plus sain des respects.

 

C’est certainement la meilleure des choses d’être respectée par les gens, mais généralement quand on décide de mettre le voile au Maroc – ce qui implique le fait de s’habiller « modestement » –, certaines personnes nous perçoivent d’une façon bien particulière. Une perception qui, à mon sens, mérite d’être abordée. Un garçon qui ne m’avait jamais dit bonjour en me rencontrant dans les couloirs, s’approche de moi le premier jour où j’ai « exposé » mon choix au vu de tous… et m’applaudit. « Tu as fait le bon choix », me dit-il tout en inclinant sa tête en signe de respect. Les premiers jours étaient les plus révélateurs car du jour au lendemain, des personnes – quoiqu’elles n’aient pas été nombreuses – ont réagi à ma décision d’une façon qui m’avait annoncé à l’époque (et reflète aujourd’hui) une vision dominante dans la société marocaine vis-à-vis du voile.

Quelques jours après, m’habituant petit à petit à ma nouvelle situation, un autre garçon, à qui je parlais assez souvent, me salue pour la première fois en se pliant presque en deux.
Qu’étais-je devenue ? Une sainte ?

Quelques années plus tard, alors que j’étais dans un marché avec une amie étrangère au pays, un vendeur de sacs me lance, après s’être assuré qu’elle ne parlait pas arabe : « Si je vous le vends à ce prix, c’est uniquement parce que tu es voilée, une femme respectable et « bent nass* ». Si ton amie était venue toute seule, elle ne l’aurait pas eu à ce prix ».

Tu vivras bien des situations de ce genre, qui auraient plu à beaucoup d’autres car elles indiquent que la société a dit son mot sur ton choix personnel… et qu’elle l’a approuvé.
Ne te satisfais pas de ces situations, non pas parce que tu n’es pas digne de respect, loin de là. Mais parce que ce respect en particulier, qui te sera adressé uniquement parce que tu es voilée, insinuera que toute autre femme qui ne l’est pas n’en mérite pas autant. C’est triste et injuste !
 
* « Bent nass », en arabe : Fille d’une bonne famille. Selon la perception marocaine, c’est généralement une fille qui a eu une bonne éducation, qui est pudique, qui ne sort pas le soir et qui a peu ou pas d’amis masculins.

 

3) Tu seras un extra-terrestre pour les étrangers.

 

Le choix du port du voile ne ressemble à aucun autre choix personnel, et dans des contextes particuliers, il n’est pas aussi personnel qu’il parait l’être. Ça tourmente, ça dérange et parfois… ça menace. Les médias nous l’ont bien fait comprendre ces dernières années. Le voile n’a rien de menaçant dans un contexte arabo-musulman, mais lorsqu’une femme voilée décide de quitter son pays, que ça soit pour chercher un travail, s’installer à l’étranger ou tout simplement faire du tourisme, elle se perd en considérations innombrables… dont les jugements des autres, et donc la crainte d’être rejetée.

J’ai quitté le Maroc pendant un mois et demi pour prendre part à un projet éducatif qui rassemblait des bénévoles, tou.te.s de nationalités différentes. L’acceptation y régnait malgré la diversité et je m’y suis faite des ami.e.s pour la vie. Néanmoins, les regards curieux de certain.e.s n’allaient pas tarder. Quelques personnes éprouvaient de l’hésitation à m’approcher, alors qu’elles semblaient très à l’aise avec les autres participant.e.s. « Est-elle abordable ? », disaient leurs regards. Ils ont obtenu leur réponse dès lors que j’ai présenté un sujet devant l’ensemble des participant.e.s, chose qui traduisait qu’effectivement je l’étais. J’étais alors abordable… pour entendre ce qu’on pensait de mon voile, car apparemment c’est un sujet d’ordre général.

« Tu portes beaucoup trop de vêtements »
« Est-ce que tu as des cheveux, au moins ? »
« Le soleil ne fera aucun mal à tes cheveux, crois-moi »

A moi-même et à mon amie à qui, dans un autre pays, on avait dit d’enlever son voile avant d’entrer en classe pour ne pas « choquer » les élèves, j’aurais dit que oui, ces remarques – et même si elles m’ont été dites par une minorité – s’accumulent… et ne s’oublient pas.

Le problème n’est pas un vêtement de plus ou un rayon de soleil de moins, car ta lumière émane de l’intérieur, à travers les valeurs que tu portes et la spiritualité que cela te procure.

 

4) Tu n’échapperas pas au fameux débat : « Voile : tradition ou obligation ? »

 

Chaque femme musulmane voilée débattra au moins une fois dans sa vie de ce sujet. Quels que soient les motifs l’ayant poussée à porter le voile, elle n’échappera pas au fait de concevoir un argumentaire dans ce sens. J’avais élaboré dans ma tête les réponses à toutes les questions possibles, qui allaient me donner raison face aux autres, qui étaient censées me rassurer. Je gagnais souvent mes débats mais aujourd’hui je me rends compte que ce n’est pas ça l’important.

Dans quelques situations, tu n’auras sûrement pas toutes les réponses du monde, mais le seul et unique argument qui importe, tu ne le devras qu’à toi-même et à personne d’autre.

 

5) Ton voile supposera pour beaucoup se cacher du regard des hommes.

 

Le voile est malheureusement encore perçu comme moyen de soustraire la femme, objet de tentation, aux regards affolants des hommes. L’idée serait donc de couvrir les appâts féminins et ne pas les exposer à un homme victime car étant facilement attiré.

Une illustration avait longtemps circulé sur les réseaux sociaux et est toujours employée pour « défendre » le port du voile : « Une sucette sans enveloppe c’est comme une femme sans voile, elle est couverte de mouches à merde ».

Je ne voudrais pas être comparée à une sucette parce que je ne peux être réduite à un objet, et cet exemple me fait plus de mal que de bien. Cet exemple ne me rassure pas sur mon choix et réduit à néant la belle valeur symbolique du voile. Mon voile existe vis-à-vis de Dieu et non des hommes. C’est un symbole d’appartenance, une source de spiritualité et surtout un choix libre se révoltant face à cet unique modèle de liberté qu’on essaie de nous imposer.

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Portraits

Nora Belahcen Fitzgerald : porteuse d’espoir au quotidien

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C’est à Marrakech, la ville rouge du Maroc, que je rencontre Nora Belahcen Fitzgerald, fondatrice de l’association Amal pour les arts culinaires. Nora m’accueille dans son restaurant solidaire aux couleurs ocres, décoré avec soin par des tableaux de sa mère et des citations calligraphiées sur les murs. On retrouve ainsi l’une de ses phrases préférées de l’auteur soufie Hazrat Inayat Khan: « Il y a des gens qui cherchent des beaux endroits et d’autres qui cherchent à rendre les endroits beaux ». C’est exactement ce que fait Nora avec son restaurant : rendre cet endroit beau pour les femmes issues de milieux défavorisés.

 

Nora Belahcen Fitzgerald. Ses deux noms de famille représentent à eux seuls la diversité de sa culture. Nora est née et a grandi au Maroc mais est d’origine américaine, plus précisément de Californie. C’est dans les années 1970 que ses parents se sont installés au Maroc, après s’être convertis à l’Islam. Ils souhaitaient vivre dans un pays à la fois musulman et ouvert où ils pouvaient élever sereinement leurs enfants. Aujourd’hui, Nora se définit comme une « traductrice culturelle », qui maîtrise aussi bien l’arabe, l’anglais que le français. Nora passe facilement d’une culture à une autre et aime expliquer aux américains la situation économique et culturelle du Maroc. Elle tient d’ailleurs un blog à ce sujet depuis plusieurs années.

 

Mendier 10h par jour pour gagner 20, peut-être 30 dirhams

 

Nora a grandi dans une société dans laquelle la pauvreté a toujours été visible. Au quotidien, elle observait autour d’elle des femmes mendier assises au coin des rues ou devant les feux, pour obtenir quelques pièces de la part des automobilistes. Des images qui ne choquent plus vraiment les marocains, habitués à voir cette misère. Les rumeurs sur ces femmes sont d’ailleurs nombreuses : elles gagneraient beaucoup d’argent en faisant la manche, louraient leurs enfants ou encore leur donneraint des sirops pour les endormir afin d’attirer la pitié des passants.
C’est en 2006, lors de la visite de l’une de ses amies américaines que Nora réalise véritablement la souffrance de ces femmes. Choquée de voir autant de femmes mendiantes avec des bébés sur le dos, son amie supplie Nora de venir l’aider à secourir l’une d’entre elles. Nora, qui devait ce jour-là simplement servir d’interprète, fait l’une des rencontres les plus bouleversantes de sa vie : celle d’une femme, mendiante, célibataire et avec deux enfants à charges, qui vit dans une chambre de la taille d’une armoire, qu’elle loue 300 dirhams par mois.

 

Cette femme gagnait environ 20 à 30 dirhams par jour, soit 2 ou 3 euros. Le prix d’un café, que l’on ne va même pas finir

 

C’est alors le déclic pour Nora. Elle compare sa vie et celle de ses enfants qui ne manquent de rien, avec la vie de cette femme qui n’a même pas de quoi acheter des couches ou nourrir correctement les siens. Ces deux réalités lui sont insoutenables à observer. Alors, rapidement, elle mobilise son réseau d’amis et sa famille pour venir en aide à cette femme.

 

Après des années de servitude, elles sont devenues leur propre chef !

 

Nora fait par la suite la connaissance de deux autres mères célibataires issues de milieux défavorisés et qui, dès leur plus jeune âge, étaient devenues des « petites bonnes ». L’une d’elles a d’ailleurs confié à Nora qu’à l’âge de 6 ans, alors qu’elle pensait que ses parents l’emmenaient en vacances, elle a brusquement réalisé la triste réalité de ce voyage. Alors que la plupart des enfants rentraient à l’école primaire, elle était de corvée de ménage tous les jours de la semaine. A six ans !
Nora s’inspire du projet associatif de Aicha Ech-Chenna qui vient en aide aux mères célibataires et à leurs enfants dans la ville de Casablanca. En effet, l’association Solidarité Féminine comprend entre autres, en parallèle d’un hammam et d’une pâtisserie, un restaurant solidaire. Nora cherche donc un espace de travail pour ces deux femmes et leur obtient un poste dans une école où elles réalisent des pâtisseries. A leur projet, Nora apporte ses compétences en gestion et les femmes – elles –  font de « la magie avec leurs mains« . Ce premier projet rencontre beaucoup de succès et permet aux femmes de gagner plus d’argent que lorsqu’elles étaient « petites bonnes ». Elles sortent de l’état de servitude pour gagner dignement leur vie. Et pour la première fois de leur existence, elles deviennent leurs propres patrons. Une transformation qui encourage Nora à imaginer un projet plus grand.

 

L’association Amal

 

Chef Cuisinier – Association Amal pour les arts culinaires – Crédit photo : Women SenseTour in Muslim Countries
Chef Cuisinier – Association Amal pour les arts culinaires – Crédit photo : Women SenseTour in Muslim Countries

 

Suite au succès de ce premier projet pilote, Nora met toute son énergie dans la recherche d’un local plus grand afin de stabiliser son projet et maximiser son impact social. L’association Amal, organisation à but non lucratif, voit ainsi le jour en novembre 2012 et le restaurant ouvre véritablement ses portes quelques mois plus tard en avril 2013. Son objectif est d’améliorer le statut socio-économique des femmes issues de milieux défavorisés à travers l’apprentissage d’un métier valorisant dans le domaine des arts culinaires.
Cette association prend donc la forme d’un centre de formation pour ces femmes et d’un restaurant solidaire ouvert au grand public. L’ensemble des fonds récoltés grâce au restaurant sont donc reversés à la formation des bénéficiaires.
Grâce au soutien de la fondation Drosos, Nora peut professionnaliser sa structure, former une véritable équipe administrative composée d’une dizaine de personnes ainsi qu’un staff permanent en cuisine avec deux chefs cuisiniers, l’un spécialisé dans la cuisine française et l’autre dans la cuisine marocaine traditionnelle. D’ailleurs, l’une des chefs est une ancienne bénéficiaire de l’association. Nora a pu observer son évolution fulgurante: il y a quelques années cette femme était mendiante, aujourd’hui c’est elle qui enseigne fièrement aux femmes comment cuisiner les meilleurs mets de la gastronomie marocaine.
Chaque jour, Amal accueille entre 60 et 100 personnes  pour le déjeuner.

 

Amal, un espoir

 

Préparation plats marocains – Association Amal pour les arts culinaires – Crédit photo : Women SenseTour - in Muslim countries
Préparation plats marocains – Association Amal pour les arts culinaires – Crédit photo : Women SenseTour in Muslim Countries

 

Amal signifie « espoir » en arabe. Un espoir que Nora veut redonner à ces femmes aux parcours souvent semés d’embûches. Ces femmes sont pour la plupart veuves, mères célibataires ou victimes de violences mais parallèlement à leur précarité socio-économique, elles ont toutes pour point commun une réelle volonté de s’en sortir.
Au sein de l’association, ces femmes suivent des formations de 4 à 6 mois aux arts culinaires et à la pâtisserie marocaine traditionnelle. Cette formation est complétée par des cours d’alphabétisation et de langues étrangères, en anglais et en français. Chaque année, ce sont ainsi trois promotions d’une dizaine de bénéficiaires qui profitent des services de l’association. Elles s’ouvrent ainsi à un monde qui leur était souvent inconnu et cela commence en cuisine ; certaines n’avaient par exemple jamais goûté une simple tartelette aux fruits.
Grâce à Amal, elles se sentent valorisées et reprennent confiance en elles. L’un des meilleurs moments pour ces femmes est celui de l’atelier cuisine dans lequel elles enseignent aux clients étrangers à préparer le pain ou d’autres produits typiquement marocains. Ces moments sont uniques pour elles car en plus de l’échange de qualité avec les clients, elles sont fières de transmettre leur culture et leur savoir-faire.
Suite à leurs formations, ces femmes sont ensuite aidées par l’assistante sociale pour leur insertion professionnelle grâce notamment à des partenariats menés avec des ryads, des hôtels ou des restaurants dans la ville de Marrakech.
L’espoir, c’est aussi ce que Nora veut pour le Maroc. Elle observe que de plus en plus de jeunes de son pays s’engagent pour résoudre avec amour et intelligence les problématiques sociétales auxquelles font face les marocains.

 

Toujours se rappeler pourquoi on mène un projet

 

Licenciée en mathématiques, Nora ne se dirigeait pas véritablement vers les métiers de l’entrepreneuriat social. Sa famille a d’ailleurs été très surprise de la voir se lancer dans cette voix professionnelle ou ce qu’elle appelle plutôt son « projet de cœur« , puisque Nora effectue ce travail de façon bénévole.

 

Je voulais faire cela pour Allah, dans une intention pure. J’essaie au quotidien de toujours revenir à cette première intention, de ne pas oublier pourquoi je fais cela.

 

Selon elle, c’est grâce à cela que les portes se sont ouvertes et que ses actions ont été facilitées. Elle a ainsi pu trouver un magnifique local dans le quartier de Gueliz à Marrakech et a pu compter sur l’aide de ses proches pour former le capital d’investissement de son association, grâce notamment à la zakat récoltée (ndlr « purification » en arabe, il s’agit de l’un des cinq piliers de l’Islam et se définit comme un impôt sur l’avoir et la propriété obligatoire pour les musulmans).
Nora m’explique qu’Amal est un projet qui s’aligne sur les valeurs de l’Islam, sur cette volonté de promouvoir plus d’égalité au sein des sociétés.

 

Le prophète Mohamed disait « aucun de vous n’a complété sa foi jusqu’à ce qu’il aime pour son frère ou sa sœur ce qu’il aime pour lui-même ». Ainsi, tout ce que je veux pour moi et pour mes enfants, je dois le vouloir, avec le même désir pour mes frères et mes sœurs. Il ne s’agit pas seulement d’un désir passif en se disant intérieurement qu’on aimerait cette égalité, mais il faut agir pour »

 

Le sort des mères célibataires dans les sociétés musulmanes

 

Nora se refuse de juger les mères célibataires et a au contraire beaucoup de tendresse pour elles. Certes, l’Islam interdit les relations sexuelles en dehors du mariage mais pour autant, si on les exclut de la société cela ne réglera en rien cette problématique. Nora m’explique que ces femmes sont pour la plupart analphabètes, elles n’ont reçu aucune éducation religieuse, spirituelle et ne connaissent même pas leurs corps. Ses femmes ont souvent vécu dans un état de servitude dans des familles qui n’étaient pas les leurs. Elles n’ont reçu que très peu d’amour et lorsqu’un homme les regarde seulement avec un peu de tendresse ou d’admiration, cela peut changer leur vie.

 

Agissez !

 

Nora raconte qu’elle a toujours dans son cœur une citation du prophète qui dit « lorsque vous voyez quelque chose qui ne vous plaît pas, changez-le avec vos mains. Si vous n’y arrivez pas, changez-le avec le stylo, écrivez. Si vous n’y arrivez toujours pas, détestez cette chose au fond de votre cœur ». L’action sociale se situerait donc à trois niveaux différents et on ne peut certes pas tout changer dans le monde, mais il faut au moins essayer ! Faites quelque chose ! Agissez ! Voilà son message.

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Portraits

Asma Lamrabet : féministe musulmane de la troisième voie

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Asma Lamrabet est médecin biologiste et directrice du Centre d’Etudes et de Recherches sur la question des Femmes dans l’Islam (CERFI) à Rabat. C’est Ahmed Abadi, le secrétaire général de la Rabita des Oulémas du Maroc, qui lui confie ce poste en 2011, suite à la lecture de ses nombreux ouvrages sur la place de la femme dans la religion musulmane. Il estime à l’époque qu’une institution aussi traditionaliste et orthodoxe que la ligue des Oulémas du Maroc se doit elle aussi d’effectuer un travail de réinterprétation des textes sacrés sur la question des droits des femmes. Le CERFI a donc pour objectif premier de déconstruire la lecture traditionaliste et patriarcale qui a été faite sur la question des femmes à travers l’histoire de l’Islam afin de retrouver dans le discours spirituel les valeurs d’égalité des sexes, de dignité et de justice sociale. Ce centre de recherche travaille ainsi à partir d’une perspective originale, réformiste, féminine et féministe.

 

Les mouvements féministes au Maroc.

 

Même si les luttes féminines ont toujours existé dans l’histoire de l’humanité, le féminisme en tant que concept est aujourd’hui encore bien trop souvent miné au Maroc. Il est connoté négativement car perçu comme un concept né en Occident, importé avec le colonialisme et donc forcément étranger aux cultures arabo-musulmanes. Or, selon Asma Lamrabet, le féminisme est un concept universel où seuls les modèles diffèrent selon les contextes. Elle estime ainsi que le féminisme tout comme la démocratie ou la promotion des droits humains sont des concepts que les sociétés se doivent de s’approprier et d’adapter à leurs contextes.
Au Maroc, L’Islam est la religion d’Etat, et les féministes marocaines ne peuvent agir sans prendre en compte ce contexte religieux. Asma Lamrabet m’indique que si certaines utilisent le référentiel religieux pour des raisons stratégiques – car aborder la religion est inévitable dans tout débat sur les droits des femmes au Maroc-, elle affirme quant à elle qu’elle le fait par réelle conviction. Selon elle, c’est dans les textes sacrés du Coran que les femmes musulmanes marocaines peuvent puiser les sources de leur argumentaire. Elle affirme ainsi que l’Islam délivre un message égalitaire, libérateur et émancipateur pour les femmes. Cependant, le gros du travail réside dans la lecture qui en est faite. Celle-ci se doit d’être contextualisée pour pouvoir faire face  à la lecture majoritaire, rigoriste et profondément patriarcale.

 

Aujourd’hui le discours islamique au sujet des femmes est un discours qui ne prend pas source dans les textes, mais qui se réfère à ce que disent les anciens, à ce qu’ont dit pendant des siècles les savants. On en vient à sacraliser des êtres humains, sacraliser la jurisprudence islamique et on perd les principes généraux de ce que j’appellerai l’éthique égalitaire et spirituelle du Coran.

 

« On n’a pas puisé nos sources dans l’Occident mais dans le Coran »

 

Selon Asma Lamrabet, la rupture entre féminisme laïque et féminisme musulman est une rupture qui n’a pas lieu d’être au Maroc, ou alors de façon modérée; contrairement à d’autres pays comme la Tunisie, l’Algérie ou l’Egypte.
Grâce à la réforme du code de la famille, de nombreuses féministes, notamment les laïques, ont découvert ou redécouvert que le référentiel islamique n’était pas incompatible avec les droits des femmes. En effet en 2004, lors de la réforme de la Moudawana, le code de la Famille marocain, un débat national a eu lieu entre différents acteurs : des théologiens, des politiciens, des sociologues, mais aussi des membres de la société civile dont les principales militantes associatives féministes. Ce débat a eu lieu de façon dépassionné, ce qui a permis de déconstruire, de part et d’autre, les malentendus. Le Maroc a ainsi puisé sa réforme du Code de la Famille dans le référentiel islamique tout en respectant au mieux les engagements pris à travers la ratification des traités internationaux.

 

Quand on évoque le droit égalitaire au divorce, on n’a pas puisé nos sources en Occident, mais au sein d’un texte qui a été révélé il y a quatorze siècles, c’est à dire dans le Coran. On y a retrouvé l’idée que le divorce est un droit égalitaire et non un droit exclusif aux hommes contrairement à ce qui est souvent indiqué dans les lectures patriarcales de l’Islam.

 

Le féminisme musulman de la troisième voie

 

Asma Lamrabet, Crédit photo : Women SenseTour - in Muslim Countries
Asma Lamrabet – Colloque 12 et 13 novembre 2014 –  Femmes au coeur des monothéismes: une histoire plurielle, Crédit photo : Women SenseTour – in Muslim Countries

 

Aujourd’hui on ne parle plus de féminisme, mais de féminismes, au pluriel. L’éventail s’élargie et est extraordinairement diversifié. Face à ce constat, Asma Lamrabet a proposé ce qu’elle appelle le féminisme musulman de la troisième voie. Un discours qui se fraie un chemin entre d’une part le discours exclusif – qui considère que la religion opprime les femmes et qu’il est un véritable obstacle à leur émancipation – et d’autre part un discours islamique – qui se veut rigoriste, essentialiste et qui estime que les droits universels sont étrangers à l’Islam.
Cette troisième voie propose d’allier les droits universels que chacun a le droit de revendiquer avec un référentiel musulman, revu, relu et re-contextualisé.

 

J’estime que c’est le droit des femmes musulmanes que de revendiquer un féminisme à partir de leur contexte. C’est tout à fait logique et légitime car on est tous, en tant qu’êtres humains, nés quelque part et c’est à partir de cela qu’on essaie de construire une pensée et une revendication

 

Aujourd’hui, face à une certaine islamophobie complètement banalisée et dont le sujet central est souvent l’oppression des femmes par l’Islam, Asma m’explique qu’il y a un véritable mouvement de femmes musulmanes à travers le monde – aussi bien en Occident que dans les pays arabo-musulmans – qui se réapproprient les textes sacrés et démontrent avec un argumentaire construit que ce n’est pas l’Islam en tant que religion qui opprime les femmes mais bel et bien la lecture qui en est faite. Les femmes ont été malgré elles marginalisées du sacré. Ce mouvement est aujourd’hui encore minoritaire mais fait son chemin pour lutter contre le monopole du savoir religieux, détenu exclusivement par les hommes et plus précisément les savants, qui ont interdit la participation des femmes dans les discussions.

 

« L’appel à la monogamie dans l’Islam s’est progressivement transformé en un droit exclusif de la part des hommes à se marier avec plusieurs femmes »

 

A chaque fois que l’on veut débattre sur les inégalités sociales dans l’Islam, les critiques les plus acerbes se font au sujet de la polygamie ou de l’héritage. Asma Lamrabet apporte à ce sujet des réponses claires, argumentées et contextualisées. « La question de la polygamie se pose avec acuité, si l’on en fait une lecture classique et traditionaliste, car oui le Coran parle de polygamie. Sauf que lorsque l’on fait une lecture contextualisée, on réalise qu’il n’y a pas qu’un seul verset qui traite de la polygamie, mais plusieurs ! ». Asma Lamrabet m’explique ainsi qu’au VIIe siècle, en Arabie, la polygamie était une pratique totalement acceptée : « Limiter le nombre de femmes au nombre de quatre était finalement déjà un exploit au vu de l’époque ». Elle ajoute avec fermeté que l’Islam impose la monogamie comme norme dans le cadre légal du mariage. En effet il est exigé dans le Coran, une condition très importante et bien trop souvent oubliée qui est celle de la justice : les hommes se doivent d’être justes et de donner la même chose à toutes leurs femmes. Or, par la suite, le Coran indique que cela est impossible et que dans ce cas précis, les hommes ne doivent se marier qu’avec une seule femme. « Dans les sociétés musulmanes, ce sont les hommes qui lisent, qui interprètent et qui établissent les lois. L’appel à la monogamie s’est ainsi vu transformé au vu d’une lecture patriarcale en un droit exclusif de la part des hommes à se marier avec plusieurs femmes. Ces dernières se doivent aujourd’hui de s’élever contre ces pratiques et de réclamer la monogamie, c’est leur droit le plus absolu ».

 

« L’héritage : un verset inégalitaire mais dont la finalité est la justice »

 

Les versets traitant de la question de l’héritage doivent également être recontextualisés. Dans le Coran, plusieurs versets traitent de cette question mais seul un verset a été retenu : celui indiquant que dans une fratrie, à la mort des parents, alors que le frère détient une part entière de l’héritage, sa sœur en détient seulement une demi part.
« Dans le contexte de la révélation, au VIIe siècle, donner une demi part aux femmes était une révolution, dans un contexte où les femmes n’héritaient absolument pas et ce dans toutes les civilisations ». Asma Lamrabet ajoute qu’à l’époque, la société était plus traditionnelle et la prise en charge matérielle, financière et économique de la famille relevait de la responsabilité des hommes. Ce qui signifie que l’homme reçoit une part entière car il doit prendre en charge l’ensemble de la famille, contrairement à la femme qui ne reçoit certes qu’une demi-part, mais celle-ci lui revient dans son intégralité.
« Ce verset semble inégalitaire mais la finalité est en fait la justice. Aujourd’hui, quatorze siècles après la révélation du Coran, nos sociétés se sont complètement métamorphosées. On observe par exemple qu’au Maroc, 30% des familles sont prises en charge par des femmes seules. Et plus généralement, au vu de la précarité socio-économique et des chamboulements de la société, le frère est incapable de prendre en charge ni sa sœur, ni sa mère, ni personne d’autre. Cette répartition inégalitaire devient donc injuste ! Que les femmes demandent une part égale à leur frère n’est donc pas incompatible avec  l’Islam et au contraire cela rejoint les valeurs de justice que l’on retrouve dans les principes de la religion ».

 

Un discours encore minoritaire mais qui interpelle

 

Asma Lamrabet m’explique que ce discours est de prime abord encore peu accepté au Maroc et dans les pays arabo-musulmans car perçu comme un discours occidentalisé et donc non islamique. Les critiques sont notamment faites par les femmes.

 

La résistance des femmes est très étrange, j’ai l’impression que cette idée d’inégalité consubstantielle à l’Islam est ancrée dans leur éducation et transformer les codes devient déstabilisant pour elles. De plus, il y a une peur car nous sommes aujourd’hui dans cette crispation identitaire qui fait que toute critique est vue comme une critique de l’identité. Elles ont peur de perdre cette identité qui fait le socle de leur vie

 

Cependant, lorsqu’elle développe un argumentaire théologique et montre qu’elle travaille au sein d’un référentiel islamique, elle sent que les préjugés se déconstruisent. Ce discours interpelle ainsi majoritairement les jeunes qui découvrent qu’ils peuvent vivre leur foi de façon plus sereine et apaisée sans avoir à choisir entre la tradition et la modernité. Cela a été un véritable déclic pour certains. Asma Lamrabet ajoute que cela leur permet aussi d’avoir un esprit critique, «d’être intelligent, c’est une question d’éthique de la spiritualité ».
Le féminisme musulman ou islamique, selon les chercheuses, est une pensée minoritaire qui doit encore faire face aux pensées extrémistes qui prennent leurs sources dans le wahhabisme à travers les ouvrages, les médias arabes ainsi qu’internet. Cependant, ce mouvement qui s’inscrit dans la continuité de la pensée réformiste musulmane et qui a émergé fin du XIXe siècle, évolue progressivement au sein des milieux universitaires dans les pays arabo-musulmans et en Occident, mais également au sein de différentes organisations de la société civile telles que l’ONG Sisters in Islam (Sœurs en Islam) en Malaisie ou le réseau « KARAMAH – Muslim Women Lawyers for Human Rights » (Avocates musulmanes pour les droits humains) basé aux Etats Unis.

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