5 choses que j’aurais aimé savoir avant de porter le voile

par | 1/11/16 | (Dé)construction, Nos Voix

#MAROC.
Mon choix de porter le voile date de plusieurs années durant lesquelles je ne me suis généralement pas sentie différente. En effet, je vis dans un pays musulman où règne une diversité précieuse, dans laquelle le port du voile est loin de vous attirer tensions ou violences. Néanmoins, et depuis le matin où j’ai pris cette décision, demeurent ancrés dans ma mémoire toutes ces réactions, ces regards et ces répliques que j’ai reçus lorsqu’à des moments donnés et aux yeux des autres, seul mon voile m’a définie.
Aujourd’hui, l’accumulation de ces situations, bien qu’elles paraissent dérisoires, ne m’a pas laissée indifférente. C’est pour cette raison qu’il y a 6 ans, j’aurais aimé que l’on me dise certaines choses.

 

1) Tu pourras être rejetée dans le monde du travail.

 

J’ai pris conscience de cette réalité pour la première fois il y a plusieurs années. C’est l’histoire d’une connaissance fraîchement diplômée à qui le recruteur avait insinué sans scrupules que le seul moyen pour elle de décrocher le job était de se passer de son voile.

Dès lors, j’ai cru que les années passeraient et que le recruteur finirait par se rappeler que nous vivons dans un pays musulman où le monde du travail est régi par un code qui interdit clairement toute discrimination fondée sur des considérations religieuses, raciales, idéologiques ou politiques. J’ai cru qu’au fil des années, au lieu de m’interdire un choix qui n’affectera en rien mes compétences et ma motivation pour un poste X, sous prétexte qu’être voilée est synonyme de repli sur soi, de manque d’ouverture d’esprit et de mauvaise image face à la clientèle, le recruteur aurait pris le temps de redéfinir ce qu’est réellement l’ouverture d’esprit. J’ai cru qu’en 2016, le port du voile ne sera plus une « barrière » pour la simple raison que nous sommes en 2016 et que nous vivons à l’ère de la mondialisation.

J’ai cru oublier cette histoire jusqu’à ce que la réalité s’impose : on a proposé à mon amie, durant un entretien pour un stage, de choisir entre son voile et le poste. Elle pouvait prendre 24 heures pour y réfléchir. Mais on ne réfléchit pas dans ce genre de situations… on a mal au cœur.

Ne t’en fais pas, car même si ça existe bel et bien au Maroc, ce n’est pas le cas général. Mais si par malchance, le poste qui t’intéresse t’est refusé pour la simple raison que tu es voilée, attache-toi à tes principes mais quelle que soit ta décision, sache que toute l’équipe de Lallab te soutiendra et pense très fort à toi.

 

2) Tu inspireras du respect… mais pas forcément le plus sain des respects.

 

C’est certainement la meilleure des choses d’être respectée par les gens, mais généralement quand on décide de mettre le voile au Maroc – ce qui implique le fait de s’habiller « modestement » –, certaines personnes nous perçoivent d’une façon bien particulière. Une perception qui, à mon sens, mérite d’être abordée. Un garçon qui ne m’avait jamais dit bonjour en me rencontrant dans les couloirs, s’approche de moi le premier jour où j’ai « exposé » mon choix au vu de tous… et m’applaudit. « Tu as fait le bon choix », me dit-il tout en inclinant sa tête en signe de respect. Les premiers jours étaient les plus révélateurs car du jour au lendemain, des personnes – quoiqu’elles n’aient pas été nombreuses – ont réagi à ma décision d’une façon qui m’avait annoncé à l’époque (et reflète aujourd’hui) une vision dominante dans la société marocaine vis-à-vis du voile.

Quelques jours après, m’habituant petit à petit à ma nouvelle situation, un autre garçon, à qui je parlais assez souvent, me salue pour la première fois en se pliant presque en deux.
Qu’étais-je devenue ? Une sainte ?

Quelques années plus tard, alors que j’étais dans un marché avec une amie étrangère au pays, un vendeur de sacs me lance, après s’être assuré qu’elle ne parlait pas arabe : « Si je vous le vends à ce prix, c’est uniquement parce que tu es voilée, une femme respectable et « bent nass* ». Si ton amie était venue toute seule, elle ne l’aurait pas eu à ce prix ».

Tu vivras bien des situations de ce genre, qui auraient plu à beaucoup d’autres car elles indiquent que la société a dit son mot sur ton choix personnel… et qu’elle l’a approuvé.
Ne te satisfais pas de ces situations, non pas parce que tu n’es pas digne de respect, loin de là. Mais parce que ce respect en particulier, qui te sera adressé uniquement parce que tu es voilée, insinuera que toute autre femme qui ne l’est pas n’en mérite pas autant. C’est triste et injuste !
 
* « Bent nass », en arabe : Fille d’une bonne famille. Selon la perception marocaine, c’est généralement une fille qui a eu une bonne éducation, qui est pudique, qui ne sort pas le soir et qui a peu ou pas d’amis masculins.

 

3) Tu seras un extra-terrestre pour les étrangers.

 

Le choix du port du voile ne ressemble à aucun autre choix personnel, et dans des contextes particuliers, il n’est pas aussi personnel qu’il parait l’être. Ça tourmente, ça dérange et parfois… ça menace. Les médias nous l’ont bien fait comprendre ces dernières années. Le voile n’a rien de menaçant dans un contexte arabo-musulman, mais lorsqu’une femme voilée décide de quitter son pays, que ça soit pour chercher un travail, s’installer à l’étranger ou tout simplement faire du tourisme, elle se perd en considérations innombrables… dont les jugements des autres, et donc la crainte d’être rejetée.

J’ai quitté le Maroc pendant un mois et demi pour prendre part à un projet éducatif qui rassemblait des bénévoles, tou.te.s de nationalités différentes. L’acceptation y régnait malgré la diversité et je m’y suis faite des ami.e.s pour la vie. Néanmoins, les regards curieux de certain.e.s n’allaient pas tarder. Quelques personnes éprouvaient de l’hésitation à m’approcher, alors qu’elles semblaient très à l’aise avec les autres participant.e.s. « Est-elle abordable ? », disaient leurs regards. Ils ont obtenu leur réponse dès lors que j’ai présenté un sujet devant l’ensemble des participant.e.s, chose qui traduisait qu’effectivement je l’étais. J’étais alors abordable… pour entendre ce qu’on pensait de mon voile, car apparemment c’est un sujet d’ordre général.

« Tu portes beaucoup trop de vêtements »
« Est-ce que tu as des cheveux, au moins ? »
« Le soleil ne fera aucun mal à tes cheveux, crois-moi »

A moi-même et à mon amie à qui, dans un autre pays, on avait dit d’enlever son voile avant d’entrer en classe pour ne pas « choquer » les élèves, j’aurais dit que oui, ces remarques – et même si elles m’ont été dites par une minorité – s’accumulent… et ne s’oublient pas.

Le problème n’est pas un vêtement de plus ou un rayon de soleil de moins, car ta lumière émane de l’intérieur, à travers les valeurs que tu portes et la spiritualité que cela te procure.

 

4) Tu n’échapperas pas au fameux débat : « Voile : tradition ou obligation ? »

 

Chaque femme musulmane voilée débattra au moins une fois dans sa vie de ce sujet. Quels que soient les motifs l’ayant poussée à porter le voile, elle n’échappera pas au fait de concevoir un argumentaire dans ce sens. J’avais élaboré dans ma tête les réponses à toutes les questions possibles, qui allaient me donner raison face aux autres, qui étaient censées me rassurer. Je gagnais souvent mes débats mais aujourd’hui je me rends compte que ce n’est pas ça l’important.

Dans quelques situations, tu n’auras sûrement pas toutes les réponses du monde, mais le seul et unique argument qui importe, tu ne le devras qu’à toi-même et à personne d’autre.

 

5) Ton voile supposera pour beaucoup se cacher du regard des hommes.

 

Le voile est malheureusement encore perçu comme moyen de soustraire la femme, objet de tentation, aux regards affolants des hommes. L’idée serait donc de couvrir les appâts féminins et ne pas les exposer à un homme victime car étant facilement attiré.

Une illustration avait longtemps circulé sur les réseaux sociaux et est toujours employée pour « défendre » le port du voile : « Une sucette sans enveloppe c’est comme une femme sans voile, elle est couverte de mouches à merde ».

Je ne voudrais pas être comparée à une sucette parce que je ne peux être réduite à un objet, et cet exemple me fait plus de mal que de bien. Cet exemple ne me rassure pas sur mon choix et réduit à néant la belle valeur symbolique du voile. Mon voile existe vis-à-vis de Dieu et non des hommes. C’est un symbole d’appartenance, une source de spiritualité et surtout un choix libre se révoltant face à cet unique modèle de liberté qu’on essaie de nous imposer.

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