Hind Ayadi : Une décoratrice sociale au courage immense

par | 9/04/18 | Portraits

Hind a créé en 2008 l’association Espoir et Création. L’objectif de l’association ? “Reprendre possession des lieux de vie à travers l’expression artistique avec la participation et le consentement des habitants”. Issue moi-même de banlieue parisienne, j’ai connu des quartiers et des établissements scolaires pas toujours entretenus et souvent déprimants. Lorsque l’on m’a parlé de Hind et de son projet, j’ai tout de suite été enthousiasmée par son association. Rencontre avec cette personne courageuse pour qui la décoration est un moyen de lutte sociale.

 

Hind est née de parents marocains immigrés en France et a grandi à Garges-lès-Gonesse. À travers sa mère qui fait des travaux manuels à la maison, elle commence à s’intéresser à la décoration.

Je ne connaissais pas le métier de décoratrice quand j’étais adolescente. Quand je suis allée voir la conseillère d’orientation, je lui ai dit que je voulais aider les gens et que les métiers d’avocate ou d’assistante sociale m’intéressaient.

 

Malheureusement, la conseillère d’orientation l’envoie vers un BEP secrétariat. Elle continue alors dans cette voie et s’oriente vers un bac pro secrétariat pour “être une charge en moins pour les parents”. S’enchaînent alors des boulots alimentaires, jusqu’à ce qu’une amie la motive à suivre des cours de décoration par correspondance. Sans surprise, elle a d’excellentes notes et obtient un diplôme sans trop de difficultés. Ce diplôme lui donne plus de “crédibilité” pour chercher un emploi dans ce domaine.

Elle commence par décorer les appartements de ses amies, puis le restaurant de son frère, et avec le bouche-à-oreille, son activité de décoratrice commence. Malgré tout, il lui manque le côté humain. La vocation sociale qu’elle avait dès son adolescence ne s’est pas éteinte. C’est là qu’elle décide de donner ses compétences au service des autres… mais elle se confronte vite à des barrières administratives éprouvantes.

J’ai voulu commencer par la décoration de foyers sociaux qui hébergent des mères isolées. On m’a ri au nez quand j’ai présenté mon projet. On m’a dit “Les jeunes du quartier ont besoin de soutien scolaire, pas de déco ! » Pourtant, c’est important d’être bien chez soi et heureux·se de vivre là où on est. Je ne me sens pas bien dans un endroit bordélique. 

 

Malgré les difficultés, elle persiste et parvient à lancer son projet. L’association propose différents ateliers de loisirs créatifs très divers : récupération d’objets ou de meubles, pâtisserie, couture, jardinage, … À travers ces activités, elle établit un lien profond avec les habitant·e·s du quartier :

Nos ateliers, c’est de la “déco-thérapie” : c’est un prétexte pour faire sortir les habitant·e·s de chez eux et rompre l’isolement. Il y a beaucoup de familles monoparentales, de retraité·e·s, de personnes handicapées… Les ateliers nous permettent de discuter de leurs problèmes. 

Crédit : Espoir et Création

 

Elle a aussi un lien très fort avec les jeunes des quartiers, qu’elle implique dans d’autres types de projets : elle leur a trouvé des rôles de figurant·e·s dans la série Plus belle la vie, les a invité·e·s sur des tournages de longs métrages…

Je suis issue de la génération 80. À l’époque, il n’y avait rien dans les quartiers. J’ai voulu donner aux jeunes ce que j’aurais aimé y voir à l’époque. 

 

Ils·elles ont aussi créé un webzine il y a deux ans, Urban Street Reporter, où des étudiant·e·s en journalisme, des jeunes en service civique et des volontaires mènent des interviews, des débats et des micro-trottoirs.

Les jeunes du quartier ont plein de choses à dire, mais ce sont des gens à qui on ne donne pas la parole dans les médias traditionnels. Alors on s’est dit : prenons la parole sur Internet ! 

 

Hind les a aussi déjà emmené·e·s faire des maraudes avec d’autres associations, ou distribuer des cadeaux de Noël auprès d’enfants de la DDASS : ce fut un choc pour beaucoup d’entre eux·elles qui ont réalisé la chance qu’ils·elles avaient.

 

Crédit : Espoir et Création

 

L’engagement associatif de Hind est ponctué de nombreux moments difficiles mentalement et physiquement.

La mort d’un jeune du quartier en 2012 a été éprouvante, pour moi et les habitant·e·s du quartier. Les jeunes meurent parce qu’ils ne font rien.
J’ai ramené 30 jeunes et fait des allers-retours à un forum des métiers, pour qu’ils se trouvent un travail. Aucun n’a été pris.
 

Crédit : Espoir et Création

 

 

Son souvenir le plus fort au sein d’Espoir et Création est sans conteste l’anniversaire des 10 ans de l’association, qui a réuni tous les membres.

 
Il y avait plus de 200 personnes, j’étais entourée d’ami·e·s, de bénévoles, des gens tous très différents. C’est un environnement bienveillant et plein d’amour ; si ce projet a réussi, c’est grâce aux humains derrière. 

 

La spiritualité a une part très importante dans la vie de Hind, en la guidant dans ses valeurs.

On a tou·te·s une mission sur Terre : celle de faire du bien, d’être utile à notre voisin·e… Tu n’arrives pas sur Terre juste pour être là. On peut tou·te·s aider quelqu’un.
La femme musulmane n’est pas forcément la femme soumise que l’on imagine. Je suis entourée de plein de femmes musulmanes pleines d’ambitions, dans le milieu associatif, humanitaire ou dans l’entreprenariat. 

 

Elle rêve de continuer à avoir la force de faire ce qu’elle fait plus longtemps, et surtout de transmettre ses valeurs à la nouvelle génération.

Dans l’association, j’ai tout vu : des mères qui ont perdu leur enfant, des enfants qui ont perdu leurs parents, des dealers, des jeunes qui veulent partir en Syrie… J’ai fait un burnout en 2015. J’espère avoir la force de continuer et de transmettre aux jeunes mes valeurs associatives: être là pour son prochain, prendre soin des autres, ne pas perdre espoir, ne jamais lâcher l’affaire, s’entraider. Ma plus grande fierté, c’est de voir cette passation chez les bénévoles : ce sont les jeunes d’avant qui transmettent ces valeurs aux plus jeunes. 

 

En discutant avec Hind, j’ai été très émue par son parcours. Malgré les embûches et les difficultés, elle a fini par réaliser son choix de vie d’adolescente : allier sa passion pour la décoration et l’envie de vouloir aider les autres. Personne ne croyait en elle, mais elle a réussi à lancer son projet et a créé trois emplois au sein de son association : un vrai modèle et une source de fierté !

 

J’ai envie de finir ce portrait par une parole de Hind qui m’a donné beaucoup de force et qui, je l’espère, vous en donnera aussi :

On se met nos propres barrières : « Je suis arabe, je suis issu·e des quartiers : je ne vais pas réussir ». C’est vrai qu’on a plus de difficultés, mais il ne faut surtout pas accepter la fatalité et être défaitiste ! Il faut se battre et viser toujours plus haut ! 

 

 

Espoir et Création organise des ateliers dans toute l’Île-de-France. Si vous recherchez un service civique ou si vous souhaitez vous-mêmes animer un atelier au sein de l’association, ils·elles seront ravi·e·s de vous accueillir !

 

Credit image à la une : Capture d’écran Youtube – Gala de la Femme Africaine 

 

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