Nadia Ibrahim-Zinaï, une musulmane en mouvement

par | 24/05/21 | Portraits

Depuis 10 ans, Nadia Ibrahim-Zinaï va à la rencontre de femmes musulmanes engagées à travers le monde pour leur donner la parole et les questionner sur leurs actions. De ces dix années de quête, un film documentaire intitulé Ijtihad, Musulmanes en mouvement est en train d’émerger.
Le film est actuellement en campagne de financement participatif.

 

 

Par le Nom d’Allah, le Tout-Rayonnant d’Amour, le Très-Rayonnant d’Amour

 

 

La première fois que j’ai rencontré Nadia, j’ai entendu une voix. Une voix douce, écorchée, presque imperceptible, qui implique un silence quasi-religieux. Et pour cause, la première fois que j’ai entendu cette voix, elle récitait l’Adhan un vendredi midi, qui serait le premier d’une longue série. J’ai été subjuguée par la douceur qui émanait de sa voix. Emue par l’intensité d’une situation déjà si commune en 2021, celle d’organiser des jummoua à distance entre femmes lors du premier confinement. J’ai pris conscience quelques temps après que c’était la première fois que j’entendais l’appel à la prière récité par une femme. Elle est, entre autres, l’un des fondatrices de la Mosquée Oum Waraqa : un lieu unique où toutes nos différences sont réunies au service de l’amour d’Allah.

 

Nadia, la quarantaine, a grandi dans une famille marocaine recomposée, en banlieue parisienne. Infirmière de profession, elle évolue dans un environnement culturellement riche et traditionnel mais sans réelle éducation religieuse. Très jeune, elle questionnera le monde qui l’entoure, laissant entrevoir une sensibilité brute qu’elle apprendra à maîtriser en grandissant. Ces questions, celle d’une jeune fille trop tôt marquée par la violence, elle tente d’y répondre à travers les apprentissages de l’Islam. Profondément croyante, elle est perpétuellement en quête, si ce n’est en lutte, pour composer avec ses différentes identités. Identités incompatibles pour une société gangrénée par le patriarcat et le racisme. Il lui faut des années pour comprendre que le regard étroit que cette société porte sur elle est façonné par des siècles de sexisme et de colonialisme.

 

Re-coloniser son regard sur soi, et par là son rapport au monde, implique une multitude de prises de consciences, de désillusions et de remises en question avant d’entrevoir ce petit espace lumineux où le repos est accordé, le temps d’une saison, le temps d’une prière. Pour Nadia, cette espace n’aura de sens qu’avec la présence de Dieu et Son Amour inconditionnel. Adolescente, elle passe tous ses vendredis à la bibliothèque de la Mosquée de Paris après avoir prié. 

Un mouvement spirituel s’installe en elle, prenant la forme de cours de religion islamique, de l’apprentissage de l’arabe coranique, de discussions vives avec d’autres femmes qui fréquentent les mêmes lieux. Une phrase, lors d’une discussion entre femmes musulmanes, vient lui glacer le sang.  Une sœur se questionnant sur le sens de son rapport à la religion mettait en doute l’amour d’Allah envers les femmes. Cette remarque la marquera longuement, jamais elle n’avait perçu Dieu ainsi. Plus elle apprend, plus la quête de sens s’impose. 

Ce mouvement spirituel, d’abord théorique, s’ancre dans une succession de rencontres, d’expériences personnelles, de voyages ; notamment une année en Egypte, où les apprentissages des textes vont se confronter aux événements de la vie. 

Il s’inscrit dans un effort de réflexion critique et créatif sur les textes islamiques, c’est ce qu’on nomme l’Ijtihad. Il s’agit démarche personnelle et intellectuelle que chaque croyant.e est invité.e à mettre en oeuvre  afin de mettre de la matière, du sens dans les pratiques inhérentes à la religion musulmane. Pour me parler de l’Ijtihad, Nadia me cite Ibn Abbas, l’un des premiers interprètes du Coran :  “A chaque époque nous avons une nouvelle interprétation, une nouvelle explication, une nouvelle façon de voir. Ce n’est pas le texte qui change, c’est notre façon de voir, de l’approcher, de le mettre en pratique et de vivre avec. Un texte sans Ijtihad est un texte mort. L’Islam est une religion dynamique, un courant spirituel qui est vivant et qui restera vivant grâce à l’Ijtihad.”

 

 

Puis ce mouvement spirituel va s’articuler à un mouvement physique. En 2010, forte d’une multitude de questions, de blessures intimes, Nadia parcourt plusieurs pays à la recherche de réponses, sa foi pour seule résilience – loin des sentiers sombres de l’instrumentalisation patriarcale du religieux, à la lumière de dizaines de rencontres, celles de femmes puissantes et inspirantes qui se battent quotidiennement pour l’égalité et la justice de genre au nom de l’Islam. 

Depuis la France, en passant par le Maroc et la Malaisie, puis l’Egypte, elle donne la parole à des femmes engagées qui réinterprètent les textes religieux d’un point de vue féminin et inclusif. Ces femmes prennent les visages de Asma Lamrabet, Omaima Abou-Bakr, de Fatma Emam, Ratna Osman ou encore Hanane Karimi. 

Autant de femmes brillantes qui nous permettent à nous, leurs cadettes, de vivre plus en paix avec nos spiritualités grâce à des travaux menés depuis des décennies. 

Dans la lignée de ces femmes, une rencontre en particulier marque Nadia, celle avec Amina Wadud qui l’amène à se demander : « Qu’est ce que le réel tawhid ? 

De ces allers-retours, Nadia Ibrahim-ZinaÏ façonnera son regard par le prisme du féminisme musulman, ou plutôt des féminismes musulmans, qui l’amèneront à la conclusion suivante : « J’ai la certitude que le divin est venu libérer chaque être humain des résistances intérieures et de toutes formes d’oppressions et de dominations ».

Ensemble, toutes les femmes interrogées par Nadia partagent leurs doutes, leurs expériences, leurs expertises, mais aussi leur succès avec l’émergence d’un Islam où l’égalité de genre est au centre des interactions et où les femmes musulmanes seraient des actrices centrales des espaces décisionnaires. Être féministe musulmane en France : quelles réalités ? Il s’agit de questionner la place des femmes dans l’Islam, en passant par l’imamat féminin ou encore les questions liées aux sexualités des musulmanes. Très vite, l’idée d’en faire un film devient une évidence. Elle troque sa blouse d’infirmière pour une caméra le temps d’un voyage. Puis deux, puis trois, puis quatre voyages…

Elle décide de s’appuyer sur l’outil cinématographique comme support de transmission mémorielle de paroles trop souvent invisibilisées dans les médias mainstream comme dans nos communautés. 

 

 

Nadia a terminée notre échange avec une citation de Mohammad Shahrour qui m’a particulièrement touchée: « Lis le Coran comme s’il avait été révélé la nuit dernière ».

 

 

Ijtihad, Musulmanes en mouvement s’inscrit dans une démarche révolutionnaire, en ce qu’il vient questionner notre rapport aux savoirs religieux, à une époque où l’Ijtihad reste une affaire d’hommes, malgré les nombreuses savantes musulmanes, partout dans le monde, qui se penchent sur l’interprétation des textes islamiques

 

 

Ijtihad, Musulmanes en mouvement s’inscrit dans une démarche révolutionnaire, car il redonne aux femmes la place que l’Islam leur a toujours accordé 

 

 

Ijtihad, Musulmanes en mouvement s’inscrit dans une démarche révolutionnaire car fondamentalement politique. En se réappropriant le Coran, elles ouvrent un champ des possibles infini pour toutes les femmes. 

 

 

Pour soutenir Ijtihad, Musulmanes en mouvement, n’hésitez pas à participer à la cagnotte, partager et à en parler autour de vous.

 

 

 

Crédit photo : Nadia Ibrahim Zinaï

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