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Djihene Abdellilah : une femme, une histoire, des combats, et des victoires

Djihene Abdellillah est une femme qui a fait de son corps sa force, de sa vie un combat et de ses épreuves des victoires. Sportive de haut niveau elle a toujours su trouver sa place dans un monde masculin. Ce monde d’homme où la femme doit s’imposer, qu’elle a su changer par sa force physique, sa force de caractère et son mental. Une femme engagée qui écrit son histoire et nous apprend à nous, étudiant.e.s à trouver notre place ; à nous, femmes, musulmanes ou non, racisées ou non, à nous imposer, à nous battre tous les jours pour nos droits et nos libertés, et faire entendre nos voix.

 

Djihene est passionnée de sport depuis son plus jeune âge, un milieu dans lequel elle grandit, trouve peu à peu ses marques et prend sa place. Elle découvre le sport de combat lors de ses études supérieurs et devient une passionnée de boxe, de MMA et de Grappling. Des arts martiaux qui deviennent rapidement sans secret pour elle et dans lesquels elle excelle et y remporte une dizaine de titre dont le titre de championne du monde de Grappling en 2014 et championne de France de MMA. Malgré des problèmes de santé qui auraient pu l’empêcher de réaliser ses rêves et d’accéder à ces championnats, et face à des médecins catégoriques, lui disant de faire une croix sur le sport, sa force et sa résilience la pousse à participer aux championnats qu’elle remporte haut la main. « On ne nait pas vainqueur on le devient. » Ainsi, cette phrase prend tout son sens. Elle est considérée comme précurseure des sports de combats en France et marque l’histoire du sport, mais aussi l’histoire de l’enseignement car elle est la première à avoir introduit et enseigné les sports de combat dans les lycées et les universités- la Sorbonne notamment.

 

« On ne nait pas vainqueur, on le devient », Djihène

 

 

Femme sportive mais aussi très engagée sur la question des violences faites aux femmes, Elle crée en 2020 la Djihene Academy. Une association qui a pour objectif de démocratiser la pratique des sports de combat dans les milieux féminins. A travers cet engagement, elle veut redonner du pouvoir aux femmes en leur apprenant des techniques d’auto-défense pour pouvoir faire face à de quelconques agressions. Un engagement qui consiste à redonner la place aux femmes dans l’espace publique, leur redonner confiance en elle et leur montrer que même dans cet univers très masculin et fermé par la société, les femmes ont leur place autant que n’importe qui. Elle est engagée aussi sur d’autres causes féministes comme l’endométriose, au sein de l’association Endomind, pour qui elle est marraine. Une cause qui lui tient à cœur et pour laquelle elle s’engage afin de sensibiliser la société sur les questions de santé en démocratisant et faisant connaître la maladie de l’endométriose tout en permettant des recherches sur cette maladie encore méconnue du grand public et à laquelle nous ne donnons pas assez d’importance.

 

« Cette opération me permet de réunir deux choses qui me tiennent à cœur : la place des femmes dans la société et puis la pratique du sport comme élévation sociale » – Djihene

 

 

Avec un parcours aussi inspirant qu’enrichissant, Djihene est l’une des premières femmes racisées que je découvre dans le milieu du sport, en tant qu’étudiante. Je la rencontre à la Sorbonne, où elle a été ma professeure pendant quelque mois. J’ai alors découvert une femme imposante qui nous pousse à donner le meilleur de nous-mêmes et surtout à dépasser nos limites. Elle devient pour plusieurs étudiant.e.s un modèle de femme puissante, auquel j’ai pu m’identifier. Elle nous fait découvrir, nous partage et nous transmet sa passion à travers ses cours. Au-delà de la technique, des méthodes et du sport, elle nous transmet aussi son état d’esprit, nous apprend à nous imposer, à prendre la parole et de la place tout en étant performant et en donnant notre maximum, sans jamais lâcher.

 

« Mon métier […] c’est d’accompagner mes élèves dans leurs projets, pour moi c’est super important » – Djihene

 

 

Je l’ai aussi rencontrée à des ateliers d’auto-défense physique, lors des lallabday . C’est lors de ces ateliers que j’ai découvert la seconde casquette de Djihene : son engagement pour la cause des femmes. Une femme douce mais tout aussi déterminée qui a su mettre des mots sur des problèmes que vivent les femmes au quotidien dans nos sociétés. Elle nous a mis face à notre réalité pour mieux comprendre la raison de cet atelier. Djihene nous a appris des techniques d’auto-défense assez simples et facilement réalisables mais elle nous a surtout appris à occuper l’espace, à nous imposer et ne pas avoir peur face à de potentiels agresseurs, parce que nous sommes capables de nous défendre. Car se défendre c’est aussi prendre conscience de son corps et de sa force. La peur doit changer de camps, la société aussi.

 

Crédit photo : @chrisetnico

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Nadina Ali – Portrait d’une artiste autodidacte et engagée

Nadina Ali est une artiste Française et Comorienne, originaire de Marseille. Elle vit aujourd’hui à Londres et se définit comme « Black Muslim Working Class Graphic Artist » comprenez : une femme noire, musulmane, issue de la classe ouvrière et graphiste. Après avoir étudié le stylisme et le modélisme à la Manchester Metropolitan University, elle commence sa carrière dans la mode avant de se dédier entièrement au graphisme.

 

Il suffit d’un simple coup d’œil sur son site Nadina Did This ou sa page Instagram, pour comprendre son affection particulière pour la typographie et les couleurs vibrantes ! Passionnée par les questions de justice sociale et environnementale, Nadina utilise ses plateformes afin de partager des messages importants autour de ces thèmes. Cependant, son travail ne se limite pas à internet, ses diverses collaborations ont permis à son art de s’exprimer au travers de médiums divers et variés. De la récente couverture du livre ‘Carefree Black Girls’ de Zeba Blay à sa participation à la campagne Black Outdoor Art – une initiative sociale et créative organisée par Greg Bunbury afin d’amplifier les voix des artistes noir.es. Nadina a aussi collaboré avec de nombreuses associations caritatives, comme la Croix-Rouge, et participé à des campagnes de sensibilisation pour des causes qui lui sont importantes.

 

 

Decolonize everything

 

 

En janvier 2022, le travail de Nadina est exposé pour la première fois au musée ! Une nouvelle visibilité qui lui a permis d’attirer l’attention de la chaîne de télévision BBC qui l’a interrogé à l’occasion. C’est au musée de la migration de Lewisham, au sud-est de Londres, que l’on peut voir son installation « Where are you from ? » qui peut se traduire par le fameux « Tu viens d’où ? » dont certain.e.s d’entre nous ont trop souvent été exposé.

 

 

 

Nadina explique qu’il s’agit pour elle d’une question qui peut être problématique et intrusive lorsqu’elle est systématiquement posée à des personnes racisé.e.s et/ou qui ont un accent. Comme si la couleur de peau ou la façon de parler étaient des éléments qui requièrent plus d’investigation. À travers cette installation, Nadina souhaite ouvrir la question à tous.te.s peu importe la couleur ou l’accent et explique le choix des lettres en 3D pour représenter la multidimension de ses identités. Son « Where are you from ? » est aussi un rappel qu’il n’existe pas toujours de réponse simple à une telle question et met en question l’utilité d’en faire une excuse pour échanger des banalités.

 

Pour Lallab, Nadina revient sur son parcours, pas toujours évident, et partage avec nous ce qui l’a aidée à surmonter les difficultés ainsi que ce qui l’anime depuis le début.

 

 

Tu t’es expatriée très jeune, peux-tu nous en dire plus sur les motivations de ce choix et comment cela à contribuer à ton épanouissement en tant qu’artiste ?

 

Je suis partie en 2005, principalement parce que j’estimais mes perspectives d’avenir limitées en restant à Marseille. Rien ne m’encourageait à poursuivre les arts créatifs, et en particulier la mode, que j’aurais aimé poursuivre au niveau professionnel à l’époque. J’aimais la mode et le dessin, mais je ne pouvais pas m’empêcher de me demander si je pouvais me permettre ce choix, car je pensais que je n’avais pas le profil.

 

Petite, je n’allais pas aux musées, car ma famille n’avait pas forcément les moyens de nous y emmener. Et s’il existait des créneaux gratuits, l’information ne parvenait pas jusqu’à nous. J’ai d’ailleurs cru pendant longtemps qu’aller au musée était une activité réservée aux blancs issus des milieux aisés. La société française n’encourage pas l’accès à l’art de façon inclusive. Un certain esprit élitiste persiste, tandis que l’approche à l’art est totalement différente en Angleterre, où l’entrée aux musées est souvent gratuite. Une fois en Angleterre pour mes études, avoir accès aux musées aussi facilement m’a ouvert les yeux sur ce qu’il était possible de réaliser malgré le milieu d’où je viens. Pour moi, c’était un vrai privilège d’accéder à une telle diversité de musées et d’expositions différentes, et j’en ai profité au maximum dès mon arrivée. Vis-à-vis de mon épanouissement en tant qu’artiste, je peux réellement dire qu’aller au musée ça a été mon école d’art à moi !

 

J’avais déjà pensé à l’école de mode, mais quand j’ai perdu mon père, durant ma dernière année de lycée, j’ai vite réalisé que de tels frais de scolarité allaient être une charge difficile à supporter pour ma mère devenue veuve. De plus, dans les milieux dits « défavorisés », les carrières artistiques sont rarement priorisées ce qui m’a encore plus découragé de poursuivre cette voie. J’ai fini par bifurquer sur une licence de langues étrangères appliquées (L.E.A.) par défaut, à la fin de laquelle j’ai décidé de faire une pause pour réfléchir à mon projet professionnel. C’est ainsi que je me suis retrouvée fille au pair pendant 6 mois à Manchester. À cette époque, je passais mes soirées à rechercher des cours de stylisme et couture en ligne pour m’occuper et c’est comme ça que je suis tombée sur une licence de stylisme et modélisme à la Manchester Metropolitan University. J’ai postulé et réussi à obtenir une bourse qui m’a énormément aidée à poursuivre mes études à l’étranger ! En Angleterre, bien que tout ne soit pas parfait, il y a une vraie démarche pour rendre les choses accessibles, peu importe d’où tu viens, tu peux accomplir quelque chose.

 

Il m’arrive parfois de me demander ce que j’aurais pu faire, peut-être même plus vite, si j’étais née dans le « bon milieu », si j’avais grandi avec une solide culture artistique. Certes, j’ai dû faire d’énormes détours pour arriver là où je suis aujourd’hui, mais je suis tout de même fière de mon (long) chemin, et de toutes les victoires et accomplissements sur la route. Dans ces moments-là, je remercie la jeune Nadina pour avoir eu le courage de prendre la décision de partir et de changer la trajectoire de ma vie.

 

 

Peux-tu nous expliquer pourquoi tu as quitté la mode pour te diriger vers le graphisme et la création de ‘Nadina Did This’ ?

 

Après avoir étudié pendant 4 ans et travaillé dans la mode pendant presque 10, j’ai fini par ouvrir les yeux sur la réalité de ce monde et de son manque de principes éthiques. La maltraitance des employés d’usine dans les pays dits “sous-développés” ainsi que le non-respect de l’environnement au nom des dernières tendances devenaient de plus en plus difficiles à accepter. Je ressentais aussi depuis un certain temps, et malgré les différents postes que j’ai occupé – du développement de produit au contrôle de qualité, qu’il me manquait un processus créatif dans mon quotidien. D’ailleurs, c’est pour cette raison qu’à cette époque de ma vie, j’occupais tout mon temps libre avec des loisirs créatifs, de la sérigraphie, de la couture, et même de la pâtisserie. Ces activités étaient pour moi une échappatoire créative indispensable et au fond de moi, je savais très bien que j’avais besoin de poursuivre des activités créatives au-delà de mon temps libre.

 

Finalement, en 2017, j’ai fini par admettre que je n’étais plus épanouie dans ce milieu. J’ai pris la décision de quitter mon travail et Manchester pour Londres, où j’ai choisi de travailler en tant que pâtissière pendant presque deux ans et de tester un changement de carrière qui me tentait depuis un moment. Les horaires flexibles, m’ont permis de m’accorder du temps pour commencer le graphisme et la typographie plus sérieusement. Petit à petit, j’ai commencé à réaliser quelques projets pour des amis, ce qui me donnait l’occasion de me perfectionner sur des logiciels type Illustrator. Ces premiers projets m’ont par la suite donné la confiance nécessaire pour me lancer sur Instagram. Un choix qui m’a très vite confortée dans l’idée de toucher et inspirer le monde qui m’entoure par mon travail. J’ai décidé d’en faire l’objectif de ‘Nadina Did This’, faire bouger les choses à mon échelle et de manière autodidacte.

 

 

Peux-tu nous partager un moment clef, qui s’est révélé décisif par la suite ?

 

En 2020, je me suis retrouvée licenciée après la première vague de la pandémie, ce qui m’a amenée à faire le point et à réfléchir. J’ai fini par faire ce que j’avais prévu de faire un jour ou l’autre, et j’ai décidé de me concentrer sur ‘Nadina Did This’ à plein temps. Au début, je l’ai pris comme un challenge personnel, afin de voir jusqu’où je pouvais aller. Assez vite, j’ai compris que la réponse était : loin, potentiellement même très loin !

 

Puis il y a eu le meurtre atroce de George Floyd qui a été pour moi un rappel important que nous continuons de vivre dans une société extrêmement raciste et qu’il reste encore beaucoup, beaucoup de travail à faire avant que l’on puisse tous.te.s vivre librement. J’ai eu encore plus envie qu’avant d’utiliser ma voix et ma plateforme pour toucher un maximum de gens.

 

En poursuivant dans cette voie, et en toute honnêteté, j’ai été envahie par le doute plus d’une fois. Clairement, le profil type de l’artiste ou du graphiste, ce n’est pas moi. Je ne me suis pas toujours sentie légitime à cette place en tant que femme noire, musulmane et ne venant pas d’un milieu aisé. Mais en même temps, si je ne parle pas des sujets qui me tiennent à cœur, qui va le faire ? Pendant longtemps, j’ai attendu que quelqu’un d’autre le fasse à ma place. Jusqu’à un certain moment, où à force de voir le monde régresser, tout en ne me voyant pas représentée, je me suis dit : « Copine, va falloir que tu prennes le micro et que tu parles ! ». Je pense sincèrement que quand on ne voit pas ce dont on a besoin et qu’on ressent qu’il faut que les choses changent, il faut le faire par soi-même. En affrontant ces phases de doute, j’ai compris qu’il est toujours important de s’exprimer, car si c’est important pour moi, ça l’est certainement pour d’autres. Le piège du doute, c’est qu’il peut dangereusement nous conduire vers l’immobilisme. Ne rien faire, se taire, sont autant d’occasions ratées, car on ne sait jamais qui on va toucher et c’est aussi comme cela que l’on crée un effet boule de neige dans cette continuité.

 

 

 

Si tu pouvais donner un conseil à la jeune Nadina ?

 

Même si tu ne vois personne qui te ressemble dans la carrière que tu veux poursuivre, ne te laisse pas décourager et crée ton propre chemin pour y arriver. Si tu as la volonté et le talent, ne laisse jamais la société te faire douter de toi ni de tes capacités. Une fois que tu auras décidé de ce que tu veux faire, c’est ton destin ! Il n’est pas inaccessible et tu es tout à fait capable de l’accomplir.

 

 

Que dirais-tu à toutes les femmes qui pourraient te ressembler ?

 

Sans hésitation : nos difficultés deviennent notre force !

Il y a déjà un grand nombre de choses dans nos quotidiens qui nous ramènent constamment à nos difficultés et à leurs douleurs. Face à un système qui fait tout pour nous décourager, réaliser que l’on peut utiliser nos difficultés comme un carburant, un moteur pour aller plus loin, nous permet de transformer un milieu hostile en une motivation pour se dépasser. Ce que je veux dire par là, c’est qu’on peut tous.te.s faire quelque chose à notre échelle. Pas besoin de mettre une casquette d’activiste pour dire sa vérité, on peut tous.te.s faire quelque chose pour faire avancer une cause. Pas besoin d’être la réincarnation de Martin Luther King pour faire avancer les choses non plus. Malgré ce qu’on voudrait nous faire croire, nous, les gens de tous les jours, avons le pouvoir d’améliorer les choses !

 

 

 

Pour continuer à suivre les aventures de Nadina, n’hésitez pas à la suivre sur son compte Instagram et si vous avez aimé son travail, jetez un œil à sa boutique Etsy !

 

 

 

Crédit photos : Nadina Ali

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Lettre à ma grande sœur auto-entrepreneuse

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Après une école d’ingénieur, ma grande sœur a fait un choix étonnant : lancer sa propre entreprise de photographie. Pour célébrer son courage et sa force, je lui ai écrit cette lettre.

 

Chère grande sœur,

Il y a ceux qui suivent les chemins qu’on a tracés pour eux, tu as choisi de te frayer le tien entre les herbes sauvages.

Enfant déjà, tu avais le goût d’entreprendre et la fibre artistique. Je me souviens de ce lapin inspecteur et son acolyte panda, protagonistes de ta bande dessinée. De ces dizaines de calques dans des pochettes Canson, sur lesquels tu dessinais toute sorte d’objets sans rapport les uns avec les autres, destinés à être réutilisés plus tard. De ton intransigeance derrière la caméra reçue pour ton anniversaire : à chaque sourire de trop, il fallait tourner la scène de nouveau. 

C’était en cours d’art plastique, de sport et de langues que tu t’épanouissais le plus, pourtant tu t’es retrouvée en prépa scientifique. Sans doute parce que c’est ce qu’on attendait de toi. Tu devais penser que vivre de ces passions était impossible, ou du moins les adultes t’en avaient convaincue.

Mais l’enfant que tu avais été demeurait présent, dans l’ombre, lorsque tu as ouvert ce compte Instagram de photographie, alors que tu venais d’intégrer une école d’ingénieur. La plupart l’ont vu comme un « passe-temps », un « à-côté »… ; tous ces mots qu’on utilise pour enlever de l’importance aux choses qui en ont. 

Tu t’es formée en autodidacte, comme pour le dessin ou la vidéo. Tu posais d’abord face à la caméra, rêvant en secret d’être derrière. A la fin des séances, tu demandais aux photographes d’être quelques instants tes professeurs.

« Je voulais un raccourci pour apprendre plus vite, mais il faut juste faire », me confies-tu. Alors tu fais. Tu prends d’abord en photo les personnes que tu as sous la main, qui acceptent de se prêter au jeu : tes amies, tes frères et sœurs. Puis tu rencontres peu à peu des modèles plus expérimentés. Au fil des photos, ton œil s’habitue aux angles, aux couleurs, tu développes une intuition. 

 

Une des photos les plus dures à prendre. « Les modèles étaient pieds nus dans l’eau avec les chevaux qui s’impatientaient et des poulains qui courraient dans tous les sens. » Crédits : @regardsdetoi.

 

Un été, comme une révélation, tu découvres en lisant un livre que tu veux être entrepreneuse. « Le lifestyle me correspondait en tout point, la question c’était quoi faire », tu racontes. Ce n’est que quelques années plus tard que tu vas finalement établir cette connexion entre la photographie d’un côté et l’entrepreneuriat de l’autre.

Le déclic se produit lors de ta dernière année d’étude. En plus de tes études d’ingénieur, tu as décidé de suivre un master d’entrepreneuriat. « Toutes les personnes de la classe avaient un projet, et moi j’ai fait comme si j’en avais un, en disant que je voulais faire de la photographie. » Tu finis par te prendre au jeu. A force de l’imaginer, d’y réfléchir, d’en parler, le projet devient réel, possible.

Les adultes nous ont toujours fait croire que le plus dur était de trouver ce qu’on voulait faire. Le plus dur, en réalité, est de transformer ce qu’on veut faire en quelque chose qui leur conviendra à eux. De conformer nos rêves aux normes sociales.

De t’adapter, tu as refusé. On attendait de toi une vie stable d’ingénieur : économiser, puis, éventuellement, se lancer. Tu savais qu’en choisissant de travailler quelques années dans un bureau, tu prenais le risque de perdre le plus précieux : le courage que nous offre la jeunesse. Et si, après quelques années dans un bureau, l’enfant qui inventait des bandes dessinées et réalisait des films avec ses frères et sœurs disparaissait à tout jamais ? Alors, tu t’es « lancée ». Certains y ont vu un choix bizarre, inattendu. Alors que c’était le choix le plus logique, la continuité de qui tu étais.

Te rejoint dans l’aventure, Tristan. Aussi diplômé d’école d’ingénieur, vous vous êtes rencontrés en prépa. Comme toi, au terme de ses années en école, il rêve d’une autre façon de travailler. Après un intensif brainstorming, le compte Instagram « Hanachi photographe » devient l’entreprise « Regards de toi – Photographes, vidéastes & modèles ».

La première cliente se célèbre par une danse. « On venait de passer deux jours à appeler des marques non-stop, à n’essuyer que des refus. On commence à expliquer à cette dame ce qu’on fait. On n’a même pas fini qu’elle accepte. On était tellement contents qu’en raccrochant c’est parti en danse du soleil ! »

Les mois passent, et vous affirmez votre style dans les photos : « urbain et classe », dis-tu. La direction artistique est ce qui te plaît le plus : créer des images. Composer. Choisir le fond, les habits. Improviser : « c’est toujours les photos que tu n’as pas prévues qui sont les meilleures ».

Le style de Regards de toi : Urbain et classe. Crédits : @regardsdetoi.

 

Les montages de Tristan sont guidés par la musique, qui lui inspire la dynamique de la vidéo. 

 

Voir cette publication sur Instagram

 

Une publication partagée par Regards de toi 🍒 (@regardsdetoi)

Au fil des semaines, vous affirmez aussi vos valeurs, sans pour autant le revendiquer. Parce que ça devrait être normal, sur un compte de photographe, de trouver des modèles noires, blanches, minces, grosses, handicapées ou portant le foulard. Parce que toutes ces personnes composent la société. Et que d’un point de vue artistique, c’est stimulant d’avoir à photographier des corps et des styles différents.

Mais tes premiers mois sont aussi faits de déceptions, d’échecs, d’épuisement. Passer des heures au téléphone à convaincre des clients qui répondent violemment ou raccrochent. Ne pas être pris au sérieux en raison de son âge. Gérer la paperasse administrative, les factures, les demandes d’aide. Et surtout : le vide, quand personne ne répond, quand il n’y a rien pour payer le loyer.

Le plus dur, je pense, est d’avoir perdu sur le chemin le soutien de personnes qui comptaient pour toi. Celles qui pensent qu’il faut suivre la norme pour « devenir quelqu’un ». Celles qui préfèrent te voir moins épanouie mais plus conforme. Les mêmes qui détruisent les rêves des enfants.

Si je t’écris cette lettre, c’est pour te rappeler, quand tu doutes, que tu as pris le bon chemin. Celui avec les herbes sauvages : plus dur, mais plus beau. Celui qui permet à l’enfant qui inventait des bandes dessinées et réalisait des films avec ses frères et sœurs de rayonner.

Comme Cyrano de Bergerac, tu as dit « non, merci ! ». Préféré la liberté au prestige social. Comme lui, tu pourrais dire :

« S’il advient d’un peu triompher, par hasard,

Ne pas être obligé d’en rien rendre à César,

Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite,

Bref, dédaignant d’être le lierre parasite,

Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul,

Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! »

 

L’entreprise de Leila et Tristan s’appelle Regards de toi. « Sans être un compte ouvertement engagé, notre entreprise a été créée dans une logique inclusive, pour encourager toutes les personnes à se regarder et s’apprécier. On aime photographier des gens venant de tous bords et on aimerait à termes que nos photos s’éloignent des clichés sexistes de la société présents dans la photographie. » 

Allez les suivre sur les réseaux sociaux : Instagram & Site web

Si vous avez dans votre entourage quelqu’un qui se lance dans l’entreprenariat : soutenez-le, encouragez-le, soyez fier de lui.

 

 

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Diffuse la bonne parole

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Persia – Graphiste – de l’art, du business et de l’humour

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« Croire en soi et ne pas avoir peur. »

Persia | Graphiste – de l’art, du business et de l’humour

 @persiadesignn est une page Instagram tenue par une jeune graphiste. Mise en page de livres – couvertures – illustrations – brochures visuelles – packaging – web design, elle travaille avec vous votre identité visuelle sur mesure, de A à Z. Retrouvez son univers et ses vidéos IGTV où elle vous explique son processus créatif avec une dose d’humour sur sa page Instagram .

Shéhérazade est graphiste en freelance depuis maintenant trois ans. Après un BTS en marketing et une année à l’université, elle décide de se consacrer à sa passion, le graphisme. Elle commence par identifier le terrain sur lequel elle vient de se lancer. Après avoir réalisé qu’il y avait un réel potentiel sur le marché, elle décide de saisir cette occasion et ainsi elle donne naissance à @persiadesignn.

Dernièrement, elle a travaillé sur la mise en page et la conception graphique du livre « T’attends quoi » de Nabil Samni, et le résultat est explosif. Veuillez admirer ce chef d’œuvre ici.

Pourquoi, je vous présente Shéhérazade ? La réponse est sur sa page Instagram. Sur celle-ci, Persia présente son univers artistique : des pochettes d’album fictives, du artwork poétique, de la poésie en vers libre, et des vidéos où elle vous présente son processus créatif de manière humoristique. En un mot, un univers, une personnalité et un style authentiques.

Pourquoi les vidéos IGTV? « Je suis beaucoup de youtubeurs-graphistes, et ils montrent leurs métiers de manière très professionnelle. Je voulais faire quelque chose de différent, tout en restant moi-même. »

Le processus créatif de Persia : « Je ne peux pas travailler sans musique. L’art et la musique m’inspirent énormément. D’abord, je fais quelques recherches sur le net et après je me lance, l’inspiration vient après, ça vient dans le tas. »

Lors de notre échange, Persia me confie qu’elle a envie de se spécialiser dans la mise en page de livres et de couverture de jeux vidéo, d’albums de musique…

« Je fais ce que je veux et je fais ce que j’aime faire. »

Persia a appris en autodidacte l’utilisation des logiciels de graphisme. Elle a toujours aimé créer, et c’était pour elle une évidence de faire du graphisme son métier. Elle trouve, dans ce métier, une flexibilité, et une liberté, qu’elle ne changerait pour rien au monde.

Un conseil pour les futurs graphistes ? « Un conseil que j’aurais aimé avoir : tu ne crées pas qu’un simple design, tu apportes un résultat, une plus-value à tes clients ! En tant qu’artiste, notre temps est compté, et donc n’ayez pas peur de faire valoir vos droits »

« J’aimerais qu’on reconnaisse la valeur de mon travail et celle de tous les graphistes et artistes, en tout genre, qui existent. »

 

Autrice : Jou RH

source image : @persiadesignn 

 

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Diffuse la bonne parole

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La musique, un art – Mona Haydar, Yuna, Neelam Hakeem

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« L’art est le défouloir de l’âme »

 

Le hijab ça dérange, ça dérange un peu partout en France, ça, on le sait. Quand c’est une femme qui s’exprime – et qui ne répond pas aux critères que la société lui impose, ça dérange encore plus. Ça frustre, ça énerve beaucoup de monde, et certains.es pensent pouvoir s’exprimer et donner leur avis. Les réseaux sociaux permettent aux langues de dire tout et n’importe quoi …

Une femme portant le hijab ne doit pas faire ci, ne doit pas faire ça. C’est haram, c’est halal… Tout le monde a un avis sur la femme musulmane. Musulmans.es ou non d’ailleurs. Bref…Je peux en faire des pages, mais aujourd’hui ce n’est pas le but. Aujourd’hui, j’aimerais parler d’art, de musique, de femmes incroyables, aux voix incroyables, aux talents incroyables…

J’aime la musique. J’aime la musique douce et lisse, qui me berce et me bouleverse. J’aime la musique engagée remplie de rage et de colère, celle qui est soyeuse et souple, et qui reste malgré tout remplie de poésie. La musique pour moi, c’est une forme d’art. J’aime l’art sincère, l’art qui me parle, qui me chuchote, qui me brusque, qui me fait mal au cœur, et qui touche mon âme. Les artistes qui créent du fond de leur cœur, du fond de leur âme, je les aime. Ô, que je les aime ! J’aime croire que l’art est le défouloir de l’âme. L’art est aussi une arme et une forme de résistance. La musique en fait partie.

Cet univers, qui parfois dérange certains.es, embrase d’autres. J’aime le rap, la pop, le R&B, le raï, la trap, le blues, le châabi. J’aime le classique, le traditionnel, le slam,…Mais je vous l’avoue, j’ai une préférence pour le rap français. J’aime les rimes, j’aime les tournures et les figures de styles, de cette langue. J’aime le côté poétique du rap, mais étrangement, ce n’était pas la musique française qui m’a poussée vers ce style.

Je suis tombée amoureuse du rap durant mon enfance… Ce n’était ni la plume de Diam’s ni celle de Kery James qui m’ont poussé dans l’antre. Pour les connaisseurs.es, c’était Fnaire, avec leur chanson « Yed el henna », un groupe de hip-hop marocain. Du rap au classique, j’ai commencé à apprécier d’autres styles, cependant, la majorité de la musique que j’écoutais (en français) n’était réalisée que par des hommes. Mon âme se trouvait rarement satisfaite par la gent féminine française, ce constat était pire quand on parlait du monde du rap. Pour moi, aucune réelle représentation.

Les femmes très peu présentes sur la scène du rap français, encore pire quand on parle des femmes de couleur, et de femmes musulmanes, n’en parlons même pas quand elles portent le hijab. Critiquées, harcelées des deux côtés, de toutes les communautés, acharnement médiatique, sans arrêt.

 

« Rappez, chantez, dansez, soyez heureux.ses ! »

 

Moi, je veux voir des meufs dire non aux règles et à la masse. Je veux voir des meufs heureuses et épanouies dans leur art. Si elles veulent rapper, qu’elles le fassent, si elles veulent chanter qu’elles le fassent, si elles veulent danser qu’elles le fassent, et qu’on arrête de les réduire à leur genre et à leur façon de s’habiller.

J’ai découvert ces dernières années des femmes qui dépassent l’incroyable. Je n’ai jamais vu des artistes rapper, chanter, danser avec autant de classe tout en étant elles-mêmes. Aujourd’hui, j’aimerais vous présenter trois artistes qui sont de vraies inspirations pour de nombreuses jeunes filles : Mona Haydar, Yuna et Neelam Hakeem. Cet avis n’engage que mon âme et moi. J’espère que leur art percera votre cœur. 

 


Crédit photo : Mona Haydar

 

 

«  I am cool, I am mood, I am dude, I am Mona. » » Mona Haydar

 

L’incontournable Mona Haydar, cette artiste américaine d’origine syrienne est déjà connue de Lallab, si vous ne la connaissez pas encore, je vous invite à écouter son travail.

Poétesse dans l’âme, elle écrit depuis ses sept, huit ans. A 14 ans, elle se produisait déjà sur des scènes locales et des cafés. De la poésie, elle passe au rap, des petites scènes, elle passe aux scènes internationales.

Féministe, engagée, militante, activiste politique, elle l’est. Il suffit d’écouter « Hijabi » ou « Barbarian ». Mais avant tout, c’est une artiste. Une rappeuse.

Le mot « berbère » m’a toujours dérangé, depuis l’adolescence, je ne l’ai jamais aimé, j’avais du mal à l’employer, et lorsqu’il sortait de ma bouche, je me sentais mal à l’aise, pour la simple raison que « berbère » est un mot dont l’origine est très controversée avec le mot barbare, je vous laisse la liberté de le googliser.

Moi, j’aimerais vous parler de la façon dont Mona Haydar s’approprie le mot « barbarian » barbare en français et l’utilise poétiquement.

Dans une interview en 2019, l’artiste explique que dans ce morceau, elle parle de « ceux qui regardent la culture arabe, ou n’importe quelle culture indigène, non-blanche en se disant qu’elles sont moins glorieuses, que ces peuples sont sales, barbares, sauvages et non civilisés ».

Oubliez la vision occidentale sur les femmes issues d’une culture indigène, dans le clip, « Barbarian », on voit des femmes habillées traditionnellement (je vous avoue les seuls vêtements que j’ai reconnus étaient la djellaba et la gandoura, mais il y avait d’autres tuniques traditionnelles n’hésitez pas à partager les noms si vous les reconnaissez!), outre le vêtement traditionnel, il y a les incontournables tatouages au henné et les youyous ainsi que les instruments traditionnels (oud). Qui ne s’est pas déjà tatoué au henné ici ?! Qui n’a pas porté un vêtement traditionnel ?

Vous l’aurez compris, Mona Haydar scande haut et fort qu’il faut être fier de ses origines, et ne pas laisser l’Occident définir nos racines et notre culture… Donc la prochaine fois que tu veux manger à la main, et que tu as peur de passer pour une personne « bizarre et pas civilisée », envoie bien loin cette pensée et mange comme tu le sens ! 

 


Crédit photo : Yuna

 

« I am proud, it’s my choice to cover up my body. I’m not oppressed. I’m free » Yuna

 

Yuna est une chanteuse malaisienne. Cette artiste est connue dans son pays, mais l’est moins à l’extérieur. Je crois fort que cette jeune femme n’a pas la carrière qu’elle mérite. Sa musique est une ode à l’âme.

J’ai découvert Yuna grâce à sa chanson « Does she ». Sa voix m’a énormément touchée. De la douceur, de l’amour, voilà ce à quoi je pense quand j’écoute sa musique. Elle me transporte ailleurs. J’aime l’art sincère, et celui de Yuna l’est, en particulier, son album « Rouge ». Sa musique parle beaucoup d’amour, elle m’a séduite.

Lors d’une interview en 2020, elle confie qu’elle était honnête dans cet album. Elle évoque le fait d’être une femme musulmane dans l’industrie de la musique, qui a essayé de s’intégrer dans les normes de la culture occidentale et orientale. Finalement, elle a réalisé qu’elle devait juste être elle-même.

Et cela lui a bien réussi, dans cet album, elle a collaboré avec plusieurs artistes comme G-Eazy, Little Simz ou encore Jay Park.

Yuna ne fait pas que chanter, elle joue de la guitare et danse, également durant ses concerts et dans ses clips. Je vous invite à voir Forevermore.  C’est un clip aux visuels artistiquement bien travaillés. Au-delà, de la voix de la chanteuse qui me berce et me transporte, les images, elles m’ôtent littéralement le cœur. On y voit de nombreux portraits de malaisiens et de magnifiques paysages, sans compter une Yuna dans son élément, avec beaucoup de style. N’hésitez pas à le visionner, vous ne le regretterez pas. 

 

Crédit photo : Neelam Hakeem

 

« Not your typical rapper » Neelam Hakeem.

 

Neelam est une artiste basée à Los Angeles.  Une rappeuse qui ne mâche pas ses mots. Très active sur Instagram, elle frappe là où ça fait mal. Ses punchlines sont extraordinaires, et c’est dans ces moments-là que je regrette de ne pas avoir un Anglais natif. Neelam n’hésite pas à dénoncer dans sa musique le racisme, et les problèmes sociaux, notamment ceux qui concernent les musulmans.es noirs.es aux Etats-Unis. Son rap est profond, vrai, et authentique. Combien de ses mots m’ont transpercé le cœur ? Je n’en sais rien, mais il m’arrive que je tombe sur ses vidéos qui durent à peine trente secondes, et ces quelques secondes suffisent pour me couper le souffle et ébranler mon âme.

Lors d’une interview, elle explique que par son art, elle veut parler pour ceux qui n’ont pas de voix. Elle traite chacune de ses chansons et vidéos avec beaucoup de sérieux. Elle souhaite simplement évoquer les injustices et les questions ignorées par énormément de monde. Malgré la censure qu’elle subit de la part d’Instagram, elle continue de partager et de créer du contenu qui permet d’élever les consciences face à l’injustice.

Ces trois femmes sont une source d’inspiration pour de nombreuses jeunes filles et femmes. Elles sont la preuve vivante qu’on peut briser les codes et changer les règles du jeu.

La France, est-elle prête à voir des femmes sur la scène musicale qui ne répondent pas aux nombreux mythes et fantasmes sur la femme musulmane ? Nos communautés sont-elles prêtes à nous soutenir ? Puis-je voir dans un futur proche, des femmes faire ce qu’elles veulent sans être condamnées par la société ? En attendant, on doit encore se battre pour nos droits, afin de pouvoir s’habiller comme on le souhaite, dire ce que l’on pense et faire ce que l’on veut, car une femme qui porte le hijab ça dérange, ça, je le sais.

Autrice : Jou RH

 

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L’art, la foi et la bombe

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Cela fait maintenant dix ans que ses bombes ne la quittent plus. Oumema Bouassida, alias Ouma, est une jeune artiste graffeuse tunisienne de 29 ans qui a fait des murs ses toiles de prédilection. Elle revient, pour Lallab Mag, sur son parcours et sur les revendications qu’elle porte dans la rue, sa “galerie à ciel ouvert”’. 

 

Crédit photo: 

 

 

J’étais une enfant timide et avec la révolution, j’ai senti qu’il y allait avoir quelque chose de beau dans notre pays, qu’en tant que jeune femme voilée, je pouvais sortir dans la rue et faire ce que je voulais. […] 

 

Avant, à l’époque de Ben Ali, le graffiti n’avait pas l’impact du street art. La rue était très contrôlée. […] Un jour, il y a eu un reportage à la télé, mon père m’a appelé.e et il m’a dit : “Viens voir ce qui se fait à l’étranger, les artistes décorent les murs avec des peintures, ça s’appelle le graffiti.” Je n’ai pas retenu le mot, mais j’ai été impressionnée. Je lui ai dit que c’est ce que je voulais faire, que je trouvais ça beau. Il m’a répondu : “Déjà en Tunisie, ça n’existe pas et c’est une activité pour les hommes et ce sont tous des fumeurs et des clochards.” J’étais petite et il m’a donné n’importe quelle raison pour me décourager. Mais l’idée est restée dans ma tête. Petit à petit, j’ai découvert que pour dessiner sur les murs, il fallait utiliser des bombes et qu’on pouvait en acheter à la quincaillerie. […] 

 

“J’ai économisé de l’argent et j’ai fait mon premier graffiti”

 

C’était juste après la révolution. J’étais en Terminale et je voulais laisser une empreinte sur mon lycée. […] Ce qui est drôle, c’est que je portais le pull à capuche de mon frère. J’ai commencé à travailler après la fermeture du lycée et un voisin est venu me crier dessus, il pensait que j’étais un garçon parce qu’il me voyait de dos. […] Quand je me suis tournée, il était choqué. Il m’a dit : “Qu’est-ce que je vais faire maintenant, une fille et en plus voilée.” Il a commencé à crier et il a dit qu’il allait me dénoncer. Le lendemain, je suis directement allée voir le proviseur, je lui ai dit que c’était moi qui avais fait le graffiti et que je voulais le terminer. Il s’est mis à rigoler parce qu’il me connaissait grâce à l’atelier de dessin dans lequel j’étais parmi les excellent.e.s. Il m’a donné le feu vert pour le terminer. Cette fois, c’était en plein jour, les élèves du lycée sont sorti.e.s et iels me regardaient, l’adrénaline était à son maximum. C’était un moment magique, surtout que les gens du lycée savaient que j’étais quelqu’un de timide qui n’a jamais fait quelque chose de bizarre. Iels étaient impressionné.e.s. […]

 

Mon choix en tant qu’artiste est de travailler dans un cadre autorisé afin de terminer mon œuvre et pour que le message soit abouti, même si je sais que quand je finis un grand mur, peut-être que le lendemain ou même une demi-heure plus tard, il pourra être abîmé. Certains viendront l’effacer ou l’endommager. Quand mon mur vit, un jour, une semaine ou un mois, ça veut dire qu’il a été accepté par les passant.e.s. Ça veut dire que j’ai réussi à faire passer un message. Esthétiquement, iels l’ont accepté et le message leur a plu et c’est la rue qui en prend soin. Pour moi, c’est ça, le succès de ma fresque. […] Le travail sur le mur, c’est beaucoup d’escalade, d’exposition au soleil toute la journée dans la rue, ça demande un effort physique. Ce n’est pas comme travailler une toile à la maison, dans une ambiance décontractée. […] Après j’ai appris comment travailler sur une symbolique ou un sujet que je traite d’une certaine manière pour qu’il véhicule un message même après m’être éloignée du mur. Il y a deux phases : la première quand je suis devant le mur en train de travailler, il y a un message direct, par ma présence. […] Il y a une interaction avec les gens dans la rue, c’est ce qui a fait grandir mon amour pour le graffiti. […] La deuxième phase, c’est quand je pars, le mur va représenter une idée ou un concept particulier qui va pousser les gens à réfléchir autrement. […]

 

Crédit photo: 

 

“S’il n’y avait pas de lien entre ma spiritualité et mon art, ce ne serait pas de l’art”

 

[…] À un certain moment, quand je dessinais, j’ai commencé à m’en vouloir parce qu’on m’a mis en tête que le dessin était haram [péché]. […] Je me sentais inutile parce que la seule chose qui était bien en moi et que j’aimais, c’était l’art et le dessin. […] Mais Dieu a créé en moi le besoin de dessiner. Chez d’autres, c’est le besoin de chanter ou de danser. Pour moi, il y avait une contradiction que je ne comprenais pas. Je me suis mise à implorer Dieu. […] Et je me suis dit que si Dieu avait créé ça en moi, j’allais l’utiliser pour Dieu. Avec cette intention, j’arrive à la notion de khilâfa [mandat divin accordé aux êtres humains] dont a parlée Dieu. Il a créé l’être humain pour être un représentant sur Terre. […]

Je porte le hijab depuis que je suis petite. Je voyais les filles de mon âge vivre d’une certaine manière et moi, parce que j’étais voilée, la société venait me dire que je ne devais pas rentrer dans un café, ni sourire dans la rue. Quelle est la différence entre moi et une autre fille ? Pour moi, il n’y en a pas, alors pourquoi on m’impose une limite juste parce que je porte le hijab ? C’est moi qui connais mes limites et qui me les impose, ce n’est pas à toi de me dire comment vivre. Depuis toute petite, je suis passionnée par les disciplines artistiques. Je voulais étudier aux Beaux-Arts et j’avais trop peur parce que je savais qu’à l’époque, c’était impossible de rentrer aux Beaux-Arts en portant le hijab. […] Au final, après la révolution, j’ai étudié aux Beaux-Arts et j’ai fait un master en design habillement. […]

 

Même si tu portes le voile en étant jeune, ce n’est pas une limite dans ta vie, tu peux faire ce que tu veux. Ce n’est pas parce que tu portes le hijab que tu dois avoir un travail spécifique, que tu n’as pas le droit à certaines disciplines. Depuis petite, je savais que j’allais être dans un secteur artistique. Mon rêve d’enfant, c’était d’être styliste ou réalisatrice de film et on me disait : “Tu es voilée et tu as choisi les deux secteurs qui sont dégueulasses et dans lesquels tu ne peux pas travailler.” Je me demandais pourquoi en tant qu’artiste, je devais avoir une certaine apparence ou appartenance, pourquoi je ne pouvais pas être artiste et m’exprimer sur ma foi, mes croyances avec mon art. Un.e artiste qui croit aux extraterrestres par exemple va l’exprimer par son art parce que l’art n’a pas de limite. 

 

“Etre présente dans une discipline artistique dans la rue en tant que femme voilée”

 

Je voulais sortir parce que je dessinais depuis petite et quand j’ai découvert un autre support, le mur, ça a été un déclic. Au lieu de faire quelque chose de caché, j’allais faire quelque chose dans la rue. Ça fait maintenant presque 10 ans que je fais du graffiti, mais c’est récemment que c’est devenu quelque chose que j’affirme. Avant la révolution, le hijab était interdit [dans les établissements publics]. Et moi, par conviction personnelle, je porte le foulard depuis l’âge de 12 ans, malgré l’interdiction. J’ai rencontré des obstacles, parfois on ne me laissait pas aller en cours à cause du hijab. […] Pour moi, c’était une injustice. On est dans un pays où la femme tunisienne est la plus libre du monde arabe. […] Mais le fait que je mette le hijab, c’est une liberté, c’est mon choix, alors pourquoi on m’imposait quelque chose qui allait à l’encontre de mon choix. […] Je voulais être présente en tant que jeune femme voilée dans la rue parce que je suis déjà présente : j’étudie, je travaille, je me déplace. […] J’existe, je suis présente dans la société tunisienne, donc pourquoi dans la rue, toute ma jeunesse, j’ai dû marcher en baissant la tête parce que je suis voilée, par peur d’un policier ou d’une délation ? La peur était toujours là. Avec la révolution, j’ai senti que j’étais désormais Ttunisienne à 100%. […]

 

J’étais convaincue que ma présence dans la rue était importante. Quand quelqu’un.e passait dans la rue et qu’iel était choqué.e, c’est ça que je recherchais, c’est ce que mon esprit de jeunesse voulait. Au fur et à mesure, avec ma présence dans les événements, dans la communauté hip-hop, la communauté associative et artistique, j’ai compris l’impact de ma présence et de mon art. […] Parce que j’ai vécu de la discrimination en tant que femme voilée, quand une femme vient me raconter une discrimination qu’elle a vécue, je le ressens et je me dis qu’en tant qu’artiste, je peux exprimer ça d’une autre manière. Avant je ne parlais pas de mon engagement artistique en tant que femme voilée, je ne parlais pas du fait que j’ai choisi d’être artiste parce que je suis voilée, pas seulement parce que la discipline artistique m’a plu, mais c’est parce que je suis voilée que je peux peut-être inspirer ou changer les choses.

 

Je pensais que j’étais la seule femme voilée à faire du graff”

 

J’ai découvert que je n’étais pas la seule. En Tunisie, oui, mais dans le monde musulman, il y a des graffeuses voilées en Thaïlande par exemple et en Afghanistan, il y a Shamsia Hassani qui a véhiculé son message fort par sa présence et son oeuvre. J’ai senti que je ne pouvais pas atteindre mes objectifs ou changer le monde seule, mais que je faisais partie, en parallèle, d’une communauté plus grande que moi et d’un objectif encore plus grand parce qu’on fait toutes la même chose et qu’on n’en a pas conscience. Imagine que nous, les femmes voilées qui sommes en train de changer les choses – ou les femmes musulmanes en général – on se donne la main et on s’affirme, qu’est-ce qui va se passer ?

 

Dans le graff, il y a beaucoup d’artistes qui m’inspirent comme El Seed qui a mis en valeur la calligraphie arabe, mais El Seed, c’est un homme. Ce n’est que quand j’ai découvert Samia Oroseman, l’humoriste franco-tunisienne, que j’ai pu me voir en quelqu’un d’autre. Elle m’a plu. Avec toute sa fierté et son hijab, elle défend l’Afrique, l’islam et sa culture, tout en vivant en France. C’est pour rendre hommage à cette femme qui m’a inspirée que j’ai fait son portrait sur un mur des rues de Sfax. […] Une fois, en France, j’ai été invitée par une association, je travaillais sur une fresque. Il y avait une fille de six ans qui me regardait. Son père m’a saluée en arabe. J’ai répondu aux questions de sa fille et en partant, il m’a dit en français, merci d’inspirer ma fille. J’ai eu la chair de poule. […] Je sens que je suis devenue le modèle de la Oumema de 10 ans ou d’autres jeunes. […]

 

Crédit photo: 

 

En tant que jeune Tunisienne, si j’ai pu étudier, travailler et devenir artiste, c’est parce qu’il y a eu des femmes avant moi qui se sont battues pour que les Tunisiennes puissent faire ce qu’elles font aujourd’hui. Il faut apprécier le vécu de nos ancêtres, ce qu’iels nous ont légué et ce qu’on laissera pour celleux qui nous suivront. […] Ma mère a porté le foulard petite, alors que personne ne le portait dans sa famille. Elle l’a fait par conviction et à l’époque de Bourguiba, quand il l’a interdit dans les établissements secondaires, les filles qui le portaient ne pouvaient pas passer le bac. Ma mère a choisi de le garder. Mais c’est quelque chose qui l’a marquée parce qu’elle n’a pas étudié. Maman est passionnée par la littérature et beaucoup d’autres choses. Mais elle s’assume, elle en est fière et elle s’est promis que quand elle aurait des enfants, ça ne se reproduirait pas. Un jour, elle m’a dit une phrase que je n’oublierai jamais : “Je suis passée par des épines pour que tu puisses poursuivre ta vie et toi aussi, tu retireras des épines pour tes enfants.” C’est simple, mais c’est beau. Ma mère est différente de moi, on n’a pas eu la même éducation, mais elle a fait le maximum pour m’encourager même si elle ne comprenait pas toujours. C’est elle qui m’a le plus encouragée à sortir de mes zones de confort et à faire entendre ma voix.

 

 

Crédit photo image à la une: 

Propos recueillis par Sara H.

 

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Portrait de Mouna Jabri : Witech, la startup sociale tech au féminin

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Comment faire (re)naître la présence des femmes dans le monde du digital en Ile-de-France

 

J’ai eu l’occasion de connaître Mouna Jabri, jeune femme inspirante de 26 ans, par le biais de mon entourage. Tout, chez elle, m’a intriguée : son parcours, les associations dont elle est à l’initiative, et surtout cette startup qu’elle vient tout récemment de créer et qui met à l’honneur les femmes dans un secteur peu équitable en termes de parité : le numérique. Son parcours m’a intrigué ainsi que les associations dont elle est à l’initiative et surtout la startup qu’elle vient tout récemment de créer, mettant à l’honneur les femmes dans un secteur peu équitable en termes de parité : le numérique. Après réflexion, il paraissait plus que pertinent de mettre en lumière son cheminement afin de signifier que les femmes ont leur place dans des secteurs d’activité assignés, dans l’imaginaire collectif mais aussi dans la réalité, au masculin. Voici donc le portrait de Mouna, pionnière dans l’émancipation des jeunes filles et le numérique en Ile-de-France ! 

 

Un cadre familial et un entourage bienveillant à l’encontre des clichés

 

Mouna habite à Mantes-la-Jolie. Issue d’une famille marocaine, son père, professeur de mathématiques, et sa mère, d’abord mère au foyer puis professeure de langue, sont tous deux très impliqués dans le monde associatif.

 

Dès le collège, ses appétences pour la science et l’informatique permettent à Mouna de donner un coup de pouce à ses parents dans leur travail administratif, que ce soit dans leur métier ou leur engagement associatif. Mouna contribue à la partie support technique et bureautique et rédige des supports de formation. On peut donc dire qu’elle baigne dès sa plus tendre enfance dans l’engagement associatif. Elle vient d’une famille aimante et équilibrée et me précise que son modèle est « très éloigné du modèle familial stéréotypé qu’on peut accoler aux familles maghrébines françaises. »

 

Ses parents lui répétaient qu’il était important d’être sérieu-x-se et d’exceller à l’école mais que ce n’était pas l’essentiel : « il faut aussi laisser son empreinte dans la société française, apporter sa pierre à l’édifice et faire attention à ne pas s’enfermer dans un communautarisme ». Ils ont mis un point d’honneur à lui transmettre des valeurs universelles, et l’idée qu’il ne faut pas se perdre dans une vision trop binaire de la France. Mouna garde la conviction qu’il faut avant tout faire, créer et imaginer avec les personnes qui nous entourent. En d’autres termes, avoir conscience du vivre ensemble. C’est une des valeurs principales qui lui ont été inculquées. Elle me dit que son but est de savoir utiliser le système et vivre avec, en vue de servir une noble cause et la communauté globale, tout en étant le frère ou la sœur de quelqu’un.

 

Après le bac, elle se dirige vers une classe préparatoire en maths-physique, puis, à l’issue d’un concours ardu, intègre les Mines de Nantes, une prestigieuse école d’ingénieur-e-s. Elle y apprend et développe des compétences techniques, des « soft-skills » – c’est-à-dire des compétences humaines – ainsi qu’une importante capacité d’adaptation. Elle n’est pas en reste en ce qui concerne les langues puisqu’elle est inscrite dès l’âge de 2 ans dans une école d’arabe, une double culture qu’elle porte fièrement en elle.

Au sein de l’association Sigma F – dont elle est en partie à l’initiative – elle œuvre en faveur de jeunes lycéens et lycéennes, en les guidant vers la voie du bac. Elle finalise ses études dans son domaine de prédilection en effectuant un stage dans la data science chez Renault. Elle me dit qu’elle se sent reconnaissante car elle admet avoir eu le choix du chemin de l’excellence. 

 

Tout au long de son parcours, un mot l’a guidée : la bienveillance. D’abord grâce à un environnement familial sain et prospère dont un petit réseau qui lui a permis de saisir certaines opportunités, mais également grâce à un environnement professionnel qui lui a été favorable, du moins au début de sa carrière chez Renault. Elle a compris et identifié que ces éléments ont été nécessaires pour son ascension et aujourd’hui, elle veut transmettre à son tour afin de créer un cercle vertueux. Malgré ce constat, Mouna en attend plus en termes d’impact.

 

Les embûches : « On ne connaît la douleur d’un coup de couteau que lorsque l’on en reçoit un » proverbe arabe

 

Malgré ce joli parcours qui paraît sans faille, les premières barrières de la discrimination se dressent sur son chemin. Mouna est une femme musulmane qui porte le voile. Et le monde de l’entreprise, notamment le secteur du numérique, laisse bien souvent ses portes fermées aux femmes, notamment aux femmes voilées.

 

C’est sans tenir compte de la résilience de la jeune ingénieure mantaise. Ses moments difficiles lui ont permis de gagner en humilité et d’anticiper les difficultés qu’elle pourrait potentiellement rencontrer dans le futur. Pour me faire comprendre la manière dont elle a subi des discriminations à l’embauche, Mouna me raconte quelques anecdotes à faire grincer des dents. Après des entretiens téléphoniques, qui s’avéraient des succès, on lui demandait de venir physiquement dans les locaux de l’entreprise comme une simple modalité puis, Mouna constatait une gêne palpable à son arrivée… Les recruteurs n’explicitaient pas la plupart du temps la raison pour laquelle finalement, elle ne pourra pas être prise sur le poste. Ou l’éludaient. Un simple « mais vous savez pourquoi hein ? » la ramenait à la réalité. Ils trouvaient parfois des subterfuges dans le but de se dédouaner : « Ce n’est pas de ma faute, je suis désolée, de notre côté cela ne pose pas de problème mais le client refuse le port du voile… »

 

L’éducation de Mouna lui a permis d’avoir confiance en son intégrité. Sans sa famille, elle m’affirme tout de même qu’elle aurait sans doute baissé les bras tant la pression sociale est forte.

Elle se questionne et se demande pourquoi dans les parcours scolaires de manière générale, on ne nous apprend pas à développer cette force d’affirmation et cette fierté liée à nos identités culturelles et nos métissages. Mais Mouna n’a pas laissé tomber et a continué à chercher un emploi dans le secteur de l’éducation et de la santé. 

 

Une semaine avant de souffler les bougies de sa 23ème année, elle postule à une offre dans le secteur de l’environnement en tant qu’ingénieure data analyst.  En guise de cadeau d’anniversaire, elle est embauchée et vivra dans cette entreprise une expérience très enrichissante. Basée en France, Pur Projet lui a offert un accueil plus que chaleureux, lui a permis d’endosser de grandes responsabilités et d’acquérir un volet de formation sur les aspects numériques du métier. 

Entre-temps, elle poursuit son bénévolat au sein de son association Sigma F, comme évoqué précédemment. C’est aussi un moyen de comprendre les aspirations de jeunes qui ont pu avoir moins de chance. Chez Sigma F, des bénévoles préparent les lycéens à l’épreuve bac durant 3 mois avant leur passage, et leur proposent un programme intensif de révisions et de développement personnel orienté scolaire, programme “sur mesure” qui tente avant tout de bien comprendre les besoins de la population. Sigma F comptait 10 bénévoles et 20 bénéficiaires lors de sa création, aujourd’hui il en compte 300 (bénévoles) et près de 600 bénéficiaires. Cette association connaît donc un fort engouement en plus de créer un réseau de solidarité exemplaire. 

 

Au sein de Sigma F Mouna suit un groupe de jeunes femmes en filière scientifique. Elle se rend compte que le fait d’être seulement entre femmes leur donne plus de confiance, que la parole est plus libérée, un peu comme dans une petite bulle. Mouna souhaite conserver cette ambiance de sororité à l’avenir. Il est temps pour elle de déconstruire les clichés et fondements bancals sexistes que l’on attache à ces domaines. Notons qu’elle a également expérimenté des groupes de paroles et de travail mixtes évoquant des thématiques diverses dans des secteurs autres que les nouvelles technologies.

 

Une passion pour la transmission : naissance de Witech

 

Toutes ses expériences et les personnes rencontrées sur son chemin ont nourri son désir d’impacter positivement la société française.

 

C’est en juillet 2019 que les premières pierres se posent. Elle prend du recul pour établir un plan d’action, et se dit qu’elle a résolument envie de voler de ses propres ailes, de se fixer ses propres horaires, que l’équilibre entre le travail et la vie associative n’est pas chose aisée, qu’elle a besoin de sortir de sa zone de confort, de rompre avec le conventionnel, mais aussi de créer sa propre identité.

En parallèle de cette réflexion, elle suit des formations dans la data science, ce qui l’amène à travailler en tant que freelance, c’est-à-dire en indépendante. Elle peut désormais se dédier à son association à plein temps. Le territoire est également une de ses préoccupations premières, plus particulièrement celui où elle a grandi. Le manque de formation technologique y est criant. La population de Mantes-la-Jolie est comme sa famille, les jeunes qu’elle suit et qu’elle motive ne sont pas des bénéficiaires lambda et elle veut se donner à 100% pour eux.  

 

A l’été 2020, les choses s’accélèrent. Elle forme des élèves de master en langage de Programmation et se lance dans des recherches, fait des ponts avec son parcours, et son plan d’action prend forme. L’idée de créer son propre cadre émerge dans son esprit. Le temps est venu de fonder son association. Ça y est, son projet d’initiation à la programmation informatique pour les femmes et jeunes filles est formalisé : voici Witech

Elle veut aujourd’hui offrir aux jeunes gens, aux jeunes filles surtout, la capacité à s’auto-former de la même manière qu’elle a pu le faire, chose possible via les outils informatiques et internet, terreau fertile inépuisable quand il est manié avec précaution et habilité. 

 

Son but principal ? Transmettre. Pas seulement pour capitaliser de la connaissance mais avant tout pour transmettre à l’Autre. La transmission du savoir, me rappelle-t-elle au téléphone, est aussi un levier d’action sociétal puissant qui agit à la racine des problèmes. L’esprit d’inclusion dans sa start up sociale demeure l’une de ses priorités. Il faudrait, idéalement, se débarrasser des parasites du monde de l’entre-soi ! Mouna me rappelle gaiement qu’“aujourd’hui il y a de la place pour tout le monde ! » L’idée est aussi d’être dans une démarche de réception et non uniquement dans un rapport unilatéral vis-à-vis des apprenants. 

 

Les doutes l’assaillent tout de même et elle m’avoue que le sentiment d’imposture est parfois présent chez elle. C’est pour moi un grand signe d’humilité ! Car Mouna a fait des rencontres avec des acteurs associatifs clefs qui l’ont conseillée et soutenue, mais elle a surtout saisi les opportunités qui s’offraient à elle. 

 

Witech et le futur

 

Mouna a également imaginé cette startup d’après un constat national : la tendance est à la hausse quant à l’embauche des postes dans le numérique – 200 000 emplois en France*mais il réside des inégalités quant à sa présence féminine, tout simplement car, en plus de la barrière psychologique, elles ne tendent pas à s’orienter vers les domaines du numérique. Parmi celles qui font des études supérieures dans le domaine numérique, 25% d’entre elles sont diplômées mais seulement 13% parmi elles travailleront plus tard dans l’emploi numérique**. Seulement 33% des salariés de tous les métiers du numérique sont des femmes*** Le point de vue « androcentrique » dans la sphère numérique est à changer, car n’y intègre pas ou peu l’apport féminin pourtant nécessaire. Le numérique prend pourtant une place centrale dans nos sociétés, notamment depuis la crise sanitaire qui nous oblige à repenser nos modes de communication et de transmission via le digital, presque unique canal de communication viable en ces temps. Un autre aspect à soulever, celui de la présence de « role models » féminin, qui varient en fonction des territoires. Leur besoin est encore plus important dans les quartiers populaires. La fracture numérique dans les banlieues françaises creuse de façon démesurée ces inégalités, ce qui engendre un non-accès à l’information, et de ce fait un non-accès aux opportunités.

 

Plus concrètement, Witech ce sont des actions pour adresser les problématiques sociales dans la bienveillance mais avec une valeur ajoutée : faire en sorte que les femmes se sentent légitimes pour relever le défi du numérique en plus d’apporter de la fraîcheur et de l’innovation. Witech c’est aussi accueillir toutes les femmes. « Chacune de nous à un potentiel inné et des compétences transposables » explicite Mouna, qui veut construire un monde où prévaut l’équité. Le besoin ne peut être compris s’il n’est pensé que par les hommes, rappelle-t-elle.

Trois volets organisent cette start up sociale. Le volet « INITIER » qui initie à la programmation informatique dès la 3ème pour démystifier l’environnement informatique pour tous et ne pas se créer des barrières; le volet « FORMER » qui propose une formation pour acquérir des compétences numériques et bureautiques; et enfin le volet « VALORISER » qui, par l’événementiel, peut répondre aux problématiques sociales afin de créer une dynamique pour que les jeunes filles et même les jeunes  garçons sentent qu’ils peuvent être act-eur-rice-s des changements. 

 

D’ici cinq ans, Mouna souhaiterait fonder une école de formation dans la tech pour les filles avec la possibilité d’accueillir des garçons dans un second temps. Dans un futur plutôt éloigné, elle aimerait aller encore plus loin en outillant les populations en Afrique pour pallier la fracture du numérique, notamment au Maroc où le besoin d’informatique est criant. 

 

Cette start up sociale et le parcours de Mouna, sa créatrice, procurent un sentiment d’espoir et de sororité. Oui, les femmes, de toutes confessions confondues qui plus est, ont en elles toutes les capacités pour travailler dans les secteurs du numérique, de l’informatique et des nouvelles technologies. Prenant à contrepied l’attitude de certains requins de l’entrepreneuriat technologique, Mouna nous démontre que l’éthique et l’empathie ne sont pas des instruments à cantonner uniquement à la sphère caritative, mais qu’il s’agit bien de véritables outils pour orienter notre innovation. 

 

Mouna n’a pas qu’une corde à son arc. Le 1er mars 2020, son premier livre, La Source est publié, ouvrage qui est né à la suite à toutes ses réflexions et inspirations, pour inciter à être à même de pouvoir assumer ses valeurs et montrer un message positif de l’héritage culturel et spirituel qu’il existe en chacun de nous, sans craindre de l’assumer. Son livre insiste sur la bienveillance, notion qui est très ancrée dans l’Islam, me dit-elle. Ce livre émane d’une volonté de partager les aspects universels de son héritage spirituel. 

 

Merci et bravo à toi Mouna pour ces initiatives ! 

 

 

*(source : chiffre conclu selon les données de France Stratégie / la Dares, confirmée par Pole emploi > https://www.pole-emploi.org/accueil/actualites/2021/metiers-du-numerique–developper-aujourdhui-les-competences-de-demain.html?type=article

**(source : https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/84bd6dea-2351-11e8-ac73-01aa75ed71a1/language-fr)

***(source : https://syntec-numerique.fr/sites/default/files/Documents/cp_attractivite_des_femmes_-_opiiec_pour_diffusion.pdf)

 

Crédit photo image à la une: Mouna Jabri

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Portraits

Entretien avec Les Hijabeuses

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Plusieurs footballeuses professionnelles ou amatrices se sont regroupées au sein de la campagne « Les Hijabeuses » afin d’avoir le droit de pratiquer leur sport avec leur foulard. En effet, la FFF interdit toujours aux joueuses de le porter pendant les matchs. Bouchra, membre du collectif, répond à nos questions. Elle nous explique à quel point les lois liberticides et islamophobes de notre pays, mettent en danger les femmes autant psychologiquement que physiquement.


 
Au départ


Au départ, il y a la FIFA, qui autorise enfin en 2014 les femmes à porter leur voile pendant les matchs de football. Malheureusement en France, la FFF continue obstinément à leur refuser ce droit fondamental. « La FFF est la seule fédération à maintenir la politique d’exclusion des femmes qui portent le foulard sous le principe de laïcité […] alors que les autres pays l’autorisent. Il n’y a aucun argument, même d’hygiène et de sécurité. Les nouveaux hijabs de Nike par exemple sont parfaitement homologués ».


Face à ce refus constant, un groupe de footballeuses décide de s’organiser et de lancer la campagne Les Hijabeuses, accueilli au sein de l’association Alliance Citoyenne. Cette association comporte 4 syndicats principaux et c’est dans le syndicat des femmes musulmanes que Les Hijabeuses ont pu s’inscrire.

 

Bouchra nous explique : « Ce qui nous a motivées, c’est qu’en 2021 nos droits les plus fondamentaux sont bafoués. Le sport est synonyme de bien-être et d’épanouissement. Cela fait des années qu’il y a du sexisme, du racisme et de l’islamophobie qui persistent dans le domaine du sport. Et nous, en tant que femmes, femmes racisées et qui portent le voile, c’est comme une triple sanction. Tous les week-ends, il y a des femmes qui se font exclure des terrains de football car elles portent le foulard sur la tête. Moi personnellement, quand j’ai commencé à jouer en club il y a deux ans, à l’entraînement, pas de soucis, mais dès que je fais des matchs en compétition, je suis interpellée par l’arbitre pour retirer ce que j’ai sur la tête. Et je ne suis pas la seule. Depuis la lancée de notre campagne, on s’est rendu compte qu’on était beaucoup à se faire discriminer. C’est pour ça qu’on a décidé de lancer le collectif ».

 

 

Crédit photo: Marthe Minaret


L’islamophobie de l’état


Alors qu’en France, le 12 avril 2021, le projet de loi « confortant le respect des principes de la République et de lutte contre le séparatisme » a été adopté en première lecture par le Sénat, un nouvel amendement vise à interdire le port du voile dans les compétitions sportives.

  
« Aujourd’hui, clairement, on a un contexte politique islamophobe. Les citoyennes françaises qui portent le voile sont la cible du gouvernement. J’ai l’impression qu’on veut penser, choisir et prendre des décisions à notre place. On nous interdit l’accès scolaire, l’accès au sport, l’accès aux baignades publiques… Et ensuite ce sera quoi ? C’est un enchaînement de lois liberticides. Nous, à travers cette campagne, on se lève et on dit stop ».


Se faire entendre devient vital lorsque l’on subit quotidiennement des discriminations liées à son identité. « Moi je suis de nature très timide, réservée et tout ce que j’ai vécu, ça m’a forcé à prendre la parole, à mobiliser, à en parler autour de moi, à essayer de connaître mes droits. Et il y a plein de femmes comme moi qui sont timides et réservées, qui n’auraient jamais pris la parole devant un.e journaliste et aujourd’hui on le fait par nécessité. Si on ne le fait pas nous-même, personne ne va le faire à notre place ». Une nécessité pour nombre de femmes qui subissent ces discriminations. « J’ai vécu des discriminations par rapport à ma tenue vestimentaire, par rapport à mon voile, toute ma vie. Que ce soit à l’école, dans le domaine professionnel, en stage, et même maintenant aujourd’hui dans le sport. J’ai toujours vécu ça ».


Pour Bouchra, l’interdiction même de porter le foulard dans un sport freine les plus jeunes à se lancer dedans. « L’exclusion ça a des conséquences graves sur le plan psychologique et physique. Comme je t’ai dit, je l’ai vécu toute ma vie et ça crée en toi plein de mauvaises choses. Tu manques de confiance en toi, tu stresses constamment, tu as peur du rejet, ça te casse. Avec le temps, tu ne t’en rends plus compte et tu te refuses plein de choses. Juste par peur de te faire exclure et de te faire humilier. On va nous conditionner à nous restreindre psychologiquement et physiquement. Tu n’as même plus envie d’essayer quoi que ce soit et tu te dis « ça sert à rien je porte le voile, il va encore me dire non ».

 

 

 Crédit photo : Charlotte Abramow 

 


Un avenir sorore


Lancée en mai 2020, l’association compte déjà 170 contacts engagés et 66 membres adhérents. « La demande grandit de plus en plus. Ça grandit proportionnellement avec l’islamophobie. Les femmes veulent prendre la parole pour défendre leur droit ». Malheureusement, la crise sanitaire freine quelque peu les actions que voudrait mener le collectif, par exemple en organisant plus de rencontres physiques ou plus de matchs solidaires. N’étant pas une équipe de football officielle, mais bien une campagne, elles souhaitent avant tout se faire connaître du grand public afin de faire évoluer les mentalités. « On n’est pas un club officiel avec des tournois, des compétitions. C’est surtout destiné à la communication, pour partager nos expériences avec les gens, essayer d’accueillir des nouveaux allié.es et avoir des personnes qui peuvent nous aider dans notre campagne ».


Et cela fonctionne. Bouchra voit une vraie évolution dans le regard des gens et aussi de ses collègues masculins. La sensibilisation de leur vécu permet de faire bouger les mentalités. « Je trouve qu’il y a une bonne évolution. Les gens maintenant en parlent de plus en plus, se mobilisent de plus en plus et dans mon entourage personnel, il y en avait plein qui n’étaient pas au courant de toutes ces discriminations que je vivais et que je vis encore. Et par la suite, il y a eu beaucoup d’intérêt et de soutien. Ça fait plaisir, on sent que ça touche, ça éveille les consciences, ça fait évoluer les choses. […] Les hommes dans mon environnement n’étaient pas au courant de toutes ces discriminations que les femmes qui portent le foulard vivent au quotidien. Après qu’ils aient été informés, cela a créé beaucoup d’intérêt. Mes frères se sont montrés très soutenants. Les nouvelles générations sont beaucoup plus ouvertes. C’est mon avis personnel ».

 

Crédit photo : Charlotte Abramow 

 


Le collectif lui donne aussi beaucoup de force pour affronter le quotidien et faire face aux remarques constantes. « Quand tu partages les mêmes choses avec des personnes qui ont vécu les mêmes choses que toi, qui te comprennent, c’est puissant, c’est fort. On est toutes bienveillantes entre nous parce qu’on se comprend, il n’y a pas d’ambiguïtés, que du partage, du plaisir, des conseils et du soutien. On a vécu des choses et cette cohésion d’équipe ça nous aide, c’est fort. J’ai rencontré des personnes formidables et quand je pense à elles, elles m’ont beaucoup inspirée et on a pris le temps depuis le début de la campagne de créer un cocon bienveillant pour grandir et se soutenir. Parce que c’est vrai que quand on a débarqué sur les réseaux, c’était dur, c’était violent. Quand tu commences à prendre la parole sur quelque chose, tu auras beaucoup de soutien, mais il y aura aussi beaucoup de gens qui vont venir te casser gratuitement. Le fait d’être avec des personnes qui sont bienveillantes, à l’écoute et qui comprennent, ça change tout. Ça me fait penser à une célèbre citation anglaise « When women support each other, incredible things happen ». Nous clairement c’était ça, musulmanes ou non, on avance ensemble pour une société qui accepte toutes les femmes comme elles sont ».

 


L’association intègre des personnes très différentes. Certain.es sont concerné.es, d’autres non, mais chacun.e œuvre pour aller dans la même direction. « Il y en a qui pratiquent le foot depuis l’enfance, d’autres qui viennent de découvrir ce sport. Dans tous les cas, c’est des personnes passionnées, des compétitrices. Des compétitrices qu’on empêche d’évoluer dans leur domaine et il y en a aussi qui ne pratiquent pas le foot. Il y a des runneuses, des joueuses de basket, des joueuses de hand. C’est un peu pluriel et en fait elles rejoignent notre campagne parce que ça leur parle. Elles portent le voile ou pas, mais elles se sentent concernées par cette injustice. Il y  en  a même qui nous demandent de faire une campagne pour chaque sport. Il y en a qui font zéro sport même, qui sont juste alliées ! C’est important qu’il y ait des personnes qui nous soutiennent, même si elles ne font pas de sport, même si elles ne sont pas musulmanes, même si elles ne portent pas le voile, même si elles n’ont jamais subi d’injustices ou de discriminations. Je trouve ça beau, car on se lève ensemble contre ces injustices. Et c’est que comme ça qu’on va pouvoir avancer ensemble et créer quelque chose de positif. Juste en tant qu’être humain, on a une responsabilité. Quand une personne subie une injustice ou discrimination, on va se lever contre ça et on a une responsabilité par rapport à ça ».

 


 
Voilà qui est dit. Allié.es, il est temps de s’unir et de se battre aux côtés des personnes concernées, car nous ne pouvons plus continuer à ignorer les injustices que subissent les femmes musulmanes qui portent le voile en France. Les Hijabeuses ont d’ailleurs besoin d’aide, tant pour rejoindre le rang des membres que pour  partager leurs actions. N’hésitez plus !

 

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Portraits

Nadia Ibrahim-Zinaï, une musulmane en mouvement

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Depuis 10 ans, Nadia Ibrahim-Zinaï va à la rencontre de femmes musulmanes engagées à travers le monde pour leur donner la parole et les questionner sur leurs actions. De ces dix années de quête, un film documentaire intitulé Ijtihad, Musulmanes en mouvement est en train d’émerger.
Le film est actuellement en campagne de financement participatif.

 

 

Par le Nom d’Allah, le Tout-Rayonnant d’Amour, le Très-Rayonnant d’Amour

 

 

La première fois que j’ai rencontré Nadia, j’ai entendu une voix. Une voix douce, écorchée, presque imperceptible, qui implique un silence quasi-religieux. Et pour cause, la première fois que j’ai entendu cette voix, elle récitait l’Adhan un vendredi midi, qui serait le premier d’une longue série. J’ai été subjuguée par la douceur qui émanait de sa voix. Emue par l’intensité d’une situation déjà si commune en 2021, celle d’organiser des jummoua à distance entre femmes lors du premier confinement. J’ai pris conscience quelques temps après que c’était la première fois que j’entendais l’appel à la prière récité par une femme. Elle est, entre autres, l’un des fondatrices de la Mosquée Oum Waraqa : un lieu unique où toutes nos différences sont réunies au service de l’amour d’Allah.

 

Nadia, la quarantaine, a grandi dans une famille marocaine recomposée, en banlieue parisienne. Infirmière de profession, elle évolue dans un environnement culturellement riche et traditionnel mais sans réelle éducation religieuse. Très jeune, elle questionnera le monde qui l’entoure, laissant entrevoir une sensibilité brute qu’elle apprendra à maîtriser en grandissant. Ces questions, celle d’une jeune fille trop tôt marquée par la violence, elle tente d’y répondre à travers les apprentissages de l’Islam. Profondément croyante, elle est perpétuellement en quête, si ce n’est en lutte, pour composer avec ses différentes identités. Identités incompatibles pour une société gangrénée par le patriarcat et le racisme. Il lui faut des années pour comprendre que le regard étroit que cette société porte sur elle est façonné par des siècles de sexisme et de colonialisme.

 

Re-coloniser son regard sur soi, et par là son rapport au monde, implique une multitude de prises de consciences, de désillusions et de remises en question avant d’entrevoir ce petit espace lumineux où le repos est accordé, le temps d’une saison, le temps d’une prière. Pour Nadia, cette espace n’aura de sens qu’avec la présence de Dieu et Son Amour inconditionnel. Adolescente, elle passe tous ses vendredis à la bibliothèque de la Mosquée de Paris après avoir prié. 

Un mouvement spirituel s’installe en elle, prenant la forme de cours de religion islamique, de l’apprentissage de l’arabe coranique, de discussions vives avec d’autres femmes qui fréquentent les mêmes lieux. Une phrase, lors d’une discussion entre femmes musulmanes, vient lui glacer le sang.  Une sœur se questionnant sur le sens de son rapport à la religion mettait en doute l’amour d’Allah envers les femmes. Cette remarque la marquera longuement, jamais elle n’avait perçu Dieu ainsi. Plus elle apprend, plus la quête de sens s’impose. 

Ce mouvement spirituel, d’abord théorique, s’ancre dans une succession de rencontres, d’expériences personnelles, de voyages ; notamment une année en Egypte, où les apprentissages des textes vont se confronter aux événements de la vie. 

Il s’inscrit dans un effort de réflexion critique et créatif sur les textes islamiques, c’est ce qu’on nomme l’Ijtihad. Il s’agit démarche personnelle et intellectuelle que chaque croyant.e est invité.e à mettre en oeuvre  afin de mettre de la matière, du sens dans les pratiques inhérentes à la religion musulmane. Pour me parler de l’Ijtihad, Nadia me cite Ibn Abbas, l’un des premiers interprètes du Coran :  “A chaque époque nous avons une nouvelle interprétation, une nouvelle explication, une nouvelle façon de voir. Ce n’est pas le texte qui change, c’est notre façon de voir, de l’approcher, de le mettre en pratique et de vivre avec. Un texte sans Ijtihad est un texte mort. L’Islam est une religion dynamique, un courant spirituel qui est vivant et qui restera vivant grâce à l’Ijtihad.”

 

 

Puis ce mouvement spirituel va s’articuler à un mouvement physique. En 2010, forte d’une multitude de questions, de blessures intimes, Nadia parcourt plusieurs pays à la recherche de réponses, sa foi pour seule résilience – loin des sentiers sombres de l’instrumentalisation patriarcale du religieux, à la lumière de dizaines de rencontres, celles de femmes puissantes et inspirantes qui se battent quotidiennement pour l’égalité et la justice de genre au nom de l’Islam. 

Depuis la France, en passant par le Maroc et la Malaisie, puis l’Egypte, elle donne la parole à des femmes engagées qui réinterprètent les textes religieux d’un point de vue féminin et inclusif. Ces femmes prennent les visages de Asma Lamrabet, Omaima Abou-Bakr, de Fatma Emam, Ratna Osman ou encore Hanane Karimi. 

Autant de femmes brillantes qui nous permettent à nous, leurs cadettes, de vivre plus en paix avec nos spiritualités grâce à des travaux menés depuis des décennies. 

Dans la lignée de ces femmes, une rencontre en particulier marque Nadia, celle avec Amina Wadud qui l’amène à se demander : « Qu’est ce que le réel tawhid ? 

De ces allers-retours, Nadia Ibrahim-ZinaÏ façonnera son regard par le prisme du féminisme musulman, ou plutôt des féminismes musulmans, qui l’amèneront à la conclusion suivante : « J’ai la certitude que le divin est venu libérer chaque être humain des résistances intérieures et de toutes formes d’oppressions et de dominations ».

Ensemble, toutes les femmes interrogées par Nadia partagent leurs doutes, leurs expériences, leurs expertises, mais aussi leur succès avec l’émergence d’un Islam où l’égalité de genre est au centre des interactions et où les femmes musulmanes seraient des actrices centrales des espaces décisionnaires. Être féministe musulmane en France : quelles réalités ? Il s’agit de questionner la place des femmes dans l’Islam, en passant par l’imamat féminin ou encore les questions liées aux sexualités des musulmanes. Très vite, l’idée d’en faire un film devient une évidence. Elle troque sa blouse d’infirmière pour une caméra le temps d’un voyage. Puis deux, puis trois, puis quatre voyages…

Elle décide de s’appuyer sur l’outil cinématographique comme support de transmission mémorielle de paroles trop souvent invisibilisées dans les médias mainstream comme dans nos communautés. 

 

 

Nadia a terminée notre échange avec une citation de Mohammad Shahrour qui m’a particulièrement touchée: « Lis le Coran comme s’il avait été révélé la nuit dernière ».

 

 

Ijtihad, Musulmanes en mouvement s’inscrit dans une démarche révolutionnaire, en ce qu’il vient questionner notre rapport aux savoirs religieux, à une époque où l’Ijtihad reste une affaire d’hommes, malgré les nombreuses savantes musulmanes, partout dans le monde, qui se penchent sur l’interprétation des textes islamiques

 

 

Ijtihad, Musulmanes en mouvement s’inscrit dans une démarche révolutionnaire, car il redonne aux femmes la place que l’Islam leur a toujours accordé 

 

 

Ijtihad, Musulmanes en mouvement s’inscrit dans une démarche révolutionnaire car fondamentalement politique. En se réappropriant le Coran, elles ouvrent un champ des possibles infini pour toutes les femmes. 

 

 

Pour soutenir Ijtihad, Musulmanes en mouvement, n’hésitez pas à participer à la cagnotte, partager et à en parler autour de vous.

 

 

 

Crédit photo : Nadia Ibrahim Zinaï

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Portraits Sentiment amoureux en Islam

Khadija et Oum Kalsoum :  Musulmanes et femmes amoureuses

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Il vaut mieux pour ce cœur de battre

Et dans les flammes de l’amour de brûler

Quelle perte le jour que je passe

Sans que je n’aime et sans que je ne m’éprend 

Oum Kalsoum, Robbayat, 1964

 

En France, on aime à nous dire que l’Amour arabe est pudique, peu démonstratif, silencieux. Et bien permettez-moi, à mon échelle, les lallas de dénoncer, cette pernicieuse affabulation bien occidentale. Oui. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours entendu mon père, chanter des refrains d’amour. À la maison, dans la voiture, lors de veillées nocturnes, mes parents reprenaient en chœur avec leurs amis les mélopées langoureuses d’Oum Kalsoum, d’Abdel Halim Hafez ou de Fayrouz. Au Maroc, les ruelles des vieilles médinas de Meknès ou de Tanger, résonnaient de voix sensuelles des divas arabes émanant des transistors. Je revois encore ces chibanis sur les terrasses, entre deux kass atay, et leur jeu de dames, fredonner l’amour perdu, le vague à l’âme. Les clips très suggestifs des chaînes satellites du Golfe, ou les séries égyptiennes regorgeaient de « habibi » à tout va. « Habibi » par-ci, « habibi » par là. Oui cette pudibonderie excessive et mortifère est avant tout politique ; elle est entretenue par des pouvoirs autoritaires musulmans ; elle leur permet de mieux contrôler les corps en dictature. Cependant, on n’efface pas aussi facilement des siècles de libertinage et de célébration amoureuse. Je l’ai déjà dit, c’est indélébile. C’est dans nos corps et à jamais.

La diaspora arabe du Maghreb en Europe baigne depuis les années 80 dans l’atmosphère érotique des rythmes algériens de Cheb Khaled, de Cheb Hasni ou Cheba Zahouania. Subversif, le Raï chante l’amour, le sexe, l’alcool, l’excès. Les musulmans aiment dire l’Amour. Célébrer l’amour, vivre l’amour, ressentir l’amour. Souffrir d’Amour. Mourir d’amour.

Mais l’amour, aimer, être amoureux, c’est quoi au juste ? « L’amour, puisse Allah te rendre puissant, commence par le badinage et finit par les choses sérieuses » nous dit Ibn Hazm dans le Collier de la Colombe. « Ses divers aspects sont d’une subtilité telle qu’ils échappent à toute description, on n’en saisit la réalité, qu’en les subissant soi-même ». Que j’aime la sagesse d’Ibn Hazm. 

L’histoire arabe des émotions est intense et sacralise l’Amour. Polymorphe, riche, infini, l’état d’Amour est sublimé par une langue qui le porte aux nues. L’arabe dispose de plus d’une soixantaine de déclinaisons pour désigner le sentiment amoureux, affirme Ibn Qayyim, au XVe Siècle, dans le Jardin des amoureux. L’Amour est divin (mahaba) l’Amour est courtois (al-oudhri) L’Amour est sentiment (al-Houb) L’Amour est désir (al-ish’q) L’Amour est passion (al-hawa). L’Amour est brasier (al-houq) L’Amour est tendresse (al-hanane). 

Omnipotent, omniscient, insaisissable, à l’image d’Allah, il offre dans sa magie, une source d’inspirations incroyable aux poètes. Il se compose d’une multitude de partitions selon les temps et les territoires de Daar-el Islam. La manifestation de l’amour arabo-musulman a produit des symphonies aux notes tantôt pures et austères, tantôt brutes et sexuelles. Quelle merveille. Si je m’écoutais, je pourrais vous produire des écrits interminables sur le sentiment amoureux dans l’Islam, sur sa complexité, sur sa multiplicité. Mais j’ai eu envie de vous parler d’amour au féminin. En tant que femme, j’ai eu envie de vous dire qu’aimer au féminin est tellement singulier. Aimer au féminin est aussi politique. Et en tant que femme, musulmane et grande amoureuse, j’avais envie de vous dire comment on aime, combien on aime, pourquoi on aime.

 

Khadija, ou quand l’Islam nait dans les bras d’une femme amoureuse

 

J’aime me promener et me perdre dans les dédales de la poésie arabe ancienne, quelle délectation de croiser la prose suave d’Ibn el Arabi, Ibn Hazm, Tifachi, Nafzaoui. Dans ce labyrinthe exquis, je réalise toutefois que les hommes y dominent sans partage. Où sont les femmes ? Où sont-elles, celles chantant l’amour, leur désir, leur envie de l’autre, du corps, de sexe ? A vrai dire, elles sont bien silencieuses et peu visibles. Je continue à chercher. A-t-on volontairement effacé leurs noms de l’Histoire ? Je partais, au départ, avec l’idée d’évoquer l’amour du point de vue de poétesses musulmanes, (parce que c’est la période de la Saint Valentin), j’avais envie et hâte de vous faire découvrir les quelques précieux trésors de littérature amoureuse de la gente féminine. Mais tout compte fait, je vais réorienter mon article. En raison du temps imparti trop court, j’ai besoin de parfaire mes recherches. Mais j’y reviendrai. Promis. Là, je vais donner une touche plus personnelle, plus intime à mon écrit. Je vais vous conter la vie de deux compagnes sacrées, à qui je dois, en partie, ma délivrance. Je ne les remercierai jamais assez de m’avoir frayée un chemin si jouissif sur l’art d’aimer, et de désirer, au féminin.

 

Dans mon panthéon de femmes qui a façonné mon féminisme, Khadija, illustre mère des croyant.e.s, est sans conteste, ma number one. Première femme à avoir embrassé l’islam, elle a marqué l’Histoire de l’amour. Je vous avoue que je lui voue une admiration sans bornes. Et un profond respect. Nul besoin d’être musulmane pour être fascinée par son destin. C’est une héroïne flamboyante qui susciterait l’admiration de millions de fans aujourd’hui. Romanesque, sa vie fut ponctuée de passions, de drames, de victoires, une vie digne d’un feuilleton à succès. Avec plusieurs saisons et des épisodes palpitants qu’on attendrait avec impatience. Et ce n’est pas une fable. C’est inspiré d’une histoire vraie. Je vous plante le décor. La Mecque. Fin du VI e siècle. Dans une Arabie aride mais prospère, la ville sainte est une escale dans le réseau légendaire des routes de la soie. Khadija Bent Khuywalid, descendante des Quraich et issue de la tribu des Banu Asad, est à la tête d’une entreprise de caravanes. Elle est veuve mais elle a déjà aimé deux fois. Elle s’est mariée d’abord avec Abou Hala, avec qui elle a eu deux enfants Hind et Hala. Elle divorce et convole en noce avec Atiq bin Abed. Il meurt et la laisse avec un enfant Hind. La période est difficile mais elle ne se laisse pas abattre. Cheveux de jais, le port altier, cette aristocrate inspirait la fascination et le respect dans toute la cité. Elle est riche, et elle est réputée pour être une femme d’affaire redoutable. Elle a sous ses ordres des hommes qui assuraient pour elle les transactions et les échanges des marchandises. Un jour, on lui recommande un jeune homme, Muhammad, pour devenir un de ses caravaniers. En dépit d’une lignée prestigieuse, ce bel homme courageux et intègre est pauvre et a besoin de travailler. Ils se rencontrent, et se produit ce qui était écrit, ils tombent amoureux. Ils étaient tous deux faits pour l’amour et pour s’aimer. Mektoub. Imaginez et prenez le temps d’analyser ce réjouissant tableau à l’aune de notre modernité : elle a 40 ans et il en a 25 ; elle est riche, il est pauvre ; elle a connu des hommes, il est encore vierge ; elle a des enfants, il n’en a pas ; elle est sa patronne, il est son employé. C’est une femme, c’est un homme. Exaltant ! C’était d’une avant-garde absolue. Et ça ne s’arrête pas là, Khadija prend les devants et demande la main de son bien-aimé. Fabuleux. Plus encore, elle défie son propre père qui s’oppose au mariage, et selon Tabari, elle le fera boire lors d’un festin, qui, ivre, lui donnera sa bénédiction. Jubilatoire ! Cette dernière précision reste une légende, mais j’adore. Sa témérité, son audace !

Voilà…Le futur Prophète n’a à aucun moment fait fi de ces détails qui froisseraient pourtant l’égo (très) fragile de milliards d’hommes aujourd’hui, en France comme partout dans le monde. Loin de s’interrompre, le destin de Khadija la fait entrer dans l’Histoire. Elle va participer à ce qui va bouleverser l’humanité, la naissance de l’Islam. Son jeune mari, Muhammad a désormais 40 ans, elle 55.  Vers l’an 609, l’ange Gabriel apparaît une première fois et lui révèle qu’il est l’envoyé d’Allah. Effrayé, il craint de sombrer dans la folie, et trouve le réconfort auprès de son épouse. Un Hadith relate « qu’il se blottit entre ses cuisses », elle lui demande alors s’il voit encore l’ange. « Oui », répond-il. Elle le serre contre son sein. « Le vois-tu encore ? » : « Non ». « Alors, c’est un ange ; un ange n’ose jamais s’immiscer entre un homme et sa femme dans une position si intime », assure-t-elle. Chaque apparition de l’archange sera l’occasion de déployer les ailes puissantes et rassurantes d’une femme amoureuse.  Ainsi pour reprendre Fatima Mernissi, « l’Islam débuta dans les bras d’une femme aimante ». Sublime. 

Alors c’est donc ça ? Je viens de saisir. Le mystère autour de cet Islam séculaire qui sublime tant l’amour, les sentiments, le désir, est enfin élucidé. Nul péché originel dans la religion musulmane, mais une vertu originelle. L’amour physique et spirituel entre Khadija et le Prophète sera l’essence de notre foi, et l’immanence du patrimoine littéraire, artistique et religieux de cette nouvelle civilisation. 

Khadija venait de démontrer qu’il était possible de déplacer la perspective de l’état d’amour, prendre le pouvoir et devenir sujet de son désir, en tant que femme. Mais que reste-t-il de cet héritage dans nos vies de musulmanes ? Aujourd’hui, je sais que ma manière d’aimer, ni universelle, ni figée, est le fruit d’une culture, d’une éducation, d’expériences particulières. Surtout dans un environnement dominé par les riches, les hommes, les hétérosexuel.e.s, les cisgenr.e.s, les blanc.he.s, les non musulman.e.s. Aimer n’est pas neutre. Mon histoire a façonné ma féminité, et mon état d’amour. Bien entendu, je réalise en écrivant ces mots que mon filtre d’analyse est hétéronormé et cisgenré. D’ailleurs j’ai longtemps cru qu’aimer, c’était avant tout être l’objet de l’Amour, de l’Autre. Mon état d’amour de femme ne pouvait être complet et total que s’il était initié et approuvé par l’homme. Et dans le cadre du couple, d’un duo exclusif. En France, on m’a appris à être la Juliette de Roméo, la Cendrillon du Prince charmant, la Jasmin d’Aladdin, la Pretty Woman de Richard Gere. Autrement dit, à être une possession. Bien qu’on assiste aujourd’hui, aux balbutiements d’une évolution des mentalités, l’adoubement masculin continue de sceller le pacte amoureux, l’homme convoite, l’homme demande en mariage, l’homme jouit, l’homme conclut l’acte sexuel. C’est d’une outrancière monotonie, d’une obscène tristesse, d’une insupportable injustice. Il suffit de s’attarder sur tout le raffut publicitaire et médiatique autour de la Saint Valentin. Le preux Chevalier propose, la belle dispose. En apparence. On connaît le côté obscur de notre objectivation et le refus de notre agentivité, certains osent l’indécence quand ils nous parlent de « drames amoureux » ou de « crimes passionnels » ; quand il s’agit en réalité de schèmes d’emprise, de perversion narcissique, de violences qui peuvent s’exercer dans le cadre d’une relation de domination cruelle. Et souvent son corollaire est tragique : de trop nombreux féminicides jalonnent l’histoire des femmes, en Occident comme en Orient.  Il est sujet, Elle est objet. Captive. De son amour, de son désir, de sa poésie. De sa violence. Il a droit de vie et de mort sur elle. Notre salut ne peut plus résider dans cette funeste configuration. Notre survie en dépend. Il est temps de s’en libérer. 

 

Pour m’amuser, parfois, je m’imagine renverser la donne. Vous me voyez venir faire la demande, le khatab aux parents de mon futur mari. Lui demander sa main auprès de sa mère. Visualisez la scène : on m’accueillerait avec du thé et des gâteaux ; j’apporterais la dot, signe de ma richesse. Gêné et caché dans la cuisine, il aurait les yeux baissés en attendant l’approbation de la matriarche. 

Plus sérieusement, l’expérience m’a permis  difficilement de m’affranchir d’un système patriarcal qui au final nous maintient, toutes, dans une forme d’asservissement sentimental. Dans mon enfance, j’aurai voulu moins de Cendrillon. Et même moins de Shéhérazade. Honnêtement j’aurai voulu qu’on m’apprenne à être Khadija, au lieu de m’abreuver d’une mythologie romantique centrée sur le désir masculin, avec ces livres, ces contes, ces films mièvres à souhait.  

Oui j’aurais voulu qu’on m’apprenne à être Khadija. A être sujet. L’amour comme empowerment ! Se réapproprier notre corps, notre sexualité fait partie de notre libération. Incontestablement. Être amoureuse, aussi. Dire ses sentiments et les porter à la connaissance de tous, sans tabous, braver les interdits, fait partie de notre chemin vers le pouvoir sur nos vies. 

« l’Islam débuta dans les bras d’une femme aimante ». Quel miracle. Enchanteresse, une femme amoureuse peut changer le monde. Ne l’oubliez jamais. Ce récit aurait pu traverser les siècles et les continents, et servir de boussole à l’humanité entière. Au lieu de ça, elle en fut privée. Un renoncement lié à un coup d’État masculin sur l’Islam. Quelle défaite ! Une capitulation terrible. Il est temps de retourner au combat, sur le front de l’Amour, mes lallas. Pour nous, nos sœurs, nos filles. Être une femme amoureuse ; c’est être une femme libre ; et puissante. 

J’aime, donc je suis. Une femme amoureuse et musulmane.

Je suis consciente que Khadija était en position financière bien confortable pour s’être autorisée à prendre les devants et conquérir le futur Prophète. Et ça pose la question de l’indépendance financière des femmes. Cependant, riche ou pauvre, combien d’hommes aujourd’hui m’autoriseraient à les séduire ? à leur faire la cour ? à leur déclarer ma flamme ? à leur demander un numéro de téléphone ? ou leur faire livrer des fleurs ? ou les inviter au restaurant ? Très peu, et à chaque fois que je m’y suis risquée, et peu importe leur âge, leur croyance, ou leur culture, ils m’ont bien fait comprendre dans un malaise tangible, que cela heurtait leur fierté bien vulnérable.  Quand j’ose renverser les règles du jeu, c’est leur position de « dominants » comme ils aiment à dire, qui est ébranlée. Ben voyons. Je ne vous parle même pas des relations sexuelles, centrées avant tout sur la « sacro-sainte » pénétration masculine. Non définitivement, les hommes redoutent de partager ce pouvoir qu’ils se sont octroyés et de perdre leur exclusivité. Ils ont peur. Car un jour, dans une partie du monde, de l’autre côté de la Méditerranée, il n’y a pas si longtemps, certains d’entre eux ont vendu leur âme, et ont gouté à la domination et à la puissance érotique, 

extatique, 

mystique d’une grande amoureuse. 

Cette femme les a mis à genoux. 

Cette femme les a vaincus.

À terre pourtant, ils en redemandaient encore. 

 

Partie une. La suite arrive…

 

Nejwa Mimouni, le 8 février 2021

 

Si vous l’avez raté, retrouvez ici le premier épisode de notre chronique « Quand l’arabe était la langue du sexe » !

 

Crédit image à la une: Nejwa

 

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