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Nadina Ali – Portrait d’une artiste autodidacte et engagée

Nadina Ali est une artiste Française et Comorienne, originaire de Marseille. Elle vit aujourd’hui à Londres et se définit comme « Black Muslim Working Class Graphic Artist » comprenez : une femme noire, musulmane, issue de la classe ouvrière et graphiste. Après avoir étudié le stylisme et le modélisme à la Manchester Metropolitan University, elle commence sa carrière dans la mode avant de se dédier entièrement au graphisme.

 

Il suffit d’un simple coup d’œil sur son site Nadina Did This ou sa page Instagram, pour comprendre son affection particulière pour la typographie et les couleurs vibrantes ! Passionnée par les questions de justice sociale et environnementale, Nadina utilise ses plateformes afin de partager des messages importants autour de ces thèmes. Cependant, son travail ne se limite pas à internet, ses diverses collaborations ont permis à son art de s’exprimer au travers de médiums divers et variés. De la récente couverture du livre ‘Carefree Black Girls’ de Zeba Blay à sa participation à la campagne Black Outdoor Art – une initiative sociale et créative organisée par Greg Bunbury afin d’amplifier les voix des artistes noir.es. Nadina a aussi collaboré avec de nombreuses associations caritatives, comme la Croix-Rouge, et participé à des campagnes de sensibilisation pour des causes qui lui sont importantes.

 

 

Decolonize everything

 

 

En janvier 2022, le travail de Nadina est exposé pour la première fois au musée ! Une nouvelle visibilité qui lui a permis d’attirer l’attention de la chaîne de télévision BBC qui l’a interrogé à l’occasion. C’est au musée de la migration de Lewisham, au sud-est de Londres, que l’on peut voir son installation « Where are you from ? » qui peut se traduire par le fameux « Tu viens d’où ? » dont certain.e.s d’entre nous ont trop souvent été exposé.

 

 

 

Nadina explique qu’il s’agit pour elle d’une question qui peut être problématique et intrusive lorsqu’elle est systématiquement posée à des personnes racisé.e.s et/ou qui ont un accent. Comme si la couleur de peau ou la façon de parler étaient des éléments qui requièrent plus d’investigation. À travers cette installation, Nadina souhaite ouvrir la question à tous.te.s peu importe la couleur ou l’accent et explique le choix des lettres en 3D pour représenter la multidimension de ses identités. Son « Where are you from ? » est aussi un rappel qu’il n’existe pas toujours de réponse simple à une telle question et met en question l’utilité d’en faire une excuse pour échanger des banalités.

 

Pour Lallab, Nadina revient sur son parcours, pas toujours évident, et partage avec nous ce qui l’a aidée à surmonter les difficultés ainsi que ce qui l’anime depuis le début.

 

 

Tu t’es expatriée très jeune, peux-tu nous en dire plus sur les motivations de ce choix et comment cela à contribuer à ton épanouissement en tant qu’artiste ?

 

Je suis partie en 2005, principalement parce que j’estimais mes perspectives d’avenir limitées en restant à Marseille. Rien ne m’encourageait à poursuivre les arts créatifs, et en particulier la mode, que j’aurais aimé poursuivre au niveau professionnel à l’époque. J’aimais la mode et le dessin, mais je ne pouvais pas m’empêcher de me demander si je pouvais me permettre ce choix, car je pensais que je n’avais pas le profil.

 

Petite, je n’allais pas aux musées, car ma famille n’avait pas forcément les moyens de nous y emmener. Et s’il existait des créneaux gratuits, l’information ne parvenait pas jusqu’à nous. J’ai d’ailleurs cru pendant longtemps qu’aller au musée était une activité réservée aux blancs issus des milieux aisés. La société française n’encourage pas l’accès à l’art de façon inclusive. Un certain esprit élitiste persiste, tandis que l’approche à l’art est totalement différente en Angleterre, où l’entrée aux musées est souvent gratuite. Une fois en Angleterre pour mes études, avoir accès aux musées aussi facilement m’a ouvert les yeux sur ce qu’il était possible de réaliser malgré le milieu d’où je viens. Pour moi, c’était un vrai privilège d’accéder à une telle diversité de musées et d’expositions différentes, et j’en ai profité au maximum dès mon arrivée. Vis-à-vis de mon épanouissement en tant qu’artiste, je peux réellement dire qu’aller au musée ça a été mon école d’art à moi !

 

J’avais déjà pensé à l’école de mode, mais quand j’ai perdu mon père, durant ma dernière année de lycée, j’ai vite réalisé que de tels frais de scolarité allaient être une charge difficile à supporter pour ma mère devenue veuve. De plus, dans les milieux dits « défavorisés », les carrières artistiques sont rarement priorisées ce qui m’a encore plus découragé de poursuivre cette voie. J’ai fini par bifurquer sur une licence de langues étrangères appliquées (L.E.A.) par défaut, à la fin de laquelle j’ai décidé de faire une pause pour réfléchir à mon projet professionnel. C’est ainsi que je me suis retrouvée fille au pair pendant 6 mois à Manchester. À cette époque, je passais mes soirées à rechercher des cours de stylisme et couture en ligne pour m’occuper et c’est comme ça que je suis tombée sur une licence de stylisme et modélisme à la Manchester Metropolitan University. J’ai postulé et réussi à obtenir une bourse qui m’a énormément aidée à poursuivre mes études à l’étranger ! En Angleterre, bien que tout ne soit pas parfait, il y a une vraie démarche pour rendre les choses accessibles, peu importe d’où tu viens, tu peux accomplir quelque chose.

 

Il m’arrive parfois de me demander ce que j’aurais pu faire, peut-être même plus vite, si j’étais née dans le « bon milieu », si j’avais grandi avec une solide culture artistique. Certes, j’ai dû faire d’énormes détours pour arriver là où je suis aujourd’hui, mais je suis tout de même fière de mon (long) chemin, et de toutes les victoires et accomplissements sur la route. Dans ces moments-là, je remercie la jeune Nadina pour avoir eu le courage de prendre la décision de partir et de changer la trajectoire de ma vie.

 

 

Peux-tu nous expliquer pourquoi tu as quitté la mode pour te diriger vers le graphisme et la création de ‘Nadina Did This’ ?

 

Après avoir étudié pendant 4 ans et travaillé dans la mode pendant presque 10, j’ai fini par ouvrir les yeux sur la réalité de ce monde et de son manque de principes éthiques. La maltraitance des employés d’usine dans les pays dits “sous-développés” ainsi que le non-respect de l’environnement au nom des dernières tendances devenaient de plus en plus difficiles à accepter. Je ressentais aussi depuis un certain temps, et malgré les différents postes que j’ai occupé – du développement de produit au contrôle de qualité, qu’il me manquait un processus créatif dans mon quotidien. D’ailleurs, c’est pour cette raison qu’à cette époque de ma vie, j’occupais tout mon temps libre avec des loisirs créatifs, de la sérigraphie, de la couture, et même de la pâtisserie. Ces activités étaient pour moi une échappatoire créative indispensable et au fond de moi, je savais très bien que j’avais besoin de poursuivre des activités créatives au-delà de mon temps libre.

 

Finalement, en 2017, j’ai fini par admettre que je n’étais plus épanouie dans ce milieu. J’ai pris la décision de quitter mon travail et Manchester pour Londres, où j’ai choisi de travailler en tant que pâtissière pendant presque deux ans et de tester un changement de carrière qui me tentait depuis un moment. Les horaires flexibles, m’ont permis de m’accorder du temps pour commencer le graphisme et la typographie plus sérieusement. Petit à petit, j’ai commencé à réaliser quelques projets pour des amis, ce qui me donnait l’occasion de me perfectionner sur des logiciels type Illustrator. Ces premiers projets m’ont par la suite donné la confiance nécessaire pour me lancer sur Instagram. Un choix qui m’a très vite confortée dans l’idée de toucher et inspirer le monde qui m’entoure par mon travail. J’ai décidé d’en faire l’objectif de ‘Nadina Did This’, faire bouger les choses à mon échelle et de manière autodidacte.

 

 

Peux-tu nous partager un moment clef, qui s’est révélé décisif par la suite ?

 

En 2020, je me suis retrouvée licenciée après la première vague de la pandémie, ce qui m’a amenée à faire le point et à réfléchir. J’ai fini par faire ce que j’avais prévu de faire un jour ou l’autre, et j’ai décidé de me concentrer sur ‘Nadina Did This’ à plein temps. Au début, je l’ai pris comme un challenge personnel, afin de voir jusqu’où je pouvais aller. Assez vite, j’ai compris que la réponse était : loin, potentiellement même très loin !

 

Puis il y a eu le meurtre atroce de George Floyd qui a été pour moi un rappel important que nous continuons de vivre dans une société extrêmement raciste et qu’il reste encore beaucoup, beaucoup de travail à faire avant que l’on puisse tous.te.s vivre librement. J’ai eu encore plus envie qu’avant d’utiliser ma voix et ma plateforme pour toucher un maximum de gens.

 

En poursuivant dans cette voie, et en toute honnêteté, j’ai été envahie par le doute plus d’une fois. Clairement, le profil type de l’artiste ou du graphiste, ce n’est pas moi. Je ne me suis pas toujours sentie légitime à cette place en tant que femme noire, musulmane et ne venant pas d’un milieu aisé. Mais en même temps, si je ne parle pas des sujets qui me tiennent à cœur, qui va le faire ? Pendant longtemps, j’ai attendu que quelqu’un d’autre le fasse à ma place. Jusqu’à un certain moment, où à force de voir le monde régresser, tout en ne me voyant pas représentée, je me suis dit : « Copine, va falloir que tu prennes le micro et que tu parles ! ». Je pense sincèrement que quand on ne voit pas ce dont on a besoin et qu’on ressent qu’il faut que les choses changent, il faut le faire par soi-même. En affrontant ces phases de doute, j’ai compris qu’il est toujours important de s’exprimer, car si c’est important pour moi, ça l’est certainement pour d’autres. Le piège du doute, c’est qu’il peut dangereusement nous conduire vers l’immobilisme. Ne rien faire, se taire, sont autant d’occasions ratées, car on ne sait jamais qui on va toucher et c’est aussi comme cela que l’on crée un effet boule de neige dans cette continuité.

 

 

 

Si tu pouvais donner un conseil à la jeune Nadina ?

 

Même si tu ne vois personne qui te ressemble dans la carrière que tu veux poursuivre, ne te laisse pas décourager et crée ton propre chemin pour y arriver. Si tu as la volonté et le talent, ne laisse jamais la société te faire douter de toi ni de tes capacités. Une fois que tu auras décidé de ce que tu veux faire, c’est ton destin ! Il n’est pas inaccessible et tu es tout à fait capable de l’accomplir.

 

 

Que dirais-tu à toutes les femmes qui pourraient te ressembler ?

 

Sans hésitation : nos difficultés deviennent notre force !

Il y a déjà un grand nombre de choses dans nos quotidiens qui nous ramènent constamment à nos difficultés et à leurs douleurs. Face à un système qui fait tout pour nous décourager, réaliser que l’on peut utiliser nos difficultés comme un carburant, un moteur pour aller plus loin, nous permet de transformer un milieu hostile en une motivation pour se dépasser. Ce que je veux dire par là, c’est qu’on peut tous.te.s faire quelque chose à notre échelle. Pas besoin de mettre une casquette d’activiste pour dire sa vérité, on peut tous.te.s faire quelque chose pour faire avancer une cause. Pas besoin d’être la réincarnation de Martin Luther King pour faire avancer les choses non plus. Malgré ce qu’on voudrait nous faire croire, nous, les gens de tous les jours, avons le pouvoir d’améliorer les choses !

 

 

 

Pour continuer à suivre les aventures de Nadina, n’hésitez pas à la suivre sur son compte Instagram et si vous avez aimé son travail, jetez un œil à sa boutique Etsy !

 

 

 

Crédit photos : Nadina Ali

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Persia – Graphiste – de l’art, du business et de l’humour

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« Croire en soi et ne pas avoir peur. »

Persia | Graphiste – de l’art, du business et de l’humour

 @persiadesignn est une page Instagram tenue par une jeune graphiste. Mise en page de livres – couvertures – illustrations – brochures visuelles – packaging – web design, elle travaille avec vous votre identité visuelle sur mesure, de A à Z. Retrouvez son univers et ses vidéos IGTV où elle vous explique son processus créatif avec une dose d’humour sur sa page Instagram .

Shéhérazade est graphiste en freelance depuis maintenant trois ans. Après un BTS en marketing et une année à l’université, elle décide de se consacrer à sa passion, le graphisme. Elle commence par identifier le terrain sur lequel elle vient de se lancer. Après avoir réalisé qu’il y avait un réel potentiel sur le marché, elle décide de saisir cette occasion et ainsi elle donne naissance à @persiadesignn.

Dernièrement, elle a travaillé sur la mise en page et la conception graphique du livre « T’attends quoi » de Nabil Samni, et le résultat est explosif. Veuillez admirer ce chef d’œuvre ici.

Pourquoi, je vous présente Shéhérazade ? La réponse est sur sa page Instagram. Sur celle-ci, Persia présente son univers artistique : des pochettes d’album fictives, du artwork poétique, de la poésie en vers libre, et des vidéos où elle vous présente son processus créatif de manière humoristique. En un mot, un univers, une personnalité et un style authentiques.

Pourquoi les vidéos IGTV? « Je suis beaucoup de youtubeurs-graphistes, et ils montrent leurs métiers de manière très professionnelle. Je voulais faire quelque chose de différent, tout en restant moi-même. »

Le processus créatif de Persia : « Je ne peux pas travailler sans musique. L’art et la musique m’inspirent énormément. D’abord, je fais quelques recherches sur le net et après je me lance, l’inspiration vient après, ça vient dans le tas. »

Lors de notre échange, Persia me confie qu’elle a envie de se spécialiser dans la mise en page de livres et de couverture de jeux vidéo, d’albums de musique…

« Je fais ce que je veux et je fais ce que j’aime faire. »

Persia a appris en autodidacte l’utilisation des logiciels de graphisme. Elle a toujours aimé créer, et c’était pour elle une évidence de faire du graphisme son métier. Elle trouve, dans ce métier, une flexibilité, et une liberté, qu’elle ne changerait pour rien au monde.

Un conseil pour les futurs graphistes ? « Un conseil que j’aurais aimé avoir : tu ne crées pas qu’un simple design, tu apportes un résultat, une plus-value à tes clients ! En tant qu’artiste, notre temps est compté, et donc n’ayez pas peur de faire valoir vos droits »

« J’aimerais qu’on reconnaisse la valeur de mon travail et celle de tous les graphistes et artistes, en tout genre, qui existent. »

 

Autrice : Jou RH

source image : @persiadesignn 

 

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Diffuse la bonne parole

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La musique, un art – Mona Haydar, Yuna, Neelam Hakeem

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« L’art est le défouloir de l’âme »

 

Le hijab ça dérange, ça dérange un peu partout en France, ça, on le sait. Quand c’est une femme qui s’exprime – et qui ne répond pas aux critères que la société lui impose, ça dérange encore plus. Ça frustre, ça énerve beaucoup de monde, et certains.es pensent pouvoir s’exprimer et donner leur avis. Les réseaux sociaux permettent aux langues de dire tout et n’importe quoi …

Une femme portant le hijab ne doit pas faire ci, ne doit pas faire ça. C’est haram, c’est halal… Tout le monde a un avis sur la femme musulmane. Musulmans.es ou non d’ailleurs. Bref…Je peux en faire des pages, mais aujourd’hui ce n’est pas le but. Aujourd’hui, j’aimerais parler d’art, de musique, de femmes incroyables, aux voix incroyables, aux talents incroyables…

J’aime la musique. J’aime la musique douce et lisse, qui me berce et me bouleverse. J’aime la musique engagée remplie de rage et de colère, celle qui est soyeuse et souple, et qui reste malgré tout remplie de poésie. La musique pour moi, c’est une forme d’art. J’aime l’art sincère, l’art qui me parle, qui me chuchote, qui me brusque, qui me fait mal au cœur, et qui touche mon âme. Les artistes qui créent du fond de leur cœur, du fond de leur âme, je les aime. Ô, que je les aime ! J’aime croire que l’art est le défouloir de l’âme. L’art est aussi une arme et une forme de résistance. La musique en fait partie.

Cet univers, qui parfois dérange certains.es, embrase d’autres. J’aime le rap, la pop, le R&B, le raï, la trap, le blues, le châabi. J’aime le classique, le traditionnel, le slam,…Mais je vous l’avoue, j’ai une préférence pour le rap français. J’aime les rimes, j’aime les tournures et les figures de styles, de cette langue. J’aime le côté poétique du rap, mais étrangement, ce n’était pas la musique française qui m’a poussée vers ce style.

Je suis tombée amoureuse du rap durant mon enfance… Ce n’était ni la plume de Diam’s ni celle de Kery James qui m’ont poussé dans l’antre. Pour les connaisseurs.es, c’était Fnaire, avec leur chanson « Yed el henna », un groupe de hip-hop marocain. Du rap au classique, j’ai commencé à apprécier d’autres styles, cependant, la majorité de la musique que j’écoutais (en français) n’était réalisée que par des hommes. Mon âme se trouvait rarement satisfaite par la gent féminine française, ce constat était pire quand on parlait du monde du rap. Pour moi, aucune réelle représentation.

Les femmes très peu présentes sur la scène du rap français, encore pire quand on parle des femmes de couleur, et de femmes musulmanes, n’en parlons même pas quand elles portent le hijab. Critiquées, harcelées des deux côtés, de toutes les communautés, acharnement médiatique, sans arrêt.

 

« Rappez, chantez, dansez, soyez heureux.ses ! »

 

Moi, je veux voir des meufs dire non aux règles et à la masse. Je veux voir des meufs heureuses et épanouies dans leur art. Si elles veulent rapper, qu’elles le fassent, si elles veulent chanter qu’elles le fassent, si elles veulent danser qu’elles le fassent, et qu’on arrête de les réduire à leur genre et à leur façon de s’habiller.

J’ai découvert ces dernières années des femmes qui dépassent l’incroyable. Je n’ai jamais vu des artistes rapper, chanter, danser avec autant de classe tout en étant elles-mêmes. Aujourd’hui, j’aimerais vous présenter trois artistes qui sont de vraies inspirations pour de nombreuses jeunes filles : Mona Haydar, Yuna et Neelam Hakeem. Cet avis n’engage que mon âme et moi. J’espère que leur art percera votre cœur. 

 


Crédit photo : Mona Haydar

 

 

«  I am cool, I am mood, I am dude, I am Mona. » » Mona Haydar

 

L’incontournable Mona Haydar, cette artiste américaine d’origine syrienne est déjà connue de Lallab, si vous ne la connaissez pas encore, je vous invite à écouter son travail.

Poétesse dans l’âme, elle écrit depuis ses sept, huit ans. A 14 ans, elle se produisait déjà sur des scènes locales et des cafés. De la poésie, elle passe au rap, des petites scènes, elle passe aux scènes internationales.

Féministe, engagée, militante, activiste politique, elle l’est. Il suffit d’écouter « Hijabi » ou « Barbarian ». Mais avant tout, c’est une artiste. Une rappeuse.

Le mot « berbère » m’a toujours dérangé, depuis l’adolescence, je ne l’ai jamais aimé, j’avais du mal à l’employer, et lorsqu’il sortait de ma bouche, je me sentais mal à l’aise, pour la simple raison que « berbère » est un mot dont l’origine est très controversée avec le mot barbare, je vous laisse la liberté de le googliser.

Moi, j’aimerais vous parler de la façon dont Mona Haydar s’approprie le mot « barbarian » barbare en français et l’utilise poétiquement.

Dans une interview en 2019, l’artiste explique que dans ce morceau, elle parle de « ceux qui regardent la culture arabe, ou n’importe quelle culture indigène, non-blanche en se disant qu’elles sont moins glorieuses, que ces peuples sont sales, barbares, sauvages et non civilisés ».

Oubliez la vision occidentale sur les femmes issues d’une culture indigène, dans le clip, « Barbarian », on voit des femmes habillées traditionnellement (je vous avoue les seuls vêtements que j’ai reconnus étaient la djellaba et la gandoura, mais il y avait d’autres tuniques traditionnelles n’hésitez pas à partager les noms si vous les reconnaissez!), outre le vêtement traditionnel, il y a les incontournables tatouages au henné et les youyous ainsi que les instruments traditionnels (oud). Qui ne s’est pas déjà tatoué au henné ici ?! Qui n’a pas porté un vêtement traditionnel ?

Vous l’aurez compris, Mona Haydar scande haut et fort qu’il faut être fier de ses origines, et ne pas laisser l’Occident définir nos racines et notre culture… Donc la prochaine fois que tu veux manger à la main, et que tu as peur de passer pour une personne « bizarre et pas civilisée », envoie bien loin cette pensée et mange comme tu le sens ! 

 


Crédit photo : Yuna

 

« I am proud, it’s my choice to cover up my body. I’m not oppressed. I’m free » Yuna

 

Yuna est une chanteuse malaisienne. Cette artiste est connue dans son pays, mais l’est moins à l’extérieur. Je crois fort que cette jeune femme n’a pas la carrière qu’elle mérite. Sa musique est une ode à l’âme.

J’ai découvert Yuna grâce à sa chanson « Does she ». Sa voix m’a énormément touchée. De la douceur, de l’amour, voilà ce à quoi je pense quand j’écoute sa musique. Elle me transporte ailleurs. J’aime l’art sincère, et celui de Yuna l’est, en particulier, son album « Rouge ». Sa musique parle beaucoup d’amour, elle m’a séduite.

Lors d’une interview en 2020, elle confie qu’elle était honnête dans cet album. Elle évoque le fait d’être une femme musulmane dans l’industrie de la musique, qui a essayé de s’intégrer dans les normes de la culture occidentale et orientale. Finalement, elle a réalisé qu’elle devait juste être elle-même.

Et cela lui a bien réussi, dans cet album, elle a collaboré avec plusieurs artistes comme G-Eazy, Little Simz ou encore Jay Park.

Yuna ne fait pas que chanter, elle joue de la guitare et danse, également durant ses concerts et dans ses clips. Je vous invite à voir Forevermore.  C’est un clip aux visuels artistiquement bien travaillés. Au-delà, de la voix de la chanteuse qui me berce et me transporte, les images, elles m’ôtent littéralement le cœur. On y voit de nombreux portraits de malaisiens et de magnifiques paysages, sans compter une Yuna dans son élément, avec beaucoup de style. N’hésitez pas à le visionner, vous ne le regretterez pas. 

 

Crédit photo : Neelam Hakeem

 

« Not your typical rapper » Neelam Hakeem.

 

Neelam est une artiste basée à Los Angeles.  Une rappeuse qui ne mâche pas ses mots. Très active sur Instagram, elle frappe là où ça fait mal. Ses punchlines sont extraordinaires, et c’est dans ces moments-là que je regrette de ne pas avoir un Anglais natif. Neelam n’hésite pas à dénoncer dans sa musique le racisme, et les problèmes sociaux, notamment ceux qui concernent les musulmans.es noirs.es aux Etats-Unis. Son rap est profond, vrai, et authentique. Combien de ses mots m’ont transpercé le cœur ? Je n’en sais rien, mais il m’arrive que je tombe sur ses vidéos qui durent à peine trente secondes, et ces quelques secondes suffisent pour me couper le souffle et ébranler mon âme.

Lors d’une interview, elle explique que par son art, elle veut parler pour ceux qui n’ont pas de voix. Elle traite chacune de ses chansons et vidéos avec beaucoup de sérieux. Elle souhaite simplement évoquer les injustices et les questions ignorées par énormément de monde. Malgré la censure qu’elle subit de la part d’Instagram, elle continue de partager et de créer du contenu qui permet d’élever les consciences face à l’injustice.

Ces trois femmes sont une source d’inspiration pour de nombreuses jeunes filles et femmes. Elles sont la preuve vivante qu’on peut briser les codes et changer les règles du jeu.

La France, est-elle prête à voir des femmes sur la scène musicale qui ne répondent pas aux nombreux mythes et fantasmes sur la femme musulmane ? Nos communautés sont-elles prêtes à nous soutenir ? Puis-je voir dans un futur proche, des femmes faire ce qu’elles veulent sans être condamnées par la société ? En attendant, on doit encore se battre pour nos droits, afin de pouvoir s’habiller comme on le souhaite, dire ce que l’on pense et faire ce que l’on veut, car une femme qui porte le hijab ça dérange, ça, je le sais.

Autrice : Jou RH

 

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Diffuse la bonne parole

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L’art, la foi et la bombe

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Cela fait maintenant dix ans que ses bombes ne la quittent plus. Oumema Bouassida, alias Ouma, est une jeune artiste graffeuse tunisienne de 29 ans qui a fait des murs ses toiles de prédilection. Elle revient, pour Lallab Mag, sur son parcours et sur les revendications qu’elle porte dans la rue, sa “galerie à ciel ouvert”’. 

 

Crédit photo: 

 

 

J’étais une enfant timide et avec la révolution, j’ai senti qu’il y allait avoir quelque chose de beau dans notre pays, qu’en tant que jeune femme voilée, je pouvais sortir dans la rue et faire ce que je voulais. […] 

 

Avant, à l’époque de Ben Ali, le graffiti n’avait pas l’impact du street art. La rue était très contrôlée. […] Un jour, il y a eu un reportage à la télé, mon père m’a appelé.e et il m’a dit : “Viens voir ce qui se fait à l’étranger, les artistes décorent les murs avec des peintures, ça s’appelle le graffiti.” Je n’ai pas retenu le mot, mais j’ai été impressionnée. Je lui ai dit que c’est ce que je voulais faire, que je trouvais ça beau. Il m’a répondu : “Déjà en Tunisie, ça n’existe pas et c’est une activité pour les hommes et ce sont tous des fumeurs et des clochards.” J’étais petite et il m’a donné n’importe quelle raison pour me décourager. Mais l’idée est restée dans ma tête. Petit à petit, j’ai découvert que pour dessiner sur les murs, il fallait utiliser des bombes et qu’on pouvait en acheter à la quincaillerie. […] 

 

“J’ai économisé de l’argent et j’ai fait mon premier graffiti”

 

C’était juste après la révolution. J’étais en Terminale et je voulais laisser une empreinte sur mon lycée. […] Ce qui est drôle, c’est que je portais le pull à capuche de mon frère. J’ai commencé à travailler après la fermeture du lycée et un voisin est venu me crier dessus, il pensait que j’étais un garçon parce qu’il me voyait de dos. […] Quand je me suis tournée, il était choqué. Il m’a dit : “Qu’est-ce que je vais faire maintenant, une fille et en plus voilée.” Il a commencé à crier et il a dit qu’il allait me dénoncer. Le lendemain, je suis directement allée voir le proviseur, je lui ai dit que c’était moi qui avais fait le graffiti et que je voulais le terminer. Il s’est mis à rigoler parce qu’il me connaissait grâce à l’atelier de dessin dans lequel j’étais parmi les excellent.e.s. Il m’a donné le feu vert pour le terminer. Cette fois, c’était en plein jour, les élèves du lycée sont sorti.e.s et iels me regardaient, l’adrénaline était à son maximum. C’était un moment magique, surtout que les gens du lycée savaient que j’étais quelqu’un de timide qui n’a jamais fait quelque chose de bizarre. Iels étaient impressionné.e.s. […]

 

Mon choix en tant qu’artiste est de travailler dans un cadre autorisé afin de terminer mon œuvre et pour que le message soit abouti, même si je sais que quand je finis un grand mur, peut-être que le lendemain ou même une demi-heure plus tard, il pourra être abîmé. Certains viendront l’effacer ou l’endommager. Quand mon mur vit, un jour, une semaine ou un mois, ça veut dire qu’il a été accepté par les passant.e.s. Ça veut dire que j’ai réussi à faire passer un message. Esthétiquement, iels l’ont accepté et le message leur a plu et c’est la rue qui en prend soin. Pour moi, c’est ça, le succès de ma fresque. […] Le travail sur le mur, c’est beaucoup d’escalade, d’exposition au soleil toute la journée dans la rue, ça demande un effort physique. Ce n’est pas comme travailler une toile à la maison, dans une ambiance décontractée. […] Après j’ai appris comment travailler sur une symbolique ou un sujet que je traite d’une certaine manière pour qu’il véhicule un message même après m’être éloignée du mur. Il y a deux phases : la première quand je suis devant le mur en train de travailler, il y a un message direct, par ma présence. […] Il y a une interaction avec les gens dans la rue, c’est ce qui a fait grandir mon amour pour le graffiti. […] La deuxième phase, c’est quand je pars, le mur va représenter une idée ou un concept particulier qui va pousser les gens à réfléchir autrement. […]

 

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“S’il n’y avait pas de lien entre ma spiritualité et mon art, ce ne serait pas de l’art”

 

[…] À un certain moment, quand je dessinais, j’ai commencé à m’en vouloir parce qu’on m’a mis en tête que le dessin était haram [péché]. […] Je me sentais inutile parce que la seule chose qui était bien en moi et que j’aimais, c’était l’art et le dessin. […] Mais Dieu a créé en moi le besoin de dessiner. Chez d’autres, c’est le besoin de chanter ou de danser. Pour moi, il y avait une contradiction que je ne comprenais pas. Je me suis mise à implorer Dieu. […] Et je me suis dit que si Dieu avait créé ça en moi, j’allais l’utiliser pour Dieu. Avec cette intention, j’arrive à la notion de khilâfa [mandat divin accordé aux êtres humains] dont a parlée Dieu. Il a créé l’être humain pour être un représentant sur Terre. […]

Je porte le hijab depuis que je suis petite. Je voyais les filles de mon âge vivre d’une certaine manière et moi, parce que j’étais voilée, la société venait me dire que je ne devais pas rentrer dans un café, ni sourire dans la rue. Quelle est la différence entre moi et une autre fille ? Pour moi, il n’y en a pas, alors pourquoi on m’impose une limite juste parce que je porte le hijab ? C’est moi qui connais mes limites et qui me les impose, ce n’est pas à toi de me dire comment vivre. Depuis toute petite, je suis passionnée par les disciplines artistiques. Je voulais étudier aux Beaux-Arts et j’avais trop peur parce que je savais qu’à l’époque, c’était impossible de rentrer aux Beaux-Arts en portant le hijab. […] Au final, après la révolution, j’ai étudié aux Beaux-Arts et j’ai fait un master en design habillement. […]

 

Même si tu portes le voile en étant jeune, ce n’est pas une limite dans ta vie, tu peux faire ce que tu veux. Ce n’est pas parce que tu portes le hijab que tu dois avoir un travail spécifique, que tu n’as pas le droit à certaines disciplines. Depuis petite, je savais que j’allais être dans un secteur artistique. Mon rêve d’enfant, c’était d’être styliste ou réalisatrice de film et on me disait : “Tu es voilée et tu as choisi les deux secteurs qui sont dégueulasses et dans lesquels tu ne peux pas travailler.” Je me demandais pourquoi en tant qu’artiste, je devais avoir une certaine apparence ou appartenance, pourquoi je ne pouvais pas être artiste et m’exprimer sur ma foi, mes croyances avec mon art. Un.e artiste qui croit aux extraterrestres par exemple va l’exprimer par son art parce que l’art n’a pas de limite. 

 

“Etre présente dans une discipline artistique dans la rue en tant que femme voilée”

 

Je voulais sortir parce que je dessinais depuis petite et quand j’ai découvert un autre support, le mur, ça a été un déclic. Au lieu de faire quelque chose de caché, j’allais faire quelque chose dans la rue. Ça fait maintenant presque 10 ans que je fais du graffiti, mais c’est récemment que c’est devenu quelque chose que j’affirme. Avant la révolution, le hijab était interdit [dans les établissements publics]. Et moi, par conviction personnelle, je porte le foulard depuis l’âge de 12 ans, malgré l’interdiction. J’ai rencontré des obstacles, parfois on ne me laissait pas aller en cours à cause du hijab. […] Pour moi, c’était une injustice. On est dans un pays où la femme tunisienne est la plus libre du monde arabe. […] Mais le fait que je mette le hijab, c’est une liberté, c’est mon choix, alors pourquoi on m’imposait quelque chose qui allait à l’encontre de mon choix. […] Je voulais être présente en tant que jeune femme voilée dans la rue parce que je suis déjà présente : j’étudie, je travaille, je me déplace. […] J’existe, je suis présente dans la société tunisienne, donc pourquoi dans la rue, toute ma jeunesse, j’ai dû marcher en baissant la tête parce que je suis voilée, par peur d’un policier ou d’une délation ? La peur était toujours là. Avec la révolution, j’ai senti que j’étais désormais Ttunisienne à 100%. […]

 

J’étais convaincue que ma présence dans la rue était importante. Quand quelqu’un.e passait dans la rue et qu’iel était choqué.e, c’est ça que je recherchais, c’est ce que mon esprit de jeunesse voulait. Au fur et à mesure, avec ma présence dans les événements, dans la communauté hip-hop, la communauté associative et artistique, j’ai compris l’impact de ma présence et de mon art. […] Parce que j’ai vécu de la discrimination en tant que femme voilée, quand une femme vient me raconter une discrimination qu’elle a vécue, je le ressens et je me dis qu’en tant qu’artiste, je peux exprimer ça d’une autre manière. Avant je ne parlais pas de mon engagement artistique en tant que femme voilée, je ne parlais pas du fait que j’ai choisi d’être artiste parce que je suis voilée, pas seulement parce que la discipline artistique m’a plu, mais c’est parce que je suis voilée que je peux peut-être inspirer ou changer les choses.

 

Je pensais que j’étais la seule femme voilée à faire du graff”

 

J’ai découvert que je n’étais pas la seule. En Tunisie, oui, mais dans le monde musulman, il y a des graffeuses voilées en Thaïlande par exemple et en Afghanistan, il y a Shamsia Hassani qui a véhiculé son message fort par sa présence et son oeuvre. J’ai senti que je ne pouvais pas atteindre mes objectifs ou changer le monde seule, mais que je faisais partie, en parallèle, d’une communauté plus grande que moi et d’un objectif encore plus grand parce qu’on fait toutes la même chose et qu’on n’en a pas conscience. Imagine que nous, les femmes voilées qui sommes en train de changer les choses – ou les femmes musulmanes en général – on se donne la main et on s’affirme, qu’est-ce qui va se passer ?

 

Dans le graff, il y a beaucoup d’artistes qui m’inspirent comme El Seed qui a mis en valeur la calligraphie arabe, mais El Seed, c’est un homme. Ce n’est que quand j’ai découvert Samia Oroseman, l’humoriste franco-tunisienne, que j’ai pu me voir en quelqu’un d’autre. Elle m’a plu. Avec toute sa fierté et son hijab, elle défend l’Afrique, l’islam et sa culture, tout en vivant en France. C’est pour rendre hommage à cette femme qui m’a inspirée que j’ai fait son portrait sur un mur des rues de Sfax. […] Une fois, en France, j’ai été invitée par une association, je travaillais sur une fresque. Il y avait une fille de six ans qui me regardait. Son père m’a saluée en arabe. J’ai répondu aux questions de sa fille et en partant, il m’a dit en français, merci d’inspirer ma fille. J’ai eu la chair de poule. […] Je sens que je suis devenue le modèle de la Oumema de 10 ans ou d’autres jeunes. […]

 

Crédit photo: 

 

En tant que jeune Tunisienne, si j’ai pu étudier, travailler et devenir artiste, c’est parce qu’il y a eu des femmes avant moi qui se sont battues pour que les Tunisiennes puissent faire ce qu’elles font aujourd’hui. Il faut apprécier le vécu de nos ancêtres, ce qu’iels nous ont légué et ce qu’on laissera pour celleux qui nous suivront. […] Ma mère a porté le foulard petite, alors que personne ne le portait dans sa famille. Elle l’a fait par conviction et à l’époque de Bourguiba, quand il l’a interdit dans les établissements secondaires, les filles qui le portaient ne pouvaient pas passer le bac. Ma mère a choisi de le garder. Mais c’est quelque chose qui l’a marquée parce qu’elle n’a pas étudié. Maman est passionnée par la littérature et beaucoup d’autres choses. Mais elle s’assume, elle en est fière et elle s’est promis que quand elle aurait des enfants, ça ne se reproduirait pas. Un jour, elle m’a dit une phrase que je n’oublierai jamais : “Je suis passée par des épines pour que tu puisses poursuivre ta vie et toi aussi, tu retireras des épines pour tes enfants.” C’est simple, mais c’est beau. Ma mère est différente de moi, on n’a pas eu la même éducation, mais elle a fait le maximum pour m’encourager même si elle ne comprenait pas toujours. C’est elle qui m’a le plus encouragée à sortir de mes zones de confort et à faire entendre ma voix.

 

 

Crédit photo image à la une: 

Propos recueillis par Sara H.

 

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Portraits

Nidonite, la bombe à construction massive

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Elle aime « manger », « écouter les humains » et « faire des vidéos à mourir de rire », c’est Nidonite, la bombe à construction massive !
Nida-Errahmen Ajmi est une illustratrice suisse d’origine tunisienne, diplômée d’un Bachelor de Sciences de l’information et de la communication et en ethnologie. Âgée, seulement, de 25 ans, elle parle le français, l’anglais, l’arabe littéraire, le dialecte tunisien et l’allemand.

 

C’est une jeune femme passionnée, pétillante, hyperactive, curieuse et a toujours quelque chose à faire, d’où son surnom Nidonite. Un mélange de son prénom Nida et de la dynamite, elle est « une bombe » bien « explosive ».

Elle est illustratrice, blogueuse, auteure et soldat de train dans l’armée suisse. Elle aime la littérature, l’écriture, la philosophie, la musique, l’alimentation et faire de la moto.

Elle définit son monde comme étant « hétérogène », « très vivant et paradoxal ».

Inspirée par la discipline de son papa, Nidonite est une personne libre, plurielle, et dynamique, en constante évolution. C’est une artiste joyeuse, curieuse, humaine, « amoureuse du monde, et amoureuse de la Terre ».

L’Art

 

Nida-Errahmen Ajmi commence le dessin à l’âge de douze ans grâce au manga culte Dragon Ball Z. A la même période, elle commence à dessiner les corps féminins.

Le dessin est, pour elle, une manière de s’exprimer, mais aussi une façon de vivre.

« J’ai envie de partager la vie que j’ai en moi et inspirer les gens d’être eux-mêmes, fidèles. »

Inspirer et partager sont les vecteurs directeurs de son art. L’artiste a commencé sa carrière en se basant sur la notion du partage. Partager son art, non pour changer le monde, mais pour se changer elle-même. Dotée d’un sens de responsabilité et d’une grande empathie, elle veut montrer aux filles et aux femmes qu’elles ne sont pas seules.

L’art permet à Nidonite d’être engagée et dévouée à l’humanité, et inspirer le fait que tout est possible, mais avant tout son art lui permet de passer un bon moment.

En dehors de la musique, des coups de cœur, de son histoire et de la vie de ses proches qui inspirent son art, Nidonite s’inspire des nouvelles situations et de Challenges pour dessiner. « Se dépasser soi-même et combattre ses peurs » sont ses ingrédients pour créer.  

« Femme et féministe, au-delà d’être musulmane et voilée. »

Au-delà d’inspirer et de partager, Nidonite, désire, par son art, voir la mentalité féminine s’émanciper sans distinction d’origine. Elle veut que les « femmes connaissent leurs vraies valeurs » et qu’elles cessent de se dénigrer. Se valoriser, penser à soi-même, et se défaire de la façon de penser que la société impose à la femme, littéralement, prendre soin de soi et se débarrasser de la charge mentale.

« Apprendre à donner de l’estime à soi-même » est le message véhiculé à travers ses dessins.

« Les efforts sont une forme de peine. »

Insultée et harcelée sur les réseaux sociaux par une partie de la communauté musulmane, car elle ne répond pas à leur « idéal de femme musulmane voilée » Nidonite fait face à ces difficultés et continue de partager son art et d’inspirer.

« L’art est une ‘’arme’’ de distinction face à la barbarie. » Philippe Geluck

 

 

À la suite des attentats contre Charlie Hebdo, en 2015, Nidonite, âgée alors de 17 ans, décide de terminer l’écriture de sa première pièce de théâtre « Sheikh Tartuffe » publiée le 13 mars 2019.

Une pièce de théâtre qui dénonce l’hypocrisie et la stupidité des êtres humains prêts à écouter et à suivre n’importe qui sans jamais se poser de questions.

« Un coup de gueule » qui s’adresse aux musulmans et aux non-musulmans.

De la même manière que Tartuffe est, un faux dévot dans L’Imposteur de Molière, Sheikh Tartuffe est l’hypocrite au sein des musulmans dans cette pièce de théâtre. Ce chef d’œuvre a pour but de montrer que les hypocrites sont présents partout, peu importe la religion, l’origine, la nationalité, …

Nidonite ne s’arrête pas là dans son message engagé. Sa bande-dessinée en ligne « Ninjustice » a pour personnage principal une héroïne qui brise les stéréotypes sur les femmes musulmanes.

Nidonite met l’accent sur plusieurs points dans cette bande-dessinée. Elle remet en question l’appropriation des corps des femmes. Elle joue avec la notion du « bien » et du « mal » dans le but de remettre en question la notion de justice.

 L’héroïne arrive à manipuler facilement les personnes en changeant son apparence. Le personnage porte et retire son voile, selon ses envies, son entourage l’enferme dans une case, car elle est une musulmane portant le voile. Nidonite met en avant la question sur le voile et sur ce poids d’engagement qui n’a jamais existé pour une femme musulmane qui décide de porter ou non le hijab.

La Webtoon en ligne « Chocolat&Piment », inspirée de la vie de l’artiste, relaye avec humour les anecdotes d’un jeune couple métis : un homme noir et une femme musulmane d’origine maghrébine portant le voile. Nidonite brise les stéréotypes en présentant un homme sensible et très présent, et une femme qui ne répond pas à « l’idéal d’une femme musulmane voilée » que la société impose.

 

 

Le sport et l’armée

 

« Quand je sais ce que je veux, ou quand j’ai une idée, tout le monde peut être contre moi, mais je ne vais pas lâcher. »

Kickboxing, Krav-maga, Kung-fu, Karaté, … Nidonite est une adepte des arts martiaux. Le sport est le meilleur moyen de dompter le corps, physiquement et psychiquement. Il joue un rôle important dans la discipline et l’apprentissage de soi, selon Nidonite. Sur son blog, elle cite les six raisons pour lesquelles elle pratiquait le Kickboxing.

« La passion – L’amour avant tout ! »

« La santé – Entretenir ce corps qui me permet de me déplacer pour réaliser mes rêves. »

« La force – Renforcer ma capacité à pousser mes limites dans la vie de tous les jours. »

« La beauté – Un beau corps c’est un corps qui transpire la santé, qui affirme ses muscles et qui laisse tout de même le droit à la graisse d’exister. »

« Soin du cœur – Le sport m’a défoulé, il évacuait toutes mes énergies négatives. »

« Dépassement de soi – Aujourd’hui, les situations les plus difficiles me semblent accessibles quand je les vois dans une optique sportive. »

 

Au-delà de la kickboxing, Nidonite s’est tourné aujourd’hui vers la moto, elle aime faire de nouvelles choses et repousser ses limites.  

 

 

« Citoyenne suisse et fière »

 

 

Nidonite aime son pays, c’est pour cette raison qu’elle a décidé d’intégrer l’armée suisse. Elle est soldate de train, et sa fonction n’a rien à avoir avec les trains ! Les soldats de train peuvent se rendre dans les lieux inaccessibles par les véhicules, avec des animaux et peu importe la météo.

L’artiste souhaite contribuer à l’amélioration de la condition féminine, et apporter son aide à son pays, en tant que femme.

Nidonite aime également les expériences absurdes et extrêmes, l’armée était l’occasion pour elle de palper ses limites, prendre du caractère et se discipliner.

 

 


Crédit photo : Nidonite

 

En tant que femme, elle a rencontré des difficultés durant son service, comme par exemple, de la discrimination, des charges mentales et physiques lourdes à porter. En tant, que femme musulmane, Nidonite a fait face à des incompréhensions et n’a pas réussi à briser certaines barrières, mais pour elle, il était hors de question d’abandonner. Face aux difficultés, elle s’en est sorti plus forte.

Nidonite utilise son art pour encourager les femmes à assumer et ose intégrer l’armée. Sur son blog, elle explique avec ses propres illustrations comment s’engager à l’armée suisse en tant que femme. « Tu veux le faire, fais-le. Crois en toi.  Impose-toi », c’est le conseil de Nidonite pour une femme qui désire s’engager à l’armée.

« Pas de stress, pas peur de la mort, pouvoir me dévouer est une fierté. »

 

Une artiste engagée

 

Nidonite est une illustratrice engagée. Elle participe dans plusieurs projets concernant la prévention sociale, notamment, avec l’ONG Ciao.ch, sur la santé de l’enfance et de la Jeunesse en Suisse.

Elle apporte également son aide dans les projets sur le harcèlement de rue, les projets sur le racisme, sur la santé mentale au sein de la jeunesse suisse, ainsi que sur des projets féministes.

« Je suis une personne fascinée par l’être humain, l’être humain possède une personnalité complexe. Quand je peux apporter quelque chose, je le fais, et je prends du plaisir. Je m’intéresse aux personnes, par amour à l’être humain. J’aime l’être humain. »

Nidonite est une artiste particulièrement sensible aux injustices. Cependant, elle ne peut pas évoquer toutes les injustices de notre monde. Elle essaye, donc, de cibler des causes précises, comme le féminisme.

« Ne pas avoir peur d’être simple dans un monde où tout le monde veut se distinguer. »

 

Crédit photo : Nidonite

 

Jou RH

Crédit photo à la Une : Nidonite

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Portraits

Ezel Bahar, une danseuse en quête de spiritualité

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Ezel vient tout juste de terminer ses études en école de danse. Elle revient pour nous sur son parcours artistique, profondément lié à son cheminement culturel et spirituel, en tant que Franco-turque alévie.

 

La danse, une révélation

Née à Beauvais, Ezel a grandi auprès de ses parent·e·s, mais aussi entourée par ses deux soeurs. Depuis ses neuf ans, elle suit des cours de danse. Sa mère l’avait accompagnée au Conservatoire, afin de l’inscrire à des cours de piano. Malheureusement complets, elle a proposé à sa fille de l’inscrire en danse classique et contemporaine. « Cela me semblait impossible de mettre un juste-au-corps collant ». Sa mère a cependant insisté et Ezel a perçu la première séance comme une véritable révélation. « C’était comme une évidence : la danse faisait partie de moi ! ». Cette activité lui a permis d’améliorer l’estime qu’elle avait d’elle-même. « Je voyais ce que je pouvais faire de mon corps ainsi que la beauté de ses mouvements, ce qui m’a aidée afin d’accepter mon apparence. Toutes les cellules de ton corps semblent nourries et ce n’est pas étonnant que l’humanité, peu importe la culture, se réfère systématiquement à des danses, pouvant d’ailleurs être sacrées. C’est un véritable langage ! ». Elle a par la suite pris des cours de modern jazz de ses 16 à ses 18 ans au sein de l’association No-Made. Elle a également intégré une école de danse jazz dans le but de se former professionnellement. « C’est un univers plus différent, c’est à la fois très formateur académiquement et frustrant d’un point de vue artistique. Je me suis sentie coupée de ma facilité innée à inventer et à improviser car on consacre peu de place à notre créativité ». Elle déplore le manque de représentation de la diversité corporelle au sein de ce milieu, mais également l’omniprésence du male gaze (la vision masculine). « Dès le lycée, je me suis intéressée au féminisme, la révolte a commencé à bouillir en moi ». Ezel regrette également que l’on oublie le sens de certains arts. « Si l’on prend l’exemple de ce qu’on appelle la danse orientale, que je préfère nommer baladi, il s’agissait au départ d’une façon de célébrer la féminité, la maternité, c’était une danse de fertilité, sensuelle, pour se connecter à son essence primaire. Elle glorifie la puissance femelle. Désormais, elle est très facilement érotisée ou mal vue, alors que sa dimension est profondément sacrée ».

 

 

Ezel. Crédits : Shehrazad

 

Ses racines alévies, au centre de son cheminement artistique

Sa famille est originaire du centre de l’Anatolie, plus précisément de la région de Sivas. Ezel est également alévie. L’alévisme correspond à un courant hétérodoxe de l’islam. « En France, l’alévisme semble encore très inconnu ». Ainsi, Ezel n’hésite pas à partager son héritage culturel. « Je le fais à ma façon. J’ai souvent été la seule Turque et la seule alévie de mon entourage, c’est également un plaisir de partager sa culture avec des personnes qui s’y connaissent peu ». Elle demeure cependant étonnée que des personnes lui demandent si elle parle arabe, lorsqu’elles apprennent qu’Ezel est d’origine turque. « Il existe un gros point d’interrogation sur la Turquie, sûrement en raison de la médiatisation autour de cette contrée. Certaines personnes la voient aussi comme un pays très fermé. Souvent, on ne sait même pas le situer sur une carte. On ignore sa grande diversité, alors que notre terre est bordée par quatre mers et que différents climats et cultures y coexistent ». En outre, certains stéréotypes semblent encore très ancrés concernant les femmes turques. « Je ne ressemble pas à une Turque typique pour les gens, sûrement en raison de ma couleur claire de peau, de ma manière de me vêtir ou encore de mes choix de vie qui sont différents ». Face à tout cela, Ezel est ravie de pouvoir célébrer ses racines turques avec quelques proches. « Ma meilleure amie et mes soeurs vivent également à Paris, c’est génial de pouvoir continuer de parler turc entre nous, lorsqu’on a souvent l’impression de devoir se justifier, en tant qu’enfant·e·sd’immigré·e·s ».

 

Ainsi, Ezel rêve de pouvoir lier sa carrière artistique à son attachement profond pour ses racines. « C’est difficile à vivre émotionnellement, je me demande ce que je vais pouvoir apporter. J’aimerais véritablement me réapproprier mes racines ainsi que mes différentes identités ». L’été dernier, Ezel a ressenti le besoin de se rendre seule en Turquie, alors qu’elle n’y était pas retournée depuis sept ans. « C’est un choix. Je m’étais promis d’y voyager une fois adulte, afin de m’y ressourcer, d’y vivre mes propres expériences et d’y rencontrer de nouvelles personnes. Sur le plan spirituel, cela a été incroyablement bouleversant ». Ezel s’est retrouvée auprès de ses grand·e·s-parent·e·s. « Mon grand-père est très respecté dans son village, il me touche beaucoup du fait de sa sensibilité artistique, il joue du saz, il chante, il écrit des poèmes et il incarne une forme de sagesse pour moi ». Cet homme participait au cem, un rituel durant lequel les femmes, les hommes ainsi que les enfant·e·s se rassemblent dans un espace, où la transmission des croyances s’effectue à travers la musique, des chants, des danses et des prières. Les cem sont aussi connus pour leur danse, le semah, ce qui signifie « tourner en rond ». Plusieurs personnes effectuent donc ce rituel précis en tourbillonnant et il arrive qu’un individu effectue seul cette danse, en se positionnant au milieu de façon à être entouré par les autres. « Cette transmission physique me touche, la personne au centre est à la fois au service de Dieu et des hommes, elle nous apporte une dimension puissante et magique ». Ezel estime ainsi qu’il n’existe aucune civilisation sans art, qu’il s’agisse de la danse, de la musique ou encore de la peinture. « Dès la Préhistoire, nous pouvions observer des traces de civilisation sur les fresques des premier·e·s humain·e·s ». Ezel souhaite donc contribuer à partager cette puissance spirituelle. « Je me définis comme une personne multiculturelle, je ne me cantonne pas à une identité particulière. Il y aura forcément du métissage au sein de mes créations, cependant, j’aimerais aussi contribuer à préserver l’essence de l’alévisme, sans pour autant nier son évolution au cours des siècles ».

 

Un cem en Turquie. Crédits : Hürriyet

 

En effet, Ezel est profondément fascinée par les traditions, notamment le cem, un rituel codifié. « C’est très codé, chaque chose est liée a une signification précise ». Elle évoque ainsi la grandeur d’un cem ayant eu lieu à Berlin, durant les années 2000. « Une diaspora alévie importante y vit. Une centaine de personnes, dont plusieurs artistes connu·e·s, y avaient participé, en récitant des poèmes. La vidéo, de mauvaise qualité, m’avait donné des frissons. Je n’ose même pas imaginer si j’y avais assisté ! », rit-elle. De plus, la préservation de cette culture est très importante à ses yeux et elle ressent l’ « özlem », la nostalgie. « C’est un peu comme la ghorba pour les Nord-Africain·e·s, ce sont des mots de l’émotion, afin de manifester le déchirement que l’on ressent en raison du manque de son pays ». Son père évoque ainsi très souvent son manque de l’air de sa région natale. « Je ne suis pas immigré·e, mais ce que ressentent mes parent·e·s me bouleverse, c’est la raison pour laquelle j’aimerais rendre hommage à mes racines au sein de mon art ». Ezel rêve également d’accueillir des femmes afin de danser et de célébrer la féminité, dans toute sa diversité corporelle et culturelle.

 

En attendant d’assister à ses futurs projets, il est possible de suivre Ezel Bahar sur Instagram. Nous ne lui souhaitons que du succès, inshAllah.

 

Crédit image à la Une : Shehrazad

 

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Portraits

Azzelige Amália, l’artiste qui met humour et politique en symbiose

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Azzelige Amália, qui a repris des études en histoire, est également une grande artiste. Son site nous fait d’ailleurs très bien ressentir à quel point l’art et l’histoire habitent tout son être. Elle nous raconte son parcours atypique, entre différents mondes, et les raisons qui l’incitent à pratiquer un art politique.

 

L’harmonie entre plusieurs milieux méditerranéens

 

Son pseudonyme résume parfaitement son identité. « Le zellige est un clin d’œil à cet art islamique omniprésent au Maroc, mais aussi au Portugal, en tant qu’azulejo, » explique-t-elle. Le zellige, en tant que représentation symbolique du divin, porte l’héritage islamique. Mais il rassemble en fait parfaitement les éléments artistiques marocains et portugais qui constituent la personnalité de la dessinatrice. « Il s’agit d’un trait d’union entre mes différentes racines, » comme nous l’indique également le prénom Amália, choisi en hommage à l’une des plus grandes chanteuses portugaises de fado, la fadista Amália Rodriguez. « C’est l’équivalent portugais d’Edith Piaf, » selon l’artiste, qui « l’aime énormément », car elle incarne le plaisir de la nostalgie, la saudade. « Cela a beaucoup compté dans ma construction personnelle, il s’agit de l’un des moyens par lesquels j’ai pu m’approprier la culture portugaise. »

Azzelige Amália a grandi entourée de ses grands-parents et de sa mère portugais·e·s, mais aussi auprès de son père marocain, dont la mère était juive et le père arabe yéménite. Le rapport de son père au royaume chérifien est différent de celui de sa famille maternelle vis-à-vis du Portugal. Le père d’Amália a plutôt connu une assimilation culturelle. « On ne parlait pas arabe à la maison, mes grands-parents n’étaient pas du tout religieux, je n’ai donc pas reçu l’éducation archétypale de la famille maghrébine, » confie-t-elle. En revanche, dans sa famille portugaise — au sein de laquelle l’artiste estime avoir essentiellement évolué — « on parlait portugais, on mangeait portugais, on respirait portugais ».

 

Le dessin, un besoin difficile à assumer

 

Ainsi, son identité est multiple. « Ma famille maternelle est chrétienne, mais je me suis convertie à l’islam. » Cela se ressent beaucoup dans son art. Amália dessine depuis son plus jeune âge. Lorsqu’elle se convertit, l’artiste pense que le fait de dessiner est haram (illicite). Elle s’interdit donc toute pratique durant quelques années. « J’ai pris conscience du fait qu’il s’agissait d’un besoin profond, d’une partie de moi, c’est revenu viscéralement. » C’est après avoir réalisé qu’elle n’a conservé aucun dessin depuis sa tendre enfance qu’Amália décide d’enregistrer ses productions de façon immatérielle. Elle utilise pour cela Facebook, sans être totalement convaincue par ce média, comme « moyen de garder une trace ».

 

L’incroyable univers d’Azzelige Amália. Crédit : Azzelige Amália
 

Cependant, la dessinatrice souligne qu’il est difficile de rester authentique sur les réseaux sociaux. Elle y publie ses dessins, depuis deux ans, sans utiliser les publicités. « Je suis dépendante des likes, même si c’est triste à dire. » Facebook exerce en effet une pression sur les utilisateurs, les incitant régulièrement à utiliser certains sponsors afin que leurs publications soient davantage visibles sur le fil d’actualité des internautes. L’artiste déplore le fait que l’utilisation des réseaux sociaux nécessite d’apprendre à être « un bon community manager ». « Je m’aperçois que je tente souvent de trouver les bons hashtags, je trouve ça ridicule mais je suis obligée de vivre avec mon temps, » rit-elle. Amália reconnaît que la tentation de produire des choses plus « mainstream » est parfois présente, dans l’espoir de gagner plus d’argent. Cela n’est pas évident à gérer, quand il faut payer le loyer, mais ne pas y perdre son âme…

C’est pourquoi les retours positifs valent pour Azzelige Amália « tout l’or du monde ». Elle garde par exemple un bon souvenir d’un message très chaleureux d’un chercheur au CNRS, qui lui propose de la rencontrer autour d’un verre pour échanger sur son art. Elle trouve aussi incroyable de recevoir des commandes de personnes ne vivant pas en France. Considérant faire partie de la « génération Zara et H&M », la dessinatrice estime que nos « goûts sont complètement déterminés » et que nous en sommes de plus en plus dépossédé·e·s. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles elle souhaite que son art s’affiche sur des vêtements. Amália souhaiterait proposer des créations ayant plus de sens. Elle évoque avec beaucoup d’émotion ces beaux moments, quand des inconnu·e·s lui sourient dans la rue, après avoir observé ses dessins sur ses sacs, par exemple. « Parfois, j’ai l’impression d’être seule dans mon délire, mais lorsque je vois que mes gribouillages parlent aussi à d’autres personnes, c’est un réel bonheur, c’est juste immense ». Elle veille à ce que les supports de ses créations soient produits en Europe.

 

La politique, fil conducteur de ses créations

 

« Je me découvre à travers Azzelige Amália, » confie-t-elle. Sans se poser de question, elle dessine, et sa production contient toujours un message politique. Il s’agit du « fil conducteur » de ses illustrations. « Ça vient tout seul, ça m’habite. » C’est ainsi que nous retrouvons des représentations de Manuel Valls, Alain Finkielkraut ou encore Elisabeth Badinter, accompagnées d’extraits de titres de rap. Par le biais de ses créations, Amália espère faire passer plusieurs messages. Elle a par exemple dernièrement produit plusieurs dessins se moquant des injonctions au corps parfait, le fameux « summer body », le corps que l’on peut assumer en maillot de bain, en été. On y voit de la cellulite, des poils, des varices et des vergetures. « J’aimerais que les personnes puissent prendre du recul et que les vêtements puissent être des outils politiques pour se moquer de ces pressions sociales. » Amália déplore les répercussions psychologiques de ces injonctions, qui peuvent entraîner des troubles du comportement alimentaire, notamment chez les adolescentes.

 

Manuel Valls et des extraits de Humble, de Kendrick Lamar. Crédit : Azzelige Amália
 

L’artiste estime être parfois incomprise, voire exclue. « On m’a déjà dit que je n’étais pas arabe. On dirait que le fait d’avoir des sedaris (canapés marocains) chez soi permet de détenir une carte de membre ; on n’accepte pas que l’on puisse avoir le cul entre plusieurs chaises. » Ainsi, l’artiste regrette les nombreuses injonctions touchant à l’identité, qui compliquent beaucoup les choses pour les métis·se·s, qui existent pourtant « depuis la nuit des temps ». Ce même souci se pose vis-à-vis de la religion. Elle considère que l’on attend beaucoup des musulman·e·s. « S’iels ne sont pas considéré·e·s comme orthodoxes, alors iels peuvent être soupçonné·e·s d’être de faux·sses musulman·e·s. » Elle déplore aussi que les femmes musulmanes soient hypersexualisées par certain·e·s non-musulman·e·s, pour être par ailleurs considérées comme les « plus grandes pécheresses » si elles ne correspondent pas totalement au modèle de chasteté fantasmé par certain·e·s musulman·e·s. Les musulmanes vivraient ainsi des injonctions contradictoires, subissant le racisme, mais aussi plusieurs « éléments excluants en intracommunautaire ». Cela lui a inspiré le dessin d’une femme qui semble originaire de différents continents, et nous interpelle : « T’es de quel minhaj ? » (voie religieuse). « Il y a souvent cette idée qu’il n’existe qu’une seule réponse valable, sinon, on n’est pas suffisamment croyant·e. »

 

Ainsi, Azzelige Amália lutte à travers ses dessins pour l’inclusion de tou·te·s les individu·e·s subissant des attaques politiques, des pressions sociales ou encore une marginalisation de la part de certain·e·s de leurs coreligionnaires. Et je ne suis pas la seule à être impressionnée par ses créations, brillantes et drôles, qui font toujours sourire autour de moi, que ce soit dans le métro ou à la fac.

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Portraits

Saly D ou l’art afro-inspiré comme source d’émancipation sociale

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Assise dans un parc, Saly attire manifestement les enfants, qui s’approchent régulièrement pour s’amuser avec elle. Ces derniers ont visiblement perçu sa belle âme, qui transparaît dans son art. La peintre nous dévoile son parcours.

 

Née à Paris, elle a grandi à Bagneux, dans le 92 (Hauts-de-Seine). « J’en suis fière, c’est une ville qui te permet de te trouver, » grâce aux nombreuses activités proposées à la jeunesse, à l’instar de la peinture, de la musique ou du sport. « Il y a tout un personnel à disposition des jeunes, » se réjouit-elle. C’est d’ailleurs par ce biais qu’elle est parvenue à exposer dans une galerie. « Je me souviens tout particulièrement d’un animateur qui était très encourageant et qui m’a prouvé qu’il m’était possible d’intégrer ce monde artistique. » Saly a tout essayé : le chant, la danse et le théâtre. Jusqu’à la découverte, à dix-sept ou dix-huit ans, d’un nouveau loisir : la peinture. Avec les autres activités, l’artiste avait l’impression qu’il « manquait toujours quelque chose ». La peinture devient alors sa véritable passion. L’artiste nous révèle pourtant être complètement autodidacte, ce qui ne laisse pas d’impressionner, au regard de son parcours. Car Saly a réussi à se professionnaliser. « Au départ, mes peintures se trouvaient uniquement dans ma chambre, » avoue-t-elle.

Diplômée en journalisme, la peintre obtient aussi une licence en lettres modernes et histoire de l’art à Nanterre. Elle se souvient de ses années étudiantes, durant lesquelles elle milite — Nicolas Sarkozy est alors au pouvoir. Ses études lui permettent d’acquérir plusieurs compétences, et notamment en communication, comme nous le prouve son site. Mais Saly D rêve de ne vivre que de son art, ce qui lui permettrait de gagner en indépendance, tout en décidant elle-même de sa façon de travailler. « Je me suis professionnalisée sur le tas, » explique-t-elle. Cela fait seulement deux ans que son art constitue une véritable activité professionnelle, générant des revenus par le biais de son site, dont les produits se trouvent aussi sur les réseaux sociaux, qu’elle utilise beaucoup. Elle est également engagée dans d’autres projets, dont des ateliers permettant de découvrir les arts d’Afrique au sein d’établissements scolaires, d’associations ou encore de centres sociaux.

 

« Mon art est afro-inspiré. L’Afrique constitue la base de mes créations, » affirme la peintre. Pourtant, elle ne se limite pas à ce continent. Certains aspects de ses œuvres font penser à l’Amérique du Sud, à l’Inde ou encore à des éléments de l’art scandinave. D’aucuns lui ont même affirmé que ses tableaux rappelaient l’art maya ou inca. « J’ai peut-être été inspirée par cela à mon insu ; nous sommes tellement submergé·e·s d’images, c’est la beauté de notre génération », se réjouit-elle. « Avant, nos aïeux devaient voyager pour voir des choses différentes ; désormais, on a accès à Instagram, Pinterest… C’est acquis, pour nous. » Bien qu’elle ne considère pas son art comme intrinsèquement politique, Saly assume pleinement le fait que la peinture lui permette de renouer avec ses racines. Il s’agit d’un « travail perpétuel, dans lequel on se sent parfois plus français·e ou plus africain·e, à certains moments de nos vies ». Bien que d’origine sénégalaise, Saly rend hommage à l’ensemble du continent africain. D’un point de vue artistique, ce continent abrite autant de similitudes que de différences. Elle évoque notamment les masques et les cauris, coquillages blancs utilisés dans toute cette partie du monde, mais dont la symbolique change selon la région.

 

Saly et son horloge en hommage à l’Afrique. Crédit : Massira Keita

 

Le partage se situe au centre de l’art de Saly. L’artiste désire ainsi mettre en ligne des vidéos présentant ses réflexions sur la créativité, afin de toucher d’autres artistes. « J’aimerais que l’on puisse bénéficier de mon apprentissage. Je crois beaucoup en la prédestination ;  je pense que Dieu ne choisit pas les choses par hasard. Et c’est la raison pour laquelle j’aimerais partager cela, avec un côté un peu reporter que j’aime beaucoup, » confie-t-elle. Son art s’exprime principalement par le biais de tableaux sur toile, mais aussi d’illustrations sur papier, d’objets personnalisés, tels que des lampes ou encore des baskets. « Mon but est que chacun·e puisse trouver sa place sur tous les supports qui existent, » comme elle l’indique sur son site. Elle y explique ainsi qu’elle souhaite que chacun·e puisse se sentir comme à la maison, estimant que le monde artistique est souvent trop élitiste, excluant de nombreuses personnes. « Je veux montrer que tout le monde peut intégrer ce monde-là. Tout le monde peut le faire. »

En tant que noire et française, Saly estime par ailleurs que le fait d’assumer pleinement son identité est assez difficile. L’artiste évoque ainsi le manque de diversité durant ses études, où son amie et elle sont les seules Noires de sa filière. En grandissant, elle sort davantage, y compris dans les musées. Elle est alors exposée aux préjugés de nombreuses personnes, surprises que les Noir·e·s puissent être intéressé·e·s par l’art — pourtant très présent en Afrique. Heureusement, ses parents, qu’elle considère comme les « meilleurs du monde, » lui ont véritablement permis de se sentir à sa place, en tant que Franco-sénégalaise.

Saly conseille à toutes les personnes qui hésiteraient à se lancer de ne pas prendre certaines critiques personnellement. « Il ne faut surtout pas leur laisser la possibilité de vous faire douter de la pertinence de votre art. » La peintre considère qu’il ne faut pas écouter certains avis, les réseaux sociaux permettant à beaucoup de personnes malveillantes de s’exprimer. Bien qu’elle estime que nous demeurons toujours soucieux·ses du regard des autres, « ce serait dommage d’oublier qu’au final, je reçois plus d’ondes positives que de retours négatifs ». De plus, Saly aime à rappeler que rien ne garantit que les abonnés des pages d’artistes sur les réseaux sociaux constituent des clients potentiels. « 250 000 likes, est-ce que ça contribue à te trouver une galerie ? A t’apporter de l’argent ? Non, alors il ne faut pas dépenser trop d’énergie là-dedans. » Elle privilégie donc les rapports humains directs.

 

Saly nous montre à quel point l’art peut être un moyen de se trouver, mais aussi d’être singulièr·e tout en demeurant connecté·e au monde entier. Elle est pleine d’ambition, et nous ne lui souhaitons que du bonheur pour ses nouveaux projets… qu’il faut absolument suivre sur les réseaux sociaux, inchAllah.

 

Crédit photo image à la une :

 

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Portraits

Hajer ou l’art de rappeler la splendeur des cultures arabes

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Hajer est une jeune femme engagée dans les luttes féministes et antiracistes. Modeste, elle ne s’estime pas militante, bien que ses projets constituent une véritable bouffée d’oxygène pour les diasporas nord-africaines et arabes.

 

L’omniprésence des cultures arabes dès son plus jeune âge

 

Née à Paris, elle a grandi quelques temps dans le 11e arrondissement, non loin de Belleville, quartier historique des Tunisien·ne·s, et notamment des Sépharades. Puis elle a vécu dans le 18e, qu’elle reconnaît comme « son arrondissement ». « Mon père est fils de paysan ; il est issu d’un milieu très pauvre, mais cela ne signifie pas pour autant qu’il était inculte, » insiste Hajer, dont les parents ont grandi dans le sud de la Tunisie. « Mes parents viennent d’une ville très connue pour ses grands poètes, savants et confréries soufies. Ma grand-mère était illettrée mais ça ne l’empêchait pas de réciter de la poésie classique, qui se transmettait beaucoup à l’oral. » Hajer estime donc que « la fracture sociale face à la culture savante était moins marquée ».

Se sentant pleinement tunisienne, elle aime cependant rappeler que le patrimoine culturel arabe ne s’arrête pas au pays du jasmin. Sa mère lui a notamment transmis l’amour des films égyptiens.  « Qu’il s’agisse de la littérature ou du cinéma, nous avons un socle commun. Les poètes médiévaux venaient des empires omeyyades ou abbassides ; la territorialité n’avait pas le même sens qu’aujourd’hui et les cultures arabes renvoient à des choses beaucoup plus larges qu’on ne le pense. » Pour illustrer son propos, Hajer cite Mahmoud Darwich, grand poète palestinien, évoquant l’attachement au « terreau natal » qui n’empêche toutefois pas la conscience d’un « arbre plus grand ».

 

La difficile confrontation aux inégalités sociales

 

Alors qu’à la maison, la jeune Franco-Tunisienne sait à quel point les cultures arabes sont riches et variées, elle ressent un immense décalage avec le monde scolaire. « Petite, je ne comprenais pas les raisons pour lesquelles on considère souvent que les Arabes n’ont pas de culture. On ne leur reconnaît pas de légitimité. C’est dramatique, même chez les personnes concernées par la migration, » déplore-t-elle. En étudiant l’histoire et la science politique à la Sorbonne, Hajer se rend rapidement compte des inégalités sociales. Elles ne sont que trois Arabes dans sa promo — dont deux issues de milieux très riches et francophiles du Maghreb — et elle fait partie des rares boursier·ère·s. « En cours, c’était un peu le concours de celui ou celle qui a lu toute la sociologie politique, et ça n’était pas du tout mon délire, » commente-t-elle en riant. Hajer compte néanmoins au nombre des meilleur·e·s étudiant·e·s dans les cours concernant l’histoire des pays musulmans et/ou arabes.

Elle se souvient par ailleurs de rencontres avec certain·e·s militant·e·s de gauche à Paris, prônant un discours antiraciste tout en pointant du doigt celles et ceux pour qui la question coloniale s’avère importante. « La parole est souvent confisquée, et les minorités souvent domestiquées, dans ces espaces, » explique Hajer, qui se sent désormais « proche de toutes les personnes minorisées dans la société, » et pas uniquement pour des raisons racistes — à l’instar des personnes queers.

 

Les voyages comme moyen de s’enrichir politiquement

 

« Istanbul, c’est ma ville, » affirme Hajer, l’air nostalgique. Elle y a vécu deux ans, dans le cadre de ses études, ce qui lui a permis de remarquer l’orientalisme de ses camarades. « Je n’ai pas du tout connu de choc culturel en Turquie mais les étudiants français avaient souvent tendance à observer les choses de façon très cliché. Notamment en résumant la politique turque à un parti islamiste dominant le pays, alors que c’est plus nuancé que cela — l’AKP [parti au pouvoir] connaissant des conflits internes, tout comme le mouvement de libération kurde, souvent homogénéisé dans la presse française, » explique l’amoureuse d’Istanbul.

Loin de réduire ces deux années à une banale expérience Erasmus, elle en profite pour fréquenter différents milieux, côtoyant à la fois des Turc·que·s, des Kurdes, des Irakien·ne·s, des Marocain·e·s, des Palestinien·ne·s et des Syrien·ne·s, dont certain·e·s fuyant des zones de combat. Elle y apprend aussi à manifester à la turque : en formant des barricades et en risquant des violences policières très dangereuses. Elle vit alors dans le quartier arménien. « Ma position de jeune étudiante étrangère me permettait d’errer, de rencontrer différentes personnes et d’être plus ouverte au dialogue, comme il y avait moins d’enjeu personnel. »

Hajer a aussi voyagé dans la plupart des pays arabes, à l’exception de l’Irak. « Je ne me suis jamais totalement sentie étrangère dans ces pays. » Ces excursions lui ont notamment permis de développer la place de la cause palestinienne dans sa formation politique entamée en France. Elle suit les pas de ses parents puis de sa grande sœur, militante pro-Palestine. Récemment, elle s’est également rendue au Sénégal, intéressée par les luttes panafricaines et celles contre l’impérialisme des pays occidentaux — dont la France, très présente sur le continent.

Crédit : Mouqawamet

 

Mouqawamet, un blog nécessaire sur les féminismes arabes et amazighs

 

De plus en plus politisée, Hajer concrétise certains projets. En 2015, la jeune femme et ses amies Lamia et Nawel décident par exemple de créer le blog Mouqawamet – Tizeddamin, ce qui signifie « les résistantes », respectivement en arabe et en amazigh. La blogueuse considère que le féminisme a toujours fait partie d’elle. Alors qu’elle remarque, avec ses coéquipières, que les organisations militantes ne consacrent pas beaucoup d’espace aux femmes amazighs et arabes — et plus généralement, aux femmes « orientalisées » —, elle décide d’y remédier en présentant des figures féministes qui ne sont pas uniquement « européennes ou américaines ». La blogueuse confie avoir compris l’intersectionnalité en Tunisie, au contact d’un féminisme tunisien éminemment bourgeois, porté par les élites francophiles et proches du pouvoir de Ben Ali.

L’objectif de Hajer est de favoriser une certaine transmission culturelle, en visibilisant le combat de femmes ancrées dans des aires géographiques différentes. Les auteures insistent également sur le fait que toutes ces femmes ne puisent pas forcément leur féminisme aux sources religieuses. Aussi le blog présente-t-il des musulmanes comme des non-musulmanes qui, toutes, combattent fermement le colonialisme, l’impérialisme ou encore la misogynie. Il met aussi en lumière des héroïnes inconnues, « combattantes du quotidien », à l’instar d’une pêcheuse d’Oran, en Algérie. Les figures de moudjahidate (« combattantes » en arabe) permettent ainsi d’honorer les mémoires issues de l’immigration.

Crédit : Vintage Arab

 

Vintage Arab, l’incontournable podcast sur les musiques arabes

 

La transmission culturelle occupant une place importante dans son cœur, Hajer partage souvent via Facebook des posts sur le contexte historique et politique de chansons arabes. Rapidement, plusieurs personnes l’encouragent à diffuser cette culture plus largement. Cependant, l’idée d’un blog ne lui convient pas. « Nous ne sommes pas tous égaux face à la lecture, » mais « la façon dont les musiques arabes [sont] abordées par des spécialistes qui ne le sont pas vraiment, de manière très orientaliste, » l’agace profondément. C’est sa mère qui lui a tout appris de la musique arabe, qui l’a accompagnée tout au long de sa vie. Hajer n’écoute d’ailleurs pratiquement que cela, en plus du rap, notamment d’« enfants d’immigré·e·s ». Elle décide donc de partager ses précieuses connaissances dans un podcast, Vintage Arab. « Cela n’a pas vocation à nous émanciper, mais la mémoire peut nous permettre de nous faire plaisir. »

Cette amoureuse de musique regrette que le milieu antiraciste politique ne se penche pas davantage sur ces héritages culturels. Elle considère en effet qu’il est nécessaire de se réapproprier nos traditions artistiques, car notre patrimoine est aujourd’hui mal protégé, voire volé. Hajer évoque notamment le danger du manque de législation sur les droits d’auteur·e·s dans le monde arabe. Elle admire les immigré·e·s et leurs descendant·e·s qui parviennent à ne pas situer leurs projets exclusivement par rapport au postcolonialisme. « Si on arrive à ne pas uniquement produire du contenu exclusivement politique et à se permettre de prendre un stylo pour nous, à titre purement personnel, ce sera une grande étape. » Elle estime en effet qu’il est difficile de déconstruire cette idée que l’on ne serait pas légitime à produire pour soi.

 

C’est donc en alliant plaisir, curiosité et engagement authentiques que Hajer participe à la préservation des cultures arabes… sous toutes leurs formes.

 

Crédit photo image à la une : Hajer — la blogueuse à Aswan, en Egypte

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Portraits

Soufeina, illustratrice musulmane de foi et européenne de culture

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Soufeina est une artiste née en Tunisie, d’une mère allemande et d’un père tunisien. Lorsqu’elle a sept ans, sa famille déménage en Allemagne, pays dans lequel elle commence à partager ses bandes dessinées en 2015, sur sa page Soufeina – Tuffix. L’illustratrice vit désormais en Irlande. Durant ses études, elle travaille pour différentes organisations, touchant surtout au développement des ressources humaines. Elle rejoint ensuite une académie de leadership à Berlin, dans laquelle elle est gestionnaire de projet et responsable de différents cours en rapport avec l’international. Cependant, véritablement passionnée par le dessin, Soufeina a récemment quitté son emploi afin de se consacrer pleinement à son art.

 

Le foulard, grande inspiration de ses dessins

 

Crédit image : Soufeina – Tuffix. « Ah, je suis très en retard ! » exprimé à la fois par la femme portant un foulard et celle n’en portant pas un. Petite note de fin : « Mais juste entre nous, j’ai entendu une rumeur, il paraît que même les musulmanes lavent leurs cheveux ! »

 

« J’ai commencé à dessiner dès que j’ai su tenir un crayon. Le dessin a toujours fait partie de ma vie. »

 

En 2009, Soufeina suit le conseil d’une amie : s’inscrire sur le site Deviantart. Cela lui a surtout permis de s’inspirer de certaines oeuvres et de suivre les commentaires constructifs d’autres artistes sur ses dessins. Elle considère avoir d’abord partagé des « illustrations banales ».

 

Crédit image : Soufeina – Tuffix / « Oh mon Dieu » –> « De son point de vue… »

 

Mais tout commence véritablement lorsqu’elle partage un dessin, représentant des personnes la fixant du regard en raison de son voile. « Les gens ont commencé à discuter, à s’interroger. J’ai senti qu’il se passait quelque chose alors j’ai continué », explique-t-elle. Ses illustrations sont depuis ce jour directement inspirées de sa vie et de certaines difficultés qu’elle rencontre en raison de ses principes et de ses croyances. « Mon travail a pour but de célébrer nos différences, de montrer ce que cela peut signifier que d’être musulman·e et que nous nous ressemblons tou·te·s beaucoup plus qu’on ne le pense, sans pour autant omettre le fait que le racisme existe », affirme l’illustratrice.

 

Soufeina a commencé à porter le foulard vers ses douze ans. « J’ai très clairement ressenti un changement », confie-t-elle. « Les gens me regardaient de façon différente, ils·elles me faisaient ressentir que je n’étais pas des leurs, que j’étais différente », regrette-t-elle. Soufeina explique également que depuis qu’elle porte le voile, plusieurs personnes l’assimilent à une prosélyte, mais également à une spécialiste de la situation du Moyen-Orient ou de la politique. « J’ai passé tellement de temps à expliquer, à collecter des arguments, à débattre, à me défendre durant les premières années de mon adolescence », se souvient-elle, émue. Elle ne s’est rendu compte que tardivement qu’elle n’avait pas à faire cela, qu’elle avait « le droit d’être une enfant ».

 

Crédit image : Soufeina – Tuffix. « Ne bouge pas ! Nous allons te libérer ! »

 

Son ressenti face à l’actualité

 

Soufeina a récemment déménagé en Irlande, ce qui lui donne l’opportunité d’observer la situation politique allemande depuis l’étranger. « Je ressens quelque chose de bizarre ». Elle déplore les résultats aux élections du Bundestag, en Allemagne. Le parti Afd, Alternative für Deutschland (Alternative pour l’Allemagne) a fait son entrée à l’assemblée parlementaire en septembre 2017, devenant ainsi la troisième force politique du pays.

 

« Le mot le plus approprié pour décrire ma réaction à la suite des résultats serait la déception. J’attendais mieux de la part de mon pays et j’espère encore que nous arriverons à une société forte et ouverte d’esprit qui combattra les idéologies pleines de haine », assure-t-elle, l’air déterminé.

 

Soufeina considère que la montée en puissance de l’extrême-droite dans plusieurs pays d’Europe est le plus effrayant. Se définissant elle-même comme « Européenne de culture », elle déplore la banalisation des idées des partis les plus extrêmes, largement répandues. « Ce n’est pas uniquement l’Allemagne, c’est aussi l’Autriche, la France et plus récemment la Pologne », regrette-t-elle.

Elle est cependant ravie du mouvement général veillant à émanciper les femmes. « Il se passe très clairement beaucoup de choses en ce moment : la marche des femmes, la campagne #metoo et les histoires de harcèlement sexuel révélées chaque semaine. » Elle considère que tous ces éléments permettent de nous rendre plus fortes et d’établir une sororité immense. « Ces initiatives nous font ressentir que nous ne sommes pas seules, que nous sommes soutenues », se réjouit-elle. « Les femmes sentent qu’elles ont plus de pouvoir, qu’elles sont plus fortes et donc prêtes à dénoncer les injustices. »

 


Crédit image : Soufeina – Tuffix

 

Crédit image à la une : Soufeina – Tuffix

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