Retour du l’édition 2023 du festival Lallab, « Les Guérisseuses »

par | 17 mai 2024 | (Dé)construction, Actualités

Le samedi 3 juin 2023 avait lieu à Paris notre Festival Lallab Birthday, le festival féministe et antiraciste qui célèbre les femmes musulmanes. Plus de 500 personnes étaient présentes à la Bellevilloise pour assister à une journée de tables rondes, de talk et de performances artistiques.

Nous revenons aujourd’hui sur cette 7ème édition, dont le thème était “Les Guérisseuses”. Introduire du soin dans nos luttes est un enjeu féministe et antiraciste, ce thème ayant été au cœur de cette magnifique journée.

“Prendre soin de nos corps et de nos âmes meurtries est politique

Après « Les Héritières », « Les Croyantes », « Les Tisseuses », nous avions choisi à Lallab de nommer cette année le festival “les Guérisseuses ». Raphaëlle, bénévole pour l’équipe organisatrice, nous explique que l’objectif était de « montrer que le combat se mène aussi par la guérison, ça se mène aussi par le côté communautaire, collectif et doux« .

Ainsi, « faire une thématique autour des guérisseuses, c’est affirmer que nous méritons de l’amour, du respect, de l’écoute, de la justice et qu’il est possible de créer des collectifs basés sur ces valeurs » a déclaré Hadjer, ancienne co-présidente de Lallab, en ouverture du festival.

« Au-delà de la lutte contre ce système raciste, sexiste, validiste, lgbtqiphobe, écocidaire capitaliste, et plus encore, c’est également proposer d’autres modèles »  a ajouté Maryème, vice-secrétaire de l’association. Au programme de cette journée : des tables rondes, des performances artistiques.  

Hanane KARIMI, maîtresse de conférence en sociologie, autrice de « Les femmes musulmanes ne sont-elles pas des femmes ? », a prononcé un discours rempli d’émotion. Elle a évoqué la colère que l’on ressent lorsque l’on milite en tant que femme musulmane, que l’on subit le racisme, le sexisme, l’islamophobie : « J’ai lutté, j’ai crié, j’ai pleuré de colère, je me suis tellement indignée. Mais personne ne m’avait jamais dit que cela consume, abîme aussi« . Mais être en colère ne suffit pas : « Prendre soin de nos corps et de nos âmes meurtries est politique […]. Trouvez une communauté au sens politique du terme qui vous console, vous écoute et vous soigne : c’est un acte politique« . 

« Chez Lallab être blessé.e n’est pas une faiblesse, c’est un constat qui n’est pas immuable»

Hanane Karimi

“Une guérison pour fermer les cycles de violences et aller vers un avenir émancipateur”

Tout au long de l’après-midi, les différentes intervenantes nous ont partagé leur vision de ce que pourrait être le chemin vers une guérison collective. 

Se réapproprier nos vécus, nos savoirs, nos luttes; chacune des personnes a mis en lumière ce à quoi pourrait ressembler « une guérison qui nous permet de nous affirmer, de conscientiser, de fermer les cycles de violences pour aller vers un avenir plus radieux et émancipateur« , selon les mots de Fatima Bent, ancienne co-présidente de Lallab. 

Rachida Brahim, sociologue et psychanalyste, autrice de « La race tue deux fois », nous a conté son récit de guérison, d’héritage familial et d’amour absolu. Le soin, pour elle, c’est « déverser de l’amour sur les plaies« .

Lorsqu’on accepte de se rassembler entre femmes, de se laisser traverser, d’avoir l’humilité de reconnaître que nous ne sommes absolument rien, il y a des miracles qui arrivent.”

Rachida Brahim

La guérison passe par la réappropriation de nos savoirs religieux pour la psychologue Hafsa Kerkri. Au travers de l’histoire de Maryam  (رضي الله عنها), une femme ayant un rôle majeur dans le Coran, on apprend qu’être blessé.e n’est pas une faiblesse :

Maryam, a eu un rôle qui a changé l’humanité. Et pourtant elle a souffert. Elle a pleuré. La prochaine fois que vous toucherez le fond, n’ayant pas honte de vos pensées, de vos pleurs. Entendez-les. Écoutez-les. Accueillez-les. Et si quelqu’un souhaite vous culpabiliser, racontez lui l’histoire des larmes de Maryam.”

HAFSA KERKRI

Le soin passe aussi par la lutte pour notre environnement. Pour Sanaa Saitouli-Taraoré, co-fondatrice de Banlieues Climat, des sujets aussi importants que la santé, l’alimentation ou la parentalité doivent être réappropriés. Cette intervention a particulièrement touché Fatine, qui assistait pour la première fois à un événement organisé par Lallab :  “Le sujet du climat est un sujet que l’on pense réservé aux bobos, à une certaine classe sociale. En tant que musulmane, la planète Terre est une amana dont il faut prendre soin. Alors, pourquoi tout le monde ne s’intéresse pas à ces questions ? Et puis, on a toujours fait nos courses en vrac, on se donne nos vêtements, il n’y a jamais de gâchis de nourriture. Il y a déjà un système d’entraide. Maintenant, on revient vers nous pour nous apprendre ces gestes qui font déjà partie de notre culture.”

Pour Stella Tiendrebeogo, psychologue, le racisme de la société entraîne la nécessité pour chacun.e de guérir par la parole, et d’avoir des thérapeutes qui nous ressemblent : “Pour exploiter une personne et avoir le dessus, on la déshumanise, on lui retire son droit d’avoir des émotions.” Il est donc urgent d’œuvrer à notre guérison collective, comme nous l’a expliqué Selma Sardouk, coach et thérapeute décoloniale, en utilisant nos savoirs ancestraux comme un outil de libération collective.

La guérison, c’est aussi intégrer le soin dans nos espaces militants. Massica Rahabi, co-fondatrice de la marche féministe antiraciste nous explique que dans les milieux antiracistes, les femmes et les personnes lgbtqi+ racisées sont dans un étau, entre un état qui les opprime et des collectifs qui reproduisent les schémas de domination. Pour lutter contre les violences intra-communautaires, il faut  “créer des méthodes de gestion du pouvoir dans des espaces qui sont là pour nous donner du pouvoir”.

Notre guérison doit se faire collectivement : “ la charge de l’intransigeance ne doit pas reposer sur les victimes mais doit être portée collectivement”.

Massica RAHABI

La guérison, c’est aussi la transmission. Transmission de savoirs, de pratiques, d’amour, de soin pour guérir, et guérir mieux. Une guérison qui s’incarne dans la parentalité pour Sarah Demir, créatrice du podcast Mon Post Partum.

Créer nos propres espaces de guérison, de pouvoir, de solidarité.

Depuis sa création, Lallab a été pensée comme un espace de soin, de sororité. Cet espace où la guérison passe par le fait d’apprendre, de se réapproprier les savoirs, les histoires, qui nous appartiennent. Pour Assadiallo Doucoure, co-présidente de Lallab,  “guérir passe par le fait de raconter, rendre visibles” nos récits. C’est cela qui nous permet d’être ancré.es et de construire du pouvoir. 

Chez Lallab, on s’organise autour de deux campagnes : une campagne sur les discriminations à l’encontre des femmes musulmanes dans le monde du travail et une campagne sur les violences intra-communautaires, pour “se regarder en face et dire ce qui ne va pas”, selon Assadiallo. 

Ces deux campagnes sont une seule et même pièce où s’imbriquent des enjeux de pouvoir et de savoir. L’objectif:  créer nos propres espaces de guérison, de pouvoir, de solidarité.

Pour Nawal, bénévole organisant la campagne contre les discriminations au travail, il s’agit de “reprendre le pouvoir sur les discriminations et le harcèlement que j’avais vécus au travail.”.  Pour cette présentation de notre campagne pour le festival,  « On est parties du travail fait avec mon projet Balance ton Boss. Il y a des chiffres importants à avoir en tête, par exemple que 1/% des femmes musulmanes qui portent le voile ont une chance d’être convoquées à un entretien. L’idée est de montrer ce qu’on fait et que les gens prennent conscience des enjeux ».

Ce Lallab Birthday était l’occasion de mettre en lumière ces enjeux, et aussi de célébrer.

De célébrer avec une équipe de bénévoles qui organisent cet événement depuis de longs mois. “ C’est hyper enrichissant comme expérience. On a chacune des ressources un peu insoupçonnées et c’était hyper cool de les mettre en commun et d’arriver à ce résultat aujourd’hui« , nous raconte Raphaëlle, qui a travaillé sur la programmation du festival. 

Parmi les nombreuses personnes venues assister au festival, certaines entendaient parler de Lallab pour la première fois, comme Yakari. « Une amie m’a parlé de l’association et m’a dit : “ j’en dis pas plus, inscris-toi à leur événement. Je  me suis inscrite, je suis venue et honnêtement je ne suis pas déçue ! Je fais de belles rencontres et il y a des thèmes hyper intéressants qui peuvent me servir dans ma vie personnelle ou au travail”.

✨Le Festival féministe et antiraciste de Lallab qui célèbre les femmes musulmanes revient !

📅 RDV dimanche 2 juin de 12h à 18h à la Bellevilloise à Paris !

✌🏽19-21 Rue Boyer, 75020 Paris

✊🏽 Pour son 8e anniversaire, le festival Lallab aura pour thème « Et le travail ? » !

Crédit photos : Dalal Tamri