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La musique, un art – Mona Haydar, Yuna, Neelam Hakeem

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« L’art est le défouloir de l’âme »

 

Le hijab ça dérange, ça dérange un peu partout en France, ça, on le sait. Quand c’est une femme qui s’exprime – et qui ne répond pas aux critères que la société lui impose, ça dérange encore plus. Ça frustre, ça énerve beaucoup de monde, et certains.es pensent pouvoir s’exprimer et donner leur avis. Les réseaux sociaux permettent aux langues de dire tout et n’importe quoi …

Une femme portant le hijab ne doit pas faire ci, ne doit pas faire ça. C’est haram, c’est halal… Tout le monde a un avis sur la femme musulmane. Musulmans.es ou non d’ailleurs. Bref…Je peux en faire des pages, mais aujourd’hui ce n’est pas le but. Aujourd’hui, j’aimerais parler d’art, de musique, de femmes incroyables, aux voix incroyables, aux talents incroyables…

J’aime la musique. J’aime la musique douce et lisse, qui me berce et me bouleverse. J’aime la musique engagée remplie de rage et de colère, celle qui est soyeuse et souple, et qui reste malgré tout remplie de poésie. La musique pour moi, c’est une forme d’art. J’aime l’art sincère, l’art qui me parle, qui me chuchote, qui me brusque, qui me fait mal au cœur, et qui touche mon âme. Les artistes qui créent du fond de leur cœur, du fond de leur âme, je les aime. Ô, que je les aime ! J’aime croire que l’art est le défouloir de l’âme. L’art est aussi une arme et une forme de résistance. La musique en fait partie.

Cet univers, qui parfois dérange certains.es, embrase d’autres. J’aime le rap, la pop, le R&B, le raï, la trap, le blues, le châabi. J’aime le classique, le traditionnel, le slam,…Mais je vous l’avoue, j’ai une préférence pour le rap français. J’aime les rimes, j’aime les tournures et les figures de styles, de cette langue. J’aime le côté poétique du rap, mais étrangement, ce n’était pas la musique française qui m’a poussée vers ce style.

Je suis tombée amoureuse du rap durant mon enfance… Ce n’était ni la plume de Diam’s ni celle de Kery James qui m’ont poussé dans l’antre. Pour les connaisseurs.es, c’était Fnaire, avec leur chanson « Yed el henna », un groupe de hip-hop marocain. Du rap au classique, j’ai commencé à apprécier d’autres styles, cependant, la majorité de la musique que j’écoutais (en français) n’était réalisée que par des hommes. Mon âme se trouvait rarement satisfaite par la gent féminine française, ce constat était pire quand on parlait du monde du rap. Pour moi, aucune réelle représentation.

Les femmes très peu présentes sur la scène du rap français, encore pire quand on parle des femmes de couleur, et de femmes musulmanes, n’en parlons même pas quand elles portent le hijab. Critiquées, harcelées des deux côtés, de toutes les communautés, acharnement médiatique, sans arrêt.

 

« Rappez, chantez, dansez, soyez heureux.ses ! »

 

Moi, je veux voir des meufs dire non aux règles et à la masse. Je veux voir des meufs heureuses et épanouies dans leur art. Si elles veulent rapper, qu’elles le fassent, si elles veulent chanter qu’elles le fassent, si elles veulent danser qu’elles le fassent, et qu’on arrête de les réduire à leur genre et à leur façon de s’habiller.

J’ai découvert ces dernières années des femmes qui dépassent l’incroyable. Je n’ai jamais vu des artistes rapper, chanter, danser avec autant de classe tout en étant elles-mêmes. Aujourd’hui, j’aimerais vous présenter trois artistes qui sont de vraies inspirations pour de nombreuses jeunes filles : Mona Haydar, Yuna et Neelam Hakeem. Cet avis n’engage que mon âme et moi. J’espère que leur art percera votre cœur. 

 


Crédit photo : Mona Haydar

 

 

«  I am cool, I am mood, I am dude, I am Mona. » » Mona Haydar

 

L’incontournable Mona Haydar, cette artiste américaine d’origine syrienne est déjà connue de Lallab, si vous ne la connaissez pas encore, je vous invite à écouter son travail.

Poétesse dans l’âme, elle écrit depuis ses sept, huit ans. A 14 ans, elle se produisait déjà sur des scènes locales et des cafés. De la poésie, elle passe au rap, des petites scènes, elle passe aux scènes internationales.

Féministe, engagée, militante, activiste politique, elle l’est. Il suffit d’écouter « Hijabi » ou « Barbarian ». Mais avant tout, c’est une artiste. Une rappeuse.

Le mot « berbère » m’a toujours dérangé, depuis l’adolescence, je ne l’ai jamais aimé, j’avais du mal à l’employer, et lorsqu’il sortait de ma bouche, je me sentais mal à l’aise, pour la simple raison que « berbère » est un mot dont l’origine est très controversée avec le mot barbare, je vous laisse la liberté de le googliser.

Moi, j’aimerais vous parler de la façon dont Mona Haydar s’approprie le mot « barbarian » barbare en français et l’utilise poétiquement.

Dans une interview en 2019, l’artiste explique que dans ce morceau, elle parle de « ceux qui regardent la culture arabe, ou n’importe quelle culture indigène, non-blanche en se disant qu’elles sont moins glorieuses, que ces peuples sont sales, barbares, sauvages et non civilisés ».

Oubliez la vision occidentale sur les femmes issues d’une culture indigène, dans le clip, « Barbarian », on voit des femmes habillées traditionnellement (je vous avoue les seuls vêtements que j’ai reconnus étaient la djellaba et la gandoura, mais il y avait d’autres tuniques traditionnelles n’hésitez pas à partager les noms si vous les reconnaissez!), outre le vêtement traditionnel, il y a les incontournables tatouages au henné et les youyous ainsi que les instruments traditionnels (oud). Qui ne s’est pas déjà tatoué au henné ici ?! Qui n’a pas porté un vêtement traditionnel ?

Vous l’aurez compris, Mona Haydar scande haut et fort qu’il faut être fier de ses origines, et ne pas laisser l’Occident définir nos racines et notre culture… Donc la prochaine fois que tu veux manger à la main, et que tu as peur de passer pour une personne « bizarre et pas civilisée », envoie bien loin cette pensée et mange comme tu le sens ! 

 


Crédit photo : Yuna

 

« I am proud, it’s my choice to cover up my body. I’m not oppressed. I’m free » Yuna

 

Yuna est une chanteuse malaisienne. Cette artiste est connue dans son pays, mais l’est moins à l’extérieur. Je crois fort que cette jeune femme n’a pas la carrière qu’elle mérite. Sa musique est une ode à l’âme.

J’ai découvert Yuna grâce à sa chanson « Does she ». Sa voix m’a énormément touchée. De la douceur, de l’amour, voilà ce à quoi je pense quand j’écoute sa musique. Elle me transporte ailleurs. J’aime l’art sincère, et celui de Yuna l’est, en particulier, son album « Rouge ». Sa musique parle beaucoup d’amour, elle m’a séduite.

Lors d’une interview en 2020, elle confie qu’elle était honnête dans cet album. Elle évoque le fait d’être une femme musulmane dans l’industrie de la musique, qui a essayé de s’intégrer dans les normes de la culture occidentale et orientale. Finalement, elle a réalisé qu’elle devait juste être elle-même.

Et cela lui a bien réussi, dans cet album, elle a collaboré avec plusieurs artistes comme G-Eazy, Little Simz ou encore Jay Park.

Yuna ne fait pas que chanter, elle joue de la guitare et danse, également durant ses concerts et dans ses clips. Je vous invite à voir Forevermore.  C’est un clip aux visuels artistiquement bien travaillés. Au-delà, de la voix de la chanteuse qui me berce et me transporte, les images, elles m’ôtent littéralement le cœur. On y voit de nombreux portraits de malaisiens et de magnifiques paysages, sans compter une Yuna dans son élément, avec beaucoup de style. N’hésitez pas à le visionner, vous ne le regretterez pas. 

 

Crédit photo : Neelam Hakeem

 

« Not your typical rapper » Neelam Hakeem.

 

Neelam est une artiste basée à Los Angeles.  Une rappeuse qui ne mâche pas ses mots. Très active sur Instagram, elle frappe là où ça fait mal. Ses punchlines sont extraordinaires, et c’est dans ces moments-là que je regrette de ne pas avoir un Anglais natif. Neelam n’hésite pas à dénoncer dans sa musique le racisme, et les problèmes sociaux, notamment ceux qui concernent les musulmans.es noirs.es aux Etats-Unis. Son rap est profond, vrai, et authentique. Combien de ses mots m’ont transpercé le cœur ? Je n’en sais rien, mais il m’arrive que je tombe sur ses vidéos qui durent à peine trente secondes, et ces quelques secondes suffisent pour me couper le souffle et ébranler mon âme.

Lors d’une interview, elle explique que par son art, elle veut parler pour ceux qui n’ont pas de voix. Elle traite chacune de ses chansons et vidéos avec beaucoup de sérieux. Elle souhaite simplement évoquer les injustices et les questions ignorées par énormément de monde. Malgré la censure qu’elle subit de la part d’Instagram, elle continue de partager et de créer du contenu qui permet d’élever les consciences face à l’injustice.

Ces trois femmes sont une source d’inspiration pour de nombreuses jeunes filles et femmes. Elles sont la preuve vivante qu’on peut briser les codes et changer les règles du jeu.

La France, est-elle prête à voir des femmes sur la scène musicale qui ne répondent pas aux nombreux mythes et fantasmes sur la femme musulmane ? Nos communautés sont-elles prêtes à nous soutenir ? Puis-je voir dans un futur proche, des femmes faire ce qu’elles veulent sans être condamnées par la société ? En attendant, on doit encore se battre pour nos droits, afin de pouvoir s’habiller comme on le souhaite, dire ce que l’on pense et faire ce que l’on veut, car une femme qui porte le hijab ça dérange, ça, je le sais.

Autrice : Jou RH

 

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Sortie LIVRE : A quoi ressemblerait l’islam si toutes ces femmes n’avaient pas été oubliées ? de Attika Trabelsi

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Dans le cadre de la sortie tant attendue du livre « A quoi ressemblerait l’islam si toutes ces femmes n’avaient pas été oubliées ? » de Attika Trabelsi, notre co-fondatrice ainsi que fondatrice de la nouvelle maison d’éditions FemmeusesLe livre est préfacé par la grande Malika Hamidi et illustré par l’incroyable Samah Arnouni.
Retrouvez son interview.

 

Q : Comment te présenterais-tu à nos lectrices et lecteurs ? 

Je suis Attika Trabelsi, j’ai 28 ans, je suis fondatrice de Power Our stories devenue Femmeuses, et co-fondatrice de l’association Lallab aux côtés de Sarah Zouak et Justine Devillaine. J’ai des identités plurielles. Je suis à la fois une femme franco-musulmane, une femme magrébine et féministe, car ça fait partie importante de ma réflexion. 

 

Q : Et tu es maintenant autrice ! 

Oui ! 

 

Q : Je crois que l’histoire de ton livre commence par la publication d’histoires de femmes musulmanes sur la page Facebook Power Our Stories. Comment t’est venue l’idée de ses portraits ? 

Très sincèrement, j’ai grandi dans un contexte où l’islam était central, mon papa est imam, l’islam était au cœur de mon éducation. J’ai énormément questionné ma spiritualité au cours de ces dernières années. J’essayais de savoir si mes croyances étaient le résultat de mon éducation. Plus je m’engageais dans le féminisme et dans la société civile, et plus cela a été un besoin de me poser des questions féministes et religieuses. J’avais la certitude également que je ne trouverai pas mes réponses en passant par la théologie.

Il m’est souvent arrivé d’invoquer, au sein de ma famille, Khadija, quand on a pu vouloir m’imposer des injonctions sexistes, qui sont sujettes à interprétation. Et Khadija m’a ainsi beaucoup aidé, pour toutes les questions de leadership ou d’entreprenariat. Ma réflexion est partie de là. Je me suis demandée s’il existait d’autres femmes, dans d’autres domaines comme les arts ou les sciences, qui pourraient m’aider, m’inspirer autant que Khadija l’avait fait. Ainsi, au début c’était une quête personnelle, et celle-ci m’a permis d’être apaisée. 

 

Q : Et là, tu publies un ouvrage avec 15 portraits ! Quel chemin parcouru ! Écrire un livre, peux-tu nous parler un peu de cette aventure ? 

C’était une réelle aventure pour moi car j’ai eu du mal à allier sereinement mon regard féministe et le message de l’islam tel qu’on pouvait me l’avoir appris. Que ce soit pour la publication des portraits sur Facebook ou pour mon livre, j’ai deux objectifs. 

Le premier est de créer un contre argumentaire face à des dérives cultuelles et culturelles présentes dans notre société. J’aimerais que ma fille, et les générations à venir, n’aient plus à subir ces dérives. Pour moi, il s’agit d’une réelle résistance à mettre en place, avec des outils, pour faire face à ces dérives qui nous peinent.

Le deuxième objectif était d’apporter des rôles modèles. En effet, c’est un message militant, libérateur, émancipateur et qui se veut inspirant à travers ce livre. La lutte, c’est bien, mais ça peut être épuisant. Ce livre se veut comme une inspiration pour ces femmes qui ont envie de s’inspirer. 

 

Q : L’annonce de la sortie de ton livre est allée de pair avec l’annonce de la création de ta propre maison d’édition, Femmeuses. Peux-tu nous en dire plus ? 

Dans le contexte sanitaire, cela a été dur de trouver une maison d’édition. Or dans la continuité de Lallab, je me suis dit que finalement, j’avais besoin d’une  maison d’édition, alors pourquoi pas en créer une ! La réappropriation de nos récits passe par la création d’outils et Dieu seul sait, peut-être que Femmeuses aura une autre utilité que la publication de ce livre, à l’avenir ! 

 

Q : Ton ouvrage s’intitule « A quoi ressemblerait l’islam si toutes ces femmes n’avaient pas été oubliées ?» Le titre de ton ouvrage interpelle ! Pour toi ces femmes ont été oubliées par l’histoire, par les musulmans c’est bien ça ? 

 

On peut classer les femmes dont je parle en trois catégories.  

Certaines femmes n’ont pas été oubliées mais leur histoire a été minimisée. Par exemple, pour Khadija, on parle très peu du fait qu’elle ait eu des enfants avant le Prophète (PSL) ou encore qu’elle ait été divorcée. Ses femmes sont réduites à des rôles de procuration : épouse de, fille de..

D’autres femmes sont totalement oubliées. Par exemple, c’est le cas de Arib.

Enfin, les dernières ont été discréditées. C’est le cas de Oum Waraqa. C’est la première femme qui a eu le statut d’imam. Les commentateurs vont tous aller dans le sens que le Prophète (PSL) l’a autorisée à prier comme imam chez elle uniquement. Moi, je me suis demandée, mais pourquoi alors Oum Waraqa aurait eu besoin d’un muezzin s’il s’agit uniquement de prier dans une maison ? Ainsi, selon moi, Oum Waraqa a pu diriger la prière dans el « dar », au sens de quartier, et non de maison. 

 

Q : Peux-tu nous en dire plus sur ces 15 portraits ? 

Le livre comprend 5 chapitres, dont chapitre évoque 3 femmes : 

  • Les pionnières : elles ont ouvert la voie 
  • Les conquérantes : elles ont joué un rôle sur un le volet militaire 
  • Les cheffes politiques 
  • Les artistes 
  • Les scientifiques 

J’ai choisi un argumentaire varié pour que mon livre serve à toutes les femmes. De plus, il y a une pluralité, qui reste relative parmi les portraits que j’ai choisi. En effet, vu que j’ai choisi de me focaliser sur les premiers temps de l’islam dans cet ouvrage, il n’y a donc pas de femme issue de l’Afrique subsaharienne.  

 

Q : Comment as-tu fait pour trouver des sources sur ces femmes ? 

Je ne maîtrise malheureusement pas assez l’arabe pour pouvoir chercher parmi ces sources-là. Parmi les sources en français, ça a été une catastrophe, je me suis donc tournée vers des sources anglophones. J’ai trouvé des sources pertinentes dans des livres trouvés sur des sites universitaires équivalents à Cairn . Je me suis également intéressée à l’ouvrage Sultanes oubliées : femmes chefs d’État en Islam, de Fatima Mernissi. Malgré mes recherches, certaines biographies reposent sur peu de sources, mais j’ai choisi de les présenter tout de même pour ouvrir la voie. 

 

Q : A qui recommandes-tu ton livre ? 

J’ai envie de dire que je le recommande aux femmes musulmanes, ce sont les premières concernées, car c’est en reprenant en main leurs corpus que les femmes musulmanes sauront faire face aux discriminations auxquelles elles font face et aux difficultés connues au sein de leur propre communauté. Il s’agit de redevenir leader au sein de nos communautés comme l’ont été les femmes avant nous. Le premier travail est un travail de leadership, de création, de réappropriation de la narration. Il s’agit d’avoir les moyens pour lutter.

 

NB : Le livre  « A quoi ressemblerait l’islam si toutes ces femmes n’avaient pas été oubliées ?» est en précommande en ce moment et sera livré, chez vous, à partir de début juin. 

 

 

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La place des femmes musulmanes face à l’emploi: Intervention de Fatiha AJBLI et Oumalkaire SULEMAN

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Lors du Lallab Day du 1er février 2020, Fatiha Ajbli et Oumalkaire Soulemane sont intervenues pour nous parler de la place des femmes musulmanes portant le voile face à l’emploi dans un contexte où elles sont stigmatisées et évincées de la société. Doctorante en sociologie, Fatiha Ajbli a fait une thèse en 2011 dans laquelle elle a travaillé sur les questions du fait islamique dans la structuration du récit national, notamment sur la façon dont les femmes musulmanes sont amenées à gérer la question de la visibilité religieuse au travail ainsi que sur les questions d’identité. Oumalkaire Soulemane sociologue et vice-présidente de Lallab, l’accompagne dans cette intervention en apportant de précieuses précisions.

 

L’expression religieuse en milieu professionnel: Un cadre législatif français imprécis

 

La liberté religieuse est admise comme une liberté fondamentale et consacrée par divers textes de référence sur la protection des droits de l’homme. Mais « dire qu’une liberté est fondamentale ne fait pas d’elle une liberté absolue » soutient Fatiha Ajbli car en effet, dans certaines circonstances elle peut subir des restrictions. Dans le droit du travail il y a une difficulté à maintenir l’équilibre entre deux intérêts parfois contradictoires qui sont le respect de la liberté religieuse du salarié et le respect de la liberté à l’employeur.se de diriger son entreprise. Sur la question du principe de neutralité, il y a une stricte séparation à établir entre le secteur public, dans lequel c’est une obligation qui annule la liberté d’expression religieuse et le secteur privé dans lequel la liberté religieuse des salarié.es est protégée. Cependant depuis que le port du voile fait l’objet de débat au sein de l’école, la question du principe de neutralité va également se poser au sein de l’entreprise. Dans l’affaire Dallila Tahri en 2002 et dans l’affaire de la crèche Baby Loup en 2013, des salariées ont été licenciées au motif qu’elles portaient le voile. À ce moment-là, huit projets de lois vont être déposés dans lesquels il y a une volonté d’introduire au sein de l’entreprise le principe de neutralité religieuse. En 2014 la société PAPREC va ainsi se doter d’une Charte de la laïcité et de la diversité qui prévoit la neutralité de l’expression religieuse donc l’interdiction pour les salarié.e.s d’exprimer leur appartenance religieuse.  En 2016, la loi El Khomri relative au travail va s’inspirer de cette charte en permettant aux entreprises de se protéger à travers un règlement intérieur avec la possibilité d’y introduire et d’y définir elles-mêmes le principe de neutralité en leur sein. En 2017, la Cour Européenne de Justice définit deux arrêts qui vont débouter deux salariées française et belge sur la question du port du voile au travail.

 

Un tournant est en train de se négocier selon Fatiha Ajbli dans lequel la frontière entre le public et le privé est en train de s’estomper. Bien que le Code du travail impose une obligation d’indifférence vis à vis de la religion de manière générale, on observe que c’est la visibilité musulmane qui est ciblée. « Vis-à-vis de cette recherche d’équilibre entre le principe de neutralité et la liberté d’expression religieuse le droit a plutôt basculer en faveur de la restriction que de la protection de cette liberté d’expression religieuse dans le travail » nous dit Fatiha Ajbli. En laissant le principe de neutralité à l’appréciation des recruteur.ses, la loi El-Khomri favorise la discrimination envers les personnes dont la religiosité est visible affirme Oumalkaire. Ce manque de clarté ne permet pas aux femmes musulmanes de s’appuyer sur le cadre légal pour se défendre. Le marché de l’emploi n’est pas « une île séparée du reste de la société » dit Fatiha Ajbli dans le sens où l’exclusion des femmes musulmanes en milieu professionnel est le reflet de l’exclusion qu’elles subissent dans la société. Il s’agit d’un déni de citoyenneté car c’est « leur empêcher l’appartenance au corps national » affirme Fatiha Ajbli. Selon l’opinion subjective des recruteur.ses, elle précise que l’entretien se fait parfois dans le couloir parce qu’il y a un filtrage avant l’entretien. Les contentieux liés au port du voile au travail concernent principalement les femmes musulmanes qui sont susceptibles de le porter au cours de leur carrière professionnelle puisque celles qui le portent déjà sont bloquées à l’entrée.

 

Le rapport des femmes musulmanes au marché du travail: impact et stratégies adoptées

 

Crédit photo: Zohra Krid pour Lallab

 

Les femmes musulmanes sont face à une impasse et donc confrontées à un dilemme : « choisir entre la liberté de travailler en tant que femme française ou la liberté de se voiler en tant que femme musulmane » nous dit Fatiha Ajbli puisque dans les faits, ces deux libertés ne semblent pas se conjuguer.

La plupart des femmes musulmanes inactives sont celles qui ont décidé de garder le voile pour travailler mais font l’expérience répétée de l’échec. Parmi les facteurs de l’inactivité des femmes musulmanes, il existe également l’auto-exclusion de ces femmes. Ayant intériorisé qu’elles n’ont pas leur place en tant que femmes musulmanes portant le voile dans le marché du travail, elles vont choisir des filières générales dans leurs études afin d’échapper au processus de sélection. Certaines vont également entrer très tôt dans le circuit matrimonial au sein duquel il y a des perspectives que le marché du travail ne leur offre pas. Elles entrent ainsi  « dans un calcul du coup d’opportunité de travailler » nous dit Fatiha Ajbli. Parmi les profils des femmes musulmanes actives, il y a les fonctionnaires, les communautaires, les indépendantes et les exilées.  Les fonctionnaires sont celles qui vivent avec la peur d’être démasquées et évitent donc de se familiariser avec leurs collègues. Elles sont motivées par l’idée que c’est leur inspiration professionnelle qui passe  avant le voile. Contrairement aux communautaires qui elles sont motivées par l’idée que c’est leur voile qui l’emporte sur leur inspiration professionnelle. C’est pourquoi elles décident de rester travailler au sein de la communauté mais elles sont souvent exploitées par les heures supplémentaires et faiblement rémunérées. Les indépendantes quant à elles vont être dans une démarche libérale ou vont créer leur propre entreprise mais la majorité d’entre elles se retrouvent enfermées dans des logiques ethniques. Pour ce qui est des femmes musulmanes exilées cela concerne celles qui sont très diplômées, principalement dans la recherche et qui ne trouvent pas en France de perspectives à la hauteur de leur qualification.

 

Certaines optent pour la résistance en allant jusqu’aux Prud’hommes, mais ceci demande une grande charge mentale pour affronter ce combat juridique. D’autres se résignent à l’abandon mais font face à de nombreuses conséquences sur leur santé. Et puis il y a celles qui choisissent l’adaptation, choix dans lequel leur identité musulmane est soumise aux appréciations de leurs collègues en s’oubliant elles-mêmes. La réorientation professionnelle est également une forme de résistance aux yeux de Oumalkaire parce qu’elles peuvent exister dans d’autres espaces si elles ne sont pas acceptées dans d’autres. Suite à une expérience traumatisante, ils y a des femmes qui vont s’extraire du marché du travail. Face à  l’angoisse qu’elles ressentent à l’idée de retourner dans la recherche d’emploi, elles vont se ressourcer dans leur spiritualité et leur cocon familial. En plus d’être une violence quant à leur existence, la discrimination qu’elles subissent nuit à leur sociabilité et leur mobilité.

 

 

Crédit photo: Zohra Krid pour Lallab

La discrimination que subissent ces femmes musulmanes va avoir un impact sur leur santé physique et mentale mais également sur leur trajectoire professionnelle. Par l’exclusion et le regard hostile des autres envers elles, ces femmes musulmanes sont renvoyées à une altérité, parfois même une déshumanisation. Elles sont perçues comme une menace pour l’entreprise, tel « un cheval de Troie qui viendrait infiltrer la tranquillité ou la productivité de l’entreprise » affirme Oumalkaire Soulemane. Pour celles qui vont choisir de continuer à travailler au sein des entreprises où elles ne se sentent pas bien, elles vont avoir des conséquences considérables sur leur santé telles que des modifications neuronales, un affaiblissement du système immunitaire, des maladies digestives ou encore des psychoses.  Le stress minoritaire dont elles sont victimes témoigne de la charge de cette stigmatisation et n’est malheureusement pas pris en compte ni par les professionnels ni par la médecine du travail. Oumalkaire Soulemane conclue l’intervention sur le fait que pour ces femmes musulmanes « le travail devient une survie au lieu d’une évolution ou une expérience professionnelle ».

 

De nombreuses réflexions émergent de cette brillante intervention, notamment celle de l’impact que la discrimination  a sur l’identité des femmes musulmanes. En effet, elles se retrouvent parfois contraintes de choisir entre leur identité française et leur identité musulmane alors que les deux sont complémentaires. Même si dans ses textes, la France « respecte toutes les croyances » et « garantit la liberté de culte », on peut clairement observer au sein de la société française une réelle atteinte à l’intégrité humaine.

 

Article écrit par Sana Arif

Crédit photo image à la une: Zohra Krid pour Lallab

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Femmes musulmanes et savoir religieux : à chacune sa quête et ses obstacles

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Œuvre de Hind Ben Jabeur « J’ai appris à tomber dans les profondeurs de mon propre puit, car c’est au fond de nous que l’eau est clairvoyante. » Jassem el Sahih

 

Il y a autant de rapports au savoir religieux qu’il y a d’êtres sur Terre. Ce rapport au savoir religieux, propre à chacun.e.s d’entre nous qu’on le questionne ou pas, est au cœur du Lallab Agora de cette année qui se penche ce semestre sur l’œuvre de Fatima Mernissi, Le harem politique : le prophète et ses femmes. La volonté de déconstruire en vue de se réapproprier le savoir religieux a motivé le travail de cette sociologue, musulmane et féministe marocaine aujourd’hui décédée, qui a lutté en toute bienveillance pour une autre version de l’Histoire dans une société patriarcale qui, en vue d’assujettir et d’assigner la femme à des rôles spécifiques, va faire mine de puiser dans la religion pour asseoir sa domination. Cet article s’intéresse à la quête du savoir religieux de femmes musulmanes, qu’elles soient Lallas ou non, que leurs cheminements soient conscientisés ou non.

 

« J’ai peur d’approcher les textes sacrés, j’ai peur de ne pas y trouver les réponses, peur de ne pas m’y retrouver. J’ai peur de ne pas comprendre, de me méprendre. » Anonyme.

 

« Je suis dans une phase depuis sept ans de méditation dans le sens où je me pose des questions là où je ne m’en posais pas. […] Depuis mon divorce, je suis dans un cheminement personnel. Ça a été un obstacle qui a renforcé ma foi. » Asna, 37 ans

 

En réalisant ces interviews, j’ai peu à peu réalisé à quel point le rapport au savoir religieux relevait de l’intime des femmes interrogées. Mes questions que je pensais lisses venaient toucher à l’intimité de leur éducation, de leur vie familiale, de leur corps, de leur cœur, de leur être et de leur quête. De ce fait, le témoignage livré en toute sincérité par ces femmes sera publié brut, sans volonté de le dénaturer ou de l’analyser. Afin de respecter l’anonymat de certaines d’entre elles, seuls des extraits sont ici partagés, de manière entremêlée.

 

 

 

« Je me sens seule face aux savoirs religieux. »

 

« Je choisis le mot « face » parce que mon éducation religieuse se fait essentiellement sur YouTube. Mais je me sens aussi sereine et légitime quand je questionne, pense, contemple, m’approprie des savoirs religieux. J’ai reçu ma religion en héritage. Je crois qu’en grandissant, j’ai compris la religion comme un ensemble de règles et de limites qui venaient entraver ma liberté. J’observais ces limites avec crainte. À ne surtout pas franchir ! Quand je posais des questions à des proches sur ce sujet, je sentais des crispations et une peur. Je suis la première génération née en France dans ma famille et je pense que quand je questionnais la religion, eux le vivaient comme si je questionnais leur culture. Mon point d’interrogation traçait soudain une frontière entre eux et moi, du moins, c’est ainsi que je l’interprète. Questionner le religieux revenait et revient toujours pour moi à questionner beaucoup plus que le religieux. Se trouve au tribunal de mon intellect et de mon cœur, mes identités culturelles, mon éducation, ma perception du temps, de l’amour, de la mort, de la vie, bref ma grille de lecture sur l’Univers. […] J’ai toujours intuitivement senti que se poser des questions était peut-être plus signifiant que les réponses que je pourrais trouver. » Lydia, 24 ans.

 

« Je ne sais pas où chercher et du coup, je demande à ma sœur. Je ne vais pas avoir la jugeote de chercher  parce que j’ai peur, c’est sacré, c’est important, ce n’est pas comme quand je regarde les trucs sur les people, ce n’est pas important, on s’en fou si c’est du fake news. » Inès, 28 ans.

 

« Aujourd’hui avec du recul, j’aurais aimé avoir des endroits où apprendre la science de la religion sans être taxée d’extrémiste. » Lamia, 34 ans.

 

« N’étant pas vraiment dans les normes de ce que devait représenter la bonne petite musulmane, j’avais du mal à m’identifier en tant que musulmane parce que j’ai tout le temps eu l’impression d’être une pécheresse. Je suis bi et je l’ai toujours su et ça a toujours été difficile en tant que musulmane. Ensuite, les premiers amoureux que j’ai eus étaient non-musulmans et on m’a toujours dit que je ne pouvais pas me marier avec un non-musulman. Ma nature profonde ne correspondait pas à ce qu’on pouvait attendre d’une bonne musulmane. Plus tard, c’est le fait de ne pas être pratiquante et d’être féministe aussi qui a été un obstacle à ma quête du savoir religieux. […] C’est le féminisme islamique qui m’a réconciliée avec le religieux. » Anonyme.

 

« Mon ex-mari m’a fait sentir que j’étais illégitime dans ma quête de savoir. En fait, c’est dû à son caractère, c’est quelqu’un de très fier.  Il ne connaissait pas trop la religion et il n’acceptait pas le fait que moi, qui suis française et plus jeune que lui, connaisse plus de choses que lui. Donc très souvent, il rejetait ce que je disais, en me disant : « Mais toi, qu’est-ce que tu connais… » » Nathalie, 34 ans.

 

« J’ai un rapport un peu ambivalent à ma solitude dans cette quête du savoir. De cette solitude naît une confiance en Dieu, en son attribut de Guide, d’Educateur, en mon habilité à réfléchir, à choisir, mais de cette solitude, naît aussi la peur de ne pas avoir les bons outils pour étudier.» Lydia, 24 ans.

 

 

 

« L’obstacle est dû à mon sexe. »

 

« Aujourd’hui, l’accent est plus mis sur les cours des hommes, donc les hommes ont une multitude de cours qui sont répartis dans la semaine, ils peuvent avoir cours en pleine semaine, le mercredi, le week-end et en soirée. Le deuxième public qui est visé, c’est celui des enfants. […] Donc pour les femmes, je trouve, pour avoir contacté différents instituts, qu’on a une offre qui est plus pauvre et c’est très dommage. Par exemple, j’ai dû quitter mon institut parce qu’ils proposent des cours de Coran le mardi matin et moi, ça m’a révoltée parce que le mardi matin entre les sœurs qui travaillent, qui sont étudiantes ou qui sont mamans, c’est juste impossible. Les hommes et les enfants sont prioritaires alors que nous aussi, on est en droit de vouloir apprendre notre religion et puis de la transmettre aussi selon notre capacité. » Fanny, 34 ans.

 

 « Je suis plus dans l’écoute, je ne cherche pas, j’écoute ce que dit ma mère, ma grand-mère. Pendant le ramadan, j’ai lu 40 pages du Coran. Parfois, je ne comprends pas les mots de la traduction. Ou des fois, je lis bêtement du coup, ça me saoule et j’arrête. Je n’aime pas lire, donc je préfère plus qu’on m’explique. Je comprends mieux les choses. Maintenant, je me pose des questions. J’ai remarqué que c’était toujours l’homme qui avait le droit à tout et pas la femme. Et à partir de là, je me suis dit pourquoi moi, j’aurais moins. Je suis sûre que si un jour je lis le Coran, je comprendrais autre chose parce qu’en fait, ce sont les hommes qui disent ce qu’ils ont compris et même pour ma mère, je me dis que ce sont aussi des hommes qui lui ont enseignés ce qu’elle sait. » Anonyme.

 

« Le savoir religieux me sert dans le sens où j’arrive à trouver les mots et les raisons de faire les choses. Je me sens moins musulmane par héritage. Je médite beaucoup, je me remets beaucoup en question. […] J’aime beaucoup l’ijtihad[effort de réflexion] dans le savoir. Le savoir est dominé par les hommes. Les hommes te soumettent directement, tu dois t’écraser. Mais si tu es une femme et que tu es prête, tu peux t’y mettre aussi.» Asna, 37 ans.

 

 

 

« Je ne lis pas l’arabe. »

 

« Mon rapport au savoir religieux a évolué d’un savoir traditionnel et culturel à un savoir plus approfondi parce que je me suis mise à chercher. […] Dans ma quête, il y a la barrière de la langue. J’ai appris l’arabe, mais je n’ai pas les armes pour décrypter le Coran. Même s’il y a la traduction, j’ai toujours le sentiment que je passe peut-être à côté d’une interprétation et il y a toujours cette petite chose en toi qui a peur de mal interpréter vu que le Coran est en langue arabe. », Lamia, 34 ans.

 

« Je ne lis pas et je ne comprends pas l’arabe littéraire. Je sens que je ne peux pas saisir la profondeur des mots dans le texte sacré, de leurs sens, de leurs réalités. Pendant longtemps, je me suis sentie loin du Coran. J’avais le sentiment de passer à côté du sens. Le Coran ne se lit pas comme un roman. Néanmoins, je crois profondément que le sens et les effets du texte sacré sur le cœur, l’intellect, l’âme, le corps ne peuvent pas être voilés par une traduction. » Lydia, 24 ans.

 

« Forcément, en étant convertie, j’ai dû apprendre ma religion, je n’ai pas grandi avec des modèles, avec des paroles rapportées qui peuvent être vraies comme fausses. […] J’ai beaucoup lu, j’ai beaucoup appris dans les livres. Dans les premiers temps, j’ai lu et j’ai cheminé avec une autre sœur qui venait de se convertir, qui avait beaucoup de savoirs. Et par la suite, je suis devenue une petite étudiante. Je me suis inscrite en cours d’arabe pour pouvoir lire et écrire, puis en cours de sciences religieuses. [L’Islam] est une religion de science et Allah nous demande de rechercher la science, de la comprendre, de l’appliquer, de la transmettre. En fait, c’est vaste, plus tu vas en cours, plus tu te rends compte que tu ne sais rien et qu’Allah sait tout. […] Ce savoir-là fait du bien au cœur, ça fait du bien à l’âme. Ça t’aide à te réformer. C’est quelque chose dont j’ai besoin, qui me fait le plus grand bien. » Fanny, 34 ans.

 

 

 

« Soif de savoir »

 

« Allah nous a ordonné « Iqra » qui veut dire « Lis“, alors j’étudie. » Lamia, 35 ans.

 

« Depuis quelques années, je suis toujours en soif de savoir. », Sabrina, 38 ans.

 

« Je suis née dans la religion musulmane, j’ai vu mes parents pratiquants, j’ai suivi cette méthode jusqu’à maintenant. Je ne découvre pas l’Islam. Depuis petite, je lis le Coran, même si ma compréhension a changé. Petite, je ne comprenais pas, je lisais, c’est tout. On apprend sans raisonner et en grandissant, on lit en comprenant les choses et en mettant les circonstances de chaque verset, ça aide de mettre les versets dans leur contexte. Et parfois, maintenant, je trouve des différences par rapport à nos coutumes que je ne retrouve pas dans le Coran. », Hayet, 61 ans.

 

« J’ai appris le savoir religieux de la vie, on m’a dit de ne pas voler, de ne pas mentir, de ne pas faire le haram [l’interdit], de prier, de jeûner. J’ai appris par moi-même. La religion, c’est dire bonjour, s’assurer que les gens autour de toi vont bien, donner l’aumône, ma mère donnait même des pommes de terre. Ce qu’elle trouvait, elle le donnait. Le savoir religieux, ce n’est pas que la prière, c’est le bon comportement, le bon rapport avec les voisins, prendre soin des gens âgés, c’est ce que j’ai appris. », Manoubiya, 78 ans.

 

« J’ai besoin d’aller vers le savoir religieux en groupe, en sororité, de manière accompagnée, portée par le collectif. J’ai choisi d’y entrer avec et par les femmes, en lisant, en étudiant des femmes et leurs analyses. J’aime aborder ce travail à la fois spirituel et historique dans la joie. […] Je retrouve ça chez Lallab, le Lallab Agora me donne un outil pour accéder au savoir religieux avec sororité et de manière plus sereine. Je n’ose pas encore aller à la source qui est le Coran, j’y vais à travers des femmes qui ont fait un travail de recontextualisation. Elles ont eu à faire aux mêmes interrogations que moi et j’espère qu’à terme, ça me fera aller vers la source suprême, le Coran. » Nawal, 35 ans.

 

 

Sara

 

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Femmes musulmanes dans l'histoire Portraits

Fatima Zahra : figure incontournable de l’Islam

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[Publié initialement le 9 mai 2019]
Aujourd’hui l’hommage rendu sera différent des précédents. Alors que jusqu’ici, nous tâchions de mettre en avant des modèles féminins peu connus, aujourd’hui le choix sera tout autre. En effet, la femme dont nous allons parler n’a ni été oubliée, ni été invisibilisée, elle est même d’ailleurs extrêmement appréciée par l’ensemble de la communauté musulmane, et pour certain.e.s, elle est un modèle.
Alors pourquoi vous en parlez ? Pourquoi une fois de plus la présenter ? Pour plusieurs raisons à vrai dire. Premièrement, car les présentations et mises en avant de rôles modèles féminins musulmans favorisant l’émancipation et la réclamation de plus d’équité et d’égalité sont encore trop peu nombreuses, y compris si les figures sont connues.
Deuxièmement, car partager l’histoire de cette femme, c’est rappeler à l’ensemble des femmes et plus spécialement aux femmes musulmanes que le respect de notre dignité n’est pas à troquer, n’est pas à quémander.

 

Vous l’aurez peut-être compris, aujourd’hui nous parlerons de Fatima Zahra, figure incontournable de l’islam. Elle participa activement à tous les développements majeurs survenus dans l’établissement de la nouvelle foi de l’islam.

Cependant, afin que l’on puisse ensemble se questionner, j’essaierai de vous parler de certains épisodes de sa vie peu commentés, et qui pourtant nous rappellent avec force l’importance du consentement et l’égalité dans la conjugalité.

Avant toute chose, il convient cependant de rappeler que l’importance que revêt la personne de Fatima Zahra diffère du sunnisme au chiisme.
Ayant pour ma part reçu une éducation sunnite, j’espère ne commettre aucun impair offensant à l’égard de la communauté chiite. En cas d’imprécisions, je tiens d’emblée à m’en excuser. Enfin, si approfondissements méritaient d’être apportés, je serais ravie de pouvoir les mentionner.

 

C’est parti, allons ensemble à la rencontre de Fatima Zahra !

 

Fatima Zahra fut la plus jeune des filles du prophète Muhammad (pbl) et de la grande Khadija. Elle naquit à La Mecque aux alentours de 614 dans la tradition chiite, et aux alentours de 606 dans la tradition sunnite, soit cinq ans avant que les 1ères révélations ne soient adressées à Muhammad (pbl). L’enfance de Fatima Zahra ne fut pas des plus faciles. En effet, dès ses plus jeunes années, elle fut éprouvée. Eprouvée par la perte de sa mère mais également par les multiples violences et repressions infligées par les Mecquois à l’ensemble des musulman.e.s des premiers temps.

C’est dans ce contexte que se développa entre Fatima Zahra et son père une relation d’amour et de complicité si fusionnelle que ce dernier la surnomma Umm Abeeha — « la maman de son père » — valant à Fatima Zahra d’être aujourd’hui un modèle de bonté et de sincérité.

Grand nombre d’écrits nous disent que Muhammad (pbl) voyait en elle son premier amour Khadija… et qu’elle voyait en lui le souvenir d’une mère partie trop tôt. Fatima Zahra était constamment auprès de son père; aussi puisait-elle en lui ses connaissances et son inspiration.

En 624, alors qu’elle était à Médine en compagnie de son père, elle reçut des propositions de mariage. N’ayant guère l’envie de quitter son foyer familial, Fatima Zahra rejeta les propositions sans aucune objection. Cette même année, celui qui deviendra son bien-aimé et le père de ses enfants vint également demander sa main. Il s’agissait d’Ali, fils de Abu Talib, oncle du Prophète (pbl). Agée d’environ 18 ans, Fatima Zahra accepta la demande et l’union fut ainsi scellée.

Pour subvenir à leurs besoins, Ali travaillait comme peintre et porteur d’eau, et Fatima Zahra comme broyeuse de céréales. La vie qu’ils menèrent ensemble fut simple et modeste, tous deux n’attachant que très peu d’importance aux richesses matérielles. C’est ainsi que ce couple est aujourd’hui encore souvent cité comme un exemple de modestie et de minimalisme. Ensemble, ils eurent deux garçons, Hassan et Husayn, et deux filles, Zaynab et Oum Kalthoum. Leurs enfants occuperont par la suite des rôles tout aussi stratégiques qu’eux.

En effet, ils seront notamment à l’origine des revendications et des batailles donnant naissance au chiisme quelques années plus tard. A la suite de la bataille de la Mecque en 630, Fatima Zahra et ses proches retourneront vivre à la Mecque, ville natale de cette dernière. Quelques années plus tard en 633, Fatima Zahra décédera, fruit du destin, quelques mois après son père.

Avant de conclure, j’aimerais partager avec vous l’un des épisodes de la vie de Fatima Zahra, qui est assez connu, mais sur lequel la réflexion reste souvent superficielle. Cet épisode m’a beaucoup fait réfléchir car, à mes yeux, il met clairement en lumière certaines ambiguïtés au sujet de la polygamie.

Après déjà plusieurs années de mariage, Ali exprima l’envie de prendre une seconde épouse. Chose que Fatima Zahra refusa. Voulant consulter l’avis de son père, elle lui expliqua la situation et les raisons de son refus. Il en résulta de la part du Prophète (pbl) une interdiction formelle à l’encontre de Ali d’aller au bout de son dessein.

Lorsqu’on y pense, ce simple épisode permet aujourd’hui de questionner la légitimité de la polygamie en islam, nous rappelant que le consentement est la norme.

L’an dernier, lors d’un repas de rupture du jeûne partagé avec des ami.e.s chiites, j’ai tout bonnement compris l’importance et l’amour que ces dernier.e.s portèrent à Fatima Zahra. En prenant le temps de les écouter me la conter, j’ai compris qu’elle était en somme pour eux la plus grande femme de tous les temps, qu’elle était le modèle de patience et de persévérance par excellence.
Cette importance est en réalité assez simple à expliquer. Fatima Zahra fut, d’une part, l’épouse du premier imam chiite Ali, et, d’autre part, la mère des deuxièmes et troisièmes imams — donc, par extension, l’ancêtre de tous les imams successifs.

Fatima Zahra fut une inspiration pour les personnes de son temps. Elle l’est encore aujourd’hui et le sera certainement encore demain.
Retenons notamment que son nom fut à l’origine de la dynastie des Fatimides, dynastie ayant régné de 909 à 1171, et qui prétendait en être les descendant.e.s.
En somme, l’histoire de Fatima Zahra ainsi que le comportement adopté par cette dernière sont des grilles pour une meilleure compréhension de notre religion.

Fatima Zahra fut une femme qui su imposer le respect de sa dignité. Son histoire nous prouve une fois de plus que l’Islam permet aux femmes de revendiquer la justice, l’égalité et l’équité qui leur sont de fait autorisées.

 

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Femmes musulmanes dans l'histoire Portraits

Nusayba B. Ka’b Al Ansariyya : l’épée de l’inclusion

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[Article publié initialement le 6 mai 2019]
Durant ce mois de ramadan, #Lallab soutient le merveilleux projet Power Our Stories, créé par notre co-présidente Attika Trabelsi.
Attika relève le défi de vous faire voyager à travers l’histoire de 30 femmes musulmanes ayant grandement contribué au développement et à l’essor de l’islam.
Des femmes si importantes qui furent pourtant pour la grande majorité oubliées, invisibilisées ou bien même discréditées.
Mais si ces femmes ont existé, si elles ont coexisté, si elles ont gouverné, alors elles viennent faire voler en éclat les images et rôles auxquels certain.e.s tenteraient de nous assigner, nous femmes musulmanes.
Les mettre à l’honneur, c’est questionner, c’est revendiquer plus d’équité, plus d’égalité !

Il est des rôles qui aujourd’hui semblent comme par nature et par disons le aussi construit et acquis social revenir aux hommes. Pourtant, l’histoire que je vais vous raconter va nous rappeler avec force que l’assignation d’un genre à un rôle n’est pas chose naturelle. En effet, l’histoire que je m’apprête à vous conter se déroule en Arabie du VIIème siècle. Elle est celle d’une femme musulmane aux multiples facettes, aux multiples rôles, aux multiples visages. Elle est celle d’une femme qui fut mère, épouse, compagnonne du Prophète (Paix et bénédictions sur lui). Elle est celle d’une femme dévouée, portée par une croyance profonde en ses valeurs, celle d’une femme persévérante, combattante et inspirante. Cette femme, c’est Nusayba B. Ka’B Al Ansariyya, connue également sous le nom de Umm Ammara. Figure militaire, figure religieuse mais aussi figure féministe des 1ers temps de l’islam, Nusayba fait partie de ses femmes qui nous rappellent l’importance du rôle politique, religieux et social qu’ont pu et dû jouer les femmes musulmanes d’antan.

Avant de vous conter l’histoire de cette femme fascinante plus en détail, j’aimerais vous rappeler l’importance que revêt le travail de production et de réappropriation des savoirs, le travail de (ré)écriture de l’histoire sous le prisme féminin. En effet, si cet article vous est partagé aujourd’hui, c’est avant tout grâce au travail incroyable que mène un certain nombre de femmes depuis des années. Des femmes musulmanes ou non en quête d’émancipation, en quête de sens et de réponses, en quête de justice. Ces femmes sont convaincues que le message de l’Islam est émancipateur et instaure l’équité des droits et devoirs entre les hommes et les femmes au sein de la société. Elles luttent ainsi quotidiennement en ce sens à travers leurs productions et leurs écrits. Ainsi, j’aimerais mentionner le travail réalisé par ces femmes m’ayant permis de collecter les informations nécessaires à la rédaction de cet article à l’image des travaux réalisés par l’incroyable magazine féministe américain Muslim Girl mais également par la professeure en sciences islamiques à l’université d’Oxford, Elisabeth Kendall.

Ensemble embarquons pour un voyage dans le temps, laissons nous embarquer à la rencontre de l’incroyable Nusayba.

Membre de la tribu des Najjar, Nusayaba fit partie des premiers.es converti.e.s de l’islam dans la ville de Médine. Son soutien sans faille, son intelligence, sa bravoure et son courage lui valurent d’être l’une des compagnonnes renommées parmi les illustres compagnons du Prophète Muhammad (pbl). Cette place occupée par Umm Ammara nous rappelle avec force les liens de confiance, de bienveillance, de proximité qui régnaient alors entre les femmes et les hommes au sein de Médine au VIIème siècle mais également le respect mutuel que les un.e.s éprouvaient pour les autres. De par son maniement de l’épée et du bouclier, ses connaissances religieuses et ses questionnements précurseurs, Nusayaba devraient être un modèle à suivre pour chacun.e d’entre nous. Dans un grand nombre de chroniques, les responsabilités notamment militaires de cette dernière nous invite à voir l’engagement sans faille et la contribution que certaines femmes ont pu avoir dans les années stratégiques et fondatrice de cette nouvelle religion qu’était l’Islam. C’est souvent comme guerrière ayant fait sacrifice de sa vie et de celle de sa famille par amour pour le Prophète (pbl) qu’Umm Ammara est présentée. En effet, c’est lors de la bataille de Uhud en 625, bataille opposant les musulman.e.s aux Mecquois que Nusayaba s’est révélée. Lors de cette bataille, voyant que le Prophète Muhammad (pbl) étant en difficulté, cette dernière est personnellement venue combattre à ses côtés tenant ainsi en déroute un grand nombre d’opposants, sauvant par la même occasion la vie du Messager (pbl). A la suite de cette bataille, le Prophète (pbl) en personne lui demanda de l’assister sur un certain nombre d’autres batailles, faisant ainsi d’elle l’un.e de ses gardes du corps. Cependant, bien qu’elle ait combattu au côté du Prophète (pbl) de l’Islam à plusieurs reprises, Nusayba ne peut être réduite à ce seul rôle militaire comme certains aimeraient de l’assigner ; Umm Ammara est en réalité bien plus.

Ses connaissances au-delà d’être militaires sont aussi religieuses et philosophiques. En effet, elle était aussi une femme de savoir, faisant partie de celles et ceux qui s’intéressaient de près aux révélations coraniques, étudiant, apprenant et se questionnant sur le sens des versets ainsi nouvellement révélés. De ce fait, Nusayaba fut la première femme d’entre tous les croyants et croyantes à se questionner sur la notion d’inclusion dans les versets du Coran révélés jusqu’alors. Alors que les premiers versets ne faisaient référence qu’aux hommes, Nusayba se rendit un jour auprès du Prophète (pbl) et lui demanda pourquoi le Coran ne faisait référence qu’aux hommes mettant ainsi tout un pan de la communauté musulmane de côté : les femmes. Quelques temps après, les futures révélations transmises au Prophète (pbl) s’adressèrent tant aux hommes qu’aux femmes. Ce verset en fait référence : « Les musulmans et les musulmanes, les croyants et les croyantes, les hommes pieux et les femmes pieuses, les hommes sincères et les femmes sincères, les hommes patients et les femmes patientes, ceux et celles qui craignent Dieu, ceux et celles qui pratiquent la charité, ceux et celles et observent le jeûne, ceux et celles qui sont chastes, ceux et celles qui invoquent souvent le Nom du Seigneur, à tous et à toutes, Dieu a réservé Son pardon et une magnifique récompense. » Coran 33.35

Cet épisode aujourd’hui peu relaté semble pourtant essentiel. Umm Ammara aurait-elle donc été à l’origine d’une certaine conscientisation de la place des femmes dans les écrits du Coran ? Cette interrogation soulevée par Umm Ammara et la réponse qui lui fut apportée par le divin révèle la dimension inclusive que l’islam tend à offrir à l’ensemble des croyants et tout particulièrement des croyantes. La légitimité et les réflexions ayant découlées des questionnements formulés par Nusayba, femme du VIIème siècle se présentent comme un pied de nez historique. Lorsque l’on sait qu’à son époque, ses propos furent écoutés et entendus avec dignité et respect, il est fascinant de faire le parallèle avec la violence et le rejet frontal auquel nous femmes féministes faisons face aujourd’hui lorsque nous tentons de faire accepter une vision inclusive dans nos sociétés contemporaines.

Qu’on ne s’y trompe pas, cet article n’a pas pour but de faire l’apologie de la guerre ou d’une quelconque violence. Aussi étonnant que cela puisse paraître, durant mes recherches, je suis tombée sur un nombre important de vidéos, articles ou blogs utilisant la compagnonne Nusayba comme argument au devoir de participation des femmes à une pseudo “guerre sainte” qui serait menée au nom de l’Islam. Cet article a pour unique objectif de rendre hommage à une femme aux multiples talents afin de nous rappeler qu’à travers l’histoire et le développement de l’Islam, de nombreuses femmes nous ont ouvert la voie pour la construction d’une société plus juste et inclusive. Cela nous montre qu’énormément de femmes ont joué des rôles politiques, religieux et militaires importants et stratégiques. Rendons donc hommage à cette femme qui, au-delà d’être une “simple” guerrière est avant tout un modèle de persévérance, de détermination et de justice.

Crédit image à la une : Houda Damouch, designer et architecte d’intérieur, artiste peintre de formation et de passion. « J’aime à dire que l’art peut s’exprimer de bon nombre des manières, cultiver son être avec minutie et patience comme on cultiverai une fleur délicate est aussi un art. Je me passionne aussi pour le savoir, celui qui nourrit le corps et l’âme, celui qui réforme l’esprit par la sagesse »

Son compte insta : @houdhouda_
Sa page Facebook : /D.sign.HD

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(Dé)construction

Femmes musulmanes et santé mentale

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Au moment délicat de la transition entre l’adolescence et l’âge adulte, j’ai eu un moment de remise en question et de mal-être. Je me sentais un peu perdue dans mon identité. J’étais comme déchirée entre deux univers qui semblaient ne jamais vouloir se rejoindre. J’avais d’une part mon quotidien de jeune fille musulmane, élevée dans une famille très pratiquante et spirituelle et de l’autre, ma vie d’étudiante en histoire de l’art. En dehors de mon cercle familial, je ne côtoyais aucun musulman. Pas par choix, uniquement parce que je n’en avais pas autour de moi au lycée ou à la fac. Mon identité musulmane relevait donc uniquement du domaine du domestique et du cercle familial, elle ne rejoignait pas mon identité “politique”. J’utilise le terme politique non pas pour sa notion d’engagement, mais plutôt pour son étymologie grecque : la polis, la cité, soit l’identité que l’on projette dans la société.

 

Je ne cachais pas ma foi musulmane, tout le monde était bien sûr au courant, j’en parlais quand c’était à propos ou qu’on me questionnait, sans plus. N’étant ni racisée, ni ne portant le voile, j’avais un bon “passing”. J’utilise cette terrible expression propre à la transidentité car elle témoigne bien de l’obsession qu’a notre société à vouloir gommer ce qui lui semble hors norme. Si je me permets ce parallélisme un peu douteux, c’est que l’on m’a déjà répondu en apprenant que j’étais musulmane : “Ah bon ?! Mais ça se voit pas !”.

 

Sur les conseils de notre médecin de famille, une femme musulmane, je suis allée voir un psychologue qu’elle m’a recommandé. Un homme blanc, la cinquantaine et athé. Je réalise maintenant à quel point cette entreprise était périlleuse. Comment pouvait-il vraiment me comprendre et se mettre à ma place ? Ce n’est pas pour rien qu’il y a des psychologues spécialisés dans le multi-culturalisme.

 

Lors des premières consultations, je lui parlais de certains aspects de l’éducation musulmane traditionnelle dans lesquels je ne me reconnaissais pas et qui me pesaient lourdement. Je ressentais également énormément de culpabilité envers mes parents. Je trouvais en effet leur foi et leur piété exceptionnelles et j’avais honte de ne pas être à leur niveau, de ne pas ressentir toujours ce même élan spirituel. Je ne réalisais pas alors que la foi n’est pas forcément innée et qu’elle peut même être la quête de toute une vie.

 

Je confiais donc à ce psychologue ma difficulté à me positionner en tant que jeune adulte, avec une identité musulmane qui semblait ne pas trouver sa place à l’extérieur. Je ne me souviens pas vraiment de ses réponses. À l’exception d’une phrase que je n’oublierai jamais : il m’a dit sans détour que l’islam n’avait pas encore connu son “siècle des lumières”. Pour lui, il n’y avait dès lors pas de raison de se tourmenter sur comment vivre cette identité musulmane car de toute façon, elle était à rejeter ou du moins à largement relativiser, relevant d’un obscurantisme crasseux…

 

Le nombre de fois où je ressasse des événements passés en me disant que j’aurais vraiment dû répondre à une offense et remettre une personne à sa place… Je peux le mettre sur le compte de ma fragilité et de mon jeune âge, mais quoi qu’il en soit, complètement estomaquée, je n’ai sur le coup rien trouvé à lui répondre .

 

Que connais-tu de l’islam ? De sa spiritualité ? De son histoire ? Comment te permets-tu de juger ainsi ma religion ? Ce dédain ne te semble-t-il pas au contraire aggraver davantage mon mal-être ? Penses-tu vraiment que j’avais besoin en plus d’une couche d’islamophobie ? Que fais-tu de ton empathie et de ton professionnalisme ?

 

J’ai bien sûr arrêté d’aller le voir, moi qui puisais dans mes maigres économies d’étudiante pour aller le consulter en cachette. En cachette oui, car comme dans bon nombre de familles musulmanes, suivre une psychothérapie est taboue. Je dois bien avouer que sur le coup, cette expérience m’a conforté dans cette méfiance. Au final, j’ai payé cher pour simplement avoir à disposition une personne à qui raconter tout ce que j’avais sur le cœur, mais on ne peut pas vraiment dire que c’était une oreille attentive.

 

Le temps aidant et en menant ma propre introspection, j’ai commencé à mieux me connaître et à pouvoir rassembler les facettes éparses de ma personnalité. Ce qui m’a le plus aidé au final, a été de m’ouvrir à mes parents sur tous ces questionnements, de leur faire part de mes craintes et de ce mal-être. J’ai évacué ma honte, mes doutes et j’ai même abordé des sujets très tabous. À ce moment de ma vie, c’est eux en réalité qui pouvaient me comprendre et m’aider mieux que quiconque.

 

Ma grande chance a été que mes parents se sont montrés très compréhensifs et que nos échanges ont permis de dénouer de nombreux nœuds, en plus de créer de nouveaux liens. Je l’avoue, j’ai été étonnée par leur tolérance et j’ai alors réalisé que parfois nous sous-estimons nos parents et n’imaginons pas qu’ils puissent changer d’avis. Certes, leurs principes sont pour eux inaliénables et ils nous les inculquent avec conviction. Mais face à un enfant qui confie sincèrement ses souffrances, ils peuvent par amour accepter une variante à un concept qui leur semblait jusqu’à présent immuable. Je sais bien que j’ai une relation privilégiée avec mes parents et que la communication n’est pas évidente dans toutes les familles. Mais j’ai également remarqué ce phénomène autour de moi, notamment à travers les expériences de proches qui ont été agréablement surprises de la réaction de leurs parents qu’elles imaginaient plus intransigeants. J’utilise le féminin car bien entendu, les pressions sont plus fortes sur les filles quant à leur éducation.

 

Durant notre existence, les phases de mal-être que nous pouvons expérimenter sont souvent le fait de facteurs extérieurs (discriminations, relation abusive, etc.) mais elles peuvent aussi provenir de nous-mêmes. Elles peuvent être générées par le fait de ne pas arriver à vivre en adéquation avec ce que nous estimons comme étant notre véritable identité, ou de justement avoir du mal à la définir. Il y a forcément des pressions extérieures qui s’exercent sur cette difficulté à trouver son équilibre intérieur, mais dans ce cas, nous sommes l’actrice principale et pouvons affronter le problème de front. Avec beaucoup de patience, d’indulgence et de réflexion, nous pouvons transformer le négatif en positif, car nous avons la matière, nous sommes la matière.

 

 

 

Article écrit par Ines Geoffroy

Crédit image à la une: Ismail Zaidy

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(Dé)construction

Quelle place pour les Femmes musulmanes dans la production et transmission des savoirs religieux ? Partie 3

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Tisser les fils de la mémoire collective et lire dans le silence de nos sources

Retrouvez ici la partie 1 et la partie 2 de cet article
Quelle fut la place des femmes musulmanes dans la production et la transmission des savoirs religieux ? Dans quelle mesure ont-elles participé à la transmission des ahadiths (paroles et actes rapportés du Prophète Mohammed), quel rôle ont elle joué dans les processus de raisonnement juridiques (fiqh), dans l’enseignement et la gestion des écoles religieuses, mais aussi dans la guidance spirituelle ? Quelles étaient les spécificités de leurs contributions ? Comment peut-on identifier et lire les sources historiques pertinentes ? Comment lire dans le silence des sources textuelles, et faire ressortir la voix et l’expérience de ces femmes dans textes majoritairement écrits par des hommes ? Que nous disent les efforts intellectuels de ces femmes musulmanes sur notre époque et notre rôle dans la production et la transmission des savoirs religieux.

 

Les limites dans la transmission des savoirs

Dans les parties précédentes, j’ai abordé quelques exemples des façons dont les femmes musulmanes ont contribué dans la production et la transmission des savoirs religieux en tant que muhadithates (transmetteuses de hadith), faqihates (juriste, savante en fiqh), muftiyates (donnaient des opinions juridiques), wa’izates (prédicatrices) et sufiyyates (guides spirituelles) dans la période prémoderne des sociétés islamiques (7e siècle jusqu’à la fin du 18e siècle). Quelles sont les limites de cette brève description ?

Tout en contrastant les lectures orientalistes du rôle des femmes dans les sociétés musulmanes, il faut garder un esprit critique et noter quelques limites :

• La plupart des femmes que j’ai cité faisaient partie des classes supérieures, d’une élite intellectuelle, et étaient pour la grande majorité filles de savants et d’éminents juristes.

• La période que j’ai couverte est une époque où les sociétés musulmanes étaient fondées sur des structures sociales profondément inégalitaires, en termes de classe, mais qui reposaient également sur l’esclavage. Les savoirs produits et transmis par les hommes et les femmes des classes populaires ainsi que par les musulman.es réduites à l’esclavage ne sont pas pris en compte dans ces sources textuelles ; à l’exception des exemples d’esclaves affranchis comme Rabi’a.

• Aussi, si les femmes que j’ai citées pouvaient enseigner dans les maisons, les rues et les mosquées ; elles restaient cantonnées au milieu informel. A quelques exceptions près, elles n’ont pas occupé de positions officielles auprès des institutions juridiques ou politiques.

 

Quelles leçons en tirer pour notre époque ?

Etant donné que leurs compétences et autorité scientifique étaient respectées, l’exclusion des femmes dans ces positions n’étaient pas due à un interdit religieux ou à un rejet sociétal, mais bien à des logiques de pouvoir et de domination patriarcale. Ces logiques de domination perdurent jusqu’aujourd’hui dans les institutions étatiques et religieuses, et bien évidemment cela va au-delà des contextes musulmans.

On peut se demander donc :

• Si les femmes dans les sociétés musulmanes prémodernes pouvaient répondre aux critères très exigeants de production et de transmission du savoir religieux, et même exceller dans ce domaine ; et s’il n’existe aucun interdit religieux pour qu’elles étudient, interprètent, transmettent, prêchent aux hommes et aux femmes ;

• Pourquoi la présence des femmes et leur leadership dans les sphères religieuses islamiques posent elle problème aujourd’hui ?

• Pourquoi l’héritage qui nous est transmis se concentre uniquement sur la piété, l’obéissance et la pudeur des femmes du prophète et des sahabiyates, et

• Pourquoi n’est-il jamais fait mention de ces femmes érudites, de leurs débats constructifs avec les autres savants, de leurs désaccords, de leur leadership etc… ?

 

Lire dans le silence des sources textuelles pour faire ressortir la voix des femmes

Comment devons-nous appréhender ces sources, ces biographies majoritairement écrites par des hommes, et comment pouvons-nous faire ressortir la voix et l’expérience des femmes de ces textes androcentrés ?

Pour apporter quelques éléments de réponse à cette question je me repose sur les travaux de Omaima Abou-Bakr, et notamment son article Rings of Memory où elle pose la question de l’invisibilité textuelle des femmes dans cette histoire documentée par des hommes. Les autres travaux sur le sujet que je vous conseille de lire sont ceux Leila Ahmed et de Mohja Kahf.

Crédit photo : Capture de la vidéo sur les Muhaddithat réalisée par Norhayati Kaprawi 

Il faut savoir que les mêmes questionnements ont été soulevés par des historiennes féministes spécialisées sur le Moyen-âge en Europe comme Ruth Evans. Comment penser les liens entre l’Histoire et l’historiographie, la réalité et la représentation. Ruth Evans parle par exemple de « ventriloquie » (ventriloquism) et met l’accent sur le rôle joué par les auteurs, masculins, ces ventriloques, dans la construction sociale des femmes dont ils relatent les faits, faits qui sont des représentations biaisées de la réalité.

Lorsque l’on explore ces sources, il faut donc garder à l’esprit les limites :

• Les descriptions des femmes dans les dictionnaires bibliographiques sont souvent brèves et les auteurs, des hommes, ont sélectionné ce qu’ils considéraient importants pour la postérité, comme le caractère moral, la piété etc.. ;

• Ces auteurs ne s’intéressaient pas aux questions d’émancipation des femmes ni au rôle joué par le genre dans l’accès à l’éducation et au savoir ;

• Enfin ces sources ne prennent pas en compte les préoccupations des femmes, leur vie quotidienne et leur routine, éléments que l’on ne peut que deviner en lisant dans le silence des sources, ou en faisant un travail de recherche dans l’histoire orale.

Il faut donc se poser plusieurs questions en appréhendant ces textes :

• Quelle représentation de la femme en question est véhiculée et est-ce que cela correspond à la réalité? (en comparant avec d’autres écrits et en prenant en compte les facteurs historiques, leur milieu social etc..)

• Qui sont les auteurs et en quoi l’image qu’ils peignent de cette femme peut servir les objectifs et les représentations véhiculés par leur environnement socio-historique ?

En d’autres termes ces sources textuelles nous informent sur la construction sociale et culturelle mais ne peuvent pas être considérées comme des représentations exactes des réalités vécues par ces femmes.

Pour Omaima Abou-Bakr, les œuvres conservées, même écrites par des hommes, sont une source d’information inestimable. Il faut néanmoins renverser la dynamique, de textes écrits sur les femmes à des textes écrits par les femmes. Pour cela elle suggère de creuser dans la mémoire écrite et orale, pour créer ce qu’elle appelle une « visibilité textuelle » des femmes musulmanes dans l’Histoire.

Rendre la visibilité textuelle aux femmes du passé est essentielle pour ré-affirmer la légitimité des femmes musulmanes aujourd’hui, à participer dans la transmission et la production de savoirs religieux. Je vous invite donc à lire ces sources à la lumière de nos contextes actuels, afin de tisser les fils de la mémoire collective entre les générations du passé et celles du présent.

Conclusion

Enfin, je ne pouvais pas finir cette intervention sans évoquer mes héroïnes contemporaines, celles sans qui je n’aurai pas été dans la mesure d’aborder ce sujet aujourd’hui, Omaima Abou Bakr, Mulki-Al Sharmani, Ziba Mir-Hosseini, Zainah Anwar, Jana Rumminger, amina wadud, Marwa Sharafeldin, Hala Al Karib, Zahia Jouirou, Asma Lamrabet et toutes les autres femmes avec qui j’ai la chance de travailler au quotidien à Musawah, mais également d’autres figures qui m’inspirent dans leurs écrits telles que Fatima Mernissi, Mohja Kahf et bien d’autres.

Je pense aussi à ces femmes qui aujourd’hui investissent les sphères du savoir religieux, notamment au réseau de savantes indonésiennes, ALIMAT qui a lancé pour la première fois, un majliss de fatwas émises par des femmes pour les femmes.

Pour finir, je souhaite aussi rendre hommage à toutes les femmes qui m’entourent, à mes grand-mères qui bien qu’elles ne soient pas lettrées sont des puits de sagesse et de savoir, à cet héritage oral transmis par nos mères, par nos tantes, par nos sœurs de sang mais aussi nos sœurs de lutte, héritage que nous nous efforçons de nous réapproprier et que nous devons valoriser au titre de savoirs légitimes. Car comme le dit Amina Wadud, « Our experiences matter, our lived realities matter » : nos expériences comptent, nos réalités vécues comptent.

Références :

– Al-Sa’di, Hoda, and Omaima Abou-Bakr. al-Mar’a wa-al-hayat al-diniyya fi al-‘usur al-wusfa (Women and Religious Life in the Middle Ages) Cairo: The Women & Memory Forum, 2001.
– Ahmed, Leila. Women and Gender in Islam: Historical Roots of a Modern Debate. New Haven: Yale University Press, 1992.
– Abou-Bakr, Omaima. “Rings of Memory: “Writing Muslim Women” and the Question of Authorial Voice.” In: The Muslim World, 2013, 103: 320-333
– Dryer, Elizabeth “Whose Story Is It? The Appropriation of Medieval Mysticism,” Spiritus: A Journal of Christian Spirituality, 4, no. 2 (2004), 151–172: 151.
– Evans, Ruth, and Lesley Johnson, eds. Feminist Readings in Literature. London and New York: Routledge, 1994.
– Kahf, Mohja. “Braiding the Stories: Women’s Eloquences in the Early Islamic Era”, in Windows of Faith, ed. G. Webb (New York: Syracuse University Press, 2000), 147-171:159.
– Lapidus, Ira M. A History of Islamic Societies. Cambridge: Cambridge University Press, 2014.
– Ruys, Juanita. “Playing Alterity: Heloise, Rhetoric, and Memoria,” in Maistresse of My Wit: Medieval Women, Modern Scholars, eds. L. D’Arcens and J. Ruys (Turnhout: Brespols Publishers, 2004), 211–235: 212.
– Scott, Joan. “Gender: A useful Category for Historical Analysis.” American Historical Review 91, no.5 (1986): 1053-75.
– Spellberg, Denise. « History Then ,History Now: the Role of Medieval Islamic Religio-Political Sources in shaping the Modern Debate on Gender. » In Sonbol, Amira (ed.). Beyond the Exotic: Women’s Histories in Islamic Societies. Cairo: The American University in Cairo press 2005. pp. 3-14
– Rhoded, Ruth. Women in Islamic Biographical Collections: From Ibn Sa ‘d to Who’s Who. Boulder and London: Lynne Rienner Publications, 1994. Introduction. pp. 1-14, Conclusion, pp. 135-141
Article écrit à partir de l’intervention de Sarah Marsso à l’occasion du festival féministe Lallab Birthday #2 qui, pour fêter les deux ans de Lallab le 6 mai 2018, célébrait les héritières.

Crédit Photo Image à la une : Gathering de Farsaneh Faris Moayer

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Diffuse la bonne parole

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(Dé)construction

Quelle place pour les Femmes musulmanes dans la production et transmission des savoirs religieux ? Partie 2

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Tisser les fils de la mémoire collective et lire dans le silence de nos sources

La première partie de cet article a été publié ici 
Quelle fut la place des femmes musulmanes dans la production et la transmission des savoirs religieux ? Dans quelle mesure ont-elles participé à la transmission des ahadiths (paroles et actes rapportés du Prophète Mohammed), quel rôle ont elle joué dans les processus de raisonnement juridiques (fiqh), dans l’enseignement et la gestion des écoles religieuses, mais aussi dans la guidance spirituelle ? Quelles étaient les spécificités de leurs contributions ? Comment peut-on identifier et lire les sources historiques pertinentes ? Comment lire dans le silence des sources textuelles, et faire ressortir la voix et l’expérience de ces femmes dans textes majoritairement écrits par des hommes ?Que nous disent les efforts intellectuels de ces femmes musulmanes sur notre époque et notre rôle dans la production et la transmission des savoirs religieux.

 

La réémergence des femmes savantes (cheikhas)

On assiste à une réémergence des femmes cheikhas, savantes religieuses, au milieu du 9e siècle. Après plus de 250 années de silence, comment peut-on expliquer ce renouveau ? Les historiens et historiennes avancent trois raisons principales. Tout d’abord, les nouveaux développements dans les sciences religieuses et notamment la consolidation des corpus de hadith dans les Sahih (Bukhari et Muslim) ont permis d’assouplir les critères d’accès et de participation à ces sciences. Ensuite, l’acceptation de la transmission écrite (et non orale) des ahadiths a également facilité la participation des femmes car elles n’avaient plus besoin de partir en voyage, de faire des rihlas pour récolter les narrations. Enfin, c’est le système de transmission intrafamilial de ces sciences au sein de grandes familles de savants qui a permis aux femmes faisant partie de cette élite intellectuelle d’avoir accès à ces connaissances au même titre que les hommes.

Ces femmes qu’on a appelé les muhadithates étaient des expertes dans le domaine des ahadiths et de leur interprétation. Récemment l’auteur Muhammad Akram Nadwi a publié une encyclopédie de 57 volumes sur les muhadithates depuis les premières décennies de l’Islam jusqu’au temps contemporain. Si son ouvrage est une source d’information incommensurable, l’auteur reste malheureusement assez factuel et n’offre pas d’analyse historique et notamment pas de perspective genre. D’autres auteures l’ont fait, dont Omaima Abou Bakr, Jonathan Berkey et  Hoda Al Saada.

On peut lire dans les biographies de ces femmes savantes les détails sur la nature de leur travail, leur milieu social mais également leurs méthodes d’enseignement et les environnements mixtes dans lesquels elles évoluaient, ce qui est un élément intéressant à prendre en compte lorsque l’on pense à la façon dont les sciences islamiques sont enseignées aujourd’hui…

L’enseignement dans les sociétés islamiques prémodernes se déroulait de manière informelle au sein de cercles d’étude (majliss al ‘ilm) dans les mosquées, parfois même dans les rues ou les places publiques dans les grandes villes. Les savants et savantes donnaient des conférences publiques et les individus intéressés se rassemblaient autour de ces personnalités pour apprendre, et disséminer à leur tour les connaissances acquises.

Les étudiants participaient à un majliss jusqu’à ce qu’ils aient jugé avoir acquis ce dont ils avaient besoin, puis ils se dirigeaient vers un autre majliss pour acquérir d’autres connaissances. On peut voir que le processus à l’époque était plus flexible, et plus démocratique en un sens qu’aujourd’hui. Enseigner dans un majliss n’était pas une chose aisée, car avant de débuter les étudiants évaluaient l’enseignant en posant plusieurs questions précises pour tester ses connaissances. Ce processus d’évaluation et de sélection intransigeant s’appliquait également aux femmes, et leur présence dans ce domaine prouve leur haute qualification. Il faut également noter que leurs compétences ne se limitaient pas à la transmission de hadith, mais s’étendaient également à la maîtrise des règles juridiques (ahkam), l’histoire, la logique, l’éthique et la philosophie.

Une fois l’enseignante jugée compétente, la méthode d’enseignement suivait un processus très précis, où dans un premier temps les étudiants devaient écouter (sam’), puis réciter ce qui a été mémorisé (qira’a), et enfin faire preuve d’esprit critique et écrire leurs commentaires, pour que l’enseignante puisse lui donner une certification (ijaza). Et c’est notamment à travers ces ijazas que l’on a pu découvrir que de nombreuses femmes ont donné des certifications à de grandes figures de la tradition musulmane.

Donner des ijazas n’était pas à la portée de tout le monde, il fallait remplir des critères stricts de légitimité et de précision intellectuelle, ainsi qu’être reconnu comme autorité savante par ses contemporains. Critères exigeants que remplissaient de nombreuses femmes ; comme le montre le fait que le grand juriste et théologien Ibn Hajar a cité 53 femmes auprès desquelles il a étudié, tandis que Al- Sakhawi mentionne avoir obtenu des ijazas, des certifications auprès de 68 femmes.

Leadership religieux et spirituel

Parmi ces muhhadithates on peut citer Shaykha Shuhda bint Aúmad bin al-Faraj (12e siècle) qui était connue sous le nom de fakhr a nisa (la fierté des femmes) et qui donnait de grandes conférences publiques à la mosquée de Bagdad. L’historien ibn Khaliqan dans son livre wafiyat al a’ian (volume 5) témoigne que de nombreux savants ont étudié auprès d’elle, qu’à elle seule elle attirait un public très large, des plus jeûnes aux plus âgées ce qui atteste de sa stature et de sa notoriété. L’exemple de Shaykha Shuhda prouve également que les femmes étaient autorisées d’enseigner dans les mosquées, devant de grandes assemblées et qu’elles n’étaient pas confinées à l’enseignement dans leurs maisons.

On peut également citer l’exemple de Aicha bint Ali Bin Mohammed Bin Nasarallah, qui était une savante hanbalite (1359-1436 14/15e s), qui a enseigné à de nombreux imams, et qui était une experte reconnue de la sira (biographie du prophète) mais également des outils du fiqh (analyse juridique). Aicha a été amenée à voyager d’Egypte à la Palestine pour transmettre ses connaissances à de grandes figures savantes contemporaines.

Une autre caractéristique intéressante qui ressort de ces biographies, ce sont les titres que l’on a donné à ces femmes. Dans son ouvrage Materials on Muslim Education, Arthur Stanley Tritton mentionne les titres de « Sitt al-wuzara » (La grande dame des ministres), ou de « Sitt al fuqaha » (La grande dame des juristes). Certaines d’entre-elles se sont même vues donner le titre de « dhat riyasa », de leader, ce qui voulait dire qu’elles étaient l’autorité suprême sur une spécialité, titre qu’elles obtenaient après avoir remporté un débat public avec d’autres savants experts en la matière. (Makdisi, Rise of Colleges).

Malheureusement, la plupart des travaux écrits de ces femmes savantes sont perdus, et nous avons connaissance de leur existence qu’à travers la mention des titres de leurs ouvrages par leurs étudiants et leurs contemporains. Ceux-ci évoquent par exemple que leurs enseignantes ont pu écrire des questions de fiqh (masa’il fiqhiya), des opinions juridiques (fatawas), des interprétations et commentaires (ta’aliq wa shuruh). On note aussi parfois la mention qu’un savant aurait compilé des travaux pour telle ou telle personnalité, ce qui nous indique que c’étaient les hommes scribes qui étaient chargés de préserver et compiler les opinions juridiques des femmes.

Crédit Photo : Capture de la vidéo sur les Muhaddithat réalisée par Norhayati Kaprawi 

Nous retrouvons également des traces dans les correspondances épistolaires entre les savants et savantes pour échanger des informations, des opinions mais également pour débattre de problématiques scientifiques et religieuses. Al Sakhawi par exemple a compilé ses correspondances avec Fatima (1451) la fille du juge Kamal al-Din Mahmud, leur relation était amicale, ils échangeaient des anecdotes personnelles, des poèmes qu’ils critiquaient mutuellement, mais également des opinions juridiques (fatawas). Ce qui montre que leurs échanges étaient placés sur un pied d’égalité.

Certains historiens ont avancé que l’autorité de ces femmes était restreinte par leur incapacité d’interagir directement avec les étudiants hommes, c’est le cas notamment de Jonathan Berkey dans son ouvrage Women and Islamic Education. Mais les exemples que j’ai cité de correspondances et d’enseignement dans les mosquées contredisent cette hypothèse.

Un autre contre-exemple est la pratique de ce qu’on appelait des « Mujawara », lorsque des voyageurs, hommes ou femmes s’installaient aux alentours des lieux saints (la Mecque, Médine ou Jérusalem) pour vivre une vie de piété et de méditation. Lorsque les premières madrassas (écoles) sont nées, beaucoup se sont installées autour de ces voyageurs (mujawirun) pour qu’ils transmettent leurs savoirs. Dans leurs compilations Ibn Hajar et Al Sakhawi mentionnent que des femmes figuraient parmi les mujawirun, et qu’elles interagissaient avec les hommes. Certaines femmes étaient également connues pour leur prêches, comme Taj al-nisa’ bint rustum bin tabi al raja al- Asbahani  (1504) qui avait le titre de « Shaykhat al –haram » c’est-à-dire le titre officiel de savante de la grande mosquée de la Mecque.

Enfin, de nombreuses femmes ont choisi la voie mystique soufie, les ‘abidates ou sufiyyates.  Abu Abd al-Rahman al-Sulami (936-1021) a écrit un dictionnaire bibliographique sur ces femmes soufis, (dhikr al-niswa al-muta’abbidat al sufiyyat), on retrouve également des traces de leur présence dans les commentaires des exégèses coraniques (tafsirs) ou dans les poèmes. Aziza Ouguir montre dans ses recherches que les savants issus de la tradition mystique soufi des sociétés islamiques prémodernes ne distinguaient pas les hommes des femmes, qu’ils considéraient comme leurs égales aux yeux de Dieu. Aussi les écrits de Ibn Arabi et de Ibn Taymiyya attestent que ces femmes avaient occupé des postions de leadership religieux et étaient reconnues pour leur piété et sagesse.

Une des figures les plus célèbres est celle de Rabia al Adawiyya (720-801), esclave affranchie originaire de Basra, en Iraq, qui a alimenté pendant des siècles et alimente encore les enseignements soufis, et notamment à travers ses poèmes relatant son amour inconditionnel pour Dieu. Rabi’a a refusé les maintes demandes en mariage qu’on lui a faite. Elle a réussi à dépasser les catégories sociales dans lesquelles on enfermait les femmes, elle n’était en effet, ni épouse, ni esclave ni en dessous de quelconque autorité masculine, la seule autorité à laquelle elle se soumettait était Dieu, un être non genré.

Il existe évidemment bien d’’autres femmes mystiques soufi moins connues ; Fatima de Nishapur, Fatima de Cordoba, Aicha de Damas, et de nombreux auteurs ont consacré des ouvrages à ce sujet, je vous conseille notamment les travaux sur les femmes mystiques musulmanes de Azad Arezou.

SUITE DE L’ARTICLE 

Retrouvez la suite de cet article « Quelle place pour les Femmes musulmanes dans la production et transmission des savoirs religieux ? ci-dessous :

Partie 3/3

 

Références :

– Al-Sa’di, Hoda, and Omaima Abou-Bakr. al-Mar’a wa-al-hayat al-diniyya fi al-‘usur al-wusfa (Women and Religious Life in the Middle Ages) Cairo: The Women & Memory Forum, 2001.
– Al-Sakhawi, Muhammad b. ‘Abd al-Rahman. Al-Daw’ al-Lami’ li-Ahl al-Qarn al-Tasi’. Cairo: Maktaba al-Qudsi, 1936.
– Al-Sulami, Abu ‘Abd al-Rahman. Dhikr al-Niswa al-Muta’abbidat al-Sufiyyat (Mention of worshipping mystic women), ed. M. M. al- Tanahi (Cairo: al) Hai’a al-misriya al-‘amma lil-kitab, 1999).
– Al- Zarkashi, Muhammad b. Bahadur. Al-Ijaba li-Irad ma Istadrakathu ‘Aisha ‘ala al-Sahaba. Beirut : al-Maktab al-Kutubal-‘Ilmiya, 2000.
– Azad, Arezou. “Female Mystics in Medieval Islam: The Quiet Legacy.” In: Journal of the Economic and Social History of the  Orient, 2013, 56: 53-88.
– Berkey, Jonathan. The Transmission of Knowledge in Medieval Cairo: A Social History of Islamic Education. Princeton, NJ: Princeton University Press, 1992. Chapter 6. pp. 161-181.
– Ibn Hajar al-‘Asqalani, Ahmad b. ‘Ali. al-Durar al-Kamina fi A’yan al-Mi’a al-Thamina. Cairo: Dar al-Kutub al-Haithda, 1966. Ibn Sa’d, Muhammad. Kitab al Tabaqat al Kabir, Leiden: E.J. Brill, 1904_18.
– Lapidus, Ira M. A History of Islamic Societies. Cambridge: Cambridge University Press, 2014.
– Makdisi, George. The Rise of Colleges. Edinburgh University Press, 1981.
– Norhayati Kaprawi, October 2018. Video on Muhaddithat : https://www.youtube.com/watch?v=dKX8cmWOxr8&feature=youtu.be
– Ouguir, Aziza. 2013. Female Religious Agents in Morocco: Old Practices and New Perspectives.
– Spellberg, Denise. « History Then ,History Now: the Role of Medieval Islamic Religio-Political Sources in shaping the Modern Debate on Gender. » In Sonbol, Amira (ed.). Beyond the Exotic: Women’s Histories in Islamic Societies. Cairo: The American University in Cairo press 2005. pp. 3-14
– Sayeed, Asma. “Women and Hadith Transmission: Two Cases from Mamluk Damscasus.” In: Studia Islamica, 95, 2002: 71-94
– Sayeed, Asma. Women and the Transmission of Religious Knowledge in Islam. Cambridge: Cambridge Univeristy Press, 2013. Sonbol, Amira. 1996. The New Mamluks: Egyptian Society and Modern Feudalism. New York: Syracuse University Press, 2000.
– Tucker, Judith. In the House of Law: Gender and Islamic Law in Ottoman Syria and Palestine. Cairo: American University in Cairo Press, 1999

 

Article écrit à partir de l’intervention de Sarah Marsso à l’occasion du festival féministe Lallab Birthday #2 qui, pour fêter les deux ans de Lallab le 6 mai 2018, célébrait les héritières.

Crédit Photo Image à la une : Capture de la vidéo sur les Muhaddithat réalisée par Norhayati Kaprawi

 

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Diffuse la bonne parole

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(Dé)construction

Quelle place pour les Femmes musulmanes dans la production et transmission des savoirs religieux ? Partie 1

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Tisser les fils de la mémoire collective et lire dans le silence de nos sources

 

Aujourd’hui nous célébrons ces femmes qui nous ont précédées, les combats qu’elles ont menés, les traumatismes qu’elles ont surmontés, mais surtout les sagesses qu’elles nous ont transmis, de génération en génération, une source immatérielle, créatrice et inépuisable de savoir qui est trop souvent passée sous silence. Ce sont ces voix étouffées, ces savoir-faire et savoir être rendus invisibles par des siècles de domination patriarcale, que j’aimerai rappeler à nous, et notamment l’héritage des femmes dans la tradition musulmane.

 

Quelle fut la place des femmes musulmanes dans la production et la transmission des savoirs religieux ? Dans quelle mesure ont-elles participé à la transmission des ahadiths (paroles et actes rapportés du Prophète Mohammed), quel rôle ont elle joué dans les processus de raisonnement juridiques (fiqh), dans l’enseignement et la gestion des écoles religieuses, mais aussi dans la guidance spirituelle ? Quelles étaient les spécificités de leurs contributions ? Comment peut-on identifier et lire les sources historiques pertinentes ? Comment lire dans le silence des sources textuelles, et faire ressortir la voix et l’expérience de ces femmes dans des textes majoritairement écrits par des hommes ? Que nous disent les efforts intellectuels de ces femmes musulmanes sur notre époque et notre rôle dans la production et la transmission des savoirs religieux.

 

L’émancipation des femmes musulmanes n’est pas née avec le colonialisme et les Etats nations modernes.

J’ai choisi de me concentrer sur la période prémoderne des sociétés musulmanes, c’est-à-dire depuis la mort du Prophète (PSL) dans la seconde moitié du 7e siècle jusqu’à la fin du 18e siècle, car c’est au cours de cette période que se sont construites, approfondies et consolidées les sciences religieuses islamiques telles qu’on les connait aujourd’hui. Contrairement à l’imaginaire façonné par les stéréotypes orientalistes, les femmes ont occupé des rôles et positions clés dans les sociétés islamiques prémodernes, et elles n’étaient pas toutes passives et cloîtrées dans des harems. La réflexion autour de l’histoire oubliée de ces femmes a fait l’objet de nombreuses études, de la part d’historiens et historiennes tels que Amira Sonbol, Leila Ahmed ou Jonathan Berkey

Ces travaux remettent en cause le postulat moderniste selon lequel les femmes n’ont pu et ne peuvent atteindre une pleine et véritable émancipation qu’à travers la modernisation dans toutes ses formes et ses manifestations. Ce postulat est problématique car il a ancré dans la conscience collective que l’émancipation des femmes musulmanes est née avec le colonialisme occidental et les Etats nations modernes. Aussi, il nous ramène au binarisme typique du paradigme orientaliste qui oppose la tradition à la modernité ; modernité qui serait synonyme de progrès.

Ainsi, les travaux historiques récents ont démontré la présence active des femmes musulmanes dans la sphère publique au cours de cette période, qui s’étale sur près de dix siècles, et notamment dans les domaines religieux et spirituels, en tant que muhadithates (transmetteuses de hadith), faqihates (juriste, savante en fiqh), muftiyates (donnaient des opinions juridiques), wa’izates (prédicatrices) et sufiyyates (guides spirituelles).

Avant d’explorer quelques exemples, il est tout d’abord important de noter ici la rareté et la dispersion des sources historiques sur la vie de ces femmes. Ainsi les historiens et historiennes qui travaillent sur ce sujet se sont essentiellement reposés sur les dictionnaires biographiques de l’époque, qui servaient à documenter la vie des grandes figures religieuses et politiques, y compris les figures féminines. Il existe de nombreuses compilations telles que Tabaqat de Ibn Sa’d (845), Siyar A’lam al-Nubala’ de al-Dhahabi (1348), al-Durar al-Kamina de Ibn Hajar al-Asqalani (1448) ou al-Daw’ al-Lami’ de Muhammad Shams al-Din al-Sakhawi (1428- 1497). L’information récoltée sur les femmes est souvent très brève et concise, et il faut donc être attentive aux détails de la narration ainsi qu’au ton du narrateur, et nous aborderons cela à la fin de mon exposé, comment lire entre les lignes et combler les lacunes lorsqu’il ne s’agit pas de HIStories mais de HERstories.

Les Sahabiyates

Dans son ouvrage, Women and the transmission of religious knowledge in Islam, Asma Sayeed identifie quatre phases historiques, en ce qui concerne la place des femmes musulmanes dans la transmission du savoir religieux.  La première phase est celle des premières décennies qui ont suivi la Révélation, où les femmes du prophète ainsi que les Sahabiyates – les femmes compagnones ont transmis leurs connaissances en ligne directe du Prophète Mohammed (PSL)

Ces femmes étaient des figures respectées et des sources prolifiques de savoir, dont l’autorité et la légitimité étaient notoirement reconnues par les musulmans de l’époque. Il n’existe pas de liste définitive des compagnons et compagnones du prophète, mais Ibn hajar cité précédemment a documenté 1545 femmes sur les 12304 compagnons. Certaines d’entre-elles sont très connues, d’autres moins. On peut citer bien évidemment les femmes du Prophète, qui non seulement furent source d’autorité pour témoigner des faits et gestes du Prophète, mais dont leurs propres comportements et préférences furent également considérés comme faisant partie de la Sunna.

Aicha et Umm Salama sont celles qui furent les plus actives, Aicha ayant transmis entre 1500 et 2400 ahadiths, et Umm Salama entre 175 et 375 ahadiths. De nombreuses biographies font l’éloge des compétences multiples de Aicha, dont par exemple Abu Nu’aym al-Isbahani dans son ouvrage Hilyat al-awliya qui raconte que non seulement Aicha excellait dans la transmission des hadiths, dans son esprit critique et son interprétation qui relève du fiqh, mais qu’elle était également reconnue pour ses compétences médicinales, sa maîtrise de la poésie et que son opinion était valorisée sur la gestion des affaires de la cité.

Aussi il est intéressant de noter que les ahadiths rapportées par les femmes du prophète ne se limitaient pas aux relations conjugales, Aicha a transmis des ahadiths sur la pureté rituelle, les prières surérogatoires, le jeûne, le pèlerinage, l’héritage mais aussi sur l’eschatologie. Aicha a également plusieurs fois fait figure d’autorité pour corriger les contradictions d’autres compagnons lorsqu’ils rapportaient des faits du prophète qui ne correspondaient pas avec sa personnalité, (débats qui furent compilés par Al-Zarkashi) elle a notamment corrigé à plusieurs reprises les paroles rapportées par le compagnon Abu Hurayra. Je vous conseille à ce sujet de lire l’ouvrage de Fatima Mernissi, Le Harem politique (1987) qui consacre tout un chapitre au rôle joué par ce compagnon dans la transmission de points de vue misogynes.

Les opinions juridiques de Aicha n’étaient pas toujours acceptées mais sa présence et sa prestance étaient telles que les compagnons ne pouvaient pas lui tenir tête, ainsi par exemple elle a permis aux enfants nés hors mariage de pouvoir diriger la prière – s’ils en avaient les compétences requises- et elle a également permis aux femmes de faire leur pèlerinage sans mahram (tuteur masculin) tant que celles-ci étaient assurées de leur sécurité.

Ce sujet est comme vous pouvez l’imaginer extrêmement riche, et je ne peux donc que vous inviter vivement à lire les ouvrages qui relatent la vie et les positions de Aicha, mais également de Um Salama, des autres épouses du prophète, ses tantes et cousines, et notamment sa tante Fakhita bint Abi Talib (um Hani) qui a rapporté 30 ahadiths, et des sahabiyates, Asma bint Abi Bakr, Lubaba bint al-Harith, Umm Ayman etc..

Les grandes discordes (fitna)

La deuxième phase est celle de la fin du 7e et du 8e siècle. C’est une période avec un contexte politique difficile, où vont se succéder trois « grandes discordes », ce qu’on a appelé des fitna c’est à dire les premiers affrontements, rivalités de pouvoir et divisions entre les musulmans.

Durant cette période, qui est aussi celle de la conquête et de l’expansion du monde musulman sous les dynasties omeyyades et abbasides, la transmission des ahadiths et le savoir religieux furent utilisés à des fins politiques et pour poursuivre des intérêts claniques et personnels. Cette manipulation des sources a poussé à la professionnalisation de cette discipline et à l’établissement de critères stricts pour déterminer la validité du savoir transmis.

Parmi les critères requis figuraient l’acuité juridique, la formation linguistique, la possibilité d’avoir des interactions directes avec les enseignants, et la possibilité de faire de long et pénibles voyages (rihlas) pour récolter et vérifier les narrations. Comme la plupart des femmes ne pouvaient pas remplir ces conditions et concurrencer leurs homologues masculins, leur participation dans la transmission du savoir a considérablement chuté sur à peu près deux siècles.

 

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Retrouvez la suite de cet article « Quelle place pour les Femmes musulmanes dans la production et transmission des savoirs religieux ? ci-dessous :

Partie 2/3

Partie 3/3

 

Références :

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– Al-Sakhawi, Muhammad b. ‘Abd al-Rahman. Al-Daw’ al-Lami’ li-Ahl al-Qarn al-Tasi’. Cairo: Maktaba al-Qudsi, 1936.
– Al-Sulami, Abu ‘Abd al-Rahman. Dhikr al-Niswa al-Muta’abbidat al-Sufiyyat (Mention of worshipping mystic women), ed. M. M. al- Tanahi (Cairo: al) Hai’a al-misriya al-‘amma lil-kitab, 1999).
– Al- Zarkashi, Muhammad b. Bahadur. Al-Ijaba li-Irad ma Istadrakathu ‘Aisha ‘ala al-Sahaba. Beirut : al-Maktab al-Kutubal-‘Ilmiya, 2000.
– Ahmed, Leila. Women and Gender in Islam: Historical Roots of a Modern Debate. New Haven: Yale University Press, 1992.
– Berkey, Jonathan. The Transmission of Knowledge in Medieval Cairo: A Social History of Islamic Education. Princeton, NJ: Princeton University Press, 1992. Chapter 6. pp. 161-181.
– Ibn Hajar al-‘Asqalani, Ahmad b. ‘Ali. al-Durar al-Kamina fi A’yan al-Mi’a al-Thamina. Cairo: Dar al-Kutub al-Haithda, 1966. Ibn Sa’d, Muhammad. Kitab al Tabaqat al Kabir, Leiden: E.J. Brill, 1904_18.
– Lapidus, Ira M. A History of Islamic Societies. Cambridge: Cambridge University Press, Makdisi, George. The Rise of Colleges. Edinburgh University Press, 1981.
– Sayeed, Asma. Women and the Transmission of Religious Knowledge in Islam. Cambridge: Cambridge Univeristy Press, 2013.
– Sonbol, Amira. 1996. The New Mamluks: Egyptian Society and Modern Feudalism. New York: Syracuse University Press, 2000.

Article écrit à partir de l’intervention de Sarah Marsso à l’occasion du festival féministe Lallab Birthday #2 qui, pour fêter les deux ans de Lallab le 6 mai 2018, célébrait les héritières.

Crédit photo : Montage effectué par l’autrice à partir des couvertures de ouvrages cités

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