Catégories
Communiqués

[Communiqué] Lallab s’élève contre l’amendement voté au Sénat contre le port du voile des mères lors des sorties scolaires

[vc_row][vc_column width= »2/3″][vc_column_text]

COMMUNIQUÉ

 

Le 15 mai 2019, un amendement proposé par Les Républicains qui interdirait aux mères portant un voile d’accompagner leurs enfants lors de sorties scolaires a été voté, dans le cadre du projet de loi sur « l’école de la confiance ». Alors que cet amendement est censé concerner tous les signes religieux dits « ostensibles » – Les Républicains ont exposé leur obsession islamophobe en ciblant explicitement le port du voile dans leur communiqué. Il s’agit encore une fois d’une nouvelle atteinte à la liberté et à la dignité de nos concitoyennes qui portent le voile.

 

 

Les femmes musulmanes qui portent le voile voient en permanence leurs droits constitutionnels être bafoués, qui plus est dans un pays qui se positionne constamment en exemple pour le respect des droits humains. Encore une fois ce sont nos mères, nos soeurs, nos collègues, nos amies qui sont visées par cette dangereuse tentative de déshumanisation et de suppression. Interdire le port du voile aux mères accompagnatrices, c’est associer les femmes voilées au danger, et apprendre à nos enfants la peur, et le rejet d’une partie de la population. Pire, l’État promeut clairement une ségrégation entre parents “acceptables”, et parents musulman.e.s. Si cet amendement est voté, il engendrera également des traumatismes pour les enfants qui verront leur mères être exclues.

 
Quelle(s) place(s) alors laisse-t-on à ces mères dans le parcours scolaire de leurs enfants ? Seront-elles ensuite interdites de participer aux kermesses, aux réunions parents-professeur.e.s, aux anniversaires ? Pourront-elles être élues comme représentantes des parents d’élèves ? Seront-elles prohibées d’accompagner leurs enfants jusqu’au sein de l’école ? En maternelle, les enfants sont trop petits pour aller seul.e.s en classe et c’est donc leurs parents, et souvent leurs mamans, qui les y accompagnent ; devront-elles les laisser désormais sur le pas de la porte là où les autres parents peuvent assurer la sécurité de leurs enfants jusqu’en classe ?
 
Accompagner des enfants en sortie scolaire est un travail bénévole que les mamans offrent à la communauté.
C’est grâce à leur dévouement que vos enfants peuvent sortir toutes les semaines à la piscine, au gymnase ou dans des lieux d’activités culturels, sportifs et artistiques. De nombreux professeurs eux-mêmes expliquent que c’est déjà un combat quotidien pour trouver des parents accompagnateurs, et que cet amendement ne ferait que compliquer encore plus leur travail.
Si ces mamans sont interdites de sorties scolaires, les enfants seront inévitablement privé.e.s de sorties, et c’est dans les quartiers où il y a le plus de mamans voilées que ces conséquences se feront ressentir. Pour les enfants, la sanction est double. Privé.e.s de mamans et privé.e.s de sorties.
 
En agissant ainsi, les élites politiques françaises prouvent une fois de plus au monde entier qu’iels cherchent à empêcher les personnes musulmanes d’exister dans l’espace public, en s’appuyant sur des instincts misogynes qui justifieraient la régulation de l’apparence extérieure des femmes. Cette énième expansion de la portée de la loi 2004 pour cibler une pratique religieuse minoritaire et inoffensive révèle les intentions funestes de pseudo-sophistes pour qui le harcèlement politique des femmes musulmanes n’est qu’une stratégie de plus pour rallier une opinion publique lassée par leur incapacité à confronter les vrais problèmes en France. Encore une fois, les femmes musulmanes voilées sont prises en otage par des institutions politiques desquelles elles sont de facto exclues.
 
Nous ne sommes pas dupes : resserrer l’étau législatif autour des choix vestimentaires des femmes musulmanes traduit indéniablement l’islamophobie et la misogynie du parti Les Républicains, mais aussi de celleux resté.es silencieu.xes face à ce nouvel affront pour la liberté de nos sœurs. Que cette transgression n’ait pas suscité plus d’émoi chez nos élites politiques atteste de la banalisation de l’islamophobie misogyne à laquelle les femmes musulmanes font face depuis des années en France. N’ayons pas peur des mots, cette guerre contre le voile stigmatise, réprime, repousse nos mères, divise notre société et, en fin de compte, est une menace à la laïcité et au vivre-ensemble.
 

Lallab ne restera pas silencieuse

 
Nous refusons d’être les boucs émissaires ou les complices silencieu.ses d’une machine qui ostracise constamment les femmes qui portent le voile. Nous ne laisserons personne empiéter sur leur dignité et sur celles de leurs enfants. Nous ne laisserons personne les exclure d’activités et de moments qu’elles souhaitent légitimement partager avec leurs enfants. Voilées, non voilées, musulman.es ou pas, parent.es ou pas, nous devrions toutes et tous être outré.es par cette énième intrusion liberticide et discriminatoire de l’État.

 

Aujourd’hui, nous appelons nos élu.es à s’élever contre cette proposition anticonstitutionnelle, contre l’ingérence de l’État dans les choix vestimentaires des femmes ; pour le droit de toutes les mères à êtres présentes dans la vie scolaire de leurs enfants ; et contre la rhétorique islamophobe qui empoisonne nos débats publics.

 

État actuel de la législation

 

Si elle est adoptée, cette loi serait contraire à l’Etat de droit et au principe de proportionnalité des lois qui prévoit qu’une loi ne peut être adoptée que si ses mesures sont proportionnées au regard de la gravité et du danger à l’ordre public visé par ces mesures. En outre, l’invocation de la laïcité comme prétexte à cet amendement n’est pas légitime – comme l’explique sur Twitter le Rapporteur général de l’Observatoire de la Laïcité Nicolas Cadène – s’il ne cible qu’une seule conviction, comme c’est le cas ici.

Or, cette loi ne répond à aucun problème, si ce n’est celui d’assouvir encore une fois un délire islamophobe.

Il n’existe actuellement aucune norme nationale restreignant l’accompagnement des sorties scolaires. La loi de 2004 sur le port de signes religieux ostentatoires à l’école ne peut s’appliquer en aucun cas à des adultes qui ne sont ni élèves, ni salarié.es de l’Éducation nationale. Le Conseil d’État a rappelé en 2013 que les accompagnateur·ices de sorties scolaires, bénévoles, ne sont pas concerné.es par la législation sur la neutralité religieuse, sauf en cas de menace pour le “bon fonctionnement du service public de l’éducation”. Au-delà des fantasmes islamophobes, le port du voile dans un cadre scolaire par des parents volontaires ne représente pas une menace: son interdiction serait donc injustifiée.

 
Crédit photo à la une : Manifestation du collectif « sorties scolaires avec nous! » en novembre 2013, au Blanc-Mesnil, en Seine-Saint-Denis.

[/vc_column_text][/vc_column][vc_column width= »1/3″][vc_column_text]

Diffuse la bonne parole

[/vc_column_text][vc_facebook][vc_tweetmeme][vc_column_text][/vc_column_text][vc_widget_sidebar sidebar_id= »home-one »][/vc_column][/vc_row]

Catégories
Nos Voix

5 habitudes écolos prises pendant Ramadan et à continuer après

[vc_row][vc_column width= »2/3″][vc_column_text]

 


**Article publié initialement en juin 2018 sur notre site **
Le mois de Ramadan étant le moment propice pour se réapproprier son corps et son esprit, il est important de pouvoir se remettre en question sur la notion de consommation. Cela concerne notamment et principalement notre alimentation, nos objets de consommation comme les vêtements et nos moyens de transport.
C’est donc le mois idéal pour prendre de nouvelles habitudes respectueuses de notre planète et de l’éthique islamique. La Terre et tout ce qu’elle contient étant considérés comme une amâna, c’est-à-dire un dépôt, les humains se doivent de la protéger.

 

1. Diminuer drastiquement la viande

 

Saviez-vous que près de 70% des terres cultivées dans le monde sont exclusivement utilisées pour nourrir le bétail ? Saviez-vous aussi que pour 1 kilo de viande bovine, il faut 16 000 litres d’eau ? Ces 16 000 litres d’eau sont utilisés pour produire la nourriture du bétail, pour que l’animal se désaltère, pour laver sa carcasse et la transformer en viande emballée. En comparaison, chaque être humain utilise en moyenne 148 litres d’eau par jour. Le meilleur moyen d’économiser l’eau est donc de diminuer fortement notre consommation de viande.

Je sais, pour les carnivores, c’est assez compliqué d’imaginer un repas sans viande et d’autant plus un iftar (repas de rupture du jeûne). Pourtant, malgré ce que vous pouvez croire, la viande n’est pas indispensable au corps humain et à son bon fonctionnement. Il y a de nombreux ingrédients non carnés et tout aussi protéinés, tout en étant beaucoup plus respectueux de l’environnement. Nous pouvons citer les œufs, le poisson, le tofu, les lentilles et même les insectes (les bobos pourront trouver grillons et larves dans certains grands magasins) !

 

2. Consommer du poisson provenant de filières respectueuses de l’écosystème marin

 

On vous a dit qu’une alternative à la viande pouvait être le poisson. Cependant, les modes de pêche actuels et notamment la pêche au chalut détruisent l’écosystème sous-marin déjà fragile. Qu’est-ce que la pêche au chalut ? Ce sont des chalutiers déployant un énorme filet qui peut capturer jusqu’à 60 tonnes de poissons en vingt minutes. Le principal problème de cette technique de pêche est qu’elle n’est pas sélective. Le filet capture toutes les espèces, de toutes tailles et de tous âges, qu’il trouve sur son chemin.

 

Crédit photo : Nuique, adaptation française par Mr Mondialisation

Très récemment, l’ONG Sea Shepperd dénonçait en France la mort de milliers de dauphins causée par les navires de pêche pratiquant la pêche au chalut.

Pour lutter contre le déséquilibrage et la destruction de cet écosystème, vous pouvez opter pour les poissons pêchés à la canne, de plus en plus proposés dans les rayons.

Si vous habitez ou êtes en vacances le long des côtes, la pêche est également un bon moyen de méditer sur les bienfaits de Dieu pendant Ramadan, de contempler Ses merveilles et de jouir de Ses faveurs.


 

3. Utiliser un récipient pour les ablutions

 

On entend souvent de ne pas laisser couler l’eau pendant la douche ou lorsque l’on se brosse les dents : c’est de même lorsque l’on fait nos ablutions. Pour éviter de gaspiller l’eau, utilisez un récipient que vous remplirez avant de commencer vos ablutions. Plus le récipient est petit, mieux c’est…

Petite illustration et anecdote personnelle : alors que j’étais à la Sainte Mosquée de la Mecque, j’ai eu besoin de faire mes ablutions. Les toilettes étaient dehors, plutôt loin d’où je me trouvais, et nous n’allions pas tarder à prier Icha, la 5ème et dernière prière obligatoire de la journée. Je n’avais ni le temps de repasser à l’hôtel, ni d’aller aux toilettes bondées en dehors de la mosquée. J’ai demandé à une femme qui travaillait à la mosquée où je pouvais faire « wudu », elle m’a dit de prendre un gobelet en plastique, de la remplir d’eau de Zamzam (la source de La Mecque) et de faire ensuite mes ablutions. Et bien j’ai réussi à faire toutes mes ablutions avec seulement l’eau d’un gobelet en plastique !!! Mais WARNING : ceci n’est pas une incitation à utiliser des gobelets en plastique, SURTOUT PAS ! Notre experte ès décroissance vous conseille d’utiliser une théière chez vous.

Terminons de vous convaincre avec un hadith :

L’imam Ahmad (n°6768) et Ibn Madjah (n°419) ont rapporté d’après Abdoullah ibn Amr ibn al-As que le Prophète (que la bénédiction et le salut de Dieu soient sur lui) passa à côté de Saad qui faisait ses ablutions et lui dit :

« Pourquoi ce gaspillage, ô Saad ?

– Y a-t-il du gaspillage dans les ablutions ?

– Oui, même si tu te trouvais au bord d’un fleuve débordant. »

 

4. Eviter le gaspillage alimentaire en préparant moins

 

Le mois de Ramadan n’étant pas le mois de la surconsommation et du gaspillage, malgré certaines apparences, il est très important de ne pas préparer des plats dans l’excès. Je le reconnais moi-même, lorsque nous jeûnons, nous avons les yeux plus gros que le ventre, « envie de frites, envie de fruits, envie de gâteaux, … ». Et arrivée l’heure de la rupture du jeûne, quelques dattes, de l’eau, un bol de chorba, 2 bricks et nous sommes calé·e·s.

C’est pour cela que la préparation du repas doit être mesurée et réfléchie. Pas besoin de faire 3 plats après la chorba, ni un tiramisu. Modérons nos ardeurs de festins et de banquets. Dans le Coran, il est écrit :

« Ne commettez pas d’excès, Allah n’aime pas ceux qui commettent des excès » (Sourate 6 Al An’am (Les bestiaux), verset 141)

Par ailleurs, l’esprit du Ramadan ne réside pas dans le fait de rester une après-midi entière dans la cuisine, loin de là. Le temps durant ce mois béni devrait plutôt être utilisé au renforcement du lien avec Dieu, à la méditation sur les bienfaits qu’Il nous a accordés, à la lecture et à l’apprentissage de Sa Parole.

 

5. Aller à la mosquée à pied, en vélo ou en covoiturage

 

On profite souvent de Ramadan pour fréquenter un peu plus la mosquée, notamment pour Taraweeh, ces prières accomplies après Icha pendant ce mois spécial. Profitons donc du beau temps actuel pour s’y rendre à pied ou en vélo. En plus, cela facilite la digestion après un bon iftar sans viande ! En effet, en Islam, il est aussi important d’entretenir son corps. Notre corps étant, lui aussi, une amâna (un dépôt), nous avons la responsabilité d’en prendre soin, comme le Prophète (que la paix et la bénédiction de Dieu soient sur lui) le faisait. Cela se fait, entre autres, par une pratique sportive comme la marche rapide.

Abu Huraira, un des compagnons du Prophète, a dit à son sujet : « (…) je n’ai jamais vu quelqu’un plus rapide dans sa marche que lui, c’est comme si la terre se repliait pour lui ; nous, nous faisions des efforts et lui ne ressentait aucune fatigue ».

De plus, à propos du trajet menant à la mosquée, le prophète (que la paix et la bénédiction de Dieu soient sur lui) a dit :

« Quiconque se purifie chez lui puis se dirige vers l’une des maisons de Dieu pour y accomplir l’une des prières imposées par Lui, se verra pardonner une faute pour un pas accompli et se sera élevé d’un degré pour le pas suivant. » (rapporté par Muslim)

 

Article co-écrit par Morjana et Hannanas

 

 

[/vc_column_text][/vc_column][vc_column width= »1/3″][vc_column_text]

Diffuse la bonne parole

[/vc_column_text][vc_facebook][vc_tweetmeme][vc_column_text][/vc_column_text][vc_widget_sidebar sidebar_id= »home-one »][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column width= »2/3″][vc_column_text]

 

Catégories
Nos Voix

Licenciée pour avoir Balancé son Boss : Actes III et IV

[vc_row][vc_column width= »2/3″][vc_column_text]

Un jour, j’ai fait un rêve étrange. Un rêve utopiste. Ce rêve va vous paraître ordinaire. Mais faut croire que j’ai des rêves assez simples. J’ai fait le rêve que je travaillais dans une entreprise bienveillante où le fait d’être une femme, racisée de surcroît, ne serait pas une entrave à ma carrière. J’ai rêvé que je bossais dans une société où le mot féministe n’était pas une insulte, où les micro-agressions sexistes, racistes, homophobes, grossophobes, etc. ne faisaient pas partie de mon quotidien. Puis je me suis réveillée, j’étais en 2018 et on m’avait virée pour avoir dénoncé les comportements et agressions sexistes et racistes de mon entreprise. Et oui, je me suis faite licencier pour avoir balancé mon boss. J’avais identifié le problème donc j’étais devenue le problème. La femme à abattre. L’épine dans le pied. Il fallait m’extraire. Vite. Très vite. Une RH, rebelle, ce n’est pas très bon pour la marque employeur. Mais bon, je vous propose de continuer l’histoire si vous avez déjà lu le début.

 

Acte III : Je crois que ma boîte est raciste

 
Après six ans au service consulting, et pléthores de micro-agressions sexistes plus tard, je rejoins l’équipe RH de la société avec la ferme intention (illusion ?) de faire bouger les choses. Nous sommes désormais 300 collaborateur.rice.s. Je dépends hiérarchiquement de la DRH. Elle est consciente du problème de sexisme de la boîte et me dit faire de la pédagogie auprès des dirigeants et y travailler en douceur.
 
Je suis en charge de piloter les recrutements. J’assiste une de mes collègues pour recruter une assistante. Un cabinet nous envoie une candidate. Elle arrive voilée, version turban. Ma collègue puis les managers concernés la reçoivent. Pendant l’entretien avec les managers, le DG l’aperçoit et fonce dans le bureau des RH. Il est furax. Qui a laissé rentrer cette candidate avec son voile ? Elle aurait dû le retirer pour passer l’entretien. Malaise. Surtout que les entretiens se sont bien déroulés. La candidate est même trop compétente pour le poste. Quelques jours plus tard, la candidate nous contacte pour nous remercier de la qualité de cette rencontre, mais nous informe avoir trouvé un autre poste en CDI. Heureusement, la candidate ne s’était aperçue de rien.
 
Quelques mois après mon arrivée dans le service RH, pendant une pause clope, ma supérieure se confie à moi. Elle vient de rentrer d’un séminaire avec l’ensemble des managers et de la direction. Épuisée, elle me confie qu’un de nos associés, le DG, la harcèle sexuellement et moralement depuis deux ans. Elle me raconte aussi qu’elle vient d’informer les autres associés de la situation. Je sens la détresse et la panique chez elle. La peur du précipice. Sa vie de famille, son avenir professionnel, sa réputation, tout ce qu’elle a construit depuis cinq ans dans cette boîte et en vingt années de carrière risque de s’écrouler. Son destin se jouait entre les mains de nos associés. Je pense qu’en cinq ans, c’était la première fois que je la sentais fragile. Et en même temps, à qui se plaindre lorsque l’on est la DRH ?
 
Quelques mois plus tard, une de nos collaboratrices porte désormais un turban. Ça chuchote dans l’open-space et dans les bureaux. Malaise. Côté RH, je sens que la direction ne sait pas trop comment gérer cette situation. Il ne faut surtout pas en parler avec l’intéressée. On chuchote.

Quelques mois plus tard, pendant une pause déjeuner, un plaisantin se permet d’écrire une petite « blague » derrière le poste de travail de ma dite collègue : « J’AI TROP LA CLASSE ! JE ME KIFFE ! QUI A L’INSOLENCE DE PORTER SON REGARD SUR MOI SANS MA PERMISSION ? MÉCRÉANTS ! ». Malaise chez la DRH et l’ancien manager de la concernée. Comment gérer la situation ? Ce qui est drôle, c’est que certain.e.s n’ont pas compris de suite le caractère islamophobe du message. Il.elles se sont d’abord demandé.e.s à qui était destiné le message. Une partie de Cluedo mentale plus tard, il.elles ont commencé à interroger la présence du turban en entreprise. Ah, en fait, on s’en fout de savoir qui a fait ça. Donc pas d’enquête. Ça aurait un peu épicé mon quotidien. En revanche, on va se servir de l’incident pour enfin aborder le sujet qui nous chatouille depuis des mois. La laïcité en entreprise. Mais en chuchotant.
 

Crédit photo : Rakidd

 

A ce moment, j’assite à un débat entre la DRH et un manager. L’entreprise, ne devrait-elle pas rester neutre religieusement pour éviter justement ce genre de problème ? Bah, oui, ce sont les signes ostentatoires qui crispent, pas la religion en elle-même. Tu comprends. Et puis bon les clients, on ne sait pas toujours comment ils vont réagir. Du coup, j’opte pour ma carte « appel à un.e ami.e ». C’est le moment de me servir de mes privilèges de femme musulmane considérée comme « cool et intégrée » pour entrer dans le débat (l’arène). Tu sais celle à qui on dit « Non, mais toi, ce n’est pas pareil. ». Bref, je vais recentrer la problématique.

Un. Il n’y a rien dans le règlement intérieur de l’entreprise concernant la présence de signe ostentatoire sur le lieu de travail. Donc, à moins de décider de changer celui-ci, le problème est déjà réglé. Deux. Il me semble qu’un des associés, le fondateur, avait salué publiquement la coiffure similaire d’une autre collaboratrice (non-musulmane) lors d’une soirée de Noël. Un turban est considéré comme un accessoire de coiffure dans un cas, mais comme un signe ostentatoire dans l’autre. #DoubleStandard. Trois. Dans ce cas, est-ce qu’on demande à Jean Mi du service commercial de retirer la grosse croix qu’il porte fièrement, chemise ouverte, depuis des années, ou les signes ostentatoires c’est que pour les musulman.e.s ?

Mais cette boîte était pleine de surprises. L’innovation, c’est un peu son fonds de commerce. Alors, quelques semaines plus tard, sans demander à ma collègue comment elle a vécu ce tag islamophobe, on lui propose une solution alternative. Le turban à temps partiel. Oui, vous avez bien lu. Afin d’habituer l’open-space en douceur, la collaboratrice a le droit de porter le turban certains jours. Et d’autres, non. Ridicule. Je suis d’accord. Une petite souris finira par révéler l’identité du plaisantin. Une discussion. Pas de Sanction. Une promotion.
 
Au fait. Je n’ai pas fini l’histoire de harcèlement de la DRH. Ça, c’est mon esprit d’escalier qui me joue des tours. Que s’est-il passé ensuite ? Elle dénonce son harceleur aux autres associés. Pas de faux suspens. Il ne se passera rien. Enfin si, on va profiter de #metoo pour faire une communication « féministe » en interne. J’ai la mission de rédiger cette communication. Dilemme. On va se servir de moi pour couvrir une bonne grosse bouse. #Collabo. Et en même temps, je me dis que si cette communication libère la voix d’une autre femme, ça peut être un début. #FémismePragmatique. Pendant ce temps-là, elle continue à être managée directement par son harceleur pendant des mois. Elle se fera ensuite licencier en même temps que moi. On lui proposera un accord pour ne pas aller aux prud’hommes qu’elle acceptera. Peu avant le licenciement de ma DRH, j’avais pris connaissance du témoignage d’un ancien collaborateur. Il y racontait en réalité une tentative d’agression sexuelle de la part du DG. L’ancien collaborateur expliquant avoir dû entrer dans la chambre de ma DRH pour extraire l’agresseur.
 
Et moi dans tout ça ? Après un an au service RH, et dix kilos en moins, l’envie d’agir me démange. C’est particulièrement l’envie de l’ouvrir qui me ronge de l’intérieur. On sait que je ne me laisse pas marcher sur les pieds et que je n’ai pas froid aux yeux. Je mets alors en place le « carton RH ». Je le dégaine lorsqu’une phrase ou un comportement me semble problématique. Ma fonction de RH m’impose cependant une certaine réserve qui m’empêche de parler publiquement et clairement de ce qu’il se passe. On me dit insolente. D’ailleurs, un de mes dirigeants, l’agresseur, m’a un jour clairement dit qu’il fallait que je fasse attention. Mon franc-parler allait finir par me jouer des tours surtout si je souhaitais persévérer dans la voie des RH. Ici, on m’aimait bien et on était sympa, mais ailleurs, ça ne passerait pas. Je lui réponds que l’important pour moi c’est d’être en accord avec mes valeurs et que l’essentiel est de pouvoir me regarder dans la glace. Pouvoir dormir la nuit en bonne conscience. J’ai l’insolence de rajouter que je continuerai à exercer mon franc-parler et que le jour où ça ne leur conviendra plus, libre à eux de me licencier. Prophétie auto-réalisatrice.
 
Je ronge mon frein. Pourtant, lors de mes entretiens ou de mes soirées avec certaines collaboratrices, les langues se délient. Je me décide à attaquer le problème sous l’angle de la bienveillance et de l’exemplarité. Je finis par en discuter avec plusieurs des associés. En tête-à-tête. Chacun leur tour. Je leur explique la source de mon malaise. Je ne me retrouve pas dans les valeurs de la boîte. Le manque de bienveillance. Et je pointe celui d’entre eux, le DG, qui me dérange le plus. Ah oui, c’était le même qui avait joué avec le viagra, agressé sexuellement ma DRH, etc. Beau palmarès. Je finis par dire à l’un de mes associés que ça me dérange d’avoir l’impression de bosser pour des connards et que j’interroge fortement mon avenir dans cette boîte. Ils réagiront chacun à leur manière, mais me feront comprendre qu’ils s’en occupent.
 
Réunion de budget RH. Ma supérieure et moi sommes avec l’associé problématique. Je bois un café. C’est ramadan. Il m’interroge, « tu ne jeûnes pas ? » Si. Mais j’ai le droit à une dispense de quelques jours. (j’ai mes règles quoi). S’enchaîne une conversation surréaliste sur mon choix de protection périodiques. « Tu dois être plutôt serviettes lavables vu ton côté bobo. » « Nan son truc, c’est plutôt la Cup. » Hmm, les loulou.tes, on pourrait se concentrer sur les résultats de la campagne de recrutement ? Oh, regardez, j’ai un gros problème de turn-over. C’est moins intéressant que ce qu’il se passe dans ma culotte, je vous l’accorde, mais je vous rappelle que nous sommes au BUREAU ! Evidemment, ça c’est que je dis dans ma tête. A la fin de cette réunion de haut vol, l’associé nous regarde sortir, et me lâche : « Je sais que tu penses que je suis un pervers. Et si ça continue, je vais finir par le croire ». The war was on, bitches !

 

Quelques semaines plus tard, je suis dispensée d’activité. Je vous épargne les détails administratifs, mais après quatre mois à être payée et assignée à domicile, je suis licenciée. Quel motif ? Pas de motif. Ah oui, je ne vous ai pas dit, on m’a proposé un accord. Je l’ai refusé. J’ai décidé d’aller me battre dans les tribunaux.

 

The End. Non, c’est juste le début de l’histoire en fait. Ma saga Star Wars à moi. Et je suis impatiente d’écrire les prochains actes. Et surtout, je ne compte pas les écrire seule. Nous les écrirons ensemble.

Oui, ensemble. Et c’est ainsi qu’au cours d’une conversation avec des anciennes collègues devenues des amies, nous avons imaginé un projet fou. Un truc tellement fou, qu’il serait plus grand que nous. Et si on osait, et si on assumait notre guerre du quotidien. Devenons les amazones que nous sommes déjà. Aidons-nous. Ecoutons-nous. Croyons-nous. Il n’y a pas de petite contribution. À vous de trouver la forme qui vous convient. Mais le silence n’est pas une option. Le silence n’est plus une option. Il nous enferme. Nous emprisonne. Fait de nous des victimes. La parole, elle, nous libère. C’est douloureux au départ. Difficile. A quoi bon ? Vous allez avoir l’impression de vivre un séisme (à vous de le situer sur votre échelle de Richter). Mais vous verrez, c’est ensuite que vient le kiffe. La puissance de la parole libérée. Le pouvoir retrouvé. Lorsque le malaise se renverse. Bien sûr il y a un coût. Et, c’est à vous de décider quel est le bon moment pour vous. Mon déclic : j’ai écouté mon corps, la petite voix à l’intérieur de moi. J’en avais marre de fondre à vue d’œil et d’être malheureuse. Et puis cela impactait tellement de dimension de ma vie que le coût était devenu trop grand. Alors, je l’ai fait en mode spontanée. Mais à chacun.e de vous de trouver la voie qui vous convient. De mon côté, je peux vous assurer que j’ai trouvé chez ma mère, mes sœurs, mes copines, mes potes, des allié.es du quotidien. Des soutiens inconditionnels. Il.elles m’ont donné la force de passé ce tsunami. Et je me sens prête à affronter les prochaines répliques. Alors, ça vous dit d’être nos complices ?
 

Acte IV : #BalanceTonBoss

 

Un jour, j’ai fait un rêve étrange. Un rêve utopiste. Ce rêve va vous paraître ordinaire. Mais faut croire que j’ai des rêves assez simples. J’ai fait le rêve que je travaillais dans une entreprise bienveillante où le fait d’être une femme, racisée de surcroît, ne serait pas une entrave à ma carrière. J’ai rêvé que je bossais dans une société où le mot féministe n’était pas une insulte, où les micro-agressions sexistes, racistes, homophobes, grossophobes, etc. ne faisaient pas partie de mon quotidien. Puis je me suis réveillée, j’étais en 2019 et il fallait que mon rêve soit ma réalité, notre réalité. J’ai commencé à raconter mon histoire autour de moi, et j’ai pris conscience de la violence de celle-ci. Plus je racontais mon histoire, et plus des histoires comme la mienne m’entouraient. Les femmes concernées travaillaient dans des milieux variés et des secteurs d’activités différents.

 

Alors je suis passée par plein d’émotions différentes. La colère. La détresse. La rage. La tristesse. L’optimisme. La fatigue. Que faire de toutes ces émotions ? De toute cette énergie, il fallait que je fasse quelque chose, je ne voulais plus être passive. Je ne pouvais plus être passive. Je ne pouvais plus subir ma situation. Je n’étais pas une victime. J’avais besoin d’être dans l’action. De reprendre le pouvoir. Mon licenciement devait ne pas servir à rien. Mais comment agir efficacement face à cette montagne devant nous ? En déplaçant un caillou à la fois. En unissant nos forces pour avoir plus d’impact. Et surtout en racontant nos histoires.

 

Alors, seriez-vous partant·e·s pour relever un petit challenge et continuer à renverser l’ordre établi ? Et si, dans la continuité de #metoo, #noustoutes, nous libérions la parole dans la sphère professionnelle avec #BalancetonBoss ?

Et si, pour commencer, nous nous servions par exemple de la plateforme Glassdoor pour évaluer, de manière anonyme, nos environnements de travail en y reportant les comportements et agressions sexistes, racistes, homophobes, grossophobes, etc. que nous avons pu observer ou dont nous avons pu être victimes ?

 

Pourquoi témoigner ?

La question est d’abord pour QUI ? Pour protéger nos sœurs, nos copines, nos femmes, nos mères, nos filles qui subissent ou qui subiront ces violences quotidiennes.

L’objectif de cette démarche est de transformer les entreprises en espaces safes et bienveillants en dénonçant ces pratiques. En rappelant qu’un cadre légal existe, et en n’acceptant plus ces comportements, en les sanctionnant systématiquement, en inversant le camp de la peur et de la honte, j’ai le rêve que nous créerons, tou.te.s ensemble, un monde meilleur.

 

Aujourd’hui, l’entreprise et le monde du travail sont des lieux d’exercice du pouvoir où les structures de domination patriarcales s’exercent au quotidien sur des millions de femmes (et d’hommes). Nous n’avons pas attendu la Ligue du LOL pour découvrir les boys’s club. Nous n’avons pas attendu les affaires Beaupin, Tron, etc. (marche avec beaucoup trop de noms d’hommes cis hétéro) pour expérimenter les violences sexuelles et sexistes en entreprise.

 

Dans votre entourage, combien de femmes, et d’hommes, vous ont raconté des blagues, des micro-agressions sexistes, racistes, homophobes, grossophobes, etc. ? Combien de cas de harcèlements sexuel ou moral subis au quotidien ? Combien d’agressions sexuelles ? Combien de viols ? Il est très difficile de dénoncer ces comportements dans la sphère professionnelle sans prendre le risque de conséquences sur sa carrière. Il est d’ailleurs souvent difficile d’en parler à son entourage. J’en ai moi-même parler qu’une fois qu’il était trop tard. Et pourtant, c’est le sujet de vos soirées Meufs, de vos dîners, de vos insomnies, de vos crises d’angoisse.

 

Combien de dépressions, de démissions, de burnout, de licenciements allons-nous accepter ?

 

Alors Challenge accepted ?

 

Pour relever le défi et renverser l’ordre établi, vous pouvez nous soutenir sur les réseaux sociaux et nous envoyer vos témoignages.

https://www.facebook.com/BalanceTonBoss.08.03/

https://www.instagram.com/balancetonboss/

https://twitter.com/BalanceTonBoss2

 
Article écrit par Zoubi DAH
 
Crédit Photo Image à la une: Rakidd

[/vc_column_text][/vc_column][vc_column width= »1/3″][vc_column_text]

Diffuse la bonne parole

[/vc_column_text][vc_facebook][vc_tweetmeme][vc_column_text][/vc_column_text][vc_widget_sidebar sidebar_id= »home-one »][/vc_column][/vc_row]

Catégories
Nos Voix

Licenciée pour avoir Balancé son Boss : Actes I et II

[vc_row][vc_column width= »2/3″][vc_column_text]

Un jour, j’ai fait un rêve étrange. Un rêve utopiste. Ce rêve va vous paraître ordinaire. Mais faut croire que j’ai des rêves assez simples. J’ai fait le rêve que je travaillais dans une entreprise bienveillante où le fait d’être une femme, racisée de surcroît, ne serait pas une entrave à ma carrière. J’ai rêvé que je bossais dans une société où le mot féministe n’était pas une insulte, où les micro-agressions sexistes, racistes, homophobes, grossophobes, etc. ne faisaient pas partie de mon quotidien. Puis je me suis réveillée, j’étais en 2018 et on m’avait virée pour avoir dénoncé les comportements et agressions sexistes et racistes de mon entreprise. Et oui, je me suis faite licencier pour avoir balancé mon boss. J’avais identifié le problème donc j’étais devenue le problème. La femme à abattre. L’épine dans le pied. Il fallait m’extraire. Vite. Très vite. Une RH, rebelle, ce n’est pas très bon pour la marque employeur. Mais bon, je vous propose de commencer l’histoire depuis le début.

 

Acte I : Bienvenue à FunLand

L’histoire débute, j’ai 25 ans. Je suis « fraîchement » diplômée d’école d’ingénieurs et je galère un peu (beaucoup) sur le marché de l’emploi. Malgré mon Bac+5, mon expérience à l’étranger et mon aisance en entretien, je n’arrive pas à trouver un job en ingénierie. C’est la crise. Je commence à désespérer lorsque je tombe sur cette annonce. Une boîte jeune et dynamique cherche des ingénieur.e.s pour faire du conseil dans le secteur de l’innovation. Pourquoi pas ? En même pas deux semaines, j’ai candidaté, passé un entretien et commencé mon nouveau boulot. Inespéré. La boîte est jeune, moyenne d’âge 26 ans. On est 70, tout le monde se tutoie, les bosses sont jeunes et sympas. Dreamjob. Bon, il y a déjà un hic à l’époque. Le salaire dérisoire. Et beaucoup de départs précipités. Mais après 10 mois de chômage, je n’allais pas faire la difficile. En plus, le job me plaisait et je me débrouillais plutôt bien. Période d’essai validée.

Dans cette boîte, la principale valeur, c’est être sympa. Être sérieux sans se prendre au sérieux. Être fun sans rien prendre au sérieux. Beaucoup de moments sont accordés à la détente et à la construction de la cohésion des équipes (soirées, afterworks, séminaires, etc.). Ces moments, encouragés par la direction, sont l’occasion de faire connaissance avec les collègues (et plus si affinités !). D’ailleurs, comme beaucoup de mes collègues, c’est dans l’open-space que je fais la connaissance de mon compagnon. Décidemment ce job me comble à tous les niveaux. Même si le rythme est intense, milieu du conseil oblige, l’ambiance est excellente. Les déplacements et les nocturnes au bureau s’enchaînent, la direction est sympa elle nous paie les pizzas.

Très vite, la direction me repère. Je ne compte pas mes heures et je suis toujours disponible pour filer un coup de main. Je suis la nouvelle chouchoute du Big Boss. Il décide donc de me confier une mission chez un client qu’il connaît personnellement. Il propose de m’accompagner à ce rendez-vous. Dès l’arrivée à l’aéroport, il me pose des questions très personnelles. Est-ce que j’habite avec mon compagnon ? J’esquive au maximum ses questions. Nous nous retrouvons ensuite seul.e.s dans une voiture pendant deux heures et l’interrogatoire recommence avec un focus particulier sur ma relation amoureuse. Je finis par lui dire clairement que je ne souhaite pas parler de ma vie privée avec lui. Il me laisse tranquille pour la journée.

Quelques mois plus tard, nous sommes en séminaire pour quelques jours en Tunisie. C’est un moment clé de l’année, les bosses nous présentent les résultats de la campagne qui vient de finir et les perspectives de l’année à venir. Tout ça, agrémenté bien sûr de blagues de bon goût, ambiance Club Med. C’est surtout un moment de détente entre collègues. L’occasion de faire le point sur les évolutions de l’année (la musculature d’untel, la cellulite de machine, la future grossesse de bidule, le dernier tatouage de trucmuche, etc.). Lors de la première soirée, je finis par me retrouver à la table des bosses. Nous discutons et plaisantons de sujets divers. À un moment, l’un d’entre eux me tape sur l’épaule et me dit : « Toi, tu vas passer une bonne soirée ! ». A priori, il a raison, je suis en Tunisie, dans un magnifique hôtel avec un superbe buffet et des collègues sympas. Toutes les conditions sont donc réunies pour que je passe une bonne soirée. Mon compagnon est aussi à cette table. Je laisse traîner mes oreilles et surprends une conversation. Je comprends qu’ils ont mis du viagra dans les verres de certains de mes collègues masculins, dont celui de mon compagnon. Et ça les fait marrer, sans même songer une seconde que l’une des victimes de cette blague potache pourrait faire une mauvaise réaction à cette potion magique. Le pire dans tout ça, c’est qu’il ne me vient même pas à l’idée d’aller dénoncer ce comportement le lendemain. Et puis à l’époque, je me demande bien à qui j’aurais pu dénoncer cela. À l’alternante RH qui était en couple avec le Directeur Technique ou à sa boss qui était la maîtresse du coupable. Ah oui, je ne vous ai pas dit que ma boîte, c’était Dallas (ou 90210 pour les plus jeunes) et les Feux de l’amour version consulting.

Acte II : Je crois que je bosse dans une boîte sexiste

Deux ans, une rupture et quelques incidents sexistes plus tard, à force de travail acharné, je suis choisie avec un de mes collègues pour aller passer trois mois sur le continent nord-américain. L’objectif, aider le bureau canadien qui est sous-staffé et lancer notre première mission aux US. Notre direction nous informe que durant cette mission, nous partagerons le même appartement durant les trois mois. Avec mon collègue, nous sollicitons donc un rendez-vous avec la DRH, nouvellement arrivée, et un des associés, le DG. Nous indiquons que nous ne souhaitons pas vivre ensemble. Ce à quoi notre boss nous répond, « C’est quoi votre problème, vous avez peur de coucher ensemble ? ». Il nous fait comprendre que pour des raisons économiques nous n’aurons pas vraiment le choix et que ça va aider à la cohésion de l’équipe. Esprit Start’up. Me voilà donc quelques semaines plus tard en colocation avec un collègue. Pour l’intimité, on repassera.

Après quelques semaines de mission, je reçois un mail du DG. « Comment va ma beurette préférée ?». Quelques semaines plus tard, il vient nous rendre visite au Canada. Nous sommes réquisitionné.es pour occuper ses soirées pendant son séjour. Pendant un des dîners en sa compagnie, j’ai le droit à un interrogatoire, devant mes collègues, sur ma situation matrimoniale. Séparée depuis un an d’un de mes collègues, mon boss s’amuse à mentionner son nom à plusieurs reprises pendant le dîner et me pose un milliard de questions sur lui. Ne réagissant pas, il tente de vérifier les dernières rumeurs de « radio-moquette ». Il change de cible. Il me pose des questions sur mon N+2.
Comment va-t-il ? La rumeur disant que nous nous sommes rapproché.es avant mon départ. D’ailleurs, il paraîtrait que c’est grâce à lui que j’ai été positionnée sur le bureau nord-américain (et non grâce à mon travail acharné !). Une fois encore, j’esquive le sujet en indiquant ne pas avoir pas de nouvelles du bureau parisien.

Bond de quatre ans dans le temps. Nouveau séminaire. Pour celui-ci, la boîte nous a bien préparé.es. Une esthéticienne est même passée au bureau quelques jours avant le départ pour pimper celles qui le souhaitaient. Nous sommes en Corse. Mes derniers jours de consultante avant de rejoindre l’équipe RH. Team building. Un jeu de piste avec des énigmes et des épreuves nous permet de découvrir Calvi. Dans mon groupe, j’ai plusieurs managers et un des directeurs techniques. Nous discutons et rigolons, lorsque sans crier gare un des managers me dit « Toi, des bites t’as dû en voir aux kilomètres !». Mon cerveau déconnecte une seconde. Ai-je bien entendu ce que j’ai entendu ? Si c’était le cas, une des dix personnes qui m’entouraient aurait dû réagir. J’ai dû rêver. Mais non, tout le monde se marrait autour de moi. Je reporte l’incident à la DRH qui m’indique que nous ferons un point lors de notre retour à Paris. Je ne vais pas vous laisser du faux suspens. Il n’aura pas de sanction. Pas même un avertissement. Pendant ce même séminaire, on m’avait informé d’autres incidents qui ne seront soit pas officiellement reportés au service RH, soit non sanctionnés.
 
 
La suite à lire tout de suite dans cet article
 
Article rédigé par Zoubi DAH
Crédit Photo Image à la une: Rakidd

[/vc_column_text][/vc_column][vc_column width= »1/3″][vc_column_text]

Diffuse la bonne parole

[/vc_column_text][vc_facebook][vc_tweetmeme][vc_column_text][/vc_column_text][vc_widget_sidebar sidebar_id= »home-one »][/vc_column][/vc_row]

Catégories
Nos Voix

#MuslimWomensDay : vos témoignages 3/3

[vc_row][vc_column width= »2/3″][vc_column_text]

A l’occasion du Muslim Women’s Day, la journée internationale des femmes musulmanes de 27 mars, Lallab a lancé un appel à témoignages afin de récolter vos histoires de femmes musulmanes sur vos expériences, sur les discriminations et les violences vécues en relation avec le système éducatif en France.

 

Fatima : « Malgré d’excellents résultats et un master obtenu avec une mention très bien, j’ai lutté pour pouvoir faire un doctorat »

 
Durant mes études supérieures, j’ai été discriminée à de nombreuses occasions à cause de mon foulard notamment durant mes recherches de stages en laboratoire de recherche – souvent les laboratoires étaient localisés en milieu hospitalier. Malgré d’excellents résultats et un master obtenu avec une mention très bien, j’ai lutté pour pouvoir faire un doctorat. J’ai eu la chance de rencontrer un chef de labo qui m’a acceptée telle que je suis – ce chef de labo était anglais d’où peut-être sa plus grande ouverture d’esprit. Mon chef de labo a été à différentes reprises questionné sur le fait d’accepter une voilée dans une institution publique. J’ai réalisé mon doctorat sans bourse de thèse malgré ma mention. Au concours pour la bourse de thèse, j’ai ressenti l’hostilité du jury et mes professeur.e.s d’université m’ont dit qu’il aurait fallu que j’y aille sans mon voile. Mes camarades de promo ont tous obtenu une bourse pour poursuivre en doctorat même ceux ayant eu une mention assez bien et bien.
Malgré le fait que ce n’était pas dans les conditions idéales, j’ai persévéré et continué en doctorat après une longue bataille avec l’université. Tout au long du parcours, j’ai subi des remarques ou des rumeurs de couloir qu’avec l’habitude j’ai appris à ignorer. J’ai montré et fait reconnaître mes compétences à ceux qui voulaient prendre la peine de m’entendre.
A la fin de mon parcours, et après une longue réflexion face à la difficulté évidente d’obtenir un poste à l’université ou dans un centre de recherche CNRS ou INSERM en raison de la partie présentation orale du concours où je devrais faire face à un jury, j’ai décidé de ne plus me présenter à aucun concours et de m’expatrier – depuis 4 ans j’ai quitté la France – pour vivre de façon plus épanouie malgré la distance et l’éloignement des proches et ami.e.s.
 

 Oskar : « En tant que musulmane, tu n’as rien à dire ? »

 
Les micro violences et les réflexions sont quotidiennes.

Ce qui m’a le plus blessée, c’était lors de la semaine après les attentats de Charlie Hebdo. J’étais en Master en communication graphique, les professeur.e.s voulaient discuter avec nous de l’impact que les événements avaient sur nous.

Je ne disais rien, je m’étais assise au fond de la pièce, car je ne voulais pas entrer dans une polémique, je ne soutiens pas les publications de Charlie Hebdo, qui m’ont souvent heurtée.

Et soudainement, le professeur demande si personne ne veut encore rajouter quelque chose. Tout le monde se retourne sur moi. Tou.te.s attendaient que je prenne la parole. J’étais crispée et je ne savais pas quoi dire.

Le professeur me regarde et me dit : « En tant que musulmane tu n’as rien à dire ? »

Je lui ai dit que non et il a continué à insister. Devant plus de 50 personnes, il voulait me forcer à dire que je soutenais Charlie Hebdo et ses publications.

Personne ne m’a aidé, tou.te.s le soutenaient, se disant que j’avais « l’obligation morale » de les soutenir.

Je mordais l’intérieure de ma joue pour ne pas craquer. J’étais au bord des larmes.

Quand finalement, une de mes professeur.e.s est rentrée et a demandé ce qu’il se passait. Elle avait observé la scène par les portes vitrées (elle me l’a dit après). Elle a fait alors comprendre au professeur que je n’avais pas à prendre position publiquement et qu’il ferait mieux d’arrêter.

Si elle n’était pas intervenue, je ne sais pas ce qu’il se serait passé, car les étudiant.e.s entrainé.e.s par le professeur se mettaient à dire la même chose.

Et moi je répétais sans cesse que je ne voulais pas entrer dans le débat.

Je n’ai pas réussi à aller en cours pendant deux semaines, j’étais terrorisée.

J’ai failli rater ma dernière année de Master à cause de ça. Tellement cela m’avait traumatisée. Je pense que si ça n’avait pas été ma dernière année, je n’aurais pas réussi à recommencer une année scolaire.
 

Soolef : « J’ai 21 ans mais je ne veux pas passer ma vie dans un contexte comme celui-ci »

 
Bonjour, hello, Buenos dias, السلام عليكم جميعا
Je n’écris que ces quatre langues.

Je suis actuellement étudiante en Master didactique des langues et cultures, dans le domaine de l’enseignement du Français langue étrangère et de l’arabe langue étrangère.
Je témoigne aujourd’hui pour dénoncer les stéréotypes et les représentations idéologiques faites sur nous, comme sur d’autres personnes discriminées. J’ai dû postuler pour de nombreux stages cette année dans le cadre de mes études. Les réponses que j’ai essuyées étaient des refus, si vraiment les organismes faisaient le « geste » de me répondre. Ces réponses étaient un méli-mélo de manque de respect, d’orgueil et de haine. On me le faisait clairement sentir pour : mes origines, mes croyances, mon voile. En effet, je vais du plus général au plus spécifique. Je ne manque pas de bonne volonté, ni d’ambition, ni d’enthousiasme. C’est ce qu’on me disait. Pourtant les réponses en disaient autrement. Et ceci ne concerne que mon stage.

Quand à mes demandes d’emploi ou au moins job étudiant, les réponses et retours étaient d’autant plus négatifs. Oui, nous femmes musulmanes nous étudions, travaillons, faisons du sport, chantons, et bien d’autres choses. Il en est de même pour ma scolarité et mes études mais j’ai persévéré. Demandez-moi où j’ai postulé pour mes stages. J’ai certes postulé dans des organismes institutionnels et non-institutionnels. Un peu partout en effet. Il est temps de rendre à la laïcité son véritable sens. Son sens premier. Son essence.

La laïcité n’est pas de supprimer toutes les religions et d’imposer l’athéisme. Mais plutôt que toutes les religions, et tous les cultes coexistent, cohabitent, vivent ensemble. Merci de m’avoir lue. Il est vrai que cela fait énormément de bien de parler de ce que j’accumule maintenant depuis le début de ma scolarité. J’ai 21 ans mais je ne veux pas passer ma vie dans un contexte comme celui-ci. C’est bien trop usant, bien trop éreintant, bien trop hostile. Je m’inquiète aussi pour les générations futures.

Je témoigne aussi au nom de nombreuses femmes de mon entourage : mères de familles mises à l’écart de la scolarité de leurs enfants, ou étudiantes comme moi, ainsi que les travailleuses obligées de retirer leur voile inutilement. Alors que le voile ne les prive pas de leur compétences professionnelles, intellectuelles, etc.

[/vc_column_text][/vc_column][vc_column width= »1/3″][vc_column_text]

Diffuse la bonne parole

[/vc_column_text][vc_facebook][vc_tweetmeme][vc_column_text][/vc_column_text][vc_widget_sidebar sidebar_id= »home-one »][/vc_column][/vc_row]

Catégories
Nos Voix

#MuslimWomensDay : vos témoignages 2/3

[vc_row][vc_column width= »2/3″][vc_column_text]

A l’occasion du Muslim Women’s Day, la journée internationale des femmes musulmanes de 27 mars, Lallab a lancé un appel à témoignages afin de récolter vos histoires de femmes musulmanes sur vos expériences, sur les discriminations et les violences vécues en relation avec le système éducatif en France.

 

Basma : « Entrer dans le musée dévoilée ou rester dehors voilée et ne pas prendre part à l’exposition »

 
J’étais élève en terminale, déléguée de classe et j’entretenais d’excellentes relations avec le corps administratif de mon lycée. Mais, tout cela a basculé lors d’une sortie au musée. En sortant du lycée sur le chemin de l’exposition, je me suis couverte la tête comme à mon habitude. Mes camarades me savaient voilée et n’y voyaient aucune chose à redire. Cependant, arrivée devant le musée, l’une de mes professeur.e.s encadrant la sortie m’a stoppée net en me posant un ultimatum : entrer dans le musée dévoilée ou rester dehors voilée et ne pas prendre part à l’exposition. Elle invoquait la fameuse loi de 2004. Tout le monde était stupéfait et malgré les interventions calmes et bienveillantes de mon autre professeur et mes camarades, la professeure en question a tenu bon et m’ayant mise au pied du mur, elle a fait entrer le reste de la classe dans le musée. J’ai donc attendu deux heures sur un banc à l’entrée du parc, seule. Nous étions en mars 2012, j’étais encore mineure.

Depuis cet incident, le corps administratif et la hiérarchie de mon lycée ont changé d’attitude à mon égard, le proviseur veillait tous les matins à ce que j’enlève mon voile avant d’entrer au lycée, on a convoqué mes parents (chose impensable au vu de mon dossier scolaire excellent) pour s’assurer que mon voile n’était pas le fruit d’une oppression familiale et surtout, s’assurer que je ne viendrais pas « perturber » le voyage de fin d’année à Chinon. Je n’ai pas pu participer à ce voyage et ce souvenir a malheureusement entaché le précieux souvenir de mes années lycée.
 

« Il se faisait un plaisir d’expliquer à ses élèves ô combien l’islam est « une religion violente et misogyne » »

 
Au Lycée, un de mes professeur.e.s d’histoire avait l’habitude, en cours d’instruction religieuse (catholique), de nous distribuer des fiches sur lesquelles il avait copié-collé des traductions françaises de versets coraniques. Plusieurs fois de suite, j’ai vu qu’il se faisait un plaisir d’expliquer à ses élèves ô combien l’islam est « une religion violente et misogyne ».

En ECJS, il nous avait demandé de débattre sur le sujet suivant : « L’islam est-il soluble dans la démocratie ? ». Après avoir écouté seulement un cinquième de mon intervention, il nous avait expliqué que le Coran « infantilisait voire animalisait les musulman.e.s »; sous-entendu, qu’iels ne seraient « pas capable de vivre dans un système ou iels peuvent choisir par eux/elles-mêmes. »

En tant que bon professeur d’histoire, il légitimait la colonisation de l’Algérie. Après tout, « ils l’avaient bien cherché et on leur a beaucoup apporté, n’est-ce pas ? ». Il te donnait des bonnes notes si tu recrachais tout ça.

J’étais une des seules à réagir. La plupart des élèves, majoritairement blanc.he.s, étaient in love face à lui. À côté, je vomissais.

Mais…qui aurait cru que son comportement allait en partie me pousser vers le Juste, vers la Vérité, qui aurait cru que ses propos allaient en partie me pousser à devenir la personne que je suis aujourd’hui, une femme musulmane, convertie, et fière de son cheminement féministe ? Sorry but not sorry !
 

Wassila : « On m’a interdit l’entrée car voilée quand bien même je n’étais plus étudiante là-bas. »

 
En terminale, j’ai décidé de porter le voile. J’étais dans un lycée privé catholique d’une petite ville. Malgré le fait que le CCIF m’avait garanti que la loi de 2004 ne s’appliquait pas dans une école privée, on m’interdisait de le porter. Je le retirais alors à l’entrée après avoir passé la porte et le remettais le soir avant de sortir dans la rue principale. Il faut savoir que le principal avait une haine viscérale envers moi depuis que je m’étais voilée et ne reculait devant rien pour m’humilier régulièrement. Le dernier jour de ma vie lycéenne, comme d’habitude je remets mon voile en quittant le bâtiment et là la CPE me hurle dessus devant tout le monde car je le remets avant la porte et non pas dans la rue. Je lui dis que j’avais toujours fait comme ça et que ça n’a jamais posé problème. On m’a hurlé dessus devant tout le monde dans la rue. J’étais choquée. Quelques mois plus tard, j’ai voulu retourner au lycée pour saluer mes ancien.ne.s professeur.e.s. On m’a interdit l’entrée car voilée quand bien même je n’étais plus étudiante là-bas.

Quelques mois plus tard, je commence ma vie d’étudiante dans une grande ville dynamique. Je rentre en école de commerce, par précaution j’avais averti l’école du fait que je portais le foulard et on m’avait dit que la loi me l’interdisait et que je devais le retirer. N’étant pas informée, je n’ai pas trop cherché à comprendre donc je l’enlevais le matin et le remettais le soir. Un de mes professeur.e.s en droit le remarque et me dit que je suis dans mon droit de le porter dans l’école car je dépends maintenant du ministère de l’enseignement supérieur et non plus de l’éducation nationale. Je vérifie auprès du CCIF qui me confirme cela. Je décide donc de le porter. Le doyen me voit avec mon voile et décide de me suspendre jusque nouvel ordre, avec consignes à mes professeur.e.s de ne pas m’accepter en cours. Ce même doyen avait contacté mon principal du lycée qui m’a diffamé disant que j’avais voulu faire ma loi et créer des problèmes. Grâce au soutien du CCIF, j’ai pu avoir gain de cause et finir ma licence dans cette école avec mon voile al hamdouLillah.

[/vc_column_text][/vc_column][vc_column width= »1/3″][vc_column_text]

Diffuse la bonne parole

[/vc_column_text][vc_facebook][vc_tweetmeme][vc_column_text][/vc_column_text][vc_widget_sidebar sidebar_id= »home-one »][/vc_column][/vc_row]

Catégories
Nos Voix

#MuslimWomensDay : vos témoignages 1/3

[vc_row][vc_column width= »2/3″][vc_column_text]

A l’occasion du Muslim Women’s Day, la journée internationale des femmes musulmanes de 27 mars, Lallab a lancé un appel à témoignages afin de récolter vos histoires de femmes musulmanes sur vos expériences, sur les discriminations et les violences vécues en relation avec le système éducatif en France.

 

Argelina : « Vous êtes trop intelligente pour porter ça »

 
L’année dernière, alors que je passais mes examens de licence, j’ai eu un oral avec une professeure que je considérais énormément depuis ma première année de licence.
Elle m’a toujours encouragée, je n’ai jamais eu de mésentente avec elle, bien au contraire, nous avions une très bonne relation.
Voilà pourquoi cette expérience a été encore plus difficile à vivre pour moi.
J’ai passé un examen oral avec elle. A peine me suis-je installée, elle me dit directement “bon M…. il faut que je sois honnête avec vous. Je ne comprends pas pourquoi vous portez le voile. Je vous ai toujours bien aimé, vous êtes une femme remarquable, l’une des meilleures de la promo, mais je trouve ça tellement dommage que vous portiez ce bout de tissu. Vous êtes trop intelligente pour porter ça, je garde espoir en me disant qu’un jour vous aurez assez de courage pour le retirer car ça ne va pas avec ce que vous représentez en tant que femme intelligente, indépendante, ouverte d’esprit… » et j’en passe. Je suis tombée d’au moins dix étages. Moi qui suis voilée depuis maintenant 5 ans, je n’ai jamais été « victime » de racisme, et recevoir toutes ces paroles d’une enseignante, une femme pour laquelle j’avais beaucoup d’estime de par son parcours scolaire.
Sur le coup je n’ai pas su réagir, j’ai juste pleuré, j’ai été blesseé d’un côté par ses fortes paroles et d’un autre côté car cela venait d’elle.
Bien évidemment je n’ai pas terminé mon oral, et je vous laisse imaginer la note que j’ai eue.
En sortant j’avais deux choix : aller me plaindre et faire remonter les conditions de l’épreuve orale que je venais de passer car ceci a beaucoup joué sur mon examen étant donné que ma seule envie était de quitter la salle. L’autre option était de me taire car en raison de son importance au sein du département, j’aurais pu avoir des répercussions sur les années d’études qu’il me restait. Je me suis tue. J’ai eu peur que ça puisse jouer sur mes études. Et honnêtement je ne savais pas vers qui me tourner, porter plainte ? Je ne voulais pas entrer en procédure judiciaire surtout que ça aurait été sa parole contre la mienne.
J’en ai parlé seulement à une enseignante, qui m’a énormément soutenue, elle m’a aidée à ne pas baisser les bras. J’étais à deux doigts de ne plus remettre un pied à la fac… Mais j’ai décidé de ne pas me laisser abattre car après tout ce n’est pas moi la victime mais plutôt cette enseignante. Victime de son manque d’ouverture d’esprit, qui refuse d’entendre qu’une femme est libre de porter le voile, et que ce « bout de tissu » n’est pas la définition d’une femme soumise, fermée aux autres, dépourvue de toutes formes de libertés. Bien au contraire.
 

Leila : « On vous tolère dans les couloirs de la fac »

 
L’histoire se déroule il y a maintenant 3 ans, dans une faculté de médecine parisienne où je terminais mon internat. Un examen national a lieu en fin d’année afin de déterminer notre spécialité pour l’internat. Le jour de mon récit, nous étions censé.e.s passer une épreuve blanche dans les mêmes conditions que l’examen officiel.
Une fois les portes fermées, les étudiant.e.s tou.te.s installé.e.s, la cheffe du service d’hématologie de l’époque lit le règlement, et en cours de lecture nous dit :  » rien sur la tête alors retirez vos foulards maintenant ». Silence assourdissant. Je lui fais savoir que le règlement a été revu avec les instances AVANT cet examen blanc et que nous avons le droit de garder notre voile. Le chef de service de cardiologie, à ses côtés, nous assure que non, c’est comme ça et qu’il faut le retirer. J’insiste, terriblement seule (dans une promotion où il y a un nombre conséquent de musulmans et de musulmanes par ailleurs), et je suis, Dieu merci, rejointe par une amie. Elle leur explique également que nous avons demandé avis à un avocat, que nous sommes dans l’enseignement supérieur et que nous avons le droit de le garder. Pendant l’échange qui suit, assez violent psychologiquement et verbalement, la cheffe d’hématologie nous dit « déjà que vous nous enquiquinez avec vos charlottes à l’hôpital, on vous tolère dans les couloirs de la fac, vous n’allez pas nous faire le coup encore maintenant donc maintenant ça suffit et vous les retirez ! ». Je lui rétorque qu’elle ne tolère rien du tout, et que c’est tout simplement LA LOI !

Voyant que nous ne lâcherons pas, et l’épreuve devant se lancer (puisque toutes les autres facs nous attendent, l’épreuve étant simultanée en ligne), ils abandonnent.

A la fin de l’épreuve, le chef de service de cardiologie prend la parole en disant « effectivement nous avons appelé les instances et il n’y a pas de souci ». Exaspérée, stressée par la fin d’une épreuve que j’ai totalement bâclée, je lui rétorque : « SANS BLAGUE. »

Ce que je retiens de ce jour, ce n’est pas l’agression en elle-même. C’est le silence assourdissant de tous nos frères présents à ce moment-là (15). Aucun n’a pris la parole pour nous défendre, même si ma voix tremblait de rage et d’humiliation, aucun cœur. Les mêmes qui feront une réflexion rabaissante si une fille retire son foulard à cause de la pression sociale….
 

Amina : « Je vais faire une petite liste des micro-agressions par rapport au hijab. Ce n’est pas pour me plaindre mais c’est pour m’en souvenir parce que, à force, j’en oublie beaucoup. »

 
– Agressions par la concierge du collège parce que parfois j’oubliais ou bien j’attendais d’être à l’abri de la pluie pour me découvrir.
– Stage de Troisième où j’ai dû l’enlever dans mon endroit préféré de ma ville : la bibliothèque municipale.
– Années lycée : j’ai arrêté le badminton à l’AS parce que je ne voulais plus me prendre la tête à l’enlever.
J’ai voulu faire du théâtre mais je suis freinée à cause de ça aussi.
– J’ai eu une convocation chez le proviseur une fois pour me rappeler les règles de la laïcité.
– Je suis passée de la seule hijabi à une parmi d’autres donc ils ont commencé à nous soûler par rapport aux jupes etc. J’avais de nombreuses stratégies de contournement pour éviter de passer devant les bureaux du CPE quand j’en portais une.
– Ah oui, j’avais oublié… durant les portes ouvertes du lycée, il y avait ce fameux prof d’histoire et section euro qui allait me suivre durant tout le lycée et même à la fac. Première rencontre : il m’avait carrément ignorée (pas encore élève, je portais mon voile) par la suite il a été plus cordial.
– Année de Première : voyage à Londres. On me dit que je ne peux pas le garder. Bref je décide de ne pas y aller.
– En Première, ce fut aussi l’année du bac français. On me dit que je peux le garder pour les épreuves étant donné qu’elles ne se déroulent pas dans mon lycée. FAIL
– Concours général de français dans un lycée où je ne suis pas élève : Un CPE à l’allure vallsienne sort de son bureau en courant pour me rattraper et me crier dessus.
– Terminale. Année du bac, des concours, APB etc.. Dans le cadre d’une prépa aux IEP (Instituts d’Etudes Politiques) que je faisais depuis la Première sans souci avec le hijab, je me rends une semaine à Sciences Po Lille. Problème : l’internat était au lycée Faidherbe cette année-là alors que l’année d’avant, nous dormions dans un internat de lycée privé. La CPE me suit donc dans le self alors que je me servais à manger et me met la pression pour retirer mon hijab. Une autre hijabi était là mais elle venait de la banlieue de Lille. Elle est donc rentrée chez elle le soir même… Je me suis faite discrète mais me suis retrouvée le lendemain convoquée dans le bureau de l’ex-directeur de Sciences Po Lille. Je pensais que j’allais devoir prendre mon billet retour… c’était un peu tendu mais il était compréhensif. Il a fait en sorte que je puisse rester.
– L’université : pas d’interdictions mais ils ont le don de confondre le nom des filles voilées… parfois même les filles arabes. Et puis quand tu vas présenter le projet d’une association étudiante et qu’on te dit : « faut pas organiser des prières hein… on a déjà eu des soucis comme ça… »
– La carte étudiante : quand on te ment en te disant que la photo avec le voile n’est pas acceptée. Alors que ni dans la loi ni dans le règlement intérieur, il n’y a d’interdiction à ce sujet… D’ailleurs en L3, j’ai pu refaire ma carte avec ma photo en hijab par une jeune en emploi étudiant.
– Le sport à la fac : quand le prof vient te voir pour te dire qu’il a pas de problèmes avec le voile mais attention faut des vêtements adaptés. Non ? Sans blague…
– En stage dans une entreprise (maghrébine qui plus est) : au bout de deux semaines une fille qui avait retiré son voile pour son stage revient de congé et le soir même on m’envoie un sms pour voir si je ne peux pas le retirer ou au moins le mettre en turban.
– Pour mon dernier stage (d’une semaine) dans un grand média, la photo en hijab pour le badge ne leur convenait pas pour je cite « des motifs de sécurité » LOL. Bref j’en ai envoyé une en turban. Puis plus de réponses… je n’avais toujours pas reçu ma convention. La semaine avant le stage on me dit que ce ne sera pas possible avec le hijab malheureusement car l’entreprise fait une mission de service public. Mais, ô miracle ! Lorsqu’on connait des personnes bien placées dans l’entreprise, on parvient à négocier le turban. L’affaire est remontée jusqu’à la directrice du média. Finalement, j’ai pu faire mon stage. Et surprise : qu’est-ce que je découvre ? Plusieurs employées en turban mais dans la restauration et le ménage et pas dans les rédactions.

[/vc_column_text][/vc_column][vc_column width= »1/3″][vc_column_text]

Diffuse la bonne parole

[/vc_column_text][vc_facebook][vc_tweetmeme][vc_column_text][/vc_column_text][vc_widget_sidebar sidebar_id= »home-one »][/vc_column][/vc_row]

Catégories
(Dé)construction

Quelle place pour les Femmes musulmanes dans la production et transmission des savoirs religieux ? Partie 3

[vc_row][vc_column width= »2/3″][vc_column_text]

Tisser les fils de la mémoire collective et lire dans le silence de nos sources

Retrouvez ici la partie 1 et la partie 2 de cet article
Quelle fut la place des femmes musulmanes dans la production et la transmission des savoirs religieux ? Dans quelle mesure ont-elles participé à la transmission des ahadiths (paroles et actes rapportés du Prophète Mohammed), quel rôle ont elle joué dans les processus de raisonnement juridiques (fiqh), dans l’enseignement et la gestion des écoles religieuses, mais aussi dans la guidance spirituelle ? Quelles étaient les spécificités de leurs contributions ? Comment peut-on identifier et lire les sources historiques pertinentes ? Comment lire dans le silence des sources textuelles, et faire ressortir la voix et l’expérience de ces femmes dans textes majoritairement écrits par des hommes ? Que nous disent les efforts intellectuels de ces femmes musulmanes sur notre époque et notre rôle dans la production et la transmission des savoirs religieux.

 

Les limites dans la transmission des savoirs

Dans les parties précédentes, j’ai abordé quelques exemples des façons dont les femmes musulmanes ont contribué dans la production et la transmission des savoirs religieux en tant que muhadithates (transmetteuses de hadith), faqihates (juriste, savante en fiqh), muftiyates (donnaient des opinions juridiques), wa’izates (prédicatrices) et sufiyyates (guides spirituelles) dans la période prémoderne des sociétés islamiques (7e siècle jusqu’à la fin du 18e siècle). Quelles sont les limites de cette brève description ?

Tout en contrastant les lectures orientalistes du rôle des femmes dans les sociétés musulmanes, il faut garder un esprit critique et noter quelques limites :

• La plupart des femmes que j’ai cité faisaient partie des classes supérieures, d’une élite intellectuelle, et étaient pour la grande majorité filles de savants et d’éminents juristes.

• La période que j’ai couverte est une époque où les sociétés musulmanes étaient fondées sur des structures sociales profondément inégalitaires, en termes de classe, mais qui reposaient également sur l’esclavage. Les savoirs produits et transmis par les hommes et les femmes des classes populaires ainsi que par les musulman.es réduites à l’esclavage ne sont pas pris en compte dans ces sources textuelles ; à l’exception des exemples d’esclaves affranchis comme Rabi’a.

• Aussi, si les femmes que j’ai citées pouvaient enseigner dans les maisons, les rues et les mosquées ; elles restaient cantonnées au milieu informel. A quelques exceptions près, elles n’ont pas occupé de positions officielles auprès des institutions juridiques ou politiques.

 

Quelles leçons en tirer pour notre époque ?

Etant donné que leurs compétences et autorité scientifique étaient respectées, l’exclusion des femmes dans ces positions n’étaient pas due à un interdit religieux ou à un rejet sociétal, mais bien à des logiques de pouvoir et de domination patriarcale. Ces logiques de domination perdurent jusqu’aujourd’hui dans les institutions étatiques et religieuses, et bien évidemment cela va au-delà des contextes musulmans.

On peut se demander donc :

• Si les femmes dans les sociétés musulmanes prémodernes pouvaient répondre aux critères très exigeants de production et de transmission du savoir religieux, et même exceller dans ce domaine ; et s’il n’existe aucun interdit religieux pour qu’elles étudient, interprètent, transmettent, prêchent aux hommes et aux femmes ;

• Pourquoi la présence des femmes et leur leadership dans les sphères religieuses islamiques posent elle problème aujourd’hui ?

• Pourquoi l’héritage qui nous est transmis se concentre uniquement sur la piété, l’obéissance et la pudeur des femmes du prophète et des sahabiyates, et

• Pourquoi n’est-il jamais fait mention de ces femmes érudites, de leurs débats constructifs avec les autres savants, de leurs désaccords, de leur leadership etc… ?

 

Lire dans le silence des sources textuelles pour faire ressortir la voix des femmes

Comment devons-nous appréhender ces sources, ces biographies majoritairement écrites par des hommes, et comment pouvons-nous faire ressortir la voix et l’expérience des femmes de ces textes androcentrés ?

Pour apporter quelques éléments de réponse à cette question je me repose sur les travaux de Omaima Abou-Bakr, et notamment son article Rings of Memory où elle pose la question de l’invisibilité textuelle des femmes dans cette histoire documentée par des hommes. Les autres travaux sur le sujet que je vous conseille de lire sont ceux Leila Ahmed et de Mohja Kahf.

Crédit photo : Capture de la vidéo sur les Muhaddithat réalisée par Norhayati Kaprawi 

Il faut savoir que les mêmes questionnements ont été soulevés par des historiennes féministes spécialisées sur le Moyen-âge en Europe comme Ruth Evans. Comment penser les liens entre l’Histoire et l’historiographie, la réalité et la représentation. Ruth Evans parle par exemple de « ventriloquie » (ventriloquism) et met l’accent sur le rôle joué par les auteurs, masculins, ces ventriloques, dans la construction sociale des femmes dont ils relatent les faits, faits qui sont des représentations biaisées de la réalité.

Lorsque l’on explore ces sources, il faut donc garder à l’esprit les limites :

• Les descriptions des femmes dans les dictionnaires bibliographiques sont souvent brèves et les auteurs, des hommes, ont sélectionné ce qu’ils considéraient importants pour la postérité, comme le caractère moral, la piété etc.. ;

• Ces auteurs ne s’intéressaient pas aux questions d’émancipation des femmes ni au rôle joué par le genre dans l’accès à l’éducation et au savoir ;

• Enfin ces sources ne prennent pas en compte les préoccupations des femmes, leur vie quotidienne et leur routine, éléments que l’on ne peut que deviner en lisant dans le silence des sources, ou en faisant un travail de recherche dans l’histoire orale.

Il faut donc se poser plusieurs questions en appréhendant ces textes :

• Quelle représentation de la femme en question est véhiculée et est-ce que cela correspond à la réalité? (en comparant avec d’autres écrits et en prenant en compte les facteurs historiques, leur milieu social etc..)

• Qui sont les auteurs et en quoi l’image qu’ils peignent de cette femme peut servir les objectifs et les représentations véhiculés par leur environnement socio-historique ?

En d’autres termes ces sources textuelles nous informent sur la construction sociale et culturelle mais ne peuvent pas être considérées comme des représentations exactes des réalités vécues par ces femmes.

Pour Omaima Abou-Bakr, les œuvres conservées, même écrites par des hommes, sont une source d’information inestimable. Il faut néanmoins renverser la dynamique, de textes écrits sur les femmes à des textes écrits par les femmes. Pour cela elle suggère de creuser dans la mémoire écrite et orale, pour créer ce qu’elle appelle une « visibilité textuelle » des femmes musulmanes dans l’Histoire.

Rendre la visibilité textuelle aux femmes du passé est essentielle pour ré-affirmer la légitimité des femmes musulmanes aujourd’hui, à participer dans la transmission et la production de savoirs religieux. Je vous invite donc à lire ces sources à la lumière de nos contextes actuels, afin de tisser les fils de la mémoire collective entre les générations du passé et celles du présent.

Conclusion

Enfin, je ne pouvais pas finir cette intervention sans évoquer mes héroïnes contemporaines, celles sans qui je n’aurai pas été dans la mesure d’aborder ce sujet aujourd’hui, Omaima Abou Bakr, Mulki-Al Sharmani, Ziba Mir-Hosseini, Zainah Anwar, Jana Rumminger, amina wadud, Marwa Sharafeldin, Hala Al Karib, Zahia Jouirou, Asma Lamrabet et toutes les autres femmes avec qui j’ai la chance de travailler au quotidien à Musawah, mais également d’autres figures qui m’inspirent dans leurs écrits telles que Fatima Mernissi, Mohja Kahf et bien d’autres.

Je pense aussi à ces femmes qui aujourd’hui investissent les sphères du savoir religieux, notamment au réseau de savantes indonésiennes, ALIMAT qui a lancé pour la première fois, un majliss de fatwas émises par des femmes pour les femmes.

Pour finir, je souhaite aussi rendre hommage à toutes les femmes qui m’entourent, à mes grand-mères qui bien qu’elles ne soient pas lettrées sont des puits de sagesse et de savoir, à cet héritage oral transmis par nos mères, par nos tantes, par nos sœurs de sang mais aussi nos sœurs de lutte, héritage que nous nous efforçons de nous réapproprier et que nous devons valoriser au titre de savoirs légitimes. Car comme le dit Amina Wadud, « Our experiences matter, our lived realities matter » : nos expériences comptent, nos réalités vécues comptent.

Références :

– Al-Sa’di, Hoda, and Omaima Abou-Bakr. al-Mar’a wa-al-hayat al-diniyya fi al-‘usur al-wusfa (Women and Religious Life in the Middle Ages) Cairo: The Women & Memory Forum, 2001.
– Ahmed, Leila. Women and Gender in Islam: Historical Roots of a Modern Debate. New Haven: Yale University Press, 1992.
– Abou-Bakr, Omaima. “Rings of Memory: “Writing Muslim Women” and the Question of Authorial Voice.” In: The Muslim World, 2013, 103: 320-333
– Dryer, Elizabeth “Whose Story Is It? The Appropriation of Medieval Mysticism,” Spiritus: A Journal of Christian Spirituality, 4, no. 2 (2004), 151–172: 151.
– Evans, Ruth, and Lesley Johnson, eds. Feminist Readings in Literature. London and New York: Routledge, 1994.
– Kahf, Mohja. “Braiding the Stories: Women’s Eloquences in the Early Islamic Era”, in Windows of Faith, ed. G. Webb (New York: Syracuse University Press, 2000), 147-171:159.
– Lapidus, Ira M. A History of Islamic Societies. Cambridge: Cambridge University Press, 2014.
– Ruys, Juanita. “Playing Alterity: Heloise, Rhetoric, and Memoria,” in Maistresse of My Wit: Medieval Women, Modern Scholars, eds. L. D’Arcens and J. Ruys (Turnhout: Brespols Publishers, 2004), 211–235: 212.
– Scott, Joan. “Gender: A useful Category for Historical Analysis.” American Historical Review 91, no.5 (1986): 1053-75.
– Spellberg, Denise. « History Then ,History Now: the Role of Medieval Islamic Religio-Political Sources in shaping the Modern Debate on Gender. » In Sonbol, Amira (ed.). Beyond the Exotic: Women’s Histories in Islamic Societies. Cairo: The American University in Cairo press 2005. pp. 3-14
– Rhoded, Ruth. Women in Islamic Biographical Collections: From Ibn Sa ‘d to Who’s Who. Boulder and London: Lynne Rienner Publications, 1994. Introduction. pp. 1-14, Conclusion, pp. 135-141
Article écrit à partir de l’intervention de Sarah Marsso à l’occasion du festival féministe Lallab Birthday #2 qui, pour fêter les deux ans de Lallab le 6 mai 2018, célébrait les héritières.

Crédit Photo Image à la une : Gathering de Farsaneh Faris Moayer

[/vc_column_text][/vc_column][vc_column width= »1/3″][vc_column_text]

Diffuse la bonne parole

[/vc_column_text][vc_facebook][vc_tweetmeme][vc_column_text][/vc_column_text][vc_widget_sidebar sidebar_id= »home-one »][/vc_column][/vc_row]

Catégories
(Dé)construction

Quelle place pour les Femmes musulmanes dans la production et transmission des savoirs religieux ? Partie 2

[vc_row][vc_column width= »2/3″][vc_column_text]

Tisser les fils de la mémoire collective et lire dans le silence de nos sources

La première partie de cet article a été publié ici 
Quelle fut la place des femmes musulmanes dans la production et la transmission des savoirs religieux ? Dans quelle mesure ont-elles participé à la transmission des ahadiths (paroles et actes rapportés du Prophète Mohammed), quel rôle ont elle joué dans les processus de raisonnement juridiques (fiqh), dans l’enseignement et la gestion des écoles religieuses, mais aussi dans la guidance spirituelle ? Quelles étaient les spécificités de leurs contributions ? Comment peut-on identifier et lire les sources historiques pertinentes ? Comment lire dans le silence des sources textuelles, et faire ressortir la voix et l’expérience de ces femmes dans textes majoritairement écrits par des hommes ?Que nous disent les efforts intellectuels de ces femmes musulmanes sur notre époque et notre rôle dans la production et la transmission des savoirs religieux.

 

La réémergence des femmes savantes (cheikhas)

On assiste à une réémergence des femmes cheikhas, savantes religieuses, au milieu du 9e siècle. Après plus de 250 années de silence, comment peut-on expliquer ce renouveau ? Les historiens et historiennes avancent trois raisons principales. Tout d’abord, les nouveaux développements dans les sciences religieuses et notamment la consolidation des corpus de hadith dans les Sahih (Bukhari et Muslim) ont permis d’assouplir les critères d’accès et de participation à ces sciences. Ensuite, l’acceptation de la transmission écrite (et non orale) des ahadiths a également facilité la participation des femmes car elles n’avaient plus besoin de partir en voyage, de faire des rihlas pour récolter les narrations. Enfin, c’est le système de transmission intrafamilial de ces sciences au sein de grandes familles de savants qui a permis aux femmes faisant partie de cette élite intellectuelle d’avoir accès à ces connaissances au même titre que les hommes.

Ces femmes qu’on a appelé les muhadithates étaient des expertes dans le domaine des ahadiths et de leur interprétation. Récemment l’auteur Muhammad Akram Nadwi a publié une encyclopédie de 57 volumes sur les muhadithates depuis les premières décennies de l’Islam jusqu’au temps contemporain. Si son ouvrage est une source d’information incommensurable, l’auteur reste malheureusement assez factuel et n’offre pas d’analyse historique et notamment pas de perspective genre. D’autres auteures l’ont fait, dont Omaima Abou Bakr, Jonathan Berkey et  Hoda Al Saada.

On peut lire dans les biographies de ces femmes savantes les détails sur la nature de leur travail, leur milieu social mais également leurs méthodes d’enseignement et les environnements mixtes dans lesquels elles évoluaient, ce qui est un élément intéressant à prendre en compte lorsque l’on pense à la façon dont les sciences islamiques sont enseignées aujourd’hui…

L’enseignement dans les sociétés islamiques prémodernes se déroulait de manière informelle au sein de cercles d’étude (majliss al ‘ilm) dans les mosquées, parfois même dans les rues ou les places publiques dans les grandes villes. Les savants et savantes donnaient des conférences publiques et les individus intéressés se rassemblaient autour de ces personnalités pour apprendre, et disséminer à leur tour les connaissances acquises.

Les étudiants participaient à un majliss jusqu’à ce qu’ils aient jugé avoir acquis ce dont ils avaient besoin, puis ils se dirigeaient vers un autre majliss pour acquérir d’autres connaissances. On peut voir que le processus à l’époque était plus flexible, et plus démocratique en un sens qu’aujourd’hui. Enseigner dans un majliss n’était pas une chose aisée, car avant de débuter les étudiants évaluaient l’enseignant en posant plusieurs questions précises pour tester ses connaissances. Ce processus d’évaluation et de sélection intransigeant s’appliquait également aux femmes, et leur présence dans ce domaine prouve leur haute qualification. Il faut également noter que leurs compétences ne se limitaient pas à la transmission de hadith, mais s’étendaient également à la maîtrise des règles juridiques (ahkam), l’histoire, la logique, l’éthique et la philosophie.

Une fois l’enseignante jugée compétente, la méthode d’enseignement suivait un processus très précis, où dans un premier temps les étudiants devaient écouter (sam’), puis réciter ce qui a été mémorisé (qira’a), et enfin faire preuve d’esprit critique et écrire leurs commentaires, pour que l’enseignante puisse lui donner une certification (ijaza). Et c’est notamment à travers ces ijazas que l’on a pu découvrir que de nombreuses femmes ont donné des certifications à de grandes figures de la tradition musulmane.

Donner des ijazas n’était pas à la portée de tout le monde, il fallait remplir des critères stricts de légitimité et de précision intellectuelle, ainsi qu’être reconnu comme autorité savante par ses contemporains. Critères exigeants que remplissaient de nombreuses femmes ; comme le montre le fait que le grand juriste et théologien Ibn Hajar a cité 53 femmes auprès desquelles il a étudié, tandis que Al- Sakhawi mentionne avoir obtenu des ijazas, des certifications auprès de 68 femmes.

Leadership religieux et spirituel

Parmi ces muhhadithates on peut citer Shaykha Shuhda bint Aúmad bin al-Faraj (12e siècle) qui était connue sous le nom de fakhr a nisa (la fierté des femmes) et qui donnait de grandes conférences publiques à la mosquée de Bagdad. L’historien ibn Khaliqan dans son livre wafiyat al a’ian (volume 5) témoigne que de nombreux savants ont étudié auprès d’elle, qu’à elle seule elle attirait un public très large, des plus jeûnes aux plus âgées ce qui atteste de sa stature et de sa notoriété. L’exemple de Shaykha Shuhda prouve également que les femmes étaient autorisées d’enseigner dans les mosquées, devant de grandes assemblées et qu’elles n’étaient pas confinées à l’enseignement dans leurs maisons.

On peut également citer l’exemple de Aicha bint Ali Bin Mohammed Bin Nasarallah, qui était une savante hanbalite (1359-1436 14/15e s), qui a enseigné à de nombreux imams, et qui était une experte reconnue de la sira (biographie du prophète) mais également des outils du fiqh (analyse juridique). Aicha a été amenée à voyager d’Egypte à la Palestine pour transmettre ses connaissances à de grandes figures savantes contemporaines.

Une autre caractéristique intéressante qui ressort de ces biographies, ce sont les titres que l’on a donné à ces femmes. Dans son ouvrage Materials on Muslim Education, Arthur Stanley Tritton mentionne les titres de « Sitt al-wuzara » (La grande dame des ministres), ou de « Sitt al fuqaha » (La grande dame des juristes). Certaines d’entre-elles se sont même vues donner le titre de « dhat riyasa », de leader, ce qui voulait dire qu’elles étaient l’autorité suprême sur une spécialité, titre qu’elles obtenaient après avoir remporté un débat public avec d’autres savants experts en la matière. (Makdisi, Rise of Colleges).

Malheureusement, la plupart des travaux écrits de ces femmes savantes sont perdus, et nous avons connaissance de leur existence qu’à travers la mention des titres de leurs ouvrages par leurs étudiants et leurs contemporains. Ceux-ci évoquent par exemple que leurs enseignantes ont pu écrire des questions de fiqh (masa’il fiqhiya), des opinions juridiques (fatawas), des interprétations et commentaires (ta’aliq wa shuruh). On note aussi parfois la mention qu’un savant aurait compilé des travaux pour telle ou telle personnalité, ce qui nous indique que c’étaient les hommes scribes qui étaient chargés de préserver et compiler les opinions juridiques des femmes.

Crédit Photo : Capture de la vidéo sur les Muhaddithat réalisée par Norhayati Kaprawi 

Nous retrouvons également des traces dans les correspondances épistolaires entre les savants et savantes pour échanger des informations, des opinions mais également pour débattre de problématiques scientifiques et religieuses. Al Sakhawi par exemple a compilé ses correspondances avec Fatima (1451) la fille du juge Kamal al-Din Mahmud, leur relation était amicale, ils échangeaient des anecdotes personnelles, des poèmes qu’ils critiquaient mutuellement, mais également des opinions juridiques (fatawas). Ce qui montre que leurs échanges étaient placés sur un pied d’égalité.

Certains historiens ont avancé que l’autorité de ces femmes était restreinte par leur incapacité d’interagir directement avec les étudiants hommes, c’est le cas notamment de Jonathan Berkey dans son ouvrage Women and Islamic Education. Mais les exemples que j’ai cité de correspondances et d’enseignement dans les mosquées contredisent cette hypothèse.

Un autre contre-exemple est la pratique de ce qu’on appelait des « Mujawara », lorsque des voyageurs, hommes ou femmes s’installaient aux alentours des lieux saints (la Mecque, Médine ou Jérusalem) pour vivre une vie de piété et de méditation. Lorsque les premières madrassas (écoles) sont nées, beaucoup se sont installées autour de ces voyageurs (mujawirun) pour qu’ils transmettent leurs savoirs. Dans leurs compilations Ibn Hajar et Al Sakhawi mentionnent que des femmes figuraient parmi les mujawirun, et qu’elles interagissaient avec les hommes. Certaines femmes étaient également connues pour leur prêches, comme Taj al-nisa’ bint rustum bin tabi al raja al- Asbahani  (1504) qui avait le titre de « Shaykhat al –haram » c’est-à-dire le titre officiel de savante de la grande mosquée de la Mecque.

Enfin, de nombreuses femmes ont choisi la voie mystique soufie, les ‘abidates ou sufiyyates.  Abu Abd al-Rahman al-Sulami (936-1021) a écrit un dictionnaire bibliographique sur ces femmes soufis, (dhikr al-niswa al-muta’abbidat al sufiyyat), on retrouve également des traces de leur présence dans les commentaires des exégèses coraniques (tafsirs) ou dans les poèmes. Aziza Ouguir montre dans ses recherches que les savants issus de la tradition mystique soufi des sociétés islamiques prémodernes ne distinguaient pas les hommes des femmes, qu’ils considéraient comme leurs égales aux yeux de Dieu. Aussi les écrits de Ibn Arabi et de Ibn Taymiyya attestent que ces femmes avaient occupé des postions de leadership religieux et étaient reconnues pour leur piété et sagesse.

Une des figures les plus célèbres est celle de Rabia al Adawiyya (720-801), esclave affranchie originaire de Basra, en Iraq, qui a alimenté pendant des siècles et alimente encore les enseignements soufis, et notamment à travers ses poèmes relatant son amour inconditionnel pour Dieu. Rabi’a a refusé les maintes demandes en mariage qu’on lui a faite. Elle a réussi à dépasser les catégories sociales dans lesquelles on enfermait les femmes, elle n’était en effet, ni épouse, ni esclave ni en dessous de quelconque autorité masculine, la seule autorité à laquelle elle se soumettait était Dieu, un être non genré.

Il existe évidemment bien d’’autres femmes mystiques soufi moins connues ; Fatima de Nishapur, Fatima de Cordoba, Aicha de Damas, et de nombreux auteurs ont consacré des ouvrages à ce sujet, je vous conseille notamment les travaux sur les femmes mystiques musulmanes de Azad Arezou.

SUITE DE L’ARTICLE 

Retrouvez la suite de cet article « Quelle place pour les Femmes musulmanes dans la production et transmission des savoirs religieux ? ci-dessous :

Partie 3/3

 

Références :

– Al-Sa’di, Hoda, and Omaima Abou-Bakr. al-Mar’a wa-al-hayat al-diniyya fi al-‘usur al-wusfa (Women and Religious Life in the Middle Ages) Cairo: The Women & Memory Forum, 2001.
– Al-Sakhawi, Muhammad b. ‘Abd al-Rahman. Al-Daw’ al-Lami’ li-Ahl al-Qarn al-Tasi’. Cairo: Maktaba al-Qudsi, 1936.
– Al-Sulami, Abu ‘Abd al-Rahman. Dhikr al-Niswa al-Muta’abbidat al-Sufiyyat (Mention of worshipping mystic women), ed. M. M. al- Tanahi (Cairo: al) Hai’a al-misriya al-‘amma lil-kitab, 1999).
– Al- Zarkashi, Muhammad b. Bahadur. Al-Ijaba li-Irad ma Istadrakathu ‘Aisha ‘ala al-Sahaba. Beirut : al-Maktab al-Kutubal-‘Ilmiya, 2000.
– Azad, Arezou. “Female Mystics in Medieval Islam: The Quiet Legacy.” In: Journal of the Economic and Social History of the  Orient, 2013, 56: 53-88.
– Berkey, Jonathan. The Transmission of Knowledge in Medieval Cairo: A Social History of Islamic Education. Princeton, NJ: Princeton University Press, 1992. Chapter 6. pp. 161-181.
– Ibn Hajar al-‘Asqalani, Ahmad b. ‘Ali. al-Durar al-Kamina fi A’yan al-Mi’a al-Thamina. Cairo: Dar al-Kutub al-Haithda, 1966. Ibn Sa’d, Muhammad. Kitab al Tabaqat al Kabir, Leiden: E.J. Brill, 1904_18.
– Lapidus, Ira M. A History of Islamic Societies. Cambridge: Cambridge University Press, 2014.
– Makdisi, George. The Rise of Colleges. Edinburgh University Press, 1981.
– Norhayati Kaprawi, October 2018. Video on Muhaddithat : https://www.youtube.com/watch?v=dKX8cmWOxr8&feature=youtu.be
– Ouguir, Aziza. 2013. Female Religious Agents in Morocco: Old Practices and New Perspectives.
– Spellberg, Denise. « History Then ,History Now: the Role of Medieval Islamic Religio-Political Sources in shaping the Modern Debate on Gender. » In Sonbol, Amira (ed.). Beyond the Exotic: Women’s Histories in Islamic Societies. Cairo: The American University in Cairo press 2005. pp. 3-14
– Sayeed, Asma. “Women and Hadith Transmission: Two Cases from Mamluk Damscasus.” In: Studia Islamica, 95, 2002: 71-94
– Sayeed, Asma. Women and the Transmission of Religious Knowledge in Islam. Cambridge: Cambridge Univeristy Press, 2013. Sonbol, Amira. 1996. The New Mamluks: Egyptian Society and Modern Feudalism. New York: Syracuse University Press, 2000.
– Tucker, Judith. In the House of Law: Gender and Islamic Law in Ottoman Syria and Palestine. Cairo: American University in Cairo Press, 1999

 

Article écrit à partir de l’intervention de Sarah Marsso à l’occasion du festival féministe Lallab Birthday #2 qui, pour fêter les deux ans de Lallab le 6 mai 2018, célébrait les héritières.

Crédit Photo Image à la une : Capture de la vidéo sur les Muhaddithat réalisée par Norhayati Kaprawi

 

[/vc_column_text][/vc_column][vc_column width= »1/3″][vc_column_text]

Diffuse la bonne parole

[/vc_column_text][vc_facebook][vc_tweetmeme][vc_column_text][/vc_column_text][vc_widget_sidebar sidebar_id= »home-one »][/vc_column][/vc_row]


Catégories
(Dé)construction

Quelle place pour les Femmes musulmanes dans la production et transmission des savoirs religieux ? Partie 1

[vc_row][vc_column width= »2/3″][vc_column_text]

Tisser les fils de la mémoire collective et lire dans le silence de nos sources

 

Aujourd’hui nous célébrons ces femmes qui nous ont précédées, les combats qu’elles ont menés, les traumatismes qu’elles ont surmontés, mais surtout les sagesses qu’elles nous ont transmis, de génération en génération, une source immatérielle, créatrice et inépuisable de savoir qui est trop souvent passée sous silence. Ce sont ces voix étouffées, ces savoir-faire et savoir être rendus invisibles par des siècles de domination patriarcale, que j’aimerai rappeler à nous, et notamment l’héritage des femmes dans la tradition musulmane.

 

Quelle fut la place des femmes musulmanes dans la production et la transmission des savoirs religieux ? Dans quelle mesure ont-elles participé à la transmission des ahadiths (paroles et actes rapportés du Prophète Mohammed), quel rôle ont elle joué dans les processus de raisonnement juridiques (fiqh), dans l’enseignement et la gestion des écoles religieuses, mais aussi dans la guidance spirituelle ? Quelles étaient les spécificités de leurs contributions ? Comment peut-on identifier et lire les sources historiques pertinentes ? Comment lire dans le silence des sources textuelles, et faire ressortir la voix et l’expérience de ces femmes dans des textes majoritairement écrits par des hommes ? Que nous disent les efforts intellectuels de ces femmes musulmanes sur notre époque et notre rôle dans la production et la transmission des savoirs religieux.

 

L’émancipation des femmes musulmanes n’est pas née avec le colonialisme et les Etats nations modernes.

J’ai choisi de me concentrer sur la période prémoderne des sociétés musulmanes, c’est-à-dire depuis la mort du Prophète (PSL) dans la seconde moitié du 7e siècle jusqu’à la fin du 18e siècle, car c’est au cours de cette période que se sont construites, approfondies et consolidées les sciences religieuses islamiques telles qu’on les connait aujourd’hui. Contrairement à l’imaginaire façonné par les stéréotypes orientalistes, les femmes ont occupé des rôles et positions clés dans les sociétés islamiques prémodernes, et elles n’étaient pas toutes passives et cloîtrées dans des harems. La réflexion autour de l’histoire oubliée de ces femmes a fait l’objet de nombreuses études, de la part d’historiens et historiennes tels que Amira Sonbol, Leila Ahmed ou Jonathan Berkey

Ces travaux remettent en cause le postulat moderniste selon lequel les femmes n’ont pu et ne peuvent atteindre une pleine et véritable émancipation qu’à travers la modernisation dans toutes ses formes et ses manifestations. Ce postulat est problématique car il a ancré dans la conscience collective que l’émancipation des femmes musulmanes est née avec le colonialisme occidental et les Etats nations modernes. Aussi, il nous ramène au binarisme typique du paradigme orientaliste qui oppose la tradition à la modernité ; modernité qui serait synonyme de progrès.

Ainsi, les travaux historiques récents ont démontré la présence active des femmes musulmanes dans la sphère publique au cours de cette période, qui s’étale sur près de dix siècles, et notamment dans les domaines religieux et spirituels, en tant que muhadithates (transmetteuses de hadith), faqihates (juriste, savante en fiqh), muftiyates (donnaient des opinions juridiques), wa’izates (prédicatrices) et sufiyyates (guides spirituelles).

Avant d’explorer quelques exemples, il est tout d’abord important de noter ici la rareté et la dispersion des sources historiques sur la vie de ces femmes. Ainsi les historiens et historiennes qui travaillent sur ce sujet se sont essentiellement reposés sur les dictionnaires biographiques de l’époque, qui servaient à documenter la vie des grandes figures religieuses et politiques, y compris les figures féminines. Il existe de nombreuses compilations telles que Tabaqat de Ibn Sa’d (845), Siyar A’lam al-Nubala’ de al-Dhahabi (1348), al-Durar al-Kamina de Ibn Hajar al-Asqalani (1448) ou al-Daw’ al-Lami’ de Muhammad Shams al-Din al-Sakhawi (1428- 1497). L’information récoltée sur les femmes est souvent très brève et concise, et il faut donc être attentive aux détails de la narration ainsi qu’au ton du narrateur, et nous aborderons cela à la fin de mon exposé, comment lire entre les lignes et combler les lacunes lorsqu’il ne s’agit pas de HIStories mais de HERstories.

Les Sahabiyates

Dans son ouvrage, Women and the transmission of religious knowledge in Islam, Asma Sayeed identifie quatre phases historiques, en ce qui concerne la place des femmes musulmanes dans la transmission du savoir religieux.  La première phase est celle des premières décennies qui ont suivi la Révélation, où les femmes du prophète ainsi que les Sahabiyates – les femmes compagnones ont transmis leurs connaissances en ligne directe du Prophète Mohammed (PSL)

Ces femmes étaient des figures respectées et des sources prolifiques de savoir, dont l’autorité et la légitimité étaient notoirement reconnues par les musulmans de l’époque. Il n’existe pas de liste définitive des compagnons et compagnones du prophète, mais Ibn hajar cité précédemment a documenté 1545 femmes sur les 12304 compagnons. Certaines d’entre-elles sont très connues, d’autres moins. On peut citer bien évidemment les femmes du Prophète, qui non seulement furent source d’autorité pour témoigner des faits et gestes du Prophète, mais dont leurs propres comportements et préférences furent également considérés comme faisant partie de la Sunna.

Aicha et Umm Salama sont celles qui furent les plus actives, Aicha ayant transmis entre 1500 et 2400 ahadiths, et Umm Salama entre 175 et 375 ahadiths. De nombreuses biographies font l’éloge des compétences multiples de Aicha, dont par exemple Abu Nu’aym al-Isbahani dans son ouvrage Hilyat al-awliya qui raconte que non seulement Aicha excellait dans la transmission des hadiths, dans son esprit critique et son interprétation qui relève du fiqh, mais qu’elle était également reconnue pour ses compétences médicinales, sa maîtrise de la poésie et que son opinion était valorisée sur la gestion des affaires de la cité.

Aussi il est intéressant de noter que les ahadiths rapportées par les femmes du prophète ne se limitaient pas aux relations conjugales, Aicha a transmis des ahadiths sur la pureté rituelle, les prières surérogatoires, le jeûne, le pèlerinage, l’héritage mais aussi sur l’eschatologie. Aicha a également plusieurs fois fait figure d’autorité pour corriger les contradictions d’autres compagnons lorsqu’ils rapportaient des faits du prophète qui ne correspondaient pas avec sa personnalité, (débats qui furent compilés par Al-Zarkashi) elle a notamment corrigé à plusieurs reprises les paroles rapportées par le compagnon Abu Hurayra. Je vous conseille à ce sujet de lire l’ouvrage de Fatima Mernissi, Le Harem politique (1987) qui consacre tout un chapitre au rôle joué par ce compagnon dans la transmission de points de vue misogynes.

Les opinions juridiques de Aicha n’étaient pas toujours acceptées mais sa présence et sa prestance étaient telles que les compagnons ne pouvaient pas lui tenir tête, ainsi par exemple elle a permis aux enfants nés hors mariage de pouvoir diriger la prière – s’ils en avaient les compétences requises- et elle a également permis aux femmes de faire leur pèlerinage sans mahram (tuteur masculin) tant que celles-ci étaient assurées de leur sécurité.

Ce sujet est comme vous pouvez l’imaginer extrêmement riche, et je ne peux donc que vous inviter vivement à lire les ouvrages qui relatent la vie et les positions de Aicha, mais également de Um Salama, des autres épouses du prophète, ses tantes et cousines, et notamment sa tante Fakhita bint Abi Talib (um Hani) qui a rapporté 30 ahadiths, et des sahabiyates, Asma bint Abi Bakr, Lubaba bint al-Harith, Umm Ayman etc..

Les grandes discordes (fitna)

La deuxième phase est celle de la fin du 7e et du 8e siècle. C’est une période avec un contexte politique difficile, où vont se succéder trois « grandes discordes », ce qu’on a appelé des fitna c’est à dire les premiers affrontements, rivalités de pouvoir et divisions entre les musulmans.

Durant cette période, qui est aussi celle de la conquête et de l’expansion du monde musulman sous les dynasties omeyyades et abbasides, la transmission des ahadiths et le savoir religieux furent utilisés à des fins politiques et pour poursuivre des intérêts claniques et personnels. Cette manipulation des sources a poussé à la professionnalisation de cette discipline et à l’établissement de critères stricts pour déterminer la validité du savoir transmis.

Parmi les critères requis figuraient l’acuité juridique, la formation linguistique, la possibilité d’avoir des interactions directes avec les enseignants, et la possibilité de faire de long et pénibles voyages (rihlas) pour récolter et vérifier les narrations. Comme la plupart des femmes ne pouvaient pas remplir ces conditions et concurrencer leurs homologues masculins, leur participation dans la transmission du savoir a considérablement chuté sur à peu près deux siècles.

 

SUITE DE L’ARTICLE 

Retrouvez la suite de cet article « Quelle place pour les Femmes musulmanes dans la production et transmission des savoirs religieux ? ci-dessous :

Partie 2/3

Partie 3/3

 

Références :

– Al-Dhahabi, Muhammad Shams al-Din. Siyar A’lam al-Nubala’. Beirut : Mu’assasat al-Risala, 1981.
– Al-Sa’di, Hoda, and Omaima Abou-Bakr. al-Mar’a wa-al-hayat al-diniyya fi al-‘usur al-wusfa (Women and Religious Life in the Middle Ages) Cairo: The Women & Memory Forum, 2001.
– Al-Sakhawi, Muhammad b. ‘Abd al-Rahman. Al-Daw’ al-Lami’ li-Ahl al-Qarn al-Tasi’. Cairo: Maktaba al-Qudsi, 1936.
– Al-Sulami, Abu ‘Abd al-Rahman. Dhikr al-Niswa al-Muta’abbidat al-Sufiyyat (Mention of worshipping mystic women), ed. M. M. al- Tanahi (Cairo: al) Hai’a al-misriya al-‘amma lil-kitab, 1999).
– Al- Zarkashi, Muhammad b. Bahadur. Al-Ijaba li-Irad ma Istadrakathu ‘Aisha ‘ala al-Sahaba. Beirut : al-Maktab al-Kutubal-‘Ilmiya, 2000.
– Ahmed, Leila. Women and Gender in Islam: Historical Roots of a Modern Debate. New Haven: Yale University Press, 1992.
– Berkey, Jonathan. The Transmission of Knowledge in Medieval Cairo: A Social History of Islamic Education. Princeton, NJ: Princeton University Press, 1992. Chapter 6. pp. 161-181.
– Ibn Hajar al-‘Asqalani, Ahmad b. ‘Ali. al-Durar al-Kamina fi A’yan al-Mi’a al-Thamina. Cairo: Dar al-Kutub al-Haithda, 1966. Ibn Sa’d, Muhammad. Kitab al Tabaqat al Kabir, Leiden: E.J. Brill, 1904_18.
– Lapidus, Ira M. A History of Islamic Societies. Cambridge: Cambridge University Press, Makdisi, George. The Rise of Colleges. Edinburgh University Press, 1981.
– Sayeed, Asma. Women and the Transmission of Religious Knowledge in Islam. Cambridge: Cambridge Univeristy Press, 2013.
– Sonbol, Amira. 1996. The New Mamluks: Egyptian Society and Modern Feudalism. New York: Syracuse University Press, 2000.

Article écrit à partir de l’intervention de Sarah Marsso à l’occasion du festival féministe Lallab Birthday #2 qui, pour fêter les deux ans de Lallab le 6 mai 2018, célébrait les héritières.

Crédit photo : Montage effectué par l’autrice à partir des couvertures de ouvrages cités

[/vc_column_text][/vc_column][vc_column width= »1/3″][vc_column_text]

Diffuse la bonne parole

[/vc_column_text][vc_facebook][vc_tweetmeme][vc_column_text][/vc_column_text][vc_widget_sidebar sidebar_id= »home-one »][/vc_column][/vc_row]