Ahed Tamimi, une victime méritant un soutien international

par , , | 4/04/18 | Portraits



La jeune activiste palestinienne Ahed Tamimi est maintenue en détention depuis décembre dernier par l’occupation israélienne, suite à une vidéo partagée sur les réseaux sociaux dans laquelle la jeune fille est filmée en train de chasser et gifler deux soldats.
Ahed signifie en arabe « promesse »… la promesse de lutte et de résistance contre l’occupant de sa terre. Elle est connue pour son courage face à l’occupation israélienne. Cette jeune militante âgée de 17 ans risquait jusqu’à 10 ans de prison ; elle a finalement été condamnée, le 21 mars dernier, à 8 mois de prison ferme.

 

Elle est accusée par les autorités israéliennes d’avoir agressé et provoqué des soldats israéliens, suite à la publication d’une vidéo dans laquelle elle apparaît avec sa cousine Nour Tamimi, 21 ans, en train de bousculer et gifler des soldats.

Quelques jours après la publication de la vidéo, Ahed Tamimi, sa mère Nariman Tamimi et sa cousine sont arrêtées par l’armée israélienne. 12 chefs d’inculpation sont retenus contre Ahed, concernant principalement le dernier évènement, datant du 15 décembre, pour « agression et gifle ». Les autres accusations sont liées à des évènements s’étant déroulé durant les deux dernières années, pendant lesquelles Ahed a eu des confrontations avec des soldats israéliens.

Depuis l’arrestation de cette jeune femme militante, nous avons pu constater l’absence cruciale de soutien de la part de la majorité des groupes qui défendent habituellement les droits humains ou les droits des femmes. Bien peu de groupes féministes ont déclaré publiquement leur soutien pour cette militante qui reste avant tout une mineure, ni même critiqué le traitement des autorités israéliennes.

Al Jazeera s’est d’ailleurs demandé pourquoi l’arrestation d’Ahed ne suscitait pas autant de mobilisation que les attaques subies par Malala Yousafzai. En effet, aucune campagne de soutien #StandUpForAhed ou #JeSuisAhed n’a été lancée, et la majorité des représentants d’Etats, des journalistes et des organisations ayant soutenu Malala sont restés silencieux. Est-ce parce qu’Ahed n’a pas été blessée physiquement comme Malala l’a été à la tête par les balles de Tehrik-e-Taliban ? Pourtant, Ahed est comme Malala : elle lutte depuis son plus jeune âge contre la violence et l’injustice. La violence est présente dans son quotidien face à l’occupation israélienne : comme le rappelle Amnesty International, le jour même où la vidéo a été tournée, son cousin Mohammad Tamimi, 15 ans, a été grièvement blessé à la tête par une balle en caoutchouc tirée à bout portant par un soldat israélien.

 

Ahed Tamimi, à 11 ans, face à des soldats israéliens. Crédit : Abbas Momani / AFP

 

Deux réactions pour une même lutte : pourquoi ?

Plusieurs raisons peuvent expliquer ces deux réactions complètement différentes. D’abord, les actes de violence ou les agressions perpétués par les États sont généralement vus comme légitimes et appropriés.

Les autorités israéliennes ont justifié l’arrestation d’Ahed par la menace qu’elle représenterait pour les soldats et l’Etat israéliens. Cette justification ouvre la porte à tous types d’abus : selon Amnesty International, « des centaines de mineurs palestiniens sont poursuivis chaque année devant les tribunaux militaires israéliens pour mineurs. Ceux qui sont arrêtés sont systématiquement privés de leurs droits et soumis à des mauvais traitements, voire à des violences physiques ». En invoquant un danger incarné par les militant·e·s palestinien·ne·s, l’Etat israélien réagit ainsi avec « des sanctions disproportionnées » à des « actes de désobéissance civile relativement mineurs », selon Magdalena Mughrabi, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique à Amnesty International. Le ministre israélien de l’éducation, Naftali Bennett, estime par exemple qu’Ahed et sa cousine « devraient finir leurs vies en prison » – pour une vidéo les montrant en train de frapper à mains nues des représentants suréquipés d’une armée d’occupation, rappelons-le.

 

Ce que vit actuellement Ahed montre bien l’indignation sélective d’une grande partie de l’opinion publique des pays occidentaux, où seuls certains types de personnes et de causes sont vus comme méritant d’être défendus et soutenus.

D’autre part, on peut se demander pourquoi Ahed, une jeune femme émancipée qui lutte contre la colonisation et l’oppression pour défendre sa terre, ne devient pas une icône féministe dans nos pays occidentaux.

Ahed est une activiste, dont le féminisme est politique. Elle s’appuie sur sa force en tant que femme pour montrer la violence, l’abus et l’oppression des forces de l’occupation. Cela fait d’elle une femme présentée comme « dangereuse » et par conséquent, elle n’est pas qualifiée comme la victime « idéale » pour une campagne de soutien  international.

Par ailleurs, Ahed ose se soulever contre un État que peu de gens osent dénoncer. Critiquer les actions du gouvernement israélien, qui viole un nombre toujours grandissant de résolutions internationales, est souvent vu comme un signe d’antisémitisme, y compris de la part de militant·e·s se disant féministes, faisant ainsi un amalgame dangereux entre antisémitisme et anti-sionisme. On a encore pu le constater récemment lorsque la chanteuse Mennel Ibtissem, participante de l’émission The Voice, a été accusée d’antisémitisme en raison de son soutien au peuple palestinien.

 

Un traitement médiatique à revoir…

 

Les médias traditionnels ont aussi été peu nombreux à soutenir Ahed. Malgré la répression dont souffrent les Palestinien·ne·s, peu d’actions ont été prises pour dénoncer les actions du gouvernement israélien et l’emprisonnement de la jeune militante. Peu de médias ont réellement présenté les faits tels qu’ils étaient. De nombreux articles « oublient » de mentionner qu’un soldat israélien a tiré sur Mohammed Tamimi quelques heures avant la gifle donnée par Ahed. Les principaux journaux français ont montré la vidéo de son arrestation, où les soldats sont calmes, mais pas celle de l’arrestation de sa mère, Nariman, où l’on voit la violence militaire.

Ils n’ont pas non plus parlé de la double législation en Israël. Si les Israélien·ne·s sont soumis·es à la loi civile, les Palestinien·ne·s, sous occupation, sont soumis·es à la loi militaire, beaucoup plus répressive. La majorité des articles n’ont donc pas précisé qu’Ahed n’aurait jamais été emprisonnée si elle avait été israélienne. En 2006, les médias mainstream n’avaient d’ailleurs pas critiqué le geste de l’Israélienne Yifat Alkobi, qui avait giflé le soldat qui tentait de protéger un enfant palestinien des pierres qu’elle lançait, et qui n’a pas été emprisonnée.

Plusieurs journalistes ont par ailleurs tenté de discréditer Ahed et de la présenter comme une enfant manipulée par sa famille, quasi « endoctrinée » depuis son plus jeune âge, plutôt que comme une militante qui revendique ses actions. Il semble que dénoncer l’emprisonnement d’une adolescente de 16 ans  – elle a passé son 17ème anniversaire en prison – qui subit une répression constante et tente de défendre sa famille ne préoccupe pas beaucoup de médias ou d’associations. L’Etat israélien peut donc poursuivre sa répression sans opposition. On peut d’ailleurs rappeler que la reconnaissance de l’État palestinien n’a été votée par le Parlement français qu’en 2014 et qu’elle n’a qu’une valeur symbolique.

 

 

Ahed Tamimi devant un tribunal militaire israélien. Crédit : AFP

 

En tant qu’association féministe et antiraciste, Lallab tient donc à apporter son soutien à la jeune Ahed Tamimi et attend sa libération. Nous regrettons que les répressions subies quotidiennement par les Palestinien·ne·s ne soient pas dénoncées par plus de médias et organisations, et nous rappelons que toutes les femmes se battant pour défendre leurs droits méritent notre attention et notre mobilisation.

 

Et comme l’a dit Ahed elle-même :

Nous ne voulons pas que vous nous souteniez à cause de quelques larmes photogéniques, mais parce que nous avons fait le choix de la lutte et que notre lutte est juste. C’est la seule façon de pouvoir arrêter de pleurer un jour.

 

Article co-écrit par Dorsaf et Mathilde L.

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