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Mohisa Kali, sophrologue et ventousothérapeute

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Mohisa Kali pratique à la fois la ventousothérapie, aussi nommée hijama ou cupping therapy, et la sophrologie une thérapie brève visant le bien-être physique, émotionnel et mental. Elle revient pour nous sur son parcours professionnel, très lié à sa spiritualité.

 

Du burn-out à la hijama

 

Mohisa est d’origine malienne. Elle est née à Paris et elle a toujours vécu en Essonne dans le 91. 

La jeune femme est d’abord devenue infirmière à 21 ans et a exercé dans les grands hôpitaux parisiens puis en cabinet libéral pendant une dizaine d’années. « Après toutes ces années à prendre soin des autres, je me suis oubliée, j’étais épuisée émotionnellement et physiquement, j’ai littéralement fait un burn-out ». C’est alors que Mohisa a choisi de prendre soin de sa santé. « J’ai eu recours à la sophrologie pour me relever psychologiquement, mais comme souvent, lorsqu’on ne se sent pas bien dans sa tête, mon corps a pris un gros coup ». Elle a donc tenté la hijama, qui lui a beaucoup apporté. « Je me sentais tellement mieux ! J’étais apaisée et redynamisée, je le sentais à la fois physiquement et dans mon état d’esprit ». Ainsi, cette expérience si bénéfique l’a incitée à se former à la sophrologie et la ventousothérapie. En 2019, elle ouvre son propre cabinet – un espace de bien-être et d’expression de soi – à la fois dédié à la ventousothérapie ainsi qu’à la sophrologie. « Lorsque j’étais infirmière, je voyais toutes ces personnes âgées qui prenaient jusqu’à 11 comprimés par jour et je me disais : c’est fou ! Il y a sûrement d’autres moyens plus naturels pour contribuer au bien-être et préserver la santé ». 

Mohisa évoque également sa mère, à de nombreuses reprises. « Elle aussi prenait beaucoup de médicaments car elle a plusieurs problèmes de santé et je souhaitais absolument lui éviter ça, al hemdoulilah (louange à Allah), elle n’en prend plus ». Elle est ravie de pratiquer la hijama sur sa mère. « Cela nous a beaucoup rapprochées, c’est une expérience très intime ».

 

 

Table de massage au sein du cabinet de Mohisa Kali, près des ventouses. Crédits : Shehrazad

 

 

Désormais, Mohisa accompagne ses patient·e·s dans son propre cabinet à Ablon-sur-Seine. Sa patientèle est très variée. « Il y a des femmes, des hommes, des ados, des adultes, des musulman·e·s, des non-musulman·e·s, des Arabes, des Blanc·he·s, des Noir·e·s, il y a de tout ! », rit-elle. Elle remarque ainsi un retour considérable au naturel, présent au sein de toutes les sphères de la société. « On prend de plus en plus conscience de l’importance de prendre soin de son hygiène de vie, de tous les fameux conseils de nos grands-mères et des thérapies naturelles ». Mohisa prend l’exemple des douleurs liées aux règles. « Avant la hijama, je prenais à chaque fois des médicaments, c’était particulièrement difficile pour moi. Désormais, je ne prends plus de médicaments et je me sens très bien durant mes règles ». En effet, la ventousothérapeute explique que la hijama permet de détoxifier le corps, de relancer la circulation et d’aider nos organes à mieux fonctionner. « C’est un gros boost ! Les ventouses permettent d’apaiser la personne, de chasser la fatigue ou le stress. Elle dort mieux, ressent moins de tensions… Cela exerce un véritable effet antalgique et anti-inflammatoire ». Plusieurs personnes viennent ainsi pour mieux vivre leurs maladies chroniques ou tout simplement pour s’accorder un moment de bien-être.

 

Le déroulement des séances

 

En entrant dans son cabinet, nous remarquons immédiatement une très jolie boîte à mouchoirs. Je ne peux m’empêcher de faire remarquer à Mohisa que son cabinet a véritablement l’air de celui d’une psychanalyste. « C’est vrai qu’il y a un côté psy, je suis l’oreille attentive et bienveillante des patient·e·s. Ils me livrent une partie de leur vie et donc ils pleurent souvent », sourit-elle. En effet, la sophrologue insiste sur l’importance d’écouter les personnes qu’elle accueille, afin de savoir au mieux les raisons pour lesquelles elles souhaitent avoir recours à la hijama. « Avant de poser mes ventouses, j’ai besoin d’échanger avec la personne pour la comprendre . Cela me permet d’être plus efficace dans le choix du placement de mes ventouses ». En revanche, il existe certaines conditions afin de pratiquer la hijama humide : il faut être au moins âgé·e de 11 ans, ne pas être enceint·e, ne pas suivre de traitements anticoagulants et il est préférable, pour les personnes diabétiques, ayant du mal à cicatriser, de ne pas y avoir recours. 

 

Il est également nécessaire d’être à jeun depuis 4 heures – 3 heures pour les diabétiques. Suite à ce petit entretien, Mohisa invite ses patient·e·s à s’allonger, afin de leur poser des ventouses. Elle effectue ensuite des petits points, par le biais d’une lame stérile. « Il n’y a rien de gore, pas de sang qui coule partout ! Le sang va coaguler dans les ventouses,  ça ressemble alors à des Flambys ! », s’amuse-t-elle. Puis, Mohisa désinfecte tout cela, avant de panser ces petits points avec du miel bio. Elle effectue aussi des massages, le Moving Cupping. « Il est également possible de procéder à la hijama sèche en utilisant simplement les ventouses, sans saignement. Les effets de cette ventousothérapie ne durent pas aussi longtemps que la hijama humide mais on peut la faire plus fréquemment que l’humide »

 

Le côté “très psychanalyste” du cabinet de Mohisa Kali, en raison du divan ainsi que de la boîte à mouchoirs offerte par un ancien patient. Crédits : Shehrazad

 

Elle est ainsi ravie des résultats positifs observés chez des femmes l’ayant consultée en raison de leur infertilité. « Comme dirait ma soeur, “le timing du Seigneur est toujours le meilleur!”. En revanche, la hijama peut aider à favoriser la survenue de la grossesse grâce à son action hormonale ». De même, plusieurs patientes ayant pratiqué la ventousothérapie une semaine avant le début de leurs règles, durant 3 mois, se retrouvent sans douleur durant leur période menstruelle. « On peut vraiment avoir de bons résultats ! Il ne faut pas non plus hésiter à se servir de certaines plantes africaines ou encore des huiles, comme celle de nigelle, afin d’apaiser ces douleurs ». De plus, Mohisa explique qu’il n’est pas nécessaire d’avoir la foi pour que cela ait un effet positif sur son corps et son esprit. « Il existe plusieurs études scientifiques qui prouvent les avantages de la ventousothérapie/cupping therapy. D’ailleurs, ce ne sont pas seulement les musulman·e·s qui la pratiquent, elle est également très connue dans le milieu sportif, la médecine chinoise, indienne… »

 

Son credo ? Ne jamais juger les patient·e·s et les accueillir tel·le·s qu’iels sont. Ainsi, elle accompagne de nombreuses personnes qui se sentent seules, incomprises et bloquées dans leurs situations. Des personnes qu’elle aide afin qu’elles (re)deviennent pleinement actrices de leurs vies dans la sérénité, la confiance et la joie. Mohisa intervient également au sein de lycées et d’associations, notamment pour traiter le harcèlement scolaire. « Mon objectif est de les accompagner afin qu’iels puissent acquérir de l’estime et de la confiance en soi, c’est le plus important ». En outre, plusieurs musulman·e·s évoquent avec elle leur crainte paralysante de l’Au-Delà, se sentant comme de piètres croyant·e·s. « Parfois certain·e·s patient·e·s sont hyper exigeant·e·s vis-à-vis de leur religiosité, n’acceptant pas de faiblir ou de faillir… Sauf que nous ne sommes pas des anges, nous ne sommes pas parfait·e·s. Il faut l’accepter puis y aller étape par étape et faire simplement de notre mieux, dans tous les domaines d’ailleurs ! En agissant avec la meilleure intention, Allah nous facilitera inshAllah (si Allah le veut) ». Elle prône également l’importance des massages. « Lorsque tu es stressé·e, tu oublies souvent ton corps, par l’omniprésence de ton esprit. Les massages permettent donc de revenir à ton enveloppe charnelle, ce qui peut aider à te recentrer sur toi-même ». Elle a d’ailleurs récemment lancé des lives et podcasts sur Instagram afin d’offrir ses outils de relaxation à un maximum de personnes. 

 

Il est possible de suivre Mohisa Kali sur Facebook ainsi que sur Instagram. Nous pouvons également nous abonner à sa chaîne Youtube. Pour prendre rendez-vous, cliquez sur ce lien. Si vous souhaitez établir un premier contact gratuit par téléphone avec Mohisa Kali, c’est par ici. Elle nous prépare de nouveaux projets. Nous ne lui souhaitons donc que du succès dans ses futurs engagements, inshAllah.

 

Crédit photo : Shehrazad

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Ezel Bahar, une danseuse en quête de spiritualité

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Ezel vient tout juste de terminer ses études en école de danse. Elle revient pour nous sur son parcours artistique, profondément lié à son cheminement culturel et spirituel, en tant que Franco-turque alévie.

 

La danse, une révélation

Née à Beauvais, Ezel a grandi auprès de ses parent·e·s, mais aussi entourée par ses deux soeurs. Depuis ses neuf ans, elle suit des cours de danse. Sa mère l’avait accompagnée au Conservatoire, afin de l’inscrire à des cours de piano. Malheureusement complets, elle a proposé à sa fille de l’inscrire en danse classique et contemporaine. « Cela me semblait impossible de mettre un juste-au-corps collant ». Sa mère a cependant insisté et Ezel a perçu la première séance comme une véritable révélation. « C’était comme une évidence : la danse faisait partie de moi ! ». Cette activité lui a permis d’améliorer l’estime qu’elle avait d’elle-même. « Je voyais ce que je pouvais faire de mon corps ainsi que la beauté de ses mouvements, ce qui m’a aidée afin d’accepter mon apparence. Toutes les cellules de ton corps semblent nourries et ce n’est pas étonnant que l’humanité, peu importe la culture, se réfère systématiquement à des danses, pouvant d’ailleurs être sacrées. C’est un véritable langage ! ». Elle a par la suite pris des cours de modern jazz de ses 16 à ses 18 ans au sein de l’association No-Made. Elle a également intégré une école de danse jazz dans le but de se former professionnellement. « C’est un univers plus différent, c’est à la fois très formateur académiquement et frustrant d’un point de vue artistique. Je me suis sentie coupée de ma facilité innée à inventer et à improviser car on consacre peu de place à notre créativité ». Elle déplore le manque de représentation de la diversité corporelle au sein de ce milieu, mais également l’omniprésence du male gaze (la vision masculine). « Dès le lycée, je me suis intéressée au féminisme, la révolte a commencé à bouillir en moi ». Ezel regrette également que l’on oublie le sens de certains arts. « Si l’on prend l’exemple de ce qu’on appelle la danse orientale, que je préfère nommer baladi, il s’agissait au départ d’une façon de célébrer la féminité, la maternité, c’était une danse de fertilité, sensuelle, pour se connecter à son essence primaire. Elle glorifie la puissance femelle. Désormais, elle est très facilement érotisée ou mal vue, alors que sa dimension est profondément sacrée ».

 

 

Ezel. Crédits : Shehrazad

 

Ses racines alévies, au centre de son cheminement artistique

Sa famille est originaire du centre de l’Anatolie, plus précisément de la région de Sivas. Ezel est également alévie. L’alévisme correspond à un courant hétérodoxe de l’islam. « En France, l’alévisme semble encore très inconnu ». Ainsi, Ezel n’hésite pas à partager son héritage culturel. « Je le fais à ma façon. J’ai souvent été la seule Turque et la seule alévie de mon entourage, c’est également un plaisir de partager sa culture avec des personnes qui s’y connaissent peu ». Elle demeure cependant étonnée que des personnes lui demandent si elle parle arabe, lorsqu’elles apprennent qu’Ezel est d’origine turque. « Il existe un gros point d’interrogation sur la Turquie, sûrement en raison de la médiatisation autour de cette contrée. Certaines personnes la voient aussi comme un pays très fermé. Souvent, on ne sait même pas le situer sur une carte. On ignore sa grande diversité, alors que notre terre est bordée par quatre mers et que différents climats et cultures y coexistent ». En outre, certains stéréotypes semblent encore très ancrés concernant les femmes turques. « Je ne ressemble pas à une Turque typique pour les gens, sûrement en raison de ma couleur claire de peau, de ma manière de me vêtir ou encore de mes choix de vie qui sont différents ». Face à tout cela, Ezel est ravie de pouvoir célébrer ses racines turques avec quelques proches. « Ma meilleure amie et mes soeurs vivent également à Paris, c’est génial de pouvoir continuer de parler turc entre nous, lorsqu’on a souvent l’impression de devoir se justifier, en tant qu’enfant·e·sd’immigré·e·s ».

 

Ainsi, Ezel rêve de pouvoir lier sa carrière artistique à son attachement profond pour ses racines. « C’est difficile à vivre émotionnellement, je me demande ce que je vais pouvoir apporter. J’aimerais véritablement me réapproprier mes racines ainsi que mes différentes identités ». L’été dernier, Ezel a ressenti le besoin de se rendre seule en Turquie, alors qu’elle n’y était pas retournée depuis sept ans. « C’est un choix. Je m’étais promis d’y voyager une fois adulte, afin de m’y ressourcer, d’y vivre mes propres expériences et d’y rencontrer de nouvelles personnes. Sur le plan spirituel, cela a été incroyablement bouleversant ». Ezel s’est retrouvée auprès de ses grand·e·s-parent·e·s. « Mon grand-père est très respecté dans son village, il me touche beaucoup du fait de sa sensibilité artistique, il joue du saz, il chante, il écrit des poèmes et il incarne une forme de sagesse pour moi ». Cet homme participait au cem, un rituel durant lequel les femmes, les hommes ainsi que les enfant·e·s se rassemblent dans un espace, où la transmission des croyances s’effectue à travers la musique, des chants, des danses et des prières. Les cem sont aussi connus pour leur danse, le semah, ce qui signifie « tourner en rond ». Plusieurs personnes effectuent donc ce rituel précis en tourbillonnant et il arrive qu’un individu effectue seul cette danse, en se positionnant au milieu de façon à être entouré par les autres. « Cette transmission physique me touche, la personne au centre est à la fois au service de Dieu et des hommes, elle nous apporte une dimension puissante et magique ». Ezel estime ainsi qu’il n’existe aucune civilisation sans art, qu’il s’agisse de la danse, de la musique ou encore de la peinture. « Dès la Préhistoire, nous pouvions observer des traces de civilisation sur les fresques des premier·e·s humain·e·s ». Ezel souhaite donc contribuer à partager cette puissance spirituelle. « Je me définis comme une personne multiculturelle, je ne me cantonne pas à une identité particulière. Il y aura forcément du métissage au sein de mes créations, cependant, j’aimerais aussi contribuer à préserver l’essence de l’alévisme, sans pour autant nier son évolution au cours des siècles ».

 

Un cem en Turquie. Crédits : Hürriyet

 

En effet, Ezel est profondément fascinée par les traditions, notamment le cem, un rituel codifié. « C’est très codé, chaque chose est liée a une signification précise ». Elle évoque ainsi la grandeur d’un cem ayant eu lieu à Berlin, durant les années 2000. « Une diaspora alévie importante y vit. Une centaine de personnes, dont plusieurs artistes connu·e·s, y avaient participé, en récitant des poèmes. La vidéo, de mauvaise qualité, m’avait donné des frissons. Je n’ose même pas imaginer si j’y avais assisté ! », rit-elle. De plus, la préservation de cette culture est très importante à ses yeux et elle ressent l’ « özlem », la nostalgie. « C’est un peu comme la ghorba pour les Nord-Africain·e·s, ce sont des mots de l’émotion, afin de manifester le déchirement que l’on ressent en raison du manque de son pays ». Son père évoque ainsi très souvent son manque de l’air de sa région natale. « Je ne suis pas immigré·e, mais ce que ressentent mes parent·e·s me bouleverse, c’est la raison pour laquelle j’aimerais rendre hommage à mes racines au sein de mon art ». Ezel rêve également d’accueillir des femmes afin de danser et de célébrer la féminité, dans toute sa diversité corporelle et culturelle.

 

En attendant d’assister à ses futurs projets, il est possible de suivre Ezel Bahar sur Instagram. Nous ne lui souhaitons que du succès, inshAllah.

 

Crédit image à la Une : Shehrazad

 

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Shehnaz Haqqani, au service de la liberté religieuse pour tou·te·s

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Shehnaz Haqqani est professeure à l’université mais aussi blogueuse et youtubeuse. Passionnée par le féminisme islamique, elle partage ses réflexions tout en démocratisant celles de grands noms de ce mouvement, à l’instar de la marocaine Fatima Mernissi, de l’américano-égyptienne Leila Ahmed ou encore de l’afro-américaine Amina Wadud.

 

Du Pakistan à l’enseignement d’études de genre en lien avec l’Islam aux Etats-Unis

 

Shehnaz est née dans le district de Swat, au Pakistan, tout comme Malala Yousafzai. Elle y a grandi jusqu’à ses 12 ans, avant de rejoindre les Etats-Unis, aux côtés de ses parent·e·s. Durant la fin de son adolescence, Shehnaz assistait à des cours islamiques à la mosquée chaque dimanche. « Ce jour était réservé aux femmes mais notre professeure était tellement merveilleuse et encourageante que lorsqu’elle nous a informé qu’elle enseignait le samedi dans une autre mosquée, nous avons commencé à y aller aussi ! ». Shehnaz et sa soeur étaient émues aux larmes lorsque cette enseignante leur affirmait : « mes soeurs, vous n’avez pas à cuisiner, faire le ménage, etc. Cela ne fait aucunement partie de vos obligations en tant que femmes musulmanes ». Cela a constitué un déclic pour Shehnaz, découvrant la possibilité d’un féminisme basé sur les écrits religieux.

 

 

Shehnaz Haqqani, durant une conférence. Crédits : Fernando Ferraz, The Ithacan

 

 

Durant ses premières années d’université, la jeune femme lit les travaux d’Amina Wadud, de Fatima Mernissi et de Kecia Ali. Il s’agit d’un véritable bouleversement. « Je me suis rendue compte qu’à la mosquée, ma prof enseignait une sorte de “patriarcat bienveillant”, même si je lui suis éternellement reconnaissante de m’avoir permis de découvrir les droits des femmes en islam ». Destinée à des études de médecine, comme le souhaitaient ses parent·e·s, Shehnaz tombe par hasard sur un cours concernant le genre, l’islam, les musulman·e·s ainsi que les lois islamiques à l’université. « C’était tellement fascinant et cela suscitait tellement de réflexion que je me suis réorientée ». Elle détient ainsi une licence en Etudes du Moyen-Orient et d’Asie du Sud, un master en Cultures et langues du Moyen-Orient ainsi qu’un doctorat en Etudes Islamiques. Cette décision n’a pas plu à ses parent·e·s, bien qu’iels aient fini par accepter. « Je suis si heureuse d’avoir choisi ce chemin ! ».

 

Du blog Freedom from the Forbidden au vlog What the Patriarchy?!

Shehnaz profite de ses études afin de partager ses réflexions sur un blog, Freedom from the Forbidden, « La liberté de l’interdit », dans lequel elle évoque de nombreux péchés communément admis en islam, afin de les questionner à partir d’écrits islamiques, tels que le Coran ou les hadiths, l’ensemble des traditions concernant les actes ainsi que les paroles du Prophète Muhammad, que la paix et le Salut d’Allah soient sur lui. Nous y trouvons également plusieurs fiches de lectures, concernant les femmes et l’islam, à l’instar de celle sur l’ouvrage Le Coran et les femmes, une lecture de libération d’Asma Lamrabet. Elle écrit également sur des travaux à propos des femmes originaires d’Asie du Sud, tels que Forger la fille éduquée idéale : la production de sujets désirables en Asie du Sud musulmane de Shenila Khoja-Moolji, connue pour ses études concernant les femmes chiites. Ainsi Shehnaz rappelle ses origines pachtounes, un groupe culturel présent en Afghanistan mais aussi au Pakistan. « Le peuple de ma région natale, Swat, est pachtoun. Notre langue est le pashto ». Elle insiste sur le fait de n’accepter aucune forme de patriarcat, y compris dans certaines interprétations religieuses ou encore dans les traditions pachtounes. « Je combats cela autant que possible, où que je sois et dans toutes les langues que je maîtrise. Je crois en la dignité et aux droits de tous les êtres humains et cela inclut les femmes musulmanes et/ou pachtounes ».

 

 

Le blog Freedom from the Forbidden. Crédits : Freedom from the Forbidden

 

 

Ainsi, Shehnaz n’hésite absolument pas à tout remettre en question, y compris certains sujets tabous, tels que l’impact des règles sur la pratique religieuse des musulmanes. Elle y a d’ailleurs consacré un article sur son blog, mais également une vidéo sur son vlog, What the Patriarchy?!, Qu’est-ce que le patriarcat ?!, entièrement dédié au sexisme dans certaines interprétations religieuses islamiques. Pour résumer, elle y explique que les personnes ayant leurs règles sont avant tout dispensées de pratiquer certains rituels, durant cette période pouvant être douloureuse, et que rien ne justifie le fait qu’on les considère comme « inférieures en religion » en raison de leur supposée impureté. De plus, la professeure insiste sur l’aspect radicalement pro-féministe de l’islam, en rappelant que cette religion a accordé de nombreux droits aux femmes, dès son apparition durant le VIIème siècle, à l’instar du droit au divorce, du droit de choisir son partenaire, du droit à l’éducation ainsi que du droit à l’indépendance financière. « Malgré cela, on refuse concrètement ces droits à de nombreuses femmes musulmanes encore aujourd’hui dans le monde entier ». Elle estime que nous ne devons jamais oublier que ces droits, qui semblaient radicaux au VIIème siècle, sont un rappel nous incitant à toujours lutter, quelle que soit notre époque, pour une avancée encore plus poussée vers la justice et l’égalité.

 

Désormais professeure à l’Université de Mercer, la plus ancienne de Géorgie aux Etats-Unis, elle enseigne les études religieuses, en étant surtout spécialisée sur l’islam et le genre. Nous pouvons suivre ses activités sur les réseaux sociaux et il est également possible de s’abonner à sa nouvelle chaîne Youtube mais également à son blog. En attendant ses futures réflexions et publications, nous ne lui souhaitons que du succès, inshAllah.

Crédit photo image à la une : Elias Olsen, The Ithacan[/vc_column_text]

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Busra Doner, la reine du collage

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Busra est une jeune artiste et étudiante âgée de 23 ans. Née en Turquie, elle vit en France depuis trois ans. Elle nous explique sa passion pour l’art du collage ainsi que son amour pour la littérature russe et turque.

 

L’art du collage comme thérapie

Busra a grandi en Turquie, à Izmir, ville connue pour sa diversité culturelle, ayant été sous le contrôle de la Grèce de 1919 à 1922. La jeune femme quitte sa ville natale à 18 ans, afin d’étudier la sociologie à Istanbul, au sein de l’université francophone de Galatasaray. Elle y apprend le français, ce qui lui a permis d’étudier à la Sorbonne. Désormais, Busra a pour objectif de consacrer une année entière à l’apprentissage de la langue russe, à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO). « Mon intérêt pour la Russie a débuté par la littérature, notamment par le biais de Dostoïevski ou encore Andreï Platonov ». Busra est fascinée par l’influence de la doctrine orthodoxe au sein des différentes formes d’art en Russie, à l’instar du cinéma, de la littérature et de la musique. Elle découvre ainsi le réalisateur soviétique d’origine arménienne Sergueï Paradjanov, pratiquant aussi l’art du collage, alors qu’elle est encore lycéenne. Durant son enfance, Busra adorait dessiner en compagnie d’une amie, qui a commencé à pratiquer le collage. « Lors de ce moment précis, je me suis rendue compte que l’art pouvait aussi exister sous cette forme, je ne l’avais jamais su auparavant ». Fascinée par Sergueï Paradjanov, Busra se demandait également : « s’il pratique le collage, pourquoi ne pas le faire, moi aussi ? ».

 

Busra et son sac INALCO. Crédits : Shehrazad

 

Cet art lui semblait très accessible, d’un point de vue matériel : Busra utilise généralement des magazines trouvés dans la rue. Elle n’hésite pas non plus à demander à ses ami·e·s de lui en fournir s’iels en ont et qu’iels ne les utilisent pas. « En Turquie, les collages me permettaient de m’amuser avec l’Histoire de mon pays ». Néanmoins, Busra évoque certains changements suite à son cheminement artistique. « Mes collages ne sont plus explicitement politiques. Je demeure évidemment influencée par la politique, cependant, mes collages sont plus symboliques, plus ésotériques ». Le collage est devenu beaucoup plus important à ses yeux depuis qu’elle vit en France. « Je me suis sentie très seule et j’étais très nostalgique. La Turquie me manque beaucoup. Je me suis mise à écouter des chansons turques que je n’écoutais jamais lorsque je vivais là-bas », rit-elle. « Les collages me servent donc à refléter ma nostalgie, ma solitude, ma manière de voir le monde et cela me permet aussi de rire de lui ». Busra perçoit donc le collage comme une « thérapie ». Lorsqu’elle en commence un, elle le termine forcément, trouvant désagréable ce sentiment d’inachevé. Cela lui coûte donc entre deux et cinq heures, mais également quelques petites toiles trouvées chez Action, lorsque les cartons dans la rue sont fragiles. « J’aimerais également pratiquer le collage sur d’autres matériaux, tels que le verre, les assiettes ou encore les miroirs afin de profiter des jeux de réflexion ».

 

 

Affiche de l’exposition de Busra Doner au restaurant Black Pide. Crédits : Elif Doner

 

L’art est ainsi omniprésent dans la vie de Busra, songeant parfois à consacrer exclusivement ses études à l’art plastique. « Parfois, je considère que je devrais m’engager dans une véritable carrière artistique, acquérir des connaissances académiques et théoriques sur le sujet, pourtant, tout ce que je produis est issu d’une démarche 100 % intuitive, je rassemble simplement ce qui me plaît ». Busra définit l’art comme le fait de créer une sensation de beauté. « J’aimerais faire sentir aux spectateur·trice·s que je suis heureuse de voir le monde, de profiter de sa beauté et d’en produire une, de façon harmonieuse ». Elle déplore ainsi le fait que des artistes professionnel·le·s de collage méprisent certaines façons de pratiquer cet art. « Au sein des collages très traditionnels, il est commun de retrouver des images accompagnées d’un mot ou d’une phrase. Lorsque tu observes ces collages, tu as l’impression d’avoir fini une histoire ». Néanmoins, Busra revendique le fait de ne pas pratiquer le collage de cette manière. « Pour les artistes les plus traditionnel·le·s, mes collages n’ont aucun sens. Pourtant, j’estime que les images détiennent leur propre langage qui influence le processus de réception. J’ai produit le collage, je l’offre à vos interprétations. Je ne peux pas encadrer vos pensées et c’est ce qui m’intéresse dans l’art ». Désormais, les oeuvres de Busra sont très liées à sa féminité ainsi qu’aux différentes conditions féminines, comme l’illustre son court-métrage. Elle a également pu exposer ses oeuvres en juillet, au sein du nouveau restaurant kurde et turc Black Pide, dans le IXème arrondissement de Paris. Cette exposition se nommait « Les intuitions ». Busra rêve également d’illustrer des ouvrages pour enfants.

 

 

Un collage de Busra. Crédits : Busra Doner

 

La poétesse Didem Madak, au centre de sa vie

Busra affirme ne pas se sentir représentée par les mouvements féministes en France. « Pour les Turques ou encore pour les femmes ayant une culture similaire à la mienne, nous avons d’autres soucis. J’estime que le capitalisme est le fruit de la civilisation européenne et qu’en tant qu’Européen·ne, tu bénéficies forcément du capitalisme et de l’oppression des minorités ». Elle refuse donc qu’il y ait un « porte-parole des opprimé·e·s ». « Nous pouvons nous défendre nous-mêmes, construire notre propre féminisme. Nos paroles sont crédibles, nous devons être les actrices de nos propres combats, je considère que cette radicalité est nécessaire afin de faire bouger les lignes ». Elle estime que la façon dont on va militer peut être particulièrement nocive, revenant finalement à accepter une domination. « Pour quelle raison aurais-je besoin de me défendre avec la légitimité d’une personne privilégiée ? Elle n’est pas dans ma peau ». Ainsi, Busra propose plutôt d’apprendre à écouter les personnes s’exprimant sur l’oppression qu’elles subissent, ce qui nécessite le fait d’apprendre à se taire. « Moi-même, j’ai la chance d’étudier en Europe, je ne vais donc pas parler à la place des femmes kurdes en Turquie par exemple. Nous ne vivons ni les mêmes souffrances, ni les mêmes défis ». Busra considère ainsi que la meilleure manière de soutenir des opprimé·e·s est de ne pas mal interpréter l’autonomisation de leur propre lutte. « Certaines femmes rencontrent des problèmes auxquels nous ne sommes pas confrontées. Tout le monde a le droit de se défendre. Évoquer un supposé séparatisme parce que des personnes dénoncent ce qu’elles subissent, c’est foncièrement cruel ». Ainsi, Busra est plutôt inspirée par des femmes vivant dans les pays du Sud, à l’instar de l’écrivaine brésilienne, juive et d’origine ukrainienne Clarice Lispector, ayant vécu l’exil. « Sa vie était tragique. Des antisémites ont violé sa mère durant un pogrom et la syphilis l’a rendue malade jusqu’à sa mort ». Busra admire également l’écrivaine mexicaine Elena Garro, ayant beaucoup écrit sur le racisme ainsi que la marginalisation des femmes dans son pays. « Elle est très critique à l’égard du mythe national mexicain, comme je le suis vis-à-vis de celui turc ».

 

Didem Madak. Crédits : BirGün

 

Busra demeure néanmoins avant tout marquée par la poétesse turque Didem Madak. Elle affirme que ses poèmes ont beaucoup influencé les recherches féministes concernant la littérature en Turquie. Ses écrits sont très liés à la condition féminine. « Dans l’un de ses poèmes, elle effectue son propre jugement imaginaire, affirmant : “si vous me pendez, faites-le avec la bretelle de mon propre soutien-gorge” ». La poétesse a perdu sa mère à 13 ans, suite à un cancer. Elle finit par étudier le droit à Izmir, alors âgée de 19 ans, avant de cesser ses études en raison de son mariage avec un étudiant en philosophie. Suite à son divorce, Didem Madak part vivre à Istanbul, où elle enchaîne plusieurs travaux difficiles et purement alimentaires. « C’est pour ça que je m’identifie à elle », rit Busra. La poétesse vivait en effet seule dans un sous-sol lugubre. « Durant trois ans, Didem portait le foulard et on sent d’ailleurs l’influence du mysticisme islamique au sein de ses écrits ». Didem affirmait dans l’un de ses poèmes vouloir « embrasser avec ma bouche, avec laquelle j’ai bu du vin, le front avec lequel je me prosterne ». Sa vie était incroyablement solitaire, à tel point qu’elle contait ses problèmes à la photo de sa mère. Cette dernière se prénommait Füsun, signifiant « magique » en turc et en persan. « Didem a donc adopté le stigmate de la sorcière, de ces femmes que l’on chasse ». Puis, la soeur de la poétesse, professeure de littérature, a permis à Didem de gagner un prix, suite à l’envoi de ses poèmes à un magazine littéraire. Elle a ainsi repris ses études en droit. Ses poèmes étaient lus par des prisonnier·e·s politiques, dont son futur mari, rencontré par hasard sur la place Taksim à Istanbul. Elle finit par disparaître en 2011, suite au même cancer que sa mère, alors que sa fille était âgée de 3 ans. « Elle est devenue l’héritière du destin de sa mère et elle affirmait à son enfant : “ma fille, je suis devenue poétesse suite à la tristesse causée par la perte de ma mère, ne deviens pas poétesse parce que je meurs”. Elle n’a pas hésité à se brûler avec son propre feu ». Busra aimerait donc rendre hommage à cette femme, par le biais des collages.

 

L’artiste organisera sûrement d’autres expositions. En attendant, il est toujours possible de suivre ses oeuvres sur Facebook et de lui souhaiter un grand succès dans ses études, mais aussi dans sa carrière artistique, inshAllah.

 

Crédit image à la Une: Shehrazad

 

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Diffuse la bonne parole

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Portraits

Goundo Diawara, la « Sankarette » fidèle à la Cité Rose

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Goundo Diawara est CPE à Garges-lès-Gonesse. Militante associative féministe et antiraciste, elle est engagée depuis quelques années aux côtés du Front de mères. Elle revient pour nous sur son parcours, toujours fidèle aux différents combats des quartiers populaires.

 

Une âme sankariste animée par plusieurs luttes

 

« On m’appelle la Sankarette ! », dit-elle en riant, en référence au président révolutionnaire burkinabè Thomas Sankara. Comme lui, Goundo est animée par la soif de Justice et s’inspire des combats du révolutionnaire panafricain pour guider ses luttes. « Sur les questions écologiques, de justice sociale, d’égalité femmes-hommes, de politique : ce n’est pas Thomas Sankara qui était en avance sur son temps, c’est nous qui sommes en retard ». Goundo est ainsi investie depuis 2010 au sein de l’association Road Tree’p, créée en 2008 par son frère Sadia Diawara, qui organise, en partenariat avec des associations locales, des missions solidaires de plantation d’arbres contre la désertification en Afrique. Elle découvre, à travers cela, le combat de Wangari Maathai, militante écologiste kenyane et fondatrice du Mouvement de la ceinture verte. En 2017, Goundo se rendra également au Burkina Faso dans le cadre d’un Road Tree’p et y rencontrera une autre grande figure de la lutte contre la désertification : Yacouba Sawadogo, Prix Nobel alternatif 2018, connu comme « l’homme qui a arrêté le désert ».

Plantation d’un baobab avec Yacouba Sawadogo, Burkina Faso, 2017. Crédits : Road Tree’p

 

A l’instar de Thomas Sankara qui luttait pour les droits des femmes, cette cause est également importante pour Goundo Diawara. Cadette de cinq frères, elle s’est très tôt questionnée sur la place des femmes dans la société. Dans son travail de CPE, elle met ainsi un point d’honneur à essayer de cultiver l’ambition des jeunes filles, notamment à travers la rencontre de personnalités telles qu’Aya Cissoko ou encore Amandine Gay : « elles sont toutes les deux venues à la rencontre de nos élèves pour parler de leur parcours, leurs réussites et leurs œuvres, et ainsi montrer qu’aucun domaine n’est interdit aux femmes ! ». Goundo anime par ailleurs avec plusieurs collègues un club d’éducation à l’égalité filles-garçons au sein de son collège. Sous la forme d’un atelier de discussion et de réflexion ouvert à tout·e·s, les élèves débattent, font des recherches sur les femmes qui ont marqué l’Histoire, analysent la perception des femmes dans la société à travers des vidéos ou des contenus publicitaires. « C’était l’idée d’une collègue professeure d’histoire-géographie. Mais ce club n’a pas été créé parce que nos élèves seraient plus misogynes qu’ailleurs. Il s’agit d’un conditionnement de la société auquel ils n’échappent pas », insiste-t-elle.

 

Goundo a par ailleurs fait ses premières armes de militante antiraciste au sein de la Brigade Anti-Négrophobie. « J’ai beaucoup appris aux côtés de Franco Lollia, porte-parole du mouvement ». Dès 2005, l’adolescente de 17 ans s’interroge sur le racisme, profondément choquée par l’incendie du boulevard Vincent Auriol, dans lequel 17 personnes ont péri, dont 14 enfants. Elle se rend au procès six ans plus tard, se sentant très concernée par cette affaire. « Ca a été un électrochoc ». Dans la continuité de son combat antiraciste, Goundo s’engage quelques années plus tard contre les violences policières et le contrôle au faciès. Avant de devenir CPE, Goundo était assistante de production dans l’audiovisuel. Elle contribue en 2011, toujours aux côtés de son frère Sadia, au tournage du long-métrage La Cité rose, sorti en salles en 2013. « La cité rose, c’est là où je suis née. Le héros, Azize Diabaté, est d’ailleurs mon petit voisin que j’ai emmené au casting », rappelle t-elle, nostalgique. Si la jeune passionnée de cinéma a changé de voie professionnelle, elle garde un pied dans ce domaine à travers la société de production DiversyFilms en tant que productrice associée, qui est derrière la production du film Mon frère, sorti en salles le 31 juillet 2019. « Notre ambition est de conter nos propres histoires, d’avoir notre propre cinéma, un cinéma qui parle de la réalité de nos vies, dans les quartiers et ailleurs ». Le film aborde divers sujets autour de la violence mais questionne aussi la masculinité. Le rappeur MHD y joue le rôle d’un jeune sans histoire, préparant son bac, accusé de parricide. Il est envoyé dans un centre éducatif fermé, auprès d’autres jeunes hommes s’affirmant tous de manière différente, y compris de façon violente. La CPE se sent très concernée par la question du lien entre violence et masculinité. Elle remarque que 80 % des élèves sanctionné·e·s dans les établissements scolaires sont des garçons. « Quelque part, c’est comme si l’institution participait à labelliser les garçons comme des petits voyous, comme si la masculinité était forcément synonyme de transgression. Nous devons mettre en perspective tout ça et trouver d’autres moyens d’agir. »

 

Les comédien·ne·s et producteurs·rices du film « Mon frère » en juillet 2019. Crédits : DiversyFilms.

 

Le rôle essentiel des CPE

 

Goundo, qui travaille auprès de jeunes vivant dans l’un des quartiers les plus défavorisés du Val-d’Oise, observe chez eux une certaine auto-censure liée à leurs origines sociales. Certain·ne·s d’entre eux souhaitent par exemple arrêter les études le plus vite possible, afin de contribuer à subvenir rapidement aux besoins de leur famille. « C’est de la sociologie de base, mais avoir un enfant qui fait 5 ans d’études peut représenter une vraie difficulté pour une famille, car pendant ses études, l’enfant en question peut difficilement contribuer aux charges familiales ». C’est l’une des raisons pour lesquelles elle ne croit pas au fameux adage selon lequel « quand on veut, on peut » : « Il ne pèse pas sur tout le monde les mêmes impératifs. La volonté est essentielle, certes, mais la précarité et les discriminations font qu’on ne peut pas toujours, ou en tout cas non sans mal ». Elle tente cependant de fournir à ses élèves des outils afin de les guider vers une pluralité de choix, pour leur avenir professionnel.

 

Goundo déplore également une certaine forme racisme au sein de l’institution scolaire : « Le racisme peut passer par les personnels, mais aussi par les contenus d’enseignements, dont certains sont très problématiques. Par exemple, pour un·e jeune Noir·e ayant grandi en France, il est difficile d’avoir un rapport sain à son Histoire quand, à l’Ecole, les seules manières de l’aborder sont le fameux tryptique esclavage/colonisation/famine. Comme s’il n’y avait rien eu avant, et comme si pendant il n’y avait pas eu de résistances, de luttes. Tout cela participe à altérer la construction identitaire des jeunes issu·e·s de l’immigration, notamment post-coloniale ». La CPE incite donc les parents à ne pas hésiter à transmettre leurs cultures, leurs croyances, leurs langues et leurs mémoires. « Il est important de replacer les enfants dans une lignée et dans l’Histoire globale du monde ». La CPE a également conscience que sa présence dans un établissement scolaire en tant que femme noire n’est pas anodine, en termes de représentation : « Je pense que, quelque part, c’est aussi rassurant pour des jeunes filles d’avoir quelqu’un qui leur ressemble dans un espace comme celui-là. Pouvoir parler de nos cheveux crépus, de nos cultures d’origine, de l’expérience de grandir dans un quartier… ». Certain·e·s parent·e·s d’élèves se sentent d’ailleurs plus à l’aise avec la CPE. « Même si je représente l’institution scolaire, les parents ouest-africains se sentent facilement proches de moi parce qu’ils savent que Diawara ça vient de leur région ». Cela les aide à ne pas se sentir illégitimes, dans un monde où certain·e·s parent·e·s peuvent facilement être jugé·e·s pour leurs tenues, y compris le foulard. « J’ai grandi avec cet héritage familial, je connais ces codes, l’objectif est de se comprendre, toujours dans l’intérêt des élèves. Donc il est évidemment important de recevoir tout le monde et de ne stigmatiser personne, que ce soit pour un foulard, un accent, un pagne ou que sais-je ».

 

Le Front de mères, une opportunité concrète pour améliorer le sort des enfants

 

Goundo Diawara (3ème position à partir de la gauche), auprès de Fatima Ouassak (3ème position à partir de la droite) lors de la journée du 8 mars 2019 organisée par le Réseau Classe/Genre/Race. Crédits : Réseau Classe/Genre/Race.

 

En 2018, la CPE rejoint le Front de Mères, dont elle est aujourd’hui la secrétaire nationale. Il s’agit d’un syndicat de parent·e·s d’élèves de quartiers populaires. Cet engagement n’est cependant pas réservé aux parent·e·s, toutes les personnes concernées par les problématiques des quartiers populaires, « différentes de celles du XVIème arrondissement de Paris », peuvent s’y engager. Ce syndicat a notamment organisé des rencontres autour de la répression des mouvements lycéens contre Parcoursup, tout en prônant l’idée de « parent·e·s boucliers » contre la répression de leurs enfants. Goundo estime qu’il est « plus que nécessaire d’associer un maximum les parent·e·s là où les scolarités sont les plus fragiles », suite au confinement. Ainsi, la plupart des mères ayant contribué à fonder ce syndicat éduquent leurs enfants en Seine-Saint-Denis, notamment à Bagnolet ainsi qu’à Montreuil. Goundo espère également que plusieurs collectifs du Front de mères pourront se structurer dans toute la France. L’ouvrage La puissance des mères de Fatima Ouassak, cofondatrice de ce syndicat, est d’ailleurs paru le 27 août dernier. « Nous travaillons autour de cinq thématiques : la transmission des langues, mémoires et héritages culturels, la lutte contre les inégalités scolaires, la lutte contre les violences policières, l’écologie populaire ainsi que la lutte contre les violences interquartiers ». Goundo est très fière du travail accompli par le syndicat, « tourné vers les plus jeunes, l’avenir en construction ». Elle insiste également sur l’importance accordée aux enfants durant leurs évènements. Elle se souvient, par exemple, de l’événement de rentrée 2018 du Front de mères, durant lequel des ateliers dédiés aux enfants ont été prévus en parallèle des conférences et temps d’échanges entre parent·e·s. « Ce sont des événements très vivants, nous n’empêchons pas les enfants de se mouvoir, de danser, d’exprimer leur créativité, de s’approprier totalement les espaces et même de prendre le micro s’iels le souhaitent ! ». De plus, le Front de mères vient de lancer une campagne d’adhésion et prépare actuellement les élections de représentants de parents d’élèves d’octobre 2020 avec des collectifs locaux de parents. La CPE estime qu’il n’y a qu’en s’organisant et en élaborant des stratégies collectives en matière d’éducation et de transmission que les lignes pourront bouger dans les quartiers populaires.

 

Goundo Diawara symbolise ainsi parfaitement la symbiose entre l’éducation, le cinéma et la lutte contre différentes inégalités. Elle rappelle d’ailleurs, pour expliquer son sens de la solidarité, ce hadith, une parole du prophète, que la prière d’Allah et Son Salut soient sur lui, au centre de son engagement : « Aucun·e de vous n’aura vraiment la foi tant qu’iel ne voudra pas pour son frère ce qu’iel veut pour lui-même ».

 

Crédit photo image à la une : Goundo Diawara.

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Racky Ka-Sy, spécialiste de l’impact psychologique du racisme

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Racky Ka-Sy est psychologue. Elle exerce dans son cabinet, à Chantilly, dans l’Oise, à environ 55 kilomètres de Paris. D’abord destinée à la recherche, elle revient sur son parcours, tout en nous expliquant les ravages psychologiques du racisme intériorisé.

 

Le long chemin vers l’étude de ce phénomène

 

Née à Creil, Racky Ka-Sy est d’origine sénégalaise. Après un bac S, elle se lance dans des études de mathématiques et d’informatique durant 2 ans à Cergy-Pontoise. « Je n’aimais pas ça, alors j’ai lu beaucoup de philosophie ». En effet, on lui a souvent répété qu’il était « plus simple de basculer d’un parcours scientifique vers une voie littéraire que l’inverse ». Elle explique que la psychologie vient historiquement de la philosophie. Une fois tombée par hasard sur un ouvrage là-dessus, sa conception du monde a été bouleversée. « Je me disais : c’est génial ! Cela permet de répondre à des questions philosophiques par des moyens scientifiques ». Renonçant au dilemme littéraire versus science, la jeune étudiante se réoriente en psychologie, continuant le reste de ses études à l’université Paris V Paris Descartes. Suite à son Master 2, elle décroche une bourse accordée par le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Ce financement lui a permis de réaliser sa thèse, intitulée Menace(s) du stéréotype et perception de soi : comment modérer l’impact des réputations négatives sur les membres des groupes stéréotypés ? Le cas des femmes et des Noirs de France. Il est d’ailleurs possible de la lire sur ce site.

 

Comme l’indique ce titre, la thèse de Racky Ka-Sy est divisée en deux parties. L’étudiante, dès son mémoire en master 2, travaillait principalement sur les femmes, ce qu’elle a poursuivi durant sa première année de recherche. Puis, une polémique. « Le sociologue Hugues Lagrange avait écrit Le déni des cultures, ouvrage dans lequel il explique qu’il existe une corrélation entre l’origine ethnique et la délinquance, pour les Noir·e·s et les Arabes ». Cela a profondément marqué l’étudiante, qui n’y avait jamais pensé. En effet, son père l’a toujours incitée à être la meilleure de sa classe. « Mon père est hyper strict. Si j’avais 12 et qu’un·e camarade avait 19, il me disait que c’était de ma faute », rit-elle. Elle est d’ailleurs devenue première de sa promotion, à l’université. « On ne m’a jamais appris à faire attention à ma couleur, je ne l’ai jamais perçue comme un frein, même en étant quasiment toujours la seule Noire de mes cours ». Cette polémique a néanmoins contribué à développer la suite de ses travaux, s’intéressant à l’impact des stéréotypes racistes sur les individus. « Mon directeur de recherche était à la fois américain et indonésien, très ouvert d’esprit, donc il a tout de suite accepté ». Elle évoque également un paradoxe. « Durant mes études de psycho, on parlait beaucoup des Afro-américain·e·s, mais jamais des Noir·e·s en France, il y a un tel tabou qu’on ne se regarde même pas ». Racky Ka-Sy est donc à l’origine de la première étude sur l’effet de menace du stéréotype des personnes noires dans l’Hexagone. Cet aspect novateur a été unanimement salué par le jury.

 

Une prise de conscience tout au long de sa thèse

 

Pap Ndiaye. Crédit : Robert Kluba.

 

La psychologue insiste sur le fait de s’être, au fil des lectures, rendue compte du racisme. « Jusqu’à la thèse, je n’en avais pas conscience, ce n’est pas quelque chose qui m’a bloquée ». Suite à la polémique, elle a lu plusieurs ouvrages à ce sujet. Elle évoque notamment La condition noire, essai sur une minorité française de Pap Ndiaye, publié en 2008. Ce dernier a d’ailleurs fait partie de son jury, très intéressé par les travaux de la docteure. « Le fait de travailler là-dessus commençait à m’affecter, je suis devenue plus attentive à mon environnement ». Elle se souvient par exemple de certains épisodes lui étant arrivés plus jeune. A 15 ans, en se rendant au laboratoire afin de récupérer les résultats de sa mère, il lui a été demandé si elle parlait français. « Sur le moment, je me suis simplement dit : pourquoi elle me dit ça ? Mais je n’ai pas songé à ma couleur de peau », confie-t-elle. Désormais, elle se rend compte de certains comportements racistes, y compris dans le métro, où il lui est déjà arrivé qu’une « personne souffle, regarde en l’air », paraissant agacée, simplement parce qu’elle s’est assise près d’elle. La psychologue évoque également le racisme d’un caissier, vérifiant uniquement les billets de Racky Ka-Sy. « Je lui ai demandé pourquoi il était vigilant avec moi. Il m’a expliqué qu’il était stressé en raison de ma présence, que son chef l’observait et que cela l’avait incité à faire attention avec moi, parce que je suis noire ».

 

Tout cela renforce donc la « menace du stéréotype ». Il s’agit de la crainte éprouvée par une personne, lorsqu’elle estime qu’elle risque de confirmer des stéréotypes associés à son groupe. Le premier type de menace du stéréotype consiste à avoir peur d’être personnellement perçu·e comme confirmant les stéréotypes. Il s’agit par exemple de craindre d’échouer ses études, ce qui risque de détruire notre confiance en soi et de renforcer le fait de se trouver absolument médiocre. Quant au deuxième type de menace du stéréotype, cela consiste à avoir peur de ne pas être un bon ambassadeur pour notre groupe. Ainsi, la psychologue mentionne les travaux d’un professeur de psychologie aux Etats-Unis, Claude Steele, qui est à l’origine de la théorie. Ce dernier a eu ses premiers soupçons lorsqu’il a interrogé plusieurs étudiant·e·s noir·e·s, se confiant sur cette crainte de ne pas être à la hauteur pour représenter leur groupe. Il conclut en expliquant que cette menace du stéréotype rend leurs résultats plus faibles que ceux des étudiant·e·s blanc·he·s à cause du contexte qui leur fait penser aux stéréotypes. « C’est une pression de dingue », Racky Ka-Sy mentionnant aussi le cas de personnes noires, faisant toujours en sorte de parler doucement, afin qu’on ne les « prenne pas pour des sauvages », ou encore de sentir bon, dans l’objectif de ne pas confirmer le stéréotype selon lequel « les Noir·e·s puent ». « Plusieurs de mes patient·e·s vivent des situations menaçantes au quotidien, iels font donc attention à leur politesse, iels adoptent un comportement afin d’infirmer les stéréotypes ». La psychologue explique que cela peut être généralisé à tous les groupes : « les chômeurs, les Asiatiques, les femmes ». En France, Jean-Claude Croizet, ayant d’ailleurs fait partie de son jury, a beaucoup travaillé sur « l’influence du stéréotype d’incompétence » vécu par les femmes.

 

Les conseils de Racky Ka-Sy

Rokhaya Diallo, Racky Ka-Sy et Grace Ly, lors de l’enregistrement d’un épisode du podcast Kiffe ta race concernant le coût mental du racisme. Crédit : Kiffe ta race.

 

La psychologue estime que le fait de prendre conscience des stéréotypes racistes permet de prendre de la distance. « Ce n’est pas personnel, il s’agit avant tout d’une hostilité à l’égard de ce que l’on semble représenter aux yeux de l’autre : un·e Noir·e, un·e Arabe ». Néanmoins, elle remarque qu’il est aussi très difficile de subir ces nombreuses injustices. « Certain·e·s se demandent pour quelle raison iels n’ont toujours pas trouvé de travail, contrairement à leurs camarad·e·s blanc·he·s ». Ses patient·e·s viennent souvent la consulter, dans l’espoir d’être compris concernant leur expérience de racisme. « Il y a des Noir·e·s, des Maghrébin·e·s, des Asiatiqu·e·s, un peu de tout. Iels pensent que je peux les aider d’une autre manière, parce que je ne suis pas blanche ». Elle insiste donc sur la nécessité de prendre en considération le poids des stéréotypes « diffusés partout, dans les médias, à la télé, dans les séries, mais aussi au sein de l’Education ». La psychologue estime que nous devons « mettre la pression sur tout le monde » afin de changer les mentalités. « Tu entendras souvent des personnes dire j’aime pas les Arabes, mais toi je t’aime bien, parce qu’une fois que la personne te connaît, elle se rend compte que personne ne correspond à une case et elle accède à ta complexité d’être humain ». Elle prône donc la nécessité de se valoriser et de se distancier de l’effet de groupe. Ainsi, elle conseille aux parents de transmettre leur culture et leur religion. Elle remarque que la pudeur et les traumas de certains parents empêchent leurs enfants de connaître leur Histoire et de se rendre compte qu’iels ont également de belles traditions à valoriser. Cela fait écho aux réflexions de Karima Lazali, concernant le « trauma colonial » des Algérien·e·s. De plus, il est également possible de lire les articles de cette psychologue, sur son propre blog.

 

En conclusion, souvenons-nous de cette phrase de Racky Ka-Sy, très simple et pourtant si difficile à appliquer au quotidien, en cours ou au travail, en tant que personnes stigmatisées, quelles que soient nos caractéristiques : « Tu es toi, avec ton histoire, il faut apprendre à aimer ce que tu es, avec ta propre histoire, il faut d’abord gagner confiance en toi, ensuite tu pourras être un bon représentant de ton groupe, seulement si tu le veux ».

 

Crédit photo image à la une: Racky Ka-Sy.

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Portraits

Dilnur Reyhan, présidente de l’Institut Ouïghour D’Europe, appelle à la solidarité

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Dilnur Reyhan est enseignante à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO). Elle est aussi une chercheuse, très engagée pour la cause ouïghoure. Elle nous explique son parcours, mais également les différentes façons de soutenir cette population persécutée par le gouvernement chinois, qui fait également souffrir la diaspora.

 

Le combat pour la sauvegarde de la culture ouïghoure

 

Dilnur a vécu toute son enfance dans la région ouïghoure. Elle quitte sa famille à 14 ans, afin d’étudier en Chine intérieure, dans une sorte de classe préparatoire. Elle souhaitait devenir médecin. Cependant, l’université de médecine de Shanghai n’était plus accessible aux étudiant·e·s issu·e·s des ethnies minoritaires. Malgré le fait d’être première de sa promotion, Dilnur a dû essuyer de nombreuses discriminations à l’emploi en raison de son appartenance ethnique et genrée. Elle a ainsi choisi de venir en France, à 21 ans. Elle explique que la migration ouïghoure était à l’époque estudiantine. Désormais, « de plus en plus de Ouïghour·e·s dans les pays européens demandent l’asile ». La jeune femme est finalement devenue docteure en sociologie, consacrant ses travaux à la diaspora ouïghoure. En 2009, elle avait d’ailleurs créé Oghouz. Il s’agit d’une association étudiante, apolitique ainsi qu’areligieuse, visant à promouvoir cette culture. Dix ans plus tard, cette association est devenue l’Institut Ouïghour D’Europe (IODE), dont l’objectif consiste à sauvegarder la culture ouïghoure, que le gouvernement tente à tout prix d’éradiquer, mais aussi à sensibiliser les Européens au sort des Ouïghour·e·s.

 

Ainsi, depuis 3 ans, Dilnur a créé une école ouïghoure du weekend à Paris, dans l’objectif de transmettre cette langue aux enfants ouïghours nés en région parisienne, mais aussi toute cette culture, par le biais de cours de danse, de musique traditionnelles ou encore les coutumes de cette région. Elle est également directrice de publication de la revue bi-annuelle Regard sur les Ouïghour·e·s. Une dizaine d’universités françaises est d’ailleurs abonnée à cette revue franco-ouïghoure. Dilnur est profondément attachée à ses origines. Elle considère qu’il s’agit de « la pierre angulaire de l’Asie centrale, c’est la base de la civilisation du monde turc, l’équivalent de la culture gréco-romaine pour l’Occident ». Les Ouïghour·e·s sont les premier·e·s sédentaires des peuples turciques. Cette région étant située en Asie centrale, il s’agit d’un véritable carrefour des cultures, notamment turque et perse, mais également arabe, chinoise et russe, où l’on fête à la fois Nowruz, le Nouvel An du calendrier persan, et l’Aïd, fête islamique.

 

Drapeau du Turkestan oriental. Crédit : World Uyghur Congress/Congrès Mondial Ouïghour

 

Dilnur revient également sur l’Histoire de cette région. Tout d’abord, elle explique à quel point la bataille de Talas, en 751, a été décisive, opposant l’armée chinoise aux forces arabo-musulmanes, aidées par des peuples turciques. Suite à ce combat, il n’y a eu presque aucune présence chinoise officielle en Asie centrale, durant tout un millénaire. Puis, en 1884, la région est conquise par le dernier empire en Chine, l’Empire mandchou. La région ouïghoure est renommée « Xinjiang », signifiant « le nouveau territoire et la nouvelle frontière » en mandarin. Dilnur considère donc qu’il s’agit d’un terme colonial, expliquant qu’avant l’annexion chinoise de 1949, il existait deux républiques indépendantes du Turkestan oriental. En 1949, les Ouïghour·e·s correspondaient à 80 % de la population de leur région, contre 45 à 47 % de celle-ci en 2010. Dilnur dénonce donc une « colonisation démographique » ainsi que les différentes discriminations depuis 70 ans à l’égard des Ouïghour·e·s au sein de leur propre territoire. 56 ethnies sont officiellement recensées en Chine, les Han·e·s représentant 92 % de la population. Néanmoins, 8 % de la population en Chine vit dans 60 % de ce territoire, rendant ainsi les populations minoritaires de Chine majoritaires au sein de 5 régions autonomes. Celle ouïghoure correspond à la plus grande de ces 5 régions, constituant ⅙ du territoire chinois, tout en permettant à la Chine une ouverture vers l’Occident. Dilnur définit donc sa région natale comme un « eldorado qui tient une place clé dans la réussite du projet ambitieux chinois de la nouvelle route de la soie », correspondant à la « porte vers l’Occident pour la Chine » et possédant un sous-sol riche en pétrole et en gaz.

 

Un manque effroyable de solidarité dans l’Hexagone et les mondes musulmans

 

« Juridiquement, nous avons un institut, mais nous sommes encore nomades, nous n’avons pas de lieu, nos affaires sont partout, c’est difficile d’organiser des événements dans cette précarité », déplore Dilnur. Elle nous invite donc à nous montrer solidaires envers les Ouïghour·e·s, dont environ 90 % des membres de la diaspora n’ont plus aucun contact avec leurs proches, restés dans la Région ouïghoure. Cette expérience traumatisante empiète ainsi énormément sur leur santé mentale. Nous pouvons les aider financièrement, mais aussi partager cette cagnotte à nos proches et sur les réseaux sociaux. Nous pouvons également suivre les actions des Ouïghour·e·s mobilisé·e·s, en s’abonnant à leur revue. Selon la sociologue, les pays occidentaux semblent plus solidaires, à l’instar des Etats-Unis, en raison d’une « guerre commerciale contre la Chine », tandis qu’ « une bonne partie des pays musulmans sont complètement silencieux voire complices des crimes de la Chine contre les Ouïghour·e·s », étant majoritairement économiquement dépendants de la Chine.

 

Manifestants à Hong Kong en décembre 2019, défendant la cause ouïghoure. Crédit : Dale de La Rey pour l’AFP

 

« Les dirigeants des pays musulmans ne cessent de répéter chacun qu’ils sont les protecteurs des musulman·e·s. On en veut beaucoup au monde musulman, arabo-musulman, encore plus au monde turc », confie Dilnur. Elle revient par exemple sur la lettre envoyée à l’ONU par 22 pays occidentaux et le Japon, en juillet 2019, concernant les détentions arbitraires des Ouïghour·e·s en Chine. Quelques jours plus tard, 37 pays ont signé une lettre visant à défendre la Chine, tels que l’Arabie saoudite, l’Algérie, le Qatar ainsi que la Syrie. Selon Dilnur, les Ouïghour·e·s se sentent totalement trahis. « Il est temps que les dirigeants de ces pays dits musulmans changent de Dieu, leur Dieu, c’est plutôt Xi Jinping ». En ce mois de Ramadan, la majorité des musulman·e·s ouïghour·e·s ne peuvent ni jeûner ni prier, par risque de se retrouver dans les camps. Le simple fait de porter le foulard ou une barbe, d’employer des mots en arabe ou des formules islamiques à l’instar de bismillah (au nom de Dieu) ou hamdoulilah (louange à Dieu) peut être la cause d’un internement. Dilnur rappelle que des Ouïghour·e·s sont obligé·e·s de manger du porc dans les camps, mais aussi en dehors des camps, tout en évoquant le témoignage de la rescapée Gulbahar Jalilova, dont les parties génitales ont été fouillées afin de vérifier qu’elles n’y cachaient pas des textes sacrés.

 

Dilnur revient donc sur le « triple langage » du gouvernement chinois, dénonçant des fake news face à l’Occident, évoquant des « centres de rééducation » en Chine, mais aussi la nécessité de soigner les Ouïghour·e·s du « virus » de l’islam. Elle estime également que le contexte islamophobe mondial permet de mieux légitimer la persécution des Ouïghour·e·s sous prétexte de lutte antiterroriste. Elle insiste aussi tout particulièrement sur la volonté de détruire l’identité ouïghoure, rappelant que les musulman·e·s sinophones Hui·e·s de la région ouïghoure se retrouvent rarement dans ces camps, contrairement aux détenu·e·s ouïghour·e·s chrétien·e·s ou athées, bien que la situation ait aussi déjà commencé à changer pour ces minorités. Partout en Chine, leurs mosquées ont été détruites et leurs imams arrêtés. Les chrétien·e·s chinoi·e·s subissent également le même sort que les Hui·e·s depuis 2019. En ces temps de coronavirus, aucune information claire n’est donnée concernant les conséquences de la maladie au sein des camps et des usines dans lesquelles des Ouïghour·e·s sont forcé·e·s de travailler gratuitement ou presque. Plusieurs marques sont d’ailleurs impliquées, à l’instar d’Adidas, Apple, BMW, H&M, Nike, Samsung, Uniqlo ou encore Volkswagen.

 

Ainsi, il est essentiel de tout·e·s soutenir nos frères et soeurs ouïghour·e·s à notre petite échelle et de nous rappeler de cet excellent hadith, rapporté par Mouslim : « D’après Abou Sa’id Al Khoudri (qu’Allah l’agrée), le Prophète (que la prière d’Allah et Son salut soient sur lui) a dit : « Celui d’entre vous qui voit un mal qu’il le change par sa main. S’il ne peut pas alors par sa langue et s’il ne peut pas alors avec son coeur et ceci est le niveau le plus faible de la foi ».

 

 

 

Crédit photo image à la une: Dilnur Reyhan

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Diabétique, je ne jeûne pas durant le Ramadan

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[Publié initialement le 24 juin 2017]
Salwa est diabétique de type 1. Elle est donc insulino-dépendante et il lui est interdit de jeûner, afin de ne pas mettre sa vie en péril. Elle nous explique en quoi le mois de Ramadan est difficile pour elle en tant que croyante.

 

 

« Je me sens vraiment exclue pendant le Ramadan. J’ai déjà essayé de jeûner, mais c’est trop difficile. J’ai beaucoup trop soif, si je ne bois pas toutes les quinze minutes, j’ai l’impression que je vais mourir – j’ai beaucoup trop de sucre dans le sang pour pouvoir me passer d’eau. Je bois environ six bouteilles de 1.5 litre par jour.

 

Je culpabilise beaucoup durant ce mois, parce que je me sens inutile. J’ai l’impression d’être une fausse musulmane, même si je sais très bien que je n’ai pas choisi d’être malade. Dans la rue, je vois souvent des gens ayant l’air épuisés et je me dis « les pauvres, ils doivent faire le Ramadan ». Quand je vois des personnes très âgées jeûner, je m’en veux, comme cet homme de plus de quatre-vingt-dix ans chez lequel je vais pour m’occuper de son épouse malade… Pareil pour ma mère, ayant des problèmes cardio-vasculaires mais jeûnant quand même. Quand je la vois souffrir et s’abstenir de boire et de manger, je me dis que j’aimerais tellement faire preuve d’autant de force, même si toute ma famille m’affirme que je n’ai absolument pas à jeûner en raison de ma maladie. Ma mère est la première à me gronder lorsque je me confie sur la culpabilité, mais elle reste aussi la première à ne pas respecter ce qu’elle prône, à savoir la préservation de sa santé en s’interdisant de jeûner en raison de sa maladie.

 

 

Le regard des autres

 

Ce mois est difficile, parce que, personnellement, je me sens mal, mais aussi en raison de certaines remarques. Le diabète est une maladie très méconnue. On m’affirme souvent qu’il faut simplement que j’arrête de manger du sucre pour guérir, sauf que c’est beaucoup plus compliqué que ça. On présuppose que les diabétiques le sont à cause de leur mode d’alimentation, donc un diabétique qui ne jeûne pas, c’est parfois aux yeux des autres une personne qui se trouve des excuses pour ne pas pratiquer le quatrième pilier de l’islam. Il « suffit » d’équilibrer son diabète, comme si c’était dépourvu de toute difficulté. On arrête de manger du chocolat et de boire du coca et hop, nous voici guéri·e·s ! Sauf que j’ai plus de cinq grammes de sucre dans le sang, ça atteint souvent les huit grammes – aussi incroyable que cela puisse paraître, quand on sait que les non-diabétiques ont environ 1 gramme de sucre dans leur liquide sanguin.

 

En 2005, on m’a diagnostiqué le diabète. Un proche m’avait conseillé de tenter de jeûner, malgré le fait que le médecin l’ait catégoriquement refusé. Cela part d’une intention bienveillante, on me conseille sur la façon de pratiquer la religion et de me montrer dévouée à Dieu, mais ça alimente surtout la culpabilité. J’ai mis du temps à assumer le fait de ne pas jeûner, moi qui pratiquais le Ramadan depuis mes dix ans. Désormais, cette personne comprend que je suis incapable de ne pas manger et de ne pas boire durant ce mois sacré, mais ça fait quand même mal de voir que les conséquences de cette maladie sont difficilement saisies.

 

Les remarques ne sont pas douloureuses uniquement lorsqu’elles viennent des musulman·e·s. Certain·e·s non-musulman·e·s ont déjà insisté pour connaître les raisons pour lesquelles je ne jeûnais pas, remarquant ma petite bouteille d’eau au travail. Je trouve cette indiscrétion particulièrement ennuyeuse. Sous prétexte que j’ai des origines arabes, je dois forcément me justifier, concernant ma pratique de la religion ? Je n’apprécie vraiment pas ces injonctions, manifestant la croyance selon laquelle l’Arabe est synonyme de musulman·e.

 

Comme ces personnes insistent, je leur explique parfois que je suis diabétique et que cette maladie m’empêche de pratiquer complètement le Ramadan. Cependant, ces dernières osent parfois m’affirmer que c’est tout de même faisable, étant donné que leurs ami·e·s diabétiques et musulman·e·s n’ont aucun problème à cesser de manger et de boire durant tout ce mois. Quelle condescendance…

 

C’est rigolo, parce que dans la vie quotidienne, on me pense rarement d’origine arabe, sauf durant le Ramadan ! Du coup, j’ai déjà été injuriée dans la rue, durant ce mois sacré, parce que j’étais en hypoglycémie et que je devais absolument boire quelque chose de sucré. Bien que je me faisais discrète, il s’agissait systématiquement d’hommes énervés qui m’insultaient de tous les noms. Cela me fait beaucoup de peine, parce qu’ils n’ont strictement rien compris à l’islam. Ils jugent tellement facilement.

 

En revanche, j’ai eu la chance d’avoir des collègues très pratiquant·e·s qui m’encourageaient à manger, avec beaucoup de bienveillance. Ils faisaient preuve d’empathie et cela redonne foi en l’humanité. Ils se montraient attentionnés et s’inquiétaient pour moi, surtout durant la chaleur, que j’ai beaucoup de mal à supporter.

 

 

La façon dont je vis le Ramadan

 

Durant ce mois sacré, j’essaie de prendre un bon petit déjeuner, afin de survivre à la faim de la journée, comme je n’ose pas forcément me nourrir. Je prends quand même une ou deux bananes avec moi, ce fruit étant l’équivalent d’un steak. Je bois de l’eau au travail, mais comme je refuse de boire dehors, ça reste difficile pour moi, ayant une heure de trajet. La soif est vraiment compliquée. Il arrive cependant que je ne mange rien de la journée, pas même le matin, parce que je n’ai pas très faim à huit heures, et je rentre donc affamée le soir, entre dix-neuf et vingt heures.

 

Je culpabilise moins de ne pas jeûner lorsque j’ai mes règles. Mais je me cache quand même pour manger, à la maison, parce que je ne veux pas que ma sœur me voie. Lorsque nous étions chez nos parents, je me sentais vraiment coupable, parce que ma mère et ma sœur, qui jeûnent, ne cessaient de me rappeler à quel point il était important que je mange, parfois tout près d’un proche devant lequel je n’apprécie pas de parler de ça. Je me sens exclue, le diabète établit forcément une certaine distinction entre les musulman·e·s en capacité de jeûner et nous, les malades.

 

Le Ramadan est à mon sens un vrai mois de partage. J’ai donc plaisir à cuisiner pour ma sœur, étudiante, vivant avec moi. J’apprécie l’idée de lui faire déguster mes bons petits plats, après une journée difficile sans nourriture et sans boisson. Son ftour (repas de rupture du jeûne) me permet de vivre le Ramadan par procuration. Je suis très triste qu’on ne puisse pas jeûner ensemble, mais c’est ainsi.

 

Il faut toujours être reconnaissant·e envers Allah, alors, al hamdoulillah (la louange est à Dieu), ma situation pourrait être pire. Mais j’avoue que la façon dont on considère le diabète dans notre société m’insupporte. Un frère musulman m’avait affirmé qu’il me trouvait incroyablement chanceuse de ne pas être obligée de jeûner et qu’il souhaiterait vraiment être diabétique, lui aussi, pour ne plus faire le Ramadan. Ce genre d’inepties prouve à quel point les individus ne se rendent pas compte de toutes les contraintes de ce cancer à vie. »

 

Crédit image à la une : Sanaa K

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Le Ramadan vécu par des musulmanes souffrant de troubles du comportement alimentaire

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**Article publié initialement en juin 2017**

« Et ne vous tuez pas vous-même. Allah, en vérité, est Miséricordieux envers vous », peut-on lire dans le Coran, aux versets 29 et 30 de la sourate 4. Cet extrait est souvent utilisé afin de permettre aux personnes malades de ne pas jeûner et de préserver leur santé. Les troubles du comportement alimentaire sont aujourd’hui nombreux, touchant tout type de personnes, quelles que soient leurs conditions socio-économiques. Les femmes sont cependant l’écrasante majorité des malades, représentant par exemple plus de 90 % des victimes d’anorexie. Houria et Sarah, deux étudiantes âgées de vingt ans, se confient sur leurs ressentis pendant le mois béni de Ramadan.

 

Crédit Mind of Mary

 

Houria et l’anorexie

« Je me sens profondément musulmane et je considère que le Ramadan est un mois d’adoration extrêmement important. L’ennui, c’est que j’ai toujours eu un rapport conflictuel avec mon corps et donc mon alimentation. Je tente de guérir et je suis sur la bonne voie, mais ce n’est pas complètement parti.

Je ne ressens pratiquement jamais la faim durant le Ramadan, habituée à manger le strict minimum depuis mes années lycée. J’avoue également avoir hâte de jeûner durant tout ce mois pour perdre du poids, ce qui me fait culpabiliser, parce que je crois sincèrement que nous aurons des comptes à rendre quant à la façon dont on traite notre corps, dans l’Au-delà.

Je sais qu’Allah n’est pas cruel, mais je me dis que ma maladie n’en est pas vraiment une. L’anorexie me bouffe la vie, je n’accepte toujours pas mon corps parce que je suis dysmorphophobique et que je le vois toujours difforme. Je sais que mon corps est une création d’Allah et que c’est Lui qui l’a façonné. Mais je me trouve toujours pas assez fine et cela obsède mon esprit. Le Ramadan me permet de me rapprocher de Dieu, mais malheureusement, il me conforte aussi dans ma maladie. S’il s’agit de mon mois préféré, c’est parce que je ne fais que lire des textes islamiques, mais aussi bel et bien parce que je perds du poids. C’est atroce de penser ça et je m’en veux, mais c’est ainsi.

 

Crédit Fotolia Fresnel 6

Mes parents considèrent que je ne devrais pas jeûner, m’estimant trop faible pour ça. Ils ont peur que je sois anorexique. Ils m’ont grillée, mais je me cache en disant que j’ai juste peu d’appétit et que le Prophète (paix et bénédictions de Dieu sur lui), par sa modestie, mangeait peu, lui aussi. C’est toujours gênant, durant l’iftar [repas de rupture du jeûne] et le shour [repas juste avant le début du jeûne], parce qu’on ne fait que me pointer du doigt, en affirmant que « je ne mange jamais », que « je vais devenir comme ces mannequins squelettiques », que « c’est du n’importe quoi ».

Mais j’aimerais absolument réussir à manger suffisamment le soir, pour me prouver que je suis capable de respecter le pilier d’une religion qui m’est fondamentale. Le fait de ne rien manger durant de nombreuses heures m’incite à moins culpabiliser lorsque je romps le jeûne, mais ça reste peu. Je ne mange qu’à ce moment-là, une petite assiette et ensuite j’arrête, parce que je ne veux pas perdre les bénéfices du Ramadan par rapport à la perte de poids. C’est difficile.

Je me suis promis que si au bout de la première semaine, je me sentais trop faible, j’arrêterais. J’espère de tout cœur que ça ira, inshAllah. Je me demande constamment si l’aliénation des femmes quant à leur apparence corporelle peut vraiment être considérée comme une maladie. Ma mère, algérienne, ne comprend pas qu’on puisse être autant complexé·e par « un peu de graisse », habituée au hammam et à la diversité corporelle. Mais, petite occidentale que je suis, je veux tout maîtriser et ça hante mon esprit. »

 

Sarah et l’hyperphagie

« On dit souvent que manger est le début du bonheur. Je pense que j’ai vraiment pris ce slogan au pied de la lettre, comme je suis hyperphage. On confond souvent ça avec la boulimie. En fait, je mange beaucoup, sans pouvoir m’arrêter, avec des mélanges improbables, sans pour autant tenter de perdre tout ce que j’ai ingurgité, par des vomissements ou des laxatifs, par exemple. J’ai constamment faim. Je mange tout le temps. J’enchaîne les crises, jusqu’à m’en péter le ventre. Et ça, ce n’est techniquement plus possible avec le Ramadan, comme on jeûne de l’aube au coucher du soleil.

Avant le Ramadan, j’ai toujours peur à l’idée de ne plus pouvoir manger durant plus de quinze heures. Cela est strictement impossible en temps normal. Je me fais plusieurs repas géants tout le temps, comme s’il s’agissait d’une obligation. Je me cache pour manger, parce que j’ai super honte de tout ce que j’ingurgite. Dès que je peux manger, je saisis cette opportunité, quitte à me cacher dans un couloir en faisant croire que je vais aux toilettes parce que le sentiment de vacuité dans mon ventre me fait profondément flipper. Mon mal-être ne se voit pas du tout, tout le monde me perçoit comme une personne complètement saine, parce que je ne donne pas l’impression de manger excessivement et que je ne suis pas en surpoids. Et pourtant…

J’attends toujours ce mois avec impatience, parce que je l’estime magique. Se retrouver avec sa famille, manger de bonnes petites choses le soir, s’instruire quant à sa religion, faire des nuits blanches à rire et prier… Mais aussi, aussi incroyable que cela puisse paraître, parce que c’est le seul mois durant lequel j’oublie un peu ma maladie.

Je ne sais par quel miracle, le fait de m’abstenir de manger pour Allah me permet de me calmer. J’ai clairement faim et j’avoue parfois songer à cesser mon jeûne dès midi parce que mon esprit m’affirme que je n’en peux plus et qu’il faut absolument que je prenne ce pain aux raisins, mais je tiens. Certain·e·s verront cela comme un caprice, mais je vous assure qu’il s’agit de compulsions alimentaires extrêmement puissantes. Le Ramadan me permet d’atténuer les conséquences de ma maladie, parce que mon désir de jeûner pour la Seule et Unique entité divine à laquelle je crois est beaucoup plus noble. C’est tellement spirituel que ça dépasse un peu ma maladie, alors qu’elle m’anéantit au quotidien.

J’essaie d’occuper constamment mon esprit, en lisant des hadiths [paroles rapportées du prophète Mohammad], le Coran et plein d’autres choses. Mais c’est toujours difficile, notamment quand je cuisine, parce qu’une voix est toujours présente dans mon esprit, m’incitant à manger les petits fatayers que je suis en train de préparer. Mais je ne lâche pas. J’essaie de m’en sortir et je suis fière de ce qui vous semble sûrement une petite victoire, mais qui est à mon sens une grande bénédiction. Je pense qu’Allah me facilite, al hamdouliLlah [la louange est à Dieu].

Malheureusement, dès que je romps le jeûne, les crises peuvent reprendre… J’ai peur de montrer que je mange beaucoup durant le ftour [repas de rupture du jeûne], alors je me nourris peu, puis je vais me cacher dans une pièce vide, pour manger tranquillement, pendant que les un·e·s regardent leurs séries et que les autres s’en vont à la mosquée. Sauf que pour éviter les allers et retours suspects de la cuisine à la chambre, je fais le plein en cachette, en mettant des produits sous mes vêtements, et ça redevient malheureusement comme avant. »

Crédit image à la une : Sian Butcher

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Portraits

Fatma Torkhani, la voix arabe tentant de créer des ponts

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Fatma est journaliste. Après des études d’histoire, elle décide de questionner nos différentes expériences de l’arabité, dans son podcast Arabia Vox.

 

De Tunis à Bondy

 

Née à Tunis, Fatma déménage en France à 8 ans. Se définissant comme la “benjamine chouchoutée”, très bien entourée par une famille semblant joyeuse, elle ne ressentait pas les difficultés dues au contexte politique de son enfance. “C’était la dictature, la corruption atteignait des sommets, mon père trouvait peu de travail”, explique-t-elle. “Le matin, on devait chanter l’hymne national et vanter les mérites de Ben Ali, comme sauveur de la patrie”. Fatma me montre également son auriculaire. “Tu vois, ce doigt est un peu tordu, parce qu’un prof horrible me tapait dessus”. Elle n’aurait ainsi jamais pensé détenir un jour un master, traumatisée par l’école. Son père, très intéressé par la politique, finit par perdre espoir concernant l’avenir de son pays. Il ne supportait plus les images de propagande, les nombreux prisonniers politiques et le parti unique de Ben Ali. Il décide donc d’aller travailler en France durant un an, avant de ramener petit à petit sa femme et ses 4 enfants par le biais du regroupement familial. “C’était très dur, je lui avais mis une photo de moi dans sa poche pour qu’il pense à moi”, se souvient Fatma. “On arrivait par petit wagon, j’ai donc vécu un an à Pantin sans ma mère, elle me manquait énormément”. Une fois en France, Fatma doit faire face à la barrière de la langue. Elle a très peu appris le français en Tunisie, malgré le fait que cette langue demeure très importante en raison du passé colonial. Elle a donc dû intégrer une classe d’initiation à l’école (CLIN), en compagnie d’autres enfants immigrés ne parlant pas français. Elle apprend rapidement à le parler, tout en étant très complexée par son accent. “Pendant longtemps, je n’arrivais pas à prononcer la lettre u, j’ai subi beaucoup de moqueries, on m’appelait la ‘blédarde’, la ‘sans-papier’, c’est encore plus douloureux quand ça vient d’enfants d’immigrés nord-africains”. Elle finit par quitter Pantin pour Bondy, où elle vit encore aujourd’hui.

 

De Carrefour à la Sorbonne

 

Fatma obtient un bac L option théâtre, apprenant toujours les monologues les plus longs des tragédies grecques, afin d’améliorer sa pratique du français. Au sein de son immense lycée se trouvait un théâtre et Fatma pouvait exposer devant un public extérieur à son établissement, en partenariat avec la maison culturelle de Bobigny. Passionnée, elle décide d’intégrer la licence arts du spectacle à Nanterre. Cependant, elle ne supportait pas le fait que ses camarades soient étonnés de son excellent niveau en tant qu’immigrée du 93. En parallèle de ses études, Fatma était caissière à Carrefour. Elle estime se sentir plus proche de ses collègues du supermarché que de ses camarades de l’université. Fatma finit par quitter ses études au bout d’1 semestre, afin de travailler durant 2 ans à Carrefour. Cela lui a permis de découvrir un autre monde et de gagner de l’argent. Néanmoins, Fatma considère que son cerveau était en veille et qu’il était “épuisé d’être non stimulé”. Suite au licenciement injustifié de son collègue et aux encouragements de son ancienne professeure d’histoire, faisant souvent ses courses dans ce supermarché, Fatma finit par intégrer la licence d’histoire de Panthéon-Sorbonne. “Ma famille était très contente, j’étudiais comme Bourguiba à la Sorbonne”, rit-elle.

 

Sorbonne. Crédit : Sorbonne

 

Elle se sent très épanouie dans le centre Tolbiac. Fatma estime que cela l’a beaucoup aidée à penser contre elle-même et à changer radicalement son point de vue. Néanmoins, l’étudiante avait peur de correspondre au cliché arabe. Elle tentait de s’assimiler dans ses choix de cours, refusant de prendre les options sur le monde arabe. “En histoire médiévale, je préférais étudier les Carolingiens que les Abbassides”. Elle reprend cependant des cours d’arabe, tout en commençant à écrire des articles. Elle rédige des reportages, des interviews ainsi que des critiques de théâtre. Elle effectue également un stage à Orient XXI. Fatma se lasse néanmoins de l’université en master. “On dirait un gros coup de balai qui passe, ça devient très élitiste”. Durant sa 1ère année de master en Histoire et Audiovisuel, Fatma effectue un mémoire sur la médiatisation du groupe Mashrou’ Leila en France. Le documentaire Ouvrir la voix d’Amandine Gay l’a incitée à se libérer de la crainte de correspondre au stéréotype de l’Arabe et de choisir un sujet relatif au monde arabe. Ce groupe l’intéresse particulièrement, puisqu’il représente différentes choses, à l’instar des LGBTQ+ dans le monde arabe ou encore la catégorie “world music”. Cette expression signifie tout et n’importe quoi pour Fatma. “Dans cette catégorie sont classées des musiques bretonnes, issues du continent africain et des artistes français chantant en anglais”. Elle apprécie le fait que ce groupe arrive à mêler “la mondialisation artistique et son identité, son héritage”. Elle effectue également un stage au sein de l’émission 28 minutes sur Arte, durant le dernier semestre de son master. Inspirée par le podcast LSD de France Culture, elle décide finalement de lancer Arabia Vox sur les réseaux sociaux.

 

Arabia Vox, un projet questionnant l’arabité

 

 

Arabia Vox. Crédit : Arabia Vox

 

Fatma a beaucoup observé ses collègues durant ses stages, afin d’apprendre à utiliser le matériel nécessaire pour nous faire profiter de son podcast. Elle a passé tout l’été à s’entraîner, notamment en enregistrant des interviews de sa sœur afin de tester le micro. “Je dormais à 3 heures du matin et dès que je me réveillais, je me remettais dessus”. Concernant le générique, elle a hésité entre le poème Je suis arabe du palestinien Mahmoud Darwich, “la référence suprême”, la grande chanteuse algérienne Warda et Lil Watan de Mashrou’ El Leila. Elle finit par choisir ce groupe, leur chanson évoquant le faux patriotisme justifiant la négation des libertés. Fatma n’a pas l’habitude d’être exposée, elle avait donc très peur qu’on se moque d’elle. La journaliste tient à une diversité de profils, concernant le genre ou les origines. Elle n’invite que des personnes inspirantes des milieux artistiques, associatifs ou encore des journalistes, faisant “bouger les lignes”. Fatma souhaitait produire un contenu accessible, dans lequel les concerné·e·s pouvaient exprimer leur propre vision de l’arabité. “Dans le monde arabe, tu peux te sentir amazigh (berbère), juif, chrétien, je voulais que l’on puisse déconstruire ce que l’on vit et surtout, dire que nous pouvions nous sentir plein de choses à la fois”. Fatma souhaitait que ce ne soit pas académique, ce qui n’empêche pas d’aborder certaines notions, telle que l’ “arabité relative” exprimée par la franco-syrienne Leïla Alaouf ou encore le fait d’être “arabo-maghrébin”, comme le disait le franco-tunisien Skanderous, sur Arabia Vox. “Je voulais quelque chose de vivant et le témoignage apporte une force immense”, explique-t-elle. Ce projet est très important pour Fatma, se sentant à la fois “tunisienne, arabe, berbère, africaine et méditerranéenne”. Elle regrette qu’en Tunisie, l’héritage berbère, pourtant immense, soit invisibilisé.

 

Vous pouvez donc suivre le travail de Fatma sur les réseaux sociaux et nous vous invitons vivement à écouter son podcast, afin de mieux saisir cette “arabité relative” que nous sommes nombreux·se·s à vivre, dans notre complexe diversité, selon nos pays d’origine et les pays où nous vivons. Nous souhaitons beaucoup de succès à Fatma pour ses prochains projets, inshAllah.

 

Crédit photo image à la une: Fatma Torkhani[/vc_column_text][/vc_column][vc_column_text]

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