Peut-on voyager partout quand on est une femme noire ?

par | 26/07/17 | (Dé)construction, Nos Voix

On peut dire qu’avoir un passeport français est un privilège : sûr·e·s d’obtenir notre visa pour quasiment tous les pays du monde, on a l’embarras du choix pour partir en voyage. Sauf que quand on est Noire, d’autres réalités entrent en jeu et les vacances peuvent vite avoir une drôle de saveur, nous incitant à réfléchir à deux fois avant de choisir notre prochaine destination…
« Cho – cho – chocolat, chocolat ! »

Non, il ne s’agit pas du dernier tube qui passe sur toutes les ondes de radio. C’est l’appellation utilisée par les habitant·e·s pour nous qualifier, ma sœur et moi, pendant nos vacances à Marrakech. Vous trouvez ça marrant, insignifiant ? Moi, je dirais plutôt insultant, rabaissant, humiliant… et j’en passe. Alors qu’en France, nous aurions certainement réagi de façon virulente, là-bas, nous adoptons un tout autre comportement : essayer de passer outre, faire mine de ne rien entendre… Horrible !
 
Déçue par cette expérience courte – mais amplement suffisante à mes yeux -, j’engage, quelques mois plus tard, la préparation d’un autre voyage avec une amie, cette fois en Inde. Plusieurs personnes essaient de me mettre en garde sur le fait que le Sud de l’Inde n’est pas une région connue pour son ouverture à l’égard des étranger·e·s, notamment de couleur noire. Sur mon nuage et très enthousiaste à l’idée de m’envoler vers cette destination, je minimise leurs propos et n’en mesure pas la portée. Pourtant, j’aurais dû…
 

Crédit photo : Manuel Secher

 
Voilà que j’arrive en Inde avec mon amie, pleine d’illusions, de rêves et d’espoirs. Les premiers jours se passent relativement bien, jusqu’au jour où nous arrivons à Pondichéry, dans la région du Tamil Nadu, au Sud de l’Inde. Nous décidons de nous rendre au marché pour nous mêler à la vie, à la population locale. Après avoir acheté ce qu’il nous fallait en fruits et légumes auprès d’une marchande, nous voulons nous prendre en photo avec elle. Et là, comment vous dire ? Je m’aperçois de manière claire et évidente que ma présence près d’elle sur la photo la gêne et qu’elle préférerait que mon amie, qui est blanche, prenne ma place. Je souris tant bien que mal, alors que je trouve la situation gênante, humiliante, et qu’immortaliser ce moment n’a vraiment aucun sens à mes yeux. Je garde pour moi le malaise provoqué par cette situation et mon mal-être d’être dans ce pays qui me rejette clairement du fait que je suis Noire. Je cogite, je me dis que je me fais des films, qu’il n’y a rien, que c’est dans ma tête… Mais non ! Tout ce que je vis, tout ce que je ressens de négatif dans mes échanges avec les locaux est bien réel. Le soir, je me confie à mon amie, qui me conseille de passer outre, d’ignorer… Plus facile à dire qu’à faire !
 
D’autant plus qu’au cours de notre voyage, je suis de nouveau confrontée à des situations tout aussi gênantes, comme les nombreuses fois où nos interlocuteurs·trices s’adressent uniquement à mon amie, même lorsqu’il s’agit de questions me concernant (hey, ho, je suis là !). J’ai déjà entendu que les étranger·e·s attirent beaucoup l’attention en Inde ; mais contrairement à la curiosité que suscite la présence de Blanc·he·s, ma couleur de peau suscite l’hostilité.
 
Après trois longues semaines et un passage au Sri Lanka, arrive enfin ce moment tant attendu : notre départ, ma délivrance. Jusqu’à la dernière minute, je suis pointée du doigt : lors de nos derniers instants au Sri Lanka, mon amie remarque que des personnes me regardent avec insistance et se moquent de moi dans la rue (je ne savais pas que c’était si hilarant de voir des Noir·e·s, mais why not ?). Visiblement, sous d’autres latitudes, les gens ne sont pas non plus habitués à voir des Noir·e·s : à l’aéroport, un couple originaire d’un pays de l’Est me dévisage…
 

Pourquoi ?

 
Avec le recul, j’essaie de comprendre… Comment de tels comportements, qu’il s’agisse du Maroc ou de l’Inde, peuvent-ils s’afficher si ouvertement ? Malheureusement, je crains qu’il soit monnaie courante dans ces pays d’interpeller les Noir·e·s en les qualifiant de « chocolat » ou encore de les regarder avec insistance, avec moquerie, avec dédain. Ma vision idéaliste me faisait supposer – à tort – que ces pays adoptaient, conformément à leurs religions, des valeurs humanistes, de tolérance et d’ouverture d’esprit. Malheureusement, l’Histoire montre combien les Noir·e·s, réduit·e·s à leur couleur, ont fait l’objet de discriminations et de persécutions.
 
Alors, je me questionne… Qu’est-ce que cette couleur renvoie de si terrible, de si violent intérieurement pour que l’on ait envie de l’extérioriser en blessant tant physiquement que verbalement ?
 
Au sein même de certaines communautés, la couleur de peau est à l’origine de discriminations, la blancheur étant considérée comme le critère ultime de beauté. En Inde, un mouvement appelé « Fair and lovely » (Claire et belle), promouvant et incitant à la blancheur, avait été lancé sur les réseaux sociaux… Ce à quoi le slogan « Unfair and lovely » avait répondu en guise de contestation. Comme le demandait Rokhaya Diallo lors d’une conférence à laquelle j’ai assisté, la beauté serait-elle réservée aux Blanc·he·s ?!
 

Photo avec le hashtag « Unfair and lovely », célébrant les peaux foncées
 
Des mentalités, des points de vue orientés s’inscrivent, comme des traditions, et se perpétuent de génération en génération. Il s’avère donc difficile de bouleverser ce qui est déjà bien ancré dans les esprits en termes de conception de la beauté, de relation à l’autre dans le respect des différences liées à la culture, à la religion, à la couleur de peau.
 
Aujourd’hui, je ne peux plus refréner l’énervement, l’agacement profond qui m’envahit lorsqu’un garçon me regarde avec insistance à la caisse d’un supermarché, que des serveurs·ses nous dévisagent, mes sœurs, mes cousines et moi lorsque nous allons boire un verre, ou qu’un serveur refuse de placer et de servir mon frère dans le restaurant dans lequel il souhaite manger.
 
J’ai finalement choisi de boycotter purement et simplement les destinations où je sais que je rencontrerais de telles discriminations. Est-ce la bonne solution ? Je n’en suis pas convaincue, mais c’est la seule que j’ai trouvée à ce jour. Toutefois, à celles et ceux qui trouvent cette solution radicale, à celles et ceux qui justifient ces discriminations par le fait qu’ « ils·elles ne sont pas habitué·e·s à voir des Noir·e·s », je leur répondrai qu’il est difficile d’entendre ce genre de discours simplistes à notre époque – surtout que cela n’efface pas le tort causé et le mal-être que ces rejets provoquent.
 
 
Crédit image à la une : Oneika the traveller

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