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Nora Belahcen Fitzgerald : porteuse d’espoir au quotidien

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C’est à Marrakech, la ville rouge du Maroc, que je rencontre Nora Belahcen Fitzgerald, fondatrice de l’association Amal pour les arts culinaires. Nora m’accueille dans son restaurant solidaire aux couleurs ocres, décoré avec soin par des tableaux de sa mère et des citations calligraphiées sur les murs. On retrouve ainsi l’une de ses phrases préférées de l’auteur soufie Hazrat Inayat Khan: « Il y a des gens qui cherchent des beaux endroits et d’autres qui cherchent à rendre les endroits beaux ». C’est exactement ce que fait Nora avec son restaurant : rendre cet endroit beau pour les femmes issues de milieux défavorisés.

 

Nora Belahcen Fitzgerald. Ses deux noms de famille représentent à eux seuls la diversité de sa culture. Nora est née et a grandi au Maroc mais est d’origine américaine, plus précisément de Californie. C’est dans les années 1970 que ses parents se sont installés au Maroc, après s’être convertis à l’Islam. Ils souhaitaient vivre dans un pays à la fois musulman et ouvert où ils pouvaient élever sereinement leurs enfants. Aujourd’hui, Nora se définit comme une « traductrice culturelle », qui maîtrise aussi bien l’arabe, l’anglais que le français. Nora passe facilement d’une culture à une autre et aime expliquer aux américains la situation économique et culturelle du Maroc. Elle tient d’ailleurs un blog à ce sujet depuis plusieurs années.

 

Mendier 10h par jour pour gagner 20, peut-être 30 dirhams

 

Nora a grandi dans une société dans laquelle la pauvreté a toujours été visible. Au quotidien, elle observait autour d’elle des femmes mendier assises au coin des rues ou devant les feux, pour obtenir quelques pièces de la part des automobilistes. Des images qui ne choquent plus vraiment les marocains, habitués à voir cette misère. Les rumeurs sur ces femmes sont d’ailleurs nombreuses : elles gagneraient beaucoup d’argent en faisant la manche, louraient leurs enfants ou encore leur donneraint des sirops pour les endormir afin d’attirer la pitié des passants.
C’est en 2006, lors de la visite de l’une de ses amies américaines que Nora réalise véritablement la souffrance de ces femmes. Choquée de voir autant de femmes mendiantes avec des bébés sur le dos, son amie supplie Nora de venir l’aider à secourir l’une d’entre elles. Nora, qui devait ce jour-là simplement servir d’interprète, fait l’une des rencontres les plus bouleversantes de sa vie : celle d’une femme, mendiante, célibataire et avec deux enfants à charges, qui vit dans une chambre de la taille d’une armoire, qu’elle loue 300 dirhams par mois.

 

Cette femme gagnait environ 20 à 30 dirhams par jour, soit 2 ou 3 euros. Le prix d’un café, que l’on ne va même pas finir

 

C’est alors le déclic pour Nora. Elle compare sa vie et celle de ses enfants qui ne manquent de rien, avec la vie de cette femme qui n’a même pas de quoi acheter des couches ou nourrir correctement les siens. Ces deux réalités lui sont insoutenables à observer. Alors, rapidement, elle mobilise son réseau d’amis et sa famille pour venir en aide à cette femme.

 

Après des années de servitude, elles sont devenues leur propre chef !

 

Nora fait par la suite la connaissance de deux autres mères célibataires issues de milieux défavorisés et qui, dès leur plus jeune âge, étaient devenues des « petites bonnes ». L’une d’elles a d’ailleurs confié à Nora qu’à l’âge de 6 ans, alors qu’elle pensait que ses parents l’emmenaient en vacances, elle a brusquement réalisé la triste réalité de ce voyage. Alors que la plupart des enfants rentraient à l’école primaire, elle était de corvée de ménage tous les jours de la semaine. A six ans !
Nora s’inspire du projet associatif de Aicha Ech-Chenna qui vient en aide aux mères célibataires et à leurs enfants dans la ville de Casablanca. En effet, l’association Solidarité Féminine comprend entre autres, en parallèle d’un hammam et d’une pâtisserie, un restaurant solidaire. Nora cherche donc un espace de travail pour ces deux femmes et leur obtient un poste dans une école où elles réalisent des pâtisseries. A leur projet, Nora apporte ses compétences en gestion et les femmes – elles –  font de « la magie avec leurs mains« . Ce premier projet rencontre beaucoup de succès et permet aux femmes de gagner plus d’argent que lorsqu’elles étaient « petites bonnes ». Elles sortent de l’état de servitude pour gagner dignement leur vie. Et pour la première fois de leur existence, elles deviennent leurs propres patrons. Une transformation qui encourage Nora à imaginer un projet plus grand.

 

L’association Amal

 

Chef Cuisinier – Association Amal pour les arts culinaires – Crédit photo : Women SenseTour in Muslim Countries
Chef Cuisinier – Association Amal pour les arts culinaires – Crédit photo : Women SenseTour in Muslim Countries

 

Suite au succès de ce premier projet pilote, Nora met toute son énergie dans la recherche d’un local plus grand afin de stabiliser son projet et maximiser son impact social. L’association Amal, organisation à but non lucratif, voit ainsi le jour en novembre 2012 et le restaurant ouvre véritablement ses portes quelques mois plus tard en avril 2013. Son objectif est d’améliorer le statut socio-économique des femmes issues de milieux défavorisés à travers l’apprentissage d’un métier valorisant dans le domaine des arts culinaires.
Cette association prend donc la forme d’un centre de formation pour ces femmes et d’un restaurant solidaire ouvert au grand public. L’ensemble des fonds récoltés grâce au restaurant sont donc reversés à la formation des bénéficiaires.
Grâce au soutien de la fondation Drosos, Nora peut professionnaliser sa structure, former une véritable équipe administrative composée d’une dizaine de personnes ainsi qu’un staff permanent en cuisine avec deux chefs cuisiniers, l’un spécialisé dans la cuisine française et l’autre dans la cuisine marocaine traditionnelle. D’ailleurs, l’une des chefs est une ancienne bénéficiaire de l’association. Nora a pu observer son évolution fulgurante: il y a quelques années cette femme était mendiante, aujourd’hui c’est elle qui enseigne fièrement aux femmes comment cuisiner les meilleurs mets de la gastronomie marocaine.
Chaque jour, Amal accueille entre 60 et 100 personnes  pour le déjeuner.

 

Amal, un espoir

 

Préparation plats marocains – Association Amal pour les arts culinaires – Crédit photo : Women SenseTour - in Muslim countries
Préparation plats marocains – Association Amal pour les arts culinaires – Crédit photo : Women SenseTour in Muslim Countries

 

Amal signifie « espoir » en arabe. Un espoir que Nora veut redonner à ces femmes aux parcours souvent semés d’embûches. Ces femmes sont pour la plupart veuves, mères célibataires ou victimes de violences mais parallèlement à leur précarité socio-économique, elles ont toutes pour point commun une réelle volonté de s’en sortir.
Au sein de l’association, ces femmes suivent des formations de 4 à 6 mois aux arts culinaires et à la pâtisserie marocaine traditionnelle. Cette formation est complétée par des cours d’alphabétisation et de langues étrangères, en anglais et en français. Chaque année, ce sont ainsi trois promotions d’une dizaine de bénéficiaires qui profitent des services de l’association. Elles s’ouvrent ainsi à un monde qui leur était souvent inconnu et cela commence en cuisine ; certaines n’avaient par exemple jamais goûté une simple tartelette aux fruits.
Grâce à Amal, elles se sentent valorisées et reprennent confiance en elles. L’un des meilleurs moments pour ces femmes est celui de l’atelier cuisine dans lequel elles enseignent aux clients étrangers à préparer le pain ou d’autres produits typiquement marocains. Ces moments sont uniques pour elles car en plus de l’échange de qualité avec les clients, elles sont fières de transmettre leur culture et leur savoir-faire.
Suite à leurs formations, ces femmes sont ensuite aidées par l’assistante sociale pour leur insertion professionnelle grâce notamment à des partenariats menés avec des ryads, des hôtels ou des restaurants dans la ville de Marrakech.
L’espoir, c’est aussi ce que Nora veut pour le Maroc. Elle observe que de plus en plus de jeunes de son pays s’engagent pour résoudre avec amour et intelligence les problématiques sociétales auxquelles font face les marocains.

 

Toujours se rappeler pourquoi on mène un projet

 

Licenciée en mathématiques, Nora ne se dirigeait pas véritablement vers les métiers de l’entrepreneuriat social. Sa famille a d’ailleurs été très surprise de la voir se lancer dans cette voix professionnelle ou ce qu’elle appelle plutôt son « projet de cœur« , puisque Nora effectue ce travail de façon bénévole.

 

Je voulais faire cela pour Allah, dans une intention pure. J’essaie au quotidien de toujours revenir à cette première intention, de ne pas oublier pourquoi je fais cela.

 

Selon elle, c’est grâce à cela que les portes se sont ouvertes et que ses actions ont été facilitées. Elle a ainsi pu trouver un magnifique local dans le quartier de Gueliz à Marrakech et a pu compter sur l’aide de ses proches pour former le capital d’investissement de son association, grâce notamment à la zakat récoltée (ndlr « purification » en arabe, il s’agit de l’un des cinq piliers de l’Islam et se définit comme un impôt sur l’avoir et la propriété obligatoire pour les musulmans).
Nora m’explique qu’Amal est un projet qui s’aligne sur les valeurs de l’Islam, sur cette volonté de promouvoir plus d’égalité au sein des sociétés.

 

Le prophète Mohamed disait « aucun de vous n’a complété sa foi jusqu’à ce qu’il aime pour son frère ou sa sœur ce qu’il aime pour lui-même ». Ainsi, tout ce que je veux pour moi et pour mes enfants, je dois le vouloir, avec le même désir pour mes frères et mes sœurs. Il ne s’agit pas seulement d’un désir passif en se disant intérieurement qu’on aimerait cette égalité, mais il faut agir pour »

 

Le sort des mères célibataires dans les sociétés musulmanes

 

Nora se refuse de juger les mères célibataires et a au contraire beaucoup de tendresse pour elles. Certes, l’Islam interdit les relations sexuelles en dehors du mariage mais pour autant, si on les exclut de la société cela ne réglera en rien cette problématique. Nora m’explique que ces femmes sont pour la plupart analphabètes, elles n’ont reçu aucune éducation religieuse, spirituelle et ne connaissent même pas leurs corps. Ses femmes ont souvent vécu dans un état de servitude dans des familles qui n’étaient pas les leurs. Elles n’ont reçu que très peu d’amour et lorsqu’un homme les regarde seulement avec un peu de tendresse ou d’admiration, cela peut changer leur vie.

 

Agissez !

 

Nora raconte qu’elle a toujours dans son cœur une citation du prophète qui dit « lorsque vous voyez quelque chose qui ne vous plaît pas, changez-le avec vos mains. Si vous n’y arrivez pas, changez-le avec le stylo, écrivez. Si vous n’y arrivez toujours pas, détestez cette chose au fond de votre cœur ». L’action sociale se situerait donc à trois niveaux différents et on ne peut certes pas tout changer dans le monde, mais il faut au moins essayer ! Faites quelque chose ! Agissez ! Voilà son message.

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Asma Lamrabet : féministe musulmane de la troisième voie

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Asma Lamrabet est médecin biologiste et directrice du Centre d’Etudes et de Recherches sur la question des Femmes dans l’Islam (CERFI) à Rabat. C’est Ahmed Abadi, le secrétaire général de la Rabita des Oulémas du Maroc, qui lui confie ce poste en 2011, suite à la lecture de ses nombreux ouvrages sur la place de la femme dans la religion musulmane. Il estime à l’époque qu’une institution aussi traditionaliste et orthodoxe que la ligue des Oulémas du Maroc se doit elle aussi d’effectuer un travail de réinterprétation des textes sacrés sur la question des droits des femmes. Le CERFI a donc pour objectif premier de déconstruire la lecture traditionaliste et patriarcale qui a été faite sur la question des femmes à travers l’histoire de l’Islam afin de retrouver dans le discours spirituel les valeurs d’égalité des sexes, de dignité et de justice sociale. Ce centre de recherche travaille ainsi à partir d’une perspective originale, réformiste, féminine et féministe.

 

Les mouvements féministes au Maroc.

 

Même si les luttes féminines ont toujours existé dans l’histoire de l’humanité, le féminisme en tant que concept est aujourd’hui encore bien trop souvent miné au Maroc. Il est connoté négativement car perçu comme un concept né en Occident, importé avec le colonialisme et donc forcément étranger aux cultures arabo-musulmanes. Or, selon Asma Lamrabet, le féminisme est un concept universel où seuls les modèles diffèrent selon les contextes. Elle estime ainsi que le féminisme tout comme la démocratie ou la promotion des droits humains sont des concepts que les sociétés se doivent de s’approprier et d’adapter à leurs contextes.
Au Maroc, L’Islam est la religion d’Etat, et les féministes marocaines ne peuvent agir sans prendre en compte ce contexte religieux. Asma Lamrabet m’indique que si certaines utilisent le référentiel religieux pour des raisons stratégiques – car aborder la religion est inévitable dans tout débat sur les droits des femmes au Maroc-, elle affirme quant à elle qu’elle le fait par réelle conviction. Selon elle, c’est dans les textes sacrés du Coran que les femmes musulmanes marocaines peuvent puiser les sources de leur argumentaire. Elle affirme ainsi que l’Islam délivre un message égalitaire, libérateur et émancipateur pour les femmes. Cependant, le gros du travail réside dans la lecture qui en est faite. Celle-ci se doit d’être contextualisée pour pouvoir faire face  à la lecture majoritaire, rigoriste et profondément patriarcale.

 

Aujourd’hui le discours islamique au sujet des femmes est un discours qui ne prend pas source dans les textes, mais qui se réfère à ce que disent les anciens, à ce qu’ont dit pendant des siècles les savants. On en vient à sacraliser des êtres humains, sacraliser la jurisprudence islamique et on perd les principes généraux de ce que j’appellerai l’éthique égalitaire et spirituelle du Coran.

 

« On n’a pas puisé nos sources dans l’Occident mais dans le Coran »

 

Selon Asma Lamrabet, la rupture entre féminisme laïque et féminisme musulman est une rupture qui n’a pas lieu d’être au Maroc, ou alors de façon modérée; contrairement à d’autres pays comme la Tunisie, l’Algérie ou l’Egypte.
Grâce à la réforme du code de la famille, de nombreuses féministes, notamment les laïques, ont découvert ou redécouvert que le référentiel islamique n’était pas incompatible avec les droits des femmes. En effet en 2004, lors de la réforme de la Moudawana, le code de la Famille marocain, un débat national a eu lieu entre différents acteurs : des théologiens, des politiciens, des sociologues, mais aussi des membres de la société civile dont les principales militantes associatives féministes. Ce débat a eu lieu de façon dépassionné, ce qui a permis de déconstruire, de part et d’autre, les malentendus. Le Maroc a ainsi puisé sa réforme du Code de la Famille dans le référentiel islamique tout en respectant au mieux les engagements pris à travers la ratification des traités internationaux.

 

Quand on évoque le droit égalitaire au divorce, on n’a pas puisé nos sources en Occident, mais au sein d’un texte qui a été révélé il y a quatorze siècles, c’est à dire dans le Coran. On y a retrouvé l’idée que le divorce est un droit égalitaire et non un droit exclusif aux hommes contrairement à ce qui est souvent indiqué dans les lectures patriarcales de l’Islam.

 

Le féminisme musulman de la troisième voie

 

Asma Lamrabet, Crédit photo : Women SenseTour - in Muslim Countries
Asma Lamrabet – Colloque 12 et 13 novembre 2014 –  Femmes au coeur des monothéismes: une histoire plurielle, Crédit photo : Women SenseTour – in Muslim Countries

 

Aujourd’hui on ne parle plus de féminisme, mais de féminismes, au pluriel. L’éventail s’élargie et est extraordinairement diversifié. Face à ce constat, Asma Lamrabet a proposé ce qu’elle appelle le féminisme musulman de la troisième voie. Un discours qui se fraie un chemin entre d’une part le discours exclusif – qui considère que la religion opprime les femmes et qu’il est un véritable obstacle à leur émancipation – et d’autre part un discours islamique – qui se veut rigoriste, essentialiste et qui estime que les droits universels sont étrangers à l’Islam.
Cette troisième voie propose d’allier les droits universels que chacun a le droit de revendiquer avec un référentiel musulman, revu, relu et re-contextualisé.

 

J’estime que c’est le droit des femmes musulmanes que de revendiquer un féminisme à partir de leur contexte. C’est tout à fait logique et légitime car on est tous, en tant qu’êtres humains, nés quelque part et c’est à partir de cela qu’on essaie de construire une pensée et une revendication

 

Aujourd’hui, face à une certaine islamophobie complètement banalisée et dont le sujet central est souvent l’oppression des femmes par l’Islam, Asma m’explique qu’il y a un véritable mouvement de femmes musulmanes à travers le monde – aussi bien en Occident que dans les pays arabo-musulmans – qui se réapproprient les textes sacrés et démontrent avec un argumentaire construit que ce n’est pas l’Islam en tant que religion qui opprime les femmes mais bel et bien la lecture qui en est faite. Les femmes ont été malgré elles marginalisées du sacré. Ce mouvement est aujourd’hui encore minoritaire mais fait son chemin pour lutter contre le monopole du savoir religieux, détenu exclusivement par les hommes et plus précisément les savants, qui ont interdit la participation des femmes dans les discussions.

 

« L’appel à la monogamie dans l’Islam s’est progressivement transformé en un droit exclusif de la part des hommes à se marier avec plusieurs femmes »

 

A chaque fois que l’on veut débattre sur les inégalités sociales dans l’Islam, les critiques les plus acerbes se font au sujet de la polygamie ou de l’héritage. Asma Lamrabet apporte à ce sujet des réponses claires, argumentées et contextualisées. « La question de la polygamie se pose avec acuité, si l’on en fait une lecture classique et traditionaliste, car oui le Coran parle de polygamie. Sauf que lorsque l’on fait une lecture contextualisée, on réalise qu’il n’y a pas qu’un seul verset qui traite de la polygamie, mais plusieurs ! ». Asma Lamrabet m’explique ainsi qu’au VIIe siècle, en Arabie, la polygamie était une pratique totalement acceptée : « Limiter le nombre de femmes au nombre de quatre était finalement déjà un exploit au vu de l’époque ». Elle ajoute avec fermeté que l’Islam impose la monogamie comme norme dans le cadre légal du mariage. En effet il est exigé dans le Coran, une condition très importante et bien trop souvent oubliée qui est celle de la justice : les hommes se doivent d’être justes et de donner la même chose à toutes leurs femmes. Or, par la suite, le Coran indique que cela est impossible et que dans ce cas précis, les hommes ne doivent se marier qu’avec une seule femme. « Dans les sociétés musulmanes, ce sont les hommes qui lisent, qui interprètent et qui établissent les lois. L’appel à la monogamie s’est ainsi vu transformé au vu d’une lecture patriarcale en un droit exclusif de la part des hommes à se marier avec plusieurs femmes. Ces dernières se doivent aujourd’hui de s’élever contre ces pratiques et de réclamer la monogamie, c’est leur droit le plus absolu ».

 

« L’héritage : un verset inégalitaire mais dont la finalité est la justice »

 

Les versets traitant de la question de l’héritage doivent également être recontextualisés. Dans le Coran, plusieurs versets traitent de cette question mais seul un verset a été retenu : celui indiquant que dans une fratrie, à la mort des parents, alors que le frère détient une part entière de l’héritage, sa sœur en détient seulement une demi part.
« Dans le contexte de la révélation, au VIIe siècle, donner une demi part aux femmes était une révolution, dans un contexte où les femmes n’héritaient absolument pas et ce dans toutes les civilisations ». Asma Lamrabet ajoute qu’à l’époque, la société était plus traditionnelle et la prise en charge matérielle, financière et économique de la famille relevait de la responsabilité des hommes. Ce qui signifie que l’homme reçoit une part entière car il doit prendre en charge l’ensemble de la famille, contrairement à la femme qui ne reçoit certes qu’une demi-part, mais celle-ci lui revient dans son intégralité.
« Ce verset semble inégalitaire mais la finalité est en fait la justice. Aujourd’hui, quatorze siècles après la révélation du Coran, nos sociétés se sont complètement métamorphosées. On observe par exemple qu’au Maroc, 30% des familles sont prises en charge par des femmes seules. Et plus généralement, au vu de la précarité socio-économique et des chamboulements de la société, le frère est incapable de prendre en charge ni sa sœur, ni sa mère, ni personne d’autre. Cette répartition inégalitaire devient donc injuste ! Que les femmes demandent une part égale à leur frère n’est donc pas incompatible avec  l’Islam et au contraire cela rejoint les valeurs de justice que l’on retrouve dans les principes de la religion ».

 

Un discours encore minoritaire mais qui interpelle

 

Asma Lamrabet m’explique que ce discours est de prime abord encore peu accepté au Maroc et dans les pays arabo-musulmans car perçu comme un discours occidentalisé et donc non islamique. Les critiques sont notamment faites par les femmes.

 

La résistance des femmes est très étrange, j’ai l’impression que cette idée d’inégalité consubstantielle à l’Islam est ancrée dans leur éducation et transformer les codes devient déstabilisant pour elles. De plus, il y a une peur car nous sommes aujourd’hui dans cette crispation identitaire qui fait que toute critique est vue comme une critique de l’identité. Elles ont peur de perdre cette identité qui fait le socle de leur vie

 

Cependant, lorsqu’elle développe un argumentaire théologique et montre qu’elle travaille au sein d’un référentiel islamique, elle sent que les préjugés se déconstruisent. Ce discours interpelle ainsi majoritairement les jeunes qui découvrent qu’ils peuvent vivre leur foi de façon plus sereine et apaisée sans avoir à choisir entre la tradition et la modernité. Cela a été un véritable déclic pour certains. Asma Lamrabet ajoute que cela leur permet aussi d’avoir un esprit critique, «d’être intelligent, c’est une question d’éthique de la spiritualité ».
Le féminisme musulman ou islamique, selon les chercheuses, est une pensée minoritaire qui doit encore faire face aux pensées extrémistes qui prennent leurs sources dans le wahhabisme à travers les ouvrages, les médias arabes ainsi qu’internet. Cependant, ce mouvement qui s’inscrit dans la continuité de la pensée réformiste musulmane et qui a émergé fin du XIXe siècle, évolue progressivement au sein des milieux universitaires dans les pays arabo-musulmans et en Occident, mais également au sein de différentes organisations de la société civile telles que l’ONG Sisters in Islam (Sœurs en Islam) en Malaisie ou le réseau « KARAMAH – Muslim Women Lawyers for Human Rights » (Avocates musulmanes pour les droits humains) basé aux Etats Unis.

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Aicha Ech Chenna : Mère Courage marocaine

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Rencontre avec Aicha Ech-Chenna, Présidente et Fondatrice de l’association Solidarité Féminine, à Casablanca

 

Un engagement de longue date

 

Après 55 ans d’engagement en faveur des droits des femmes et des enfants, Aicha Ech-Chenna est sans conteste l’une des figures militantes emblématiques du Maroc. Femme humble et courageuse, elle a pris à bras le corps un problème qui était resté, jusque là, tabou dans la société marocaine. Celle qui est aujourd’hui un véritable modèle pour les femmes marocaines ne se revendique pas nécessairement féministe mais  souhaite défendre l’idée d’une société juste et respectueuse au-delà des genres et des frontières.
Orpheline de père dès son plus jeune âge, elle bénéficie de la solidarité de sa famille et de son entourage. Solidarité qu’elle n’a eu de cesse de rendre à la société. Ainsi, dès l’âge de 16 ans, Aicha s’engage dans de nombreuses associations marocaines : l’Association d’Aide aux Lépreux et Tuberculeux, la Ligue de la Protection de l’Enfance ou encore l’Association Marocaine de Planification Familiale. Elle effectue par ailleurs des études d’infirmière et devient animatrice d’éducation sanitaire et sociale.
C’est dans ce contexte qu’elle découvre la réalité insoutenable des enfants nés hors mariage et la détresse des mères célibataires. Au Maroc, dans certains bidonvilles, il existe alors ce qu’elle nomme des « maisons d’enfants abandonnés », des endroits insalubres où certaines mères célibataires très précaires déposent leurs enfants dont la plupart meurent avant l’âge de 4 ans ; les autres sont transférés dans des orphelinats.

 

IMG_4754 - CopieUne partie de la crèche de l’Association Solidarité Féminine – Crédit photo : Women SenseTour in Muslim Countries

 

Des rencontres décisives à l’origine de la création de l’association

 

La création de Solidarité Féminine trouve son origine dans une rencontre déterminante qui a marqué profondément Aicha Ech-Chenna. Elle croise le destin d’une jeune femme d’à peine 18 ans, enceinte, non mariée, qui se retrouve jetée à la rue. Sa mère lui ordonne d’aller « vider son ventre » à l’association de Planification Familiale. Face à cette souffrance, Aicha décide d’aller à la rencontre des parents de la jeune femme pour les raisonner et aider leur fille autrement. Accompagnée par l’assistante sociale Marie Jean Teinturier, Aicha est frappée par les réactions diamétralement opposées des deux parents. Alors que l’accueil de la mère est très dur, le père manifeste une immense émotion. Celui supposé être violent, du fait de l’annonce de la grossesse de sa fille non mariée, la prend dans ses bras et lui témoigne un réel soutien. Un espoir pour Aicha !
Elle nous annonce, ravie, que le nourrisson d’autrefois est aujourd’hui devenu médecin.

 

« Quand vous êtes révoltée, vous trouvez d’autres femmes révoltées comme vous »

 

En 1981, avec l’assistante sociale Marie Jean Teinturier qui lui a appris les rudiments du métier, elle crée l’association Solidarité Féminine. Elle sait à l’époque que la question des mères célibataires et des enfants abandonnés est un sujet sensible mais, comme elle ose nous l’avouer aujourd’hui, elle était loin d’imaginer l’ampleur du chantier. Malgré l’amour qu’elles portent à leur nourrisson, certaines mères en détresse assimilent leur enfant à la source de leur souffrance. Il faut alors aider la mère à se reconstruire, retrouver l’estime de soi, travailler sur le lien mère-enfant, trouver un logement, une formation et un métier. Les étapes à franchir sont nombreuses et difficiles, c’est pourquoi l’accompagnement de ces femmes se doit d’être global et complet.
Solidarité Féminine s’inscrit dans cette démarche avec plusieurs fronts d’action. Au sein de sa structure, les mères bénéficient d’un programme global sur trois ans. Celui-ci comprend un temps de formation important avec, notamment, des cours d’alphabétisation en arabe et en français, des cours de sensibilisation aux droits civiques et des formations professionnelles à divers métiers tels que la couture, la restauration ou la coiffure.

 

Association Solidarite Féminine 2Une mère célibataire formée à la pâtisserie par l’Association Solidarité Féminine – Crédit photo : Women SenseTour in Muslim Countries

 

Ces formations sont accompagnées d’ateliers pratiques et d’une participation à des activités génératrices de revenus au sein même de l’association qui comprend un restaurant solidaire ouvert au public, un hammam et un salon de coiffure dans lesquels les mères célibataires exercent sous le contrôle de formatrices. L’intégralité des revenus est ensuite reversée à l’association. Ce modèle fonctionne comme une entreprise sociale, viable et pérenne. En plus de cela, l’association met plusieurs crèches à disposition des mères pendant qu’elles suivent leur formation. Ce sont ainsi 50 mères célibataires qui bénéficient chaque année de ce programme d’accompagnement complet. Au-delà de son cercle, Solidarité Féminine accompagne les mères célibataires pour toutes les démarches administratives et d’insertion professionnelle nécessaires. Elle dispose aussi d’un centre d’écoute ouvert à toutes les femmes en situation de détresse.

 

Aicha, « la mère spirituelle de tous les petits bâtards de Casablanca »

 

La réforme du Code du Statut Personnel au Maroc, plus communément appelé la Moudawana, a représenté une avancée importante des droits des femmes avec l’augmentation de l’âge légal du mariage, la possibilité pour les femmes de demander le divorce ou encore la coresponsabilité des conjoints dans le cadre légal du mariage. Concernant les droits des mères célibataires, celles-ci peuvent déclarer officiellement leur enfant à l’Etat Civil depuis 2004.
Cependant, certaines lois marocaines portent encore préjudice aux enfants nés hors mariage. Par exemple, l’article 446 de jurisprudence stipule « qu’un enfant né de la fornication est considéré comme bâtard et doit rester bâtard, même s’il est par la suite reconnu pas son père biologique ».

 

Aujourd’hui, l’Institution Nationale de Solidarité avec les Femmes en détresse (INSAF) indique que le nombre d’enfants nés en dehors du mariage est estimé à 153 par jour dont 24 en moyenne sont abandonnés.

 

L’affiche de l’épisode Maroc de la série documentaire Women SenseTour – in Muslim Countries – Crédit photo : Women SenseTour – in Muslim Countries

 

Un combat salué à l’échelle internationale

 

Le parcours d’Aicha Ech-Chenna n’a pas été sans embuche. Au Maroc, certains ont dénoncé son engagement pour les mères célibataires revendiquant qu’il s’agissait là d’une caution donnée à la prostitution. L’année 2000 a été l’une des plus dures puisqu’une fatwa a été émise dans certaines mosquées à l’encontre d’Aicha Ech-Chenna :

 

J’ai été condamnée dans les mosquées au Maroc, cela a été pour moi un drame, une souffrance extraordinaire, j’ai même voulu jeter l’éponge. C’était très lourd, tous ces jugements, ces inquiétudes, je suis passée par des dépressions et des souffrances terribles

 

Cet événement lui a tout de même permis malgré tout de mobiliser les médias et d’obtenir le soutien du Roi Mohamed VI qui offre alors à l’association 1 million de dirhams. La détermination et le courage immenses de cette grande dame ont été récompensés à de nombreuses reprises avec, entre beaucoup d’autres, le prix des Droits de l’homme de la République Française (1995), le prix Grand Atlas (1998), la médaille d’honneur reçue par le roi du Maroc Mohamed VI (2000), le prix Elisabeth Norgall (2005) et la consécration, avec le Prix Opus, remis avec un chèque de 1 million de dollars.
En 2013, l’association Solidarité Féminine publie un recueil de témoignages des mères célibataires et de leurs enfants, « A Hautes Voix » (Editions Le Fennec), qui fait suite au premier livre de Aicha Ech-Chenna datant de 1996, « Miséria ».

 

J’ai fait une promesse à Dieu

 

Après 55 ans de militantisme et presque 30 ans de mobilisation pour l’association Solidarité Féminine, on peut se demander d’où Aicha Ech-Chenna tient sa force pour continuer à agir. Elle raconte alors la promesse qu’elle avait faite en 2007, lorsqu’elle a eu un cancer. Alors que dans un premier temps, elle avait refusé la maladie, un jour, seule, elle s’adresse à Dieu : « Moi la femme pauvre, je me mis à négocier avec le bon Dieu, je lui promets que sur le temps qu’il me reste à vivre, les trois quarts seront réservés à passer le flambeau à d’autres qui vont continuer la mission de défense des droits des enfants nés hors mariage, et le quart restant sera pour moi et ma famille. Et c’est pour ça qu’aujourd’hui je suis devant vous, pour transmettre mon message ».

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Maha Laziri : l’éducation avant tout !

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C’est à Meknès, l’ancienne capitale historique du Maroc durant le règne du sultan Moulay Ismail, que je me rends pour rencontrer Maha Laziri. Elle me reçoit chez elle, dans la ville de son enfance, avec ses parents et sa famille. Agée tout juste de 25 ans, Maha est co-fondatrice et présidente de l’association Teach4Morroco, association qu’elle a créée en 2011 lorsqu’elle était encore étudiante en relations internationales à  l’université Al Akhawayn. Aujourd’hui, à quelques jours de son envol pour débuter son premier poste aux Etats Unis, elle revient pour nous sur son projet associatif dans les zones enclavées de l’Atlas, sa vision de l’éducation au Maroc et son ressenti de femme vivant dans une société musulmane.

 

Dès son plus jeune âge, Maha baigne dans un environnement où l’éducation a une grande importance. Ses parents, tous deux enseignants à Meknès, mais dans différents systèmes d’éducation, représentent à eux seuls une certaine idée de l’instruction au Maroc, un système à deux vitesses avec d’un côté le système public marocain et de l’autre celui de la mission française. C’est auprès de ses parents que Maha trouve ainsi ses premières sources d’inspiration. Elle suit de près les conseils de son père qui lui disait plus jeune que chaque jour, lorsqu’elle se lève, elle devait avoir une cause plus grande qu’elle-même, car « vivre pour une cause a plus de sens que de vivre juste pour rien« .  Maha fait ainsi de l’éducation sa spécialité. Elle considère que celle-ci est une des clés essentielles pour offrir aux jeunes adultes de nouvelles opportunités et des perspectives dans la vie. Elle effectue d’ailleurs un second master à Philadelphie aux Etats-Unis sur cette thématique, et se spécialise en « International Educationnal developpment ».

 

« L’éducation est-elle exclusive aux belles filles ? »

 

Copyright Teach4MoroccoCrédit photo : Teach4Morocco

 

Depuis son adolescence, Maha se rend chaque été avec sa famille en Haut Atlas et plus précisément dans le massif central dans la vallée de Tassaout. Alors que dans un premier temps, ses parents s’y rendaient pour des raisons touristiques, très vite ils sont tombés amoureux de cette région montagneuse où, au fil des années, ils ont noué de véritables relations d’amitiés avec les habitants.
C’est lors de l’un de ses voyages, qu’elle prend véritablement conscience de l’importance du droit à l’éducation pour tout un chacun. Elle me raconte avec un œil critique et un sourire au coin des lèvres, qu’en 2010, alors qu’elle se rend dans le village d’Ischbaken, Maha fait la connaissance de Hajar, une petite fille âgée d’un an. Ravie, elle se tourne vers son père pour lui expliquer à quel point elle trouve cette petite fille incroyablement belle, qu’il faut l’adopter et l’emmener à Meknès pour lui faire suivre des études. La réaction de son père est telle qu’il ne lui adresse pas la parole pendant deux jours. Elle se souviendra toujours de sa colère et de ses mots, à l’origine de la création de Teach4Morocco :

 

Depuis quand l’éducation est-elle exclusive aux belles filles ? Et qui es-tu pour pouvoir exercer l’autorité d’enlever un enfant à ses parents, pour l’emmener dans un environnement qui n’est pas le sien, juste pour lui offrir une bonne éducation ? L’éducation doit se faire dans leur propre environnement, s’adapter à leur propre besoin et si tu veux faire quelque chose, soit il faut le faire pour tout le monde, soit il ne faut rien faire.

 

Le Haut Atlas

 

Le Haut Atlas, surnommé le « toit de l’Afrique du Nord » du fait de la hauteur de son massif, a des caractéristiques qui sont propres à toute région enclavée dans le monde, et notamment au niveau de l’accès réduit aux droits de base. Malgré l’intervention de l’Etat dans les besoins primaires tels que l’eau, l’électricité ou encore les routes, le Haut Atlas souffre encore de profonds déficits dans les domaines de la santé ou de l’éducation. Maha m’indique ainsi que l’accès à l’éducation de base n’est pas encore entièrement assuré et que les principales victimes sont les jeunes filles. En l’absence d’infrastructures, de lieu d’hébergement pour les filles qui habitent trop loin mais également du fait de certaines coutumes, encore beaucoup trop nombreuses sont les filles qui quittent l’école avant même d’être entrées au lycée

 

Pour réformer l’éducation, il est important de s’assurer qu’on ne laisse pas les populations les plus défavorisées au bout de la pyramide. Pour se développer, il faut tirer tout le monde vers le haut. Or, aujourd’hui, dans cette région, il n’y a encore que des exceptions de succès !

 

Selon Maha, obtenir son baccalauréat dans les régions reculées du Maroc ne devrait plus être une exception mais la norme.
La question de l’éducation ne se limite pas seulement à la question de l’accès, de nombreuses variables doivent être prises en compte telles que l’apprentissage ou la formation des formateurs. Maha insiste sur la dualité de perception du secteur éducatif : l’éducation est tout autant une cause qu’une conséquence. Ainsi si elle est source de développement, elle représente également un secteur très sensible à la stabilité politique et aux fluctuations économiques extérieurs. « Les élèves les plus sensibles sont ceux issus des milieux défavorisées, car ils n’ont pas de système de support. S’ils décident de quitter tôt l’école, ils n’ont pas ou peu d’opportunités en dehors de l’école. Or je suis convaincue que c’est à travers l’école que les enfants peuvent améliorer leurs conditions de vie ».

 

Teach4Morocco

 

Copyright Teach4Morocco Crédit photo : Teach4Morocco

 

Teach4Morocco a ainsi pour objectif premier d’améliorer l’accès à l’éducation dans les zones enclavées du Maroc. Mais c’est avant tout l’histoire d’un groupe d’ami·e·s et de familles qui souhaitent participer ensemble au développement du Maroc. Ce projet, au fond, a autant une responsabilité sociale que familiale.
Le premier projet mis en place par l’association est la rénovation totale de l’école du village d’Ichbaken.  Un village hautement symbolique, car c’est celui de la petite Hajar; c’est également le village dans lequel chaque été, pendant son enfance, les parents de Maha organisaient des cours de soutien pour les élèves de 6e. « C’était important de commencer par ce village, car les gens nous faisaient confiance » . Une confiance difficile à gagner au vu des nombreuses organisations qui viennent dans ces régions avec des promesses et repartent sans jamais revenir.
Pour Teach4Morocco, l’important est d’aller au delà de l’action simple de rénovation :

 

Tout le monde peut rénover une école, l’idée ici était plutôt de voir comment canaliser l’énergie de l’ensemble du village pour créer tous ensemble un meilleur espace d’épanouissement pour les enfants.

 

L’école en Haut Atlas est un espace qui, encore aujourd’hui, est considéré comme nouveau et qui n’est pas forcément intégré dans le village et cela dès le choix des matériaux de construction. Il faut donc permettre aux habitants d’établir une relation de confiance avec cette institution.
L’année suivant cette première expérience, l’équipe continue ses actions dans la région et rénove notamment l’école du village voisin, Ait Hamza.
Grâce aux projets de Teach4Morocco, mais également à la qualité des professeur·e·s de la région et à l’intervention de l’Etat avec le programme Tayssir, géré entre autre par le Ministère de l’Education Nationale, l’Association Marocaine d’appui à la scolarisation (AMAS) et le Conseil Supérieur de l’Enseignement et qui avait pour but d’encourager les parents à emmener les enfants à l’école, le premier établissement scolaire rénové a permis de passer de 70 à 300 élèves en l’espace de deux ans. « Chez Teach4Morocco, nous sommes fier·e·s d’avoir participé, à notre échelle, à ce succès et au fait que la grande majorité des élèves étaient des filles. L’enfant qui a obtenu la meilleure note de l’école était d’ailleurs une fille ».

 

La reconnaissance de l’importance du préscolaire

 

Le dernier projet de Teach4Morocco a eu lieu l’été dernier, à Megdaz, en partenariat avec l’association locale du village. Cette fois-ci, ce n’est pas d’une école primaire dont les habitants ont besoin mais d’un établissement préscolaire ! Une demande qui ravit Maha car aucune maternelle n’existait dans le village et très rares sont les maternelles dans la région. Maha m’explique qu’aujourd’hui il y a une reconnaissance internationale de l’importance du préscolaire. L’économiste James Heckman, Prix Nobel de l’économie en 2000, montre à quel point il est important d’investir tôt dans l’éducation des enfants, car, les plus grandes lacunes se forment avant l’âge de 5 ans.

 

Les élèves marocains doivent être compétitifs à l’international

 

Maha souhaite garder espoir dans le système d’éducation marocain et encourage les marocains à avoir confiance en cette institution. « Les gens autour de nous sont pessimistes, mais au final le système éducatif c’est nous ». Elle affirme qu’il est important de construire une image positive pour ne pas décourager les nouvelles générations.

 

Comment voulons nous que nos enfants aient des rêves et de se donnent les moyens de réussir, si, depuis leur enfance, ils entendent que les études les mèneront forcément au chômage ?

 

Accéder au système éducatif est essentiel mais non suffisant, la question de l’apprentissage est primordiale afin que les élèves quittent les bancs de l’école avec non seulement des connaissances mais de véritables compétences. Maha affirme ainsi que « tout en visant spécifiquement les enfants de l’Atlas,  il est très important de préparer  les élèves marocains non pas à une compétition nationale ou régionale mais bel et bien à une compétition au niveau mondiale. Ces enfants vivent dans un monde ou la compétition est très intense dans le sens où l’on a besoin aujourd’hui de savoir parler anglais, de développer des capacités de négociation, de savoir parler en public, d’avoir une opinion, d’être soi-même, de s’imposer et ceci non seulement à Casablanca ou dans les grandes villes, mais également dans les régions rurales ». Or, la nature des interventions dans les zones enclavées du Maroc réside encore bien trop souvent dans la question de l’accès à l’éducation.

 

Indicateurs de développement … personnels

 

Image 4 - Copyright Sarah ZOUAK COPIEMaha Laziri, avec sa mère et sa grand-mère – Crédit photo : Women SenseTour in Muslim Countries

 

Le Maroc a tout intérêt à investir sur le long terme dans l’apprentissage et les capacités de ses élèves, pour permettre à chacun de développer son propre talent. Toute la magie de l’éducation réside justement dans le fait que chaque enfant peut bâtir un futur que personne n’aurait pu prédire et espérer ainsi avoir un vécu meilleur que celui de ses parents.
Maha me raconte alors que si elle croit profondément aux indicateurs de développements nationaux, elle a toujours en elle ses propres indicateurs personnels. Elle compare ainsi la vie de sa grand-mère, celle de sa mère et la sienne et constate qu’entre ces trois femmes marocaines, il y a eu un développement en terme d’opportunités et de choix. Cependant lorsqu’elle fait la même comparaison avec les femmes vivant dans le Haut Atlas, elle réalise qu’elles ont eu à peu près le même vécu. Selon Maha, la notion de choix est au cœur même du rôle de l’éducation car c’est elle qui permet aux jeunes de s’épanouir et de construire leurs projets.

 

L’idée n’est pas que tout le monde aille à l’université, que tout le monde trouve un travail extraordinaire, mais celle d’avoir le choix, le choix de pouvoir être ce que l’on veut être

 

Vivre dans une société musulmane

 

Etre une femme ambitieuse qui croit en ses rêves, dans une société musulmane comme le Maroc, n’a jamais été un obstacle pour Maha. « Le mot société m’a toujours fait peur car je le percevais comme en confrontation avec moi-même, mais pour faire face à mes peurs, j’ai pour habitude de les décomposer. Au fond c’est qui la société ? C’est ma famille, mes voisins, mon quartier, c’est un ensemble de personnes aux personnalités, vécus et éducations différentes. Je n’ai donc pas à avoir peur des gens qui m’entourent. »
Les problèmes rencontrés par les filles dans l’Atlas ne sont pas propres aux sociétés musulmanes mais au fait que les coutumes de la région soient encore très conservatrices. Envoyer sa fille au collège n’est pas un problème de religion, m’explique Maha, même en Chine des jeunes filles rencontrent exactement les mêmes difficultés. Il est très important de différencier le religieux du culturel et de l’humain. Avoir peur pour sa fille relève de l’instinct humain ! « Si j’étais à la place d’un père dans les régions montagneuses du Maroc, je me poserais les mêmes questions avant d’emmener ma fille au collège et je me demanderais si ce nouvel espace lui permettra de vivre dans de bonnes conditions, si cela ne sera pas dur de la laisser seule alors qu’elle a seulement 13 ans ».
Dans l’Islam aucun texte n’interdit aux parents d’emmener leurs enfants à l’école et encore moins aux filles. Le premier verset du Coran  met d’ailleurs l’éducation au cœur de la croyance musulmane, « Lis, au nom de Dieu le Miséricordieux » (ndlr sourate 96)

 

Une femme musulmane aux identités multiples

 

Maha ecritMaha Laziri – Crédit photo : Women SenseTour in Muslim Countries

 

Maha est musulmane … tout comme elle est marocaine, fille, femme, sœur et militante associative. Elle ne se définit pas seulement par sa religion mais par ses identités multiples. Chacune de ces identités joue un rôle différent selon les situations, et sa foi est surement celle qui l’aide le plus à avoir une stabilité morale. Maha aime croire ainsi au destin, en cette idée que nos propres choix se font dans un cadre défini, un principe important que l’on retrouve dans la foi islamique.
Maha est toujours blessée d’entendre les différents clichés et stéréotypes repris sans fin au sujet de mauvaises interprétations faites sur les femmes musulmanes. « Comment aujourd’hui, à l’ère de  l’information et des réseaux sociaux, on tombe encore dans un extrémisme du moi contre toi, du blanc contre noir, dans cette polarisation des gens et de cette image des musulmans ? Puis, je me dis qu’en fait il s’agit là d’une perception, que ce n’est pas moi le problème, mais la personne qui me voit avec son œil. Entre une personne musulmane ouverte et un extrémiste, il y a tout un monde, tout comme entre le blanc et le noir, il y a toute une palette de couleurs. Le problème vient de ceux qui refusent de voir et de reconnaitre cette nuance. Or la vie n’est que nuances, on n’est pas toujours heureux, on n’est pas toujours triste ou énervé. Il faut accepter de voir la richesse dans le monde ».

 

L’égalité des sexes commence à la maison

 

Maha ne sait pas si elle se définit comme féministe, mais elle défend de façon vigoureuse le droit à toute personne à vivre la vie qu’elle souhaite. Si la notion de choix n’est pas assez présente pour elle au sein de certaines sociétés musulmanes, elle insiste sur le fait que cela ne concerne pas seulement les femmes. Lorsqu’on impose à celles-ci un statut d’infériorité, il ne faut pas oublier qu’on impose aux hommes celui de supériorité, l’absence de choix s’adresse donc à tous les deux. « Essayer de résoudre les droits de la femme en isolation n’est pas une solution, parce qu’enfin de compte nous vivons dans une société en interaction, nous sommes hommes et femmes ensemble, et l’une des choses qui perpétue le statut de la femme dans le Moyen Orient c’est qu’on n’inclut pas assez les hommes dans la discussion ».
Si pour certains, le féminisme est un concept large et abstrait, Maha répond que le féminisme s’exerce avant tout au quotidien ;  l’égalité commence à la maison, à la table du dîner, lorsque l’on traite les sœurs de la même façon que leurs frères. Et cette égalité se doit de continuer sur les bancs de l’école : «  on doit enseigner aux filles comme aux garçons le droit de rêver et de viser la lune ! »

 

Son souvenir le plus marquant de Teach4Morocco

 

Un matin dans le village d’Ichbaken, elle rend visite à une jeune femme très malade qui a frôlé la mort en accouchant. Alors qu’elle ne connait pas la femme, celle-ci demande à Maha de choisir le prénom de sa fille. C’est tout naturellement que Maha choisit le prénom Hayat (« vie » en arabe), car cette naissance a bien faillit lui coûter la vie. La petite Hayat est maintenant âgée de 2 ans et demi et Maha se souviendra d’elle pour toujours ; non pas seulement parce qu’elle lui a choisi son prénom, mais parce que aujourd’hui elle se dit que la génération de Hayat ne doit pas seulement aller au collège, mais au lycée et plus encore.

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Diffuse la bonne parole

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Khadija Elharim : figure d’une révolution locale

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C’est au cœur de la vallée d’Ammeln à Tafraout, dans l’Anti Atlas marocain, que je rencontre la première fondatrice de la région d’une coopérative féminine d’argan. Entretien avec Khadija Elharim, une femme marocaine, amazigh, musulmane et véritable actrice du changement dans son village.

 

Tafraout est une petite ville amazigh située au sud d’Agadir et réputée pour sa merveilleuse vallée de rocs aux teintes rosées. Au milieu des forêts et des maisons colorées, les habitant·e·s cultivent des céréales, des amandes, des olives mais surtout de l’argan. L’arganier est un arbre qui a la particularité d’exister seulement au Maroc et plus particulièrement dans le sud-ouest du royaume. Ce décor de rêve cache néanmoins certaines disparités au sein de la région, un exode rural important et une sécheresse des terres.
C’est dans la vallée d’Ammeln que Khadija Elharim naît en 1953 et qu’elle éduque plus tard seule ses cinq filles. Khadija est en effet divorcée, et insiste pour le faire remarquer, car elle n’est pas peu fière d’être la première femme de son village à avoir osé franchir ce pas. Le divorce est un droit encore tabou pour les femmes rurales marocaines. C’est pourtant cela qui l’a poussée à enseigner à ses filles la nécessité d’étudier pour qu’elles deviennent des femmes totalement indépendantes. L’une d’elle, aujourd’hui première femme à intégrer un poste technique au sein de la commune d’Ammeln, nous confie d’ailleurs que sa mère représente non seulement un modèle pour elle et ses sœurs, mais surtout pour toutes les femmes du village. Khadija est reconnue pour son courage, son engagement, son humanisme mais surtout parce qu’elle est la première femme de la région à avoir fondé une association et une coopérative.

 

Vallée d'Ammeln - TafraoutVallée d’Ammeln – Tafraout – Crédit photo : Women SenseTour in Muslim Countries

 

Un conflit qui mène à la prise de conscience des intérêts des femmes de Tafraout

 

C’est en 1997 que Khadija co-crée Tifawin, l’association Féminine pour le Soutien Social et pour la Préservation de l’Arbre d’Arganier et pour l’Environnement, dont elle devient la Vice-présidente. Elle fonde également la coopérative du même nom qu’elle préside depuis sa création.
La création de ces deux structures trouve son origine dans un événement particulier : un conflit de voisinage. Une année, alors que les pluies étaient généreuses et que les femmes cultivaient les graines d’argan qu’elles avaient semées, elles réalisèrent que les chèvres du voisin ravageaient entièrement les champs et leurs récoltes. Ce qui ne devait être qu’un petit incident à régler à l’amiable, se transforme alors en une véritable procédure judiciaire. Khadija et trois autres femmes de différentes communes se réunissent pour défendre les droits des femmes du village à cultiver leurs récoltes, mais malgré les interventions de la gendarmerie et du tribunal, le voisin refuse de coopérer et s’en prend à elles physiquement. C’est finalement au tribunal de Tiznit, lorsqu’elles apportent les certificats prouvant la violence du voisin, que les autorités leur demandent pourquoi elles n’ont pas pensé à créer une association pour se regrouper et défendre leurs intérêts.

 

L’association et la coopérative Tifawin

 

Graines d'arganGraines d’argan – Coopérative Tifawin – Crédit photo : Women SenseTour in Muslim Countries

 

Afin de développer et de préserver les cultures d’argan, d’olives ou de céréales, Khadija fonde alors l’association Tifawin au sein de laquelle les femmes peuvent cultiver sereinement et collectivement leurs terres. Peu de temps après et afin que celles-ci puissent vivre de leur travail, Khadija crée la première coopérative féminine de la région.
L’huile d’argan est connue pour son utilisation dans la cuisine traditionnelle et pour ses propriétés cosmétiques valorisées dans des huiles pour le corps ou dans du savon. Elles mettent ainsi en vente des produits naturels issus d’un savoir-faire traditionnel dans plusieurs points de vente de la région. Les femmes de l’association développent elles-mêmes leur projet au fur et à mesure et créent ainsi une serre pour la plantation d’arbre d’arganier ainsi qu’une pépinière, ce qui permet de planter plus de 2000 arbres fruitiers et de donner du travail à plusieurs femmes pendant deux ans.
Parallèlement à la culture de l’argan, Khadija met en place des cours d’alphabétisation pour les femmes ainsi que des cours pratiques. Celles-ci peuvent ainsi bénéficier aussi bien de cours de broderie sur le cuir afin de créer puis de vendre auprès des hôtels de la région des coussins, des babouches ou des ceintures, que de cours de cuisine pour fabriquer des confitures à base de figues, d’abricots ou de fraises.
La création de ces deux structures – l’association et la coopérative – s’est faite grâce à l’aide du Ministère de l’agriculture du Maroc et plus précisément grâce à la direction provinciale d’agriculture (DPA). Le Maroc a en effet adopté un programme pour le développement du secteur agricole depuis l’élaboration du Plan Maroc Vert : une stratégie nationale qui vise à faire de l’agriculture le principal moteur de croissance de l’économie marocaine. C’est la DPA qui fournit à la coopérative Tifawin les machines pour l’emballage des produits, et l’Initiative Nationale de Développement Humain (INDH) qui leur cède celles pour le remplissage et le filtrage. Enfin, Khadija a pu bénéficier de l’aide de bénévoles d’associations nationales et internationales pour l’obtention d’un local ou pour l’expertise terrain dans la préservation et la culture des différentes plantes.

 

Tifawin, source de changement pour les femmes du village

 

Khadija Elharim et sa fille Rachida - TafraoutKhadija Elharim et sa fille Rachida – Tafraout – Crédit photo : Women SenseTour in Muslim Countries

 

Depuis la création de l’association et de la coopérative, les conditions de vie des femmes de la région se sont nettement améliorées : en plus d’accéder pour la première fois à un revenu, elles ont pris conscience de leur force et les hommes ont réalisé l’importance du rôle des femmes dans l’économie locale.
Cela peut sembler dérisoire pour certain·e·s, mais à Tafraout, aller au souk ou travailler était une honte pour les femmes et restait réservé uniquement aux hommes. Khadija nous explique fièrement qu’aujourd’hui « nous pouvons tout faire » car les mentalités ont véritablement changé. Elle est fière de nous indiquer qu’elle possède sa propre maison et qu’elle n’est au nom d’aucun homme de sa famille. Elle me raconte aussi  avec beaucoup d’émotion son premier voyage en dehors du Maroc. Khadija et ses collègues étaient les invités d’honneur d’une foire agricole allemande où elles ont pu avec beaucoup de fierté exposer leurs produits du terroir. Les femmes ont enrichi leurs connaissances grâce à d’autres voyages de formation durant lesquels elles ont pu découvrir de nouvelles villes et apprendre sur leur métier, notamment sur les thématiques liées à l’élevage d’abeilles, de poulets ou de chèvres.
Il faut noter cependant que ces femmes rencontrent beaucoup de difficultés. Si la production des produits issus de l’argan est conséquente, elles ont beaucoup de mal à commercialiser leurs produits à une échelle plus grande que celle de la région. De plus, le nombre de coopératives s’est multiplié ces dernières années, ce qui a accru la concurrence entre ces différentes structures.
Aujourd’hui, Khadija Elharim demeure toujours autant engagée pour les droits des femmes et elle est  devenue conseillère auprès de sa commune. Grâce à son travail, elle se sent libre et souhaite « que toutes les  femmes marocaines puissent avancer librement et réaliser leurs rêves ».
Sa devise pour avancer : «santé, bonheur et Islam», car comme elle me l’explique, c’est dans la religion qu’elle a trouvé la force d’agir.

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Diffuse la bonne parole

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Meherzia Labidi : ce qui regroupe les femmes dans le monde est plus grand que ce qui les divise

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C’est dans la ville de Grombalia, à quelques kilomètres au sud de Tunis, que je rencontre Meherzia Labidi Maiza. Depuis la révolution, elle est devenue un personnage incontournable de la vie politique tunisienne. Tantôt encensée, tantôt critiquée, elle nous livre aujourd’hui un témoignage loin des clichés sur son parcours de femme musulmane féministe et son engagement pour les droits des femmes dans le monde.

 

De métier, Meherzia est traductrice interprète et a exercé pendant une vingtaine d’années suite à des études d’abord à l’Ecole Normale Supérieure de Sousse puis à l’université de la Sorbonne à Paris. Elle est également auteure de plusieurs livres sur la coexistence, destinés aux jeunes vivant dans des sociétés multiculturelles. Meherzia est par ailleurs engagée depuis de nombreuses années en faveur des droits des femmes, tant au niveau associatif avec notamment des actions au sein du réseau mondial Women of Faith for Peace, qu’au niveau politique en tant qu’ancienne première Vice-Présidente de la Constituante et actuelle députée réélue de la première Assemblée des Représentants du Peuple, la première assemblée législative démocratique en Tunisie.

 

« Pas de fiançailles ou de mariage avant l’obtention du diplôme »

 

Meherzia est née en 1963, dans une Tunisie nouvellement indépendante. Son père était commerçant et également imam de la ville. Diplômé de l’université Zitouna, il a présidé l’Association de Préservation du Coran qui veille à la mémorisation et à la transmission du Texte Sacré. Lors des groupes de discussion qu’il organisait sur la littérature, la religion ou la politique, il tenait déjà à l’époque à ce que ses filles participent. C’est d’ailleurs lors de ces rencontres que Meherzia apprend à « donner son avis, à le discuter et à essayer de convaincre ». Aussi loin qu’elle s’en souvienne, son père souhaitait que ses filles soient indépendantes pour ne pas qu’elles soient obligées d’accepter un mariage malheureux par peur de ne pas subvenir à leur propres besoins. Il a très vite réalisé que si ses filles « n’avaient pas les moyens de subsister, elles seraient obligées d’accepter l’injustice, la souffrance et la violence ». Père de cinq filles et de trois garçons, il inculque ainsi à ses enfants, et surtout à ses filles, l’idée que l’éducation est le meilleur moyen pour progresser dans la vie et tient à ce que chacune d’elles suivent une formation. Il a d’ailleurs édicté une règle qui peut faire sourire : « pas de fiançailles ou de mariage avant l’obtention du diplôme ».

 

Prendre sa part de réflexion

 

C’est en 1986 que Meherzia s’installe en France et débute entre autre son engagement en faveur de l’autonomisation des femmes dans des groupes de dialogue inter-religieux et interculturels. Des dialogues qui ont pour but de comprendre comment les femmes peuvent agir ensemble pour non seulement se forger une place dans la société mais aussi pour faire évoluer la pensée religieuse sur la question des femmes. Meherzia m’indique qu’elles avaient alors un credo :
Si toi, femme tu ne t’occupes pas de la religion, les religieux vont s’occuper de toi, donc prends ta part de réflexion.

 

C’est à travers la construction de ce réseau de femmes qu’elle devient coordinatrice du « Global Women of Faith  Network » (Femmes croyantes pour la paix) et co-présidente de « Religions for Peace » (Religions pour la paix), la coalition internationale la plus importante comprenant des représentants de différentes religions pour la promotion de la paix et bénéficiant notamment du statut consultatif auprès de la commission économique et sociale de l’ONU.
C’est en travaillant avec des femmes françaises, bosniaques, kosovardes, indiennes ou philippines qu’elle réalise que, quelle que soit leur culture, leur appartenance sociale ou religieuse, « ce qui regroupe les femmes dans le monde est plus grand que ce qui les divise », et que plus les femmes prennent conscience de cette nécessité de travailler ensemble dans le même espace social, mieux c’est pour la société.
Pour mener au mieux son engagement, Meherzia bénéficie aussi du grand soutien de son époux, « son compagnon de route » qui, comme son père, l’a beaucoup aidée : « il m’a soutenue dans mon effort d’étudier, de travailler, de militer au sein d’associations, de voyager pour mes missions de traductrices interprètes et de lui laisser nos 3 enfants en bas âge. Il trouvait que c’était normal et que je devais le faire parce que, si tous les maris empêchaient leur femme, qui ferait avancer la cause des femmes ? ».

 

« Je connais le texte de la Constitution mieux que mes enfants »

 

Première séance plénière de l’Assemblée des Représentants du Peuple au Palais Bardo – Crédit photo : Women SenseTour in Muslim Countries

 

A la suite de la révolution, c’est très naturellement qu’elle décide de rentrer pour servir son pays et s’engager dans sa construction démocratique. Ce qui la motive ? Changer les lois pour mieux protéger les citoyens, les citoyennes et particulièrement les filles, mais surtout faire connaitre à tou·e·s leurs droits et leurs acquis :

 

Un droit n’a de valeur qui si l’accès à ce droit est garanti à tous les citoyens et citoyennes de la même manière.

 

Elle est ainsi élue députée et première vice-présidente de l’Assemblée Constituante en 2011. Aujourd’hui elle est de nouveau députée et indique qu’elle ne souhaite prendre aucune autre responsabilité afin de se consacrer pleinement à sa mission.
C’est lors de son premier mandat en tant que députée qu’elle contribue à la rédaction de la Constitution. Si elle affirme avoir grandi dans un pays pionnier concernant les droits des femmes, notamment grâce à la promulgation du Code du Statut Personnel en 1956, les changements sont encore nombreux à réaliser. Meherzia est fière d’avoir contribué à l’article 46 de la Constitution qui engage l’Etat à protéger les droits acquis pour les femmes, à garantir l’égalité des sexes quel que soit le domaine, à œuvrer pour la parité dans les conseils élus et à éradiquer les violences contre les femmes.
Aujourd’hui députée réélue de la deuxième circonscription de Nabeul sur la question des droits des femmes, Meherzia souhaite notamment travailler sur deux projets de lois qui lui tiennent particulièrement à cœur : le premier concerne l’accès aux droits des femmes rurales et ouvrières afin qu’elles soient sur un pied d’égalité avec toutes les tunisiennes. Elle évoque ainsi un salaire agricole minimum, une couverture sociale adaptée et la garantie de l’Etat ou des employeurs privés d’un projet de transport qui assure la dignité et la sauvegarde de la vie de ces femmes confrontées au quotidien à de nombreux accidents lorsqu’elles se rendent sur leur lieu de travail.
Son second projet est de changer une loi injuste pour les femmes tunisiennes et leurs enfants issus d’un couple mixte. Alors que les enfants nés d’un père tunisien et d’une mère non tunisienne ont le droit à la nationalité tunisienne sans limite, lorsqu’il s’agit du cas inverse avec la mère qui est tunisienne les enfants doivent forcément faire leur demande de nationalité avant l’âge de 18 ans. Une fois cette limité dépassée, la démarche se complique terriblement. « Je trouve cela injuste et aberrant et mon travail de députée va être surtout de trouver comment faire pour changer cela ».

 

« On a voulu faire de moi un point de rupture, mais j’ai appris à être un trait d’union »

 

Ce qui a été le plus difficile pour Meherzia, c’est qu’à sa grande surprise, en étant élue première vice-présidente de l’Assemblée, elle est devenue la cible de plusieurs attaques, parce qu’elle est femme, parce qu’elle est voilée, parce qu’elle est à un poste de leader et aussi parce que le parti qu’elle représente, Ennahda, est de référent islamique. Des critiques qui sont aussi bien énoncées par des groupes conservateurs et religieux que par des personnes appartenant à priori à la modernité et au courant séculariste. Le coup est terrible lorsque des femmes avec qui elle partage un grand nombre de principes se mettent à scander dans les rues que « Meherzia n’est pas la femme tunisienne ». Un slogan d’exclusion selon elle :

 

On a voulu faire de moi, certains pour des raisons politiques, un point de rupture. Mais ce qu’ils ne savent pas, c’est que, pendant et durant mon activité avec la société civile, j’ai appris à être un lien, un trait d’union

 

En tant que femme politique elle constate au quotidien que changer les lois n’est en rien suffisant, que la vraie révolution réside dans les mentalités et qu’« il est urgent d’éduquer les hommes et les femmes, les jeunes garçons et les jeunes filles et aussi de répandre une nouvelle culture sur la femme, sa place dans la société, sa place comme femme politique, sa place dans les entreprises ».

 

Meherzia, une féministe musulmane

 

Meherzia Labidi Maiza Meherzia Labidi Maiza – Crédit photo : Women SenseTour in Muslim Countries

 

Ce sont des femmes tunisiennes et françaises qui ont introduit Meherzia au monde du féminisme. Un féminisme qu’elle s’est approprié afin de vivre en tant que femme sujet et non objet, en tant que mère épanouie et en tant que citoyenne qui vit en harmonie avec les hommes : « ce n’est pas contradictoire avec le féminisme, on n’est pas obligé d’être en lutte avec les hommes ».
C’est son père une fois encore qui dès son plus jeune âge lui répète cette phrase du prophète : « seul un homme digne sait respecter la dignité de la femme alors celui qui méprise ou maltraite la femme, c’est un homme qui n’a pas compris sa dignité à lui ». Selon Meherzia, la religion musulmane n’est un obstacle ni au féminisme ni à sa propre émancipation. Pour elle, le fait d’appartenir à une religion n’est pas le facteur déterminant du statut de la femme; le facteur essentiel réside dans l’éducation, la situation économique, les lois mais aussi dans la culture, avec par exemple « les dramas à la télé, le programme culturel dans les lycées, la chanson, tous les vecteurs de transmission d’idées ». Elle ajoute : « être féministe oui, mais pour moi le féminisme ça se construit, ça évolue selon la société, selon les générations, l’essentiel c’est le respect de la dignité de l’Autre ».
Cependant, pour répondre aux préjugés dont les femmes musulmanes sont aujourd’hui victimes, elle affirme qu’il faut être réaliste et travailler sur les véritables sources de souffrances des femmes musulmanes : la pauvreté, le manque d’accès à l’éducation, l’exclusion de la vie publique et sociale ainsi que la sclérose de certaines pensées religieuses, « parce que je ne comprends pas comment dans certains pays, on adopte les plus hautes technologies et on ne permet pas aux femmes de conduire leur voiture. » Enfin, elle explique qu’en tant que femme musulmane, il faut donner l’exemple. Elle se rappelle de la réaction de ses amies françaises – journalistes, enseignantes, universitaires – lorsqu’elle les a invitées chez elle pour la première fois : « en me voyant vivre avec mon mari, en voyant sa façon de me parler et de m’aider, ça a été meilleur que plusieurs discours bien écrits, parce qu’elles ont vu l’exemple ».

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