Ezel Bahar, une danseuse en quête de spiritualité

par | 1/11/20 | Portraits

Ezel vient tout juste de terminer ses études en école de danse. Elle revient pour nous sur son parcours artistique, profondément lié à son cheminement culturel et spirituel, en tant que Franco-turque alévie.

 

La danse, une révélation

Née à Beauvais, Ezel a grandi auprès de ses parent·e·s, mais aussi entourée par ses deux soeurs. Depuis ses neuf ans, elle suit des cours de danse. Sa mère l’avait accompagnée au Conservatoire, afin de l’inscrire à des cours de piano. Malheureusement complets, elle a proposé à sa fille de l’inscrire en danse classique et contemporaine. « Cela me semblait impossible de mettre un juste-au-corps collant ». Sa mère a cependant insisté et Ezel a perçu la première séance comme une véritable révélation. « C’était comme une évidence : la danse faisait partie de moi ! ». Cette activité lui a permis d’améliorer l’estime qu’elle avait d’elle-même. « Je voyais ce que je pouvais faire de mon corps ainsi que la beauté de ses mouvements, ce qui m’a aidée afin d’accepter mon apparence. Toutes les cellules de ton corps semblent nourries et ce n’est pas étonnant que l’humanité, peu importe la culture, se réfère systématiquement à des danses, pouvant d’ailleurs être sacrées. C’est un véritable langage ! ». Elle a par la suite pris des cours de modern jazz de ses 16 à ses 18 ans au sein de l’association No-Made. Elle a également intégré une école de danse jazz dans le but de se former professionnellement. « C’est un univers plus différent, c’est à la fois très formateur académiquement et frustrant d’un point de vue artistique. Je me suis sentie coupée de ma facilité innée à inventer et à improviser car on consacre peu de place à notre créativité ». Elle déplore le manque de représentation de la diversité corporelle au sein de ce milieu, mais également l’omniprésence du male gaze (la vision masculine). « Dès le lycée, je me suis intéressée au féminisme, la révolte a commencé à bouillir en moi ». Ezel regrette également que l’on oublie le sens de certains arts. « Si l’on prend l’exemple de ce qu’on appelle la danse orientale, que je préfère nommer baladi, il s’agissait au départ d’une façon de célébrer la féminité, la maternité, c’était une danse de fertilité, sensuelle, pour se connecter à son essence primaire. Elle glorifie la puissance femelle. Désormais, elle est très facilement érotisée ou mal vue, alors que sa dimension est profondément sacrée ».

 

 

Ezel. Crédits : Shehrazad

 

Ses racines alévies, au centre de son cheminement artistique

Sa famille est originaire du centre de l’Anatolie, plus précisément de la région de Sivas. Ezel est également alévie. L’alévisme correspond à un courant hétérodoxe de l’islam. « En France, l’alévisme semble encore très inconnu ». Ainsi, Ezel n’hésite pas à partager son héritage culturel. « Je le fais à ma façon. J’ai souvent été la seule Turque et la seule alévie de mon entourage, c’est également un plaisir de partager sa culture avec des personnes qui s’y connaissent peu ». Elle demeure cependant étonnée que des personnes lui demandent si elle parle arabe, lorsqu’elles apprennent qu’Ezel est d’origine turque. « Il existe un gros point d’interrogation sur la Turquie, sûrement en raison de la médiatisation autour de cette contrée. Certaines personnes la voient aussi comme un pays très fermé. Souvent, on ne sait même pas le situer sur une carte. On ignore sa grande diversité, alors que notre terre est bordée par quatre mers et que différents climats et cultures y coexistent ». En outre, certains stéréotypes semblent encore très ancrés concernant les femmes turques. « Je ne ressemble pas à une Turque typique pour les gens, sûrement en raison de ma couleur claire de peau, de ma manière de me vêtir ou encore de mes choix de vie qui sont différents ». Face à tout cela, Ezel est ravie de pouvoir célébrer ses racines turques avec quelques proches. « Ma meilleure amie et mes soeurs vivent également à Paris, c’est génial de pouvoir continuer de parler turc entre nous, lorsqu’on a souvent l’impression de devoir se justifier, en tant qu’enfant·e·sd’immigré·e·s ».

 

Ainsi, Ezel rêve de pouvoir lier sa carrière artistique à son attachement profond pour ses racines. « C’est difficile à vivre émotionnellement, je me demande ce que je vais pouvoir apporter. J’aimerais véritablement me réapproprier mes racines ainsi que mes différentes identités ». L’été dernier, Ezel a ressenti le besoin de se rendre seule en Turquie, alors qu’elle n’y était pas retournée depuis sept ans. « C’est un choix. Je m’étais promis d’y voyager une fois adulte, afin de m’y ressourcer, d’y vivre mes propres expériences et d’y rencontrer de nouvelles personnes. Sur le plan spirituel, cela a été incroyablement bouleversant ». Ezel s’est retrouvée auprès de ses grand·e·s-parent·e·s. « Mon grand-père est très respecté dans son village, il me touche beaucoup du fait de sa sensibilité artistique, il joue du saz, il chante, il écrit des poèmes et il incarne une forme de sagesse pour moi ». Cet homme participait au cem, un rituel durant lequel les femmes, les hommes ainsi que les enfant·e·s se rassemblent dans un espace, où la transmission des croyances s’effectue à travers la musique, des chants, des danses et des prières. Les cem sont aussi connus pour leur danse, le semah, ce qui signifie « tourner en rond ». Plusieurs personnes effectuent donc ce rituel précis en tourbillonnant et il arrive qu’un individu effectue seul cette danse, en se positionnant au milieu de façon à être entouré par les autres. « Cette transmission physique me touche, la personne au centre est à la fois au service de Dieu et des hommes, elle nous apporte une dimension puissante et magique ». Ezel estime ainsi qu’il n’existe aucune civilisation sans art, qu’il s’agisse de la danse, de la musique ou encore de la peinture. « Dès la Préhistoire, nous pouvions observer des traces de civilisation sur les fresques des premier·e·s humain·e·s ». Ezel souhaite donc contribuer à partager cette puissance spirituelle. « Je me définis comme une personne multiculturelle, je ne me cantonne pas à une identité particulière. Il y aura forcément du métissage au sein de mes créations, cependant, j’aimerais aussi contribuer à préserver l’essence de l’alévisme, sans pour autant nier son évolution au cours des siècles ».

 

Un cem en Turquie. Crédits : Hürriyet

 

En effet, Ezel est profondément fascinée par les traditions, notamment le cem, un rituel codifié. « C’est très codé, chaque chose est liée a une signification précise ». Elle évoque ainsi la grandeur d’un cem ayant eu lieu à Berlin, durant les années 2000. « Une diaspora alévie importante y vit. Une centaine de personnes, dont plusieurs artistes connu·e·s, y avaient participé, en récitant des poèmes. La vidéo, de mauvaise qualité, m’avait donné des frissons. Je n’ose même pas imaginer si j’y avais assisté ! », rit-elle. De plus, la préservation de cette culture est très importante à ses yeux et elle ressent l’ « özlem », la nostalgie. « C’est un peu comme la ghorba pour les Nord-Africain·e·s, ce sont des mots de l’émotion, afin de manifester le déchirement que l’on ressent en raison du manque de son pays ». Son père évoque ainsi très souvent son manque de l’air de sa région natale. « Je ne suis pas immigré·e, mais ce que ressentent mes parent·e·s me bouleverse, c’est la raison pour laquelle j’aimerais rendre hommage à mes racines au sein de mon art ». Ezel rêve également d’accueillir des femmes afin de danser et de célébrer la féminité, dans toute sa diversité corporelle et culturelle.

 

En attendant d’assister à ses futurs projets, il est possible de suivre Ezel Bahar sur Instagram. Nous ne lui souhaitons que du succès, inshAllah.

 

Crédit image à la Une : Shehrazad

 

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