L’engagement des femmes marocaines du Women SenseTour, un élan du cœur

par | 6/03/23 | (Dé)construction

Dans le cadre du parcours bénévole organisé par Lallab, je fus conviée le jeudi 20 octobre 2022 à la projection du film documentaire « Women SenseTour in Muslim Countries », épisode 1 sur le Maroc sans imaginer à quel point j’allais être bouleversée par ces récits de cœur.

Sarah Zouak raconte son incroyable aventure dans le 1er épisode de cette série de cinq, réalisé avec Justine Devillaine. Sarah Zouak, réalisatrice, entrepreneuse sociale, co-fondatrice et directrice de Lallab, est partie à la rencontre de femmes engagées à travers le Maroc. Des femmes marocaines plurielles, vivant en ville ou à la campagne, ayant fait des études  ou non, et qui, sans parfois en avoir conscience, ont décidé de livrer un combat sans fin pour le respect de leurs droits.

 

Avant même le début de la projection, une question me taraudait : pourquoi ? Pourquoi, décide-t-on de consacrer sa vie aux autres ? Comment parvient-on à faire ce choix, quelles sont les motivations ? J’obtenais ma réponse dès les premières minutes de visionnage…

 Crédit : @dalal.tmr

Une expérience de vie traumatisante comme point de départ

Le levier d’action était toujours semblable : une expérience personnelle saisissante et insoutenable. Aïcha Ech-Channa, Nora Belhacen Fitzgerald, Maha Laziri, Khadija Elharim et Asma Lamrabet disaient toutes la même chose : aider, militer n’était pas une voie sciemment choisie, cela s’était comme imposé à elles. Un jour, la misère, l’injustice, la colère et l’intolérable étaient venus frapper à leur porte. À partir de là, leur cœur avait été touché, meurtri, et il était devenu vital de réagir.

Maha Laziri, co-fondatrice et présidente de l’association Teach4Morroco à Meknès, a, quant à elle, eu le déclic au détour d’une rencontre avec, selon ses termes « une magnifique petite fille » dans le village d’Ischbaken (Haut Atlas). Frappée par la beauté singulière de la petite Hajer, Maha conjure ses parents d’adopter la petite fille et de lui donner l’instruction « qu’elle mérite en raison de sa grande beauté ». Son père, en colère, lui apportera, en réponse, deux enseignements. Le premier : la beauté ne doit pas être un critère qui donne droit à une éducation, celle-ci doit être souhaitable pour tous. Le second : on ne peut pas arracher un enfant à son environnement. Il faut l’aider à l’endroit exact où il se trouve. Une véritable leçon de vie à l’origine de la fondation de Teach4Morocco, dont l’un des premiers projets a été la rénovation de l’ancienne école de la petite Hajer.

La prise de conscience de Nora Belahcen-Fitzgerald, fondatrice de l’association Amal, un restaurant à Marrakech au profit des femmes issues de milieux défavorisés, se fit avec la visite de son amie américaine au Maroc. Cette dernière fut choquée et indignée devant le nombre de mères vivant dans la rue avec leurs enfants. Touchée par le regard de son amie, Nora décide de délaisser ses préjugés et d’ écouter leurs histoires. L’association Amal verra le jour quelques mois plus tard.

Pour Khadija El Harim, vivant dans un petit village de la vallée d’Ammeln, co-créatrice de l’association « Féminine pour le Soutien Social », et de l’association et coopérative« la Préservation de l’Arbre d’Arganier », c’était différent : ce fut une expérience de survie personnelle qui marqua le début de son engagement.

Première femme divorcée élevant seule ses cinq enfants, celle-ci va être la première à défendre ses droits et ceux des femmes divorcées. À l’origine de son action, un conflit de voisinage qui sera porté au tribunal. Le voisin en tort pour avoir laissé ses bêtes manger les cultures de Khadija va jusqu’à s’en prendre physiquement à elle. Elle comprend alors qu’ensemble les femmes sont plus fortes et décide de les soutenir à son tour à travers son village.

Enfin, Asma Lamrabet, médecin biologiste et directrice du Centre d’Études et de Recherches sur la question des Femmes dans l’Islam (CERFI) à Rabat, prend conscience de son futur combat au moment où elle découvre une autre interprétation possible du Coran. En effet, cette dernière propose une relecture de celui-ci pour enrayer l’interprétation traditionaliste, rigoriste et patriarcale des savants, et coller davantage à son esprit, juste et libérateur. Elle prône alors un féminisme musulman de troisième voie en défendant notamment, la conception égalitaire du divorce (les deux époux peuvent en faire la demande), ainsi qu’en démontrant que le Coran encourage fortement à la monogamie.

Des valeurs d’humanité et de solidarité comme ressources premières

À la fin de l’épisode, j’ai réalisé où et comment ces femmes marocaines puisaient leurs forces : dans le cœur, l’empathie, la foi, l’intolérable et parfois même la survie. Passé la douleur et la prise de conscience, la mise en action devait se faire. Il fallait frapper fort, vite et à long terme.

Aïcha ne supportait plus, chaque année, la mort de centaines de nourrissons nés hors mariage au Maroc ; les « ould haram », traduit en français par « bâtards ». L’humanité devait primer. Celle-ci dira – en substance – que la vie humaine, véritable cadeau de Dieu doit être protégée et préservée.

Maha apprit très tôt de ses parents à embrasser une cause plus grande que sa personne. L’éducation deviendra son cheval de bataille.

Nora agissait avec cœur et dans le respect de sa foi musulmane en appliquant au quotidien un célèbre Hadith prononcé par le Prophète Mohamed (que la prière d’Allah et Son salut soient sur lui): « Aucun de vous ne sera croyant jusqu’à ce qu’il aime pour son frère ce qu’il aime pour lui-même » d’après Anas Ibn Malik (qu’Allah l’agrée). Elle nous confiera s’être sentie soutenue par Dieu dès le début de son projet.

Khadija s’est engagée afin de survivre, mais aussi par empathie avec les femmes divorcées qui subissaient la même chose qu’elle.

Enfin, Asma était motivée par l’injustice du sort des femmes de son pays. Il devenait vital d’endiguer les conséquences néfastes d’une justice basée sur une lecture biaisée du Coran.

Une expérience saisissante que je n’oublierai pas

Quand les lumières se sont rallumées, j’ai ressenti une profonde admiration envers ces femmes, maghrébines comme moi, qui avaient décidé de prendre le taureau par les cornes et d’agir. Je fus fière qu’une femme telle que Sarah Zouak, fasse le choix de nous montrer ces véritables figures féministes auxquelles on peut désormais s’identifier.

Des personnalités si différentes les unes des autres, mais animées par le même amour de l’autre ; car secourir l’autre, c’est aussi se secourir un peu soi-même.

 Crédit : @dalal.tmr

Un projection débat du documentaire aura lieu le vendredi 10 mars 2023 à 18h30 à la Maison de Quartier Petit Ivry (44 rue Jean le Galleu, 94200 Ivry sur Seine). Lallab lancera également à cette occasion ses programmes d’éducation populaire POUVOIR pour reprendre le pouvoir face aux oppressions sexistes, racistes et islamophobes. Vous pouvez vous inscrire au 01 72 04 66 06

Crédit photos à la une et portraits : Sarah Zouak