Catégories
(Dé)construction

Le Sénégal, point de départ d’une lutte engagée et féministe contre l’excision.

[vc_row][vc_column][vc_column_text]

[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column width= »2/3″][vc_column_text]
Sénégal, février 2019.
Mon retour au Sénégal pour la deuxième année consécutive s’inscrit encore une fois dans une démarche personnelle de recherche, d’introspection. Une démarche qui m’a conduite vers la fin de mon périple en mai, à me rendre à Kolda, dans le Sud du Sénégal. Une expérience inattendue et enrichissante pour interroger cette pratique qu’est l’excision.
En guise de première approche, il m’a fallu me réapproprier la définition de ce terme ainsi que les causes et conséquences sous – jacentes de cette pratique.

 

L’excision, un type de mutilations sexuelles parmi d’autres

Pour commencer, j’ai découvert que l’excision n’est en réalité qu’un type de mutilations sexuelles féminines parmi d’autres.  Au Sénégal, le terme d’excision est employé de manière générique pour désigner les formes de mutilations sexuelles féminines existantes. Là – bas, ces mutilations se caractérisent par l’ablation du clitoris, des petites lèvres ou l’infibulation. Elles n’intègrent pas l’ablation des grandes lèvres. Ces informations contextuelles permettent d’identifier trois types de mutilations sexuelles féminines :

  • Type 1 : ablation du clitoris
  • Type 2 : ablation du clitoris + ablation des petites lèvres
  • Type 3 : ablation du clitoris +ablation des petites lèvres + infibulation

Quelque soit le type de mutilation subie, les jeunes filles excisées, à court/moyen/long terme, portent les séquelles de cette pratique. A court terme, peu de temps après leur excision, certaines souffrent  d’urines et/ou de règles douloureuses. A moyen terme, leur paroi vaginale peut encore porter les traces d’une mauvaise cicatrisation due à l’excision ou encore présenter des chéloïdes vulvaires (boursoufflure disgracieuse) empêchant un rapport sexuel. Enfin, à long terme, des complications se présentent  généralement ; d’une part, lors de rapports sexuels  douloureux et dénués de plaisir ; d’autre part, lors de l’accouchement où une épisiotomie est souvent pratiquée, un acte chirurgical qui consiste à ouvrir le périnée au moment de l’accouchement pour laisser passer l’enfant. Outre l’épisiotomie, une fistule obstétricale peut également se déclarer lors de l’accouchement qui résulte  d’un travail difficile pendant l’accouchement opérant une déchirure entre le vagin et la vessie ou le vagin et le rectum ou encore les deux.

Dans certains territoires à forte prévalence, ces conséquences restent méconnues et la pratique perdure. C’est le cas de Matam, Saint – Louis, Ziguinchor, Tambacounda ou encore Kolda où l’excision est pratiquée principalement par les communautés peule, mandingue, sérère. Ce constat n’a pas vocation à pointer du doigt ces communautés mais à interroger les facteurs de résistance qui expliquent que cette pratique perdure.

Des facteurs de résistance nombreux : A commencer par le facteur religieux

Lors de mes discussions avec des personnes sensibilisées et concernées par la question, il m’a été rapporté qu’un homme avait joué un rôle déterminant. Il s’agit de Thierno Mountaga Tall (1914 -2007), descendant de la famille Omarienne, d’El Hadj Omar, anticolonialiste et propagateur de l’Islam. Dans les années 1980, il devient khalife et le guide spirituel de la communauté Hal Pulaar établie au Sénégal (région de Matam) et en Mauritanie (région de Boghé). Son titre lui confère une autorité morale et religieuse sur laquelle il s’appuie pour prononcer une fatwa sur l’excision. Une fatwa est un avis juridique donné par un spécialiste de loi islamique sur une question particulière. Cette fatwa approuvait et encourageait cette pratique. D’où le recours à celle –ci  dans cette zone du Sénégal. Par ailleurs, des hadiths (paroles rapportées du Prophète PSL) feraient allusion à l’excision, notamment celui – ci largement répandu : « On rapporte que le Prophète (PBSL) a dit à « Umm ‘Atiya, une femme qui pratiquait l’excision des filles à Médine : « O Umm ‘Atiya, coupe légèrement et n’exagère pas car c’est plus agréable pour la femme et meilleur pour le mari ». Comme l’atteste de nombreux savants, la chaîne de transmission de ce hadith est faible. Son authenticité n’a pas été vérifiée. Ce hadith ne peut donc être pris en considération et s’annule. Aujourd’hui, ce facteur religieux constitué de fatwas, de hadiths est remis en question, voire écarté pour signifier que cette pratique est avant tout culturelle.

Le facteur culturel pèse aussi lourdement dans le maintien de cette pratique chez certaines communautés, sous la pression des anciennes générations.

A celui – ci, s’ajoute le facteur sexuel : l’excision est ainsi invoquée pour préserver la virginité de la femme, éviter le « dévergondage sexuel ».

Le facteur social est tout aussi important puisque dans certains villages, il est généralement admis qu’une jeune fille excisée est pure, épousable, dégage une odeur agréable. Au contraire, une jeune fille non excisée dégagerait de mauvaises odeurs et serait inépousable. Ces idées reçues concernant les femmes non excisées continuent à être véhiculées et leur sont très préjudiciables. Elles peuvent  conduire dans certains cas à leur stigmatisation, à leur rejet au sein de leur communauté, et plus largement au niveau de la société. Il semble qu’être excisée soit considérée comme la norme. Cette pression sociale peut pousser certaines jeunes filles non excisées à faire le choix de l’être pour ne pas être exclues.  Par ailleurs, le cas de fistules présenté plus haut peut également être source d’exclusion. En effet, les fistules provoquent des incontinences urinaires, parfois fécales. La femme est par conséquent souillée et rejetée dans la sphère privée (le mari) et publique (la communauté).

Enfin, l’excision génère une source de revenus principale ou complémentaire non négligeable chez les exciseuses ; d’où la dimension financière sur cette question.

A Kolda, un combat contre l’excision mené par des femmes concernées et déterminées

La connaissance des facteurs de résistance et des conséquences de l’excision est primordiale. Au Sénégal, comme en France, les associations et structures militantes engagées mettent principalement l’accent sur cet aspect pour sensibiliser, informer les populations. Cependant, ce discours peut susciter bon nombre d’inquiétudes, d’appréhensions chez les personnes concernées s’il n’est pas nuancé. En effet, celui – ci peut parfois laisser à penser que cette pratique subie va impacter leur vie négativement et continuellement, sans qu’elles puissent surmonter cette épreuve. Il est donc important que le discours tenu s’affranchisse de cette vision fataliste pour en intégrer une résolument émancipatrice, résiliente, combattive.

C’est le cas  au Sénégal, de la ville de Kolda dans laquelle je me suis rendue. Là – bas, les femmes de tout âge militent, s’organisent, luttent contre l’excision. Leur engagement témoigne de leur détermination à combattre cette pratique portant atteinte gravement à leur intégrité physique.

A Kolda, les locaux du « Centre Conseil Ado » accueillent le club des  jeunes filles. Il permet à des jeunes filles de se former, de s’organiser collectivement dans la lutte contre les violences faites aux femmes. En matière d’excision, diverses actions sont mises en place telles que les cercles  de parole ou encore les ateliers d’expression. L’un vise à libérer la parole pour extérioriser le traumatisme vécu ; l’autre à s’exercer au travail de prise de parole publique.  Ces deux exercices sont nécessaires pour mener à bien leur travail principal, celui de sensibiliser les populations concernées dans les zones les plus reculées, en brousse. Le club des jeunes filles de Kolda est la démonstration parfaite de leadership au féminin de femmes jeunes, déterminées et fortes !

Crédit : Dieynaba THIAM

Cette image valorisante est aux antipodes de celle généralement véhiculée sur les femmes excisées considérées comme victimes. Ce regard posé sur elles conduit parfois à leur invisibilisation, à la récupération de cette lutte par des associations et structures, avec généralement à leurs têtes, des membres fondateurs non concernés mais invités à s’exprimer sur l’excision lors de conférences pour apporter un éclairage professionnel, scientifique. Leur intervention, bien que pertinente, ne laisse que peu de place aux témoignages poignants des personnes concernées. En France, cette organisation interne ne m’avait pas questionné  jusqu’à mon arrivée au Sénégal et ma rencontre avec des jeunes filles et des femmes. A Kolda, j’ai pu observer que le combat est mené par des personnes concernées. Et comme on dit souvent chez Lallab, la parole aux concerné.es. Partant de leur histoire personnelle,  elles prennent la parole, elles sensibilisent,  elles rassemblent autour d’elles des personnes concernées et convaincues par l’importance de leur lutte. Qui pourrait mieux qu’elles s’engager et mener à bien ce combat  de manière légitime?

Les visages de la résistance

Face à une lutte d’une telle ampleur contre l’excision, le choix des mots, le choix des représentant.es ont leur importance. De part leur engagement, certaines d’entre eux.elles sont naturellement hissé.es au rang de figures emblématiques, de visages de la résistance. Leurs mots ont un poids, un impact considérable, véhiculant un message fort. Ce sont leurs visages et leurs messages qu’a voulu mettre en lumière le projet «  Les Visages de la Résistance ». A l’initiative de ce projet : Leyla Hussein, psychothérapeute, activiste sociale primée. Au côté du photographe Jason Ashwood, elle a établi une série de portraits mettant en scène des survivantes et des militant.es contre l’excision. De l’Angleterre en passant par la Somalie, pays dont Leyla Hussein est originaire, le projet a également été mené au Sénégal.  Soukeyna DIALLO, Aissatou KOUDJIRA, Fatou KANTE, ASSY DIAMANKA, Fatoumata TAMBA, Maimouna MBALLO ….Parmi ces visages de la résistance au Sénégal, celui de Mariama GNAMADIO a une dimension particulière pour moi.

Ma rencontre avec elle a été très riche autant sur le plan professionnel que personnel dont je témoignerai à travers un portrait qui lui sera consacré.

 

Exposition « Le Visages de la Résistance »à la Maison de la Presse, qui s’est tenue à Dakar, en 2017.

Crédit : Le quotidien

 

 

Mariama Gnamadio, activiste et animatrice de lutte contre l’excision, se tenant devant son portrait.

 

Crédit Image à la une : illustration pour Lallab par Helene Aldeguer autrice de BD politique et illustratrice, à retrouver sur Instagram sur son profil @helenealdeguer

[/vc_column_text][/vc_column][vc_column width= »1/3″][vc_column_text]

Diffuse la bonne parole

[/vc_column_text][vc_facebook][vc_tweetmeme][vc_column_text][/vc_column_text][vc_widget_sidebar sidebar_id= »home-one »][/vc_column][/vc_row]

Catégories
(Dé)construction Nos Voix

Pourquoi j’ai refusé de me rendre sur un grand nombre de plateaux télé ?

[vc_row][vc_column width= »2/3″][vc_column_text]

Cette semaine, de nombreuses militantes musulmanes françaises voilées ont été contactées par une horde de journalistes de tous bords.
Pour ma part, j’ai répondu par la négative à presque l’ensemble des demandes qui m’ont été adressées.
Depuis quelques jours, je reçois grand nombre de messages de personnes m’expliquant qu’il est de mon devoir de m’exprimer, de représenter les femmes musulmanes qui, quotidiennement, se font agresser, violenter et insulter.
J’aimerais donc prendre quelques minutes pour revenir sur deux, trois réalités.

 

Où sont les médias lorsque nous, femmes musulmanes, souhaitons proposer des sujets qui permettraient de faire évoluer réellement la compréhension de nos vécus et réalités et par la même de favoriser un contexte plus apaisé ?

 
Pour rappel, j’ai été présidente de l’association Lallab durant presque 3 ans et le constat est simple : lorsque nous organisions des événements afin de faire entendre les voix plurielles des femmes musulmanes, peu, voire pas, de médias se mobilisaient pour venir couvrir ces événements
Soyez conscient.e que nous n’avons aucune volonté de jouer la carte de l’agenda politique et médiatique !
Alors, très cher.e.s journalistes, si vous souhaitez réellement donner la parole aux femmes musulmanes, un conseil : invitez-les hors cadre des polémiques afin de favoriser un échange non sensationnel et non passionnel
 

Les sujets proposés : serez-vous en capacité un jour de nous proposer des sujets non biaisés et non orientés ? Peut-être auriez-vous plus de succès !

 
Allez, juste pour rire, je vous partage quelques sujets sur lesquels j’ai été invitée à m’exprimer ces derniers jours :
 
« Pourquoi les femmes portent-elles le voile ? » Journal La Croix
 
Sérieusement ? La Croix, je pense que le sujet aurait plutôt dû être : Pourquoi dans un pays où le cadre juridique et légal assure une liberté de culte, certain.e.s persistent à ne pas le respecter ? Comprenez ainsi que ce n’est pas aux femmes musulmanes de se justifier !
 
« L’affaire du voile » France Culture
 
Faire du choix de porter le voile une «affaire», c’est déjà nier que les femmes qui le portent sont dans leur plein droit. En centrant votre titre sur l’islamophobie ambiante et grandissante, vous auriez sans doute eu plus de succès !
 
Même pas la peine de préciser de sujets : le manque de respect jusqu’au bout ! « Nous aimerions recevoir Mme Trabelsi sur notre plateau demain à 10h » C-News
 
Je vous retranscris ici ma réponse à leur email :
Bonjour,
J’aimerais commencer en vous répondant : MAIS QUEL CULOT !!!
Très sincèrement, si vos choix éditoriaux avaient été autres, j’aurais apprécié me joindre à vous pour répondre à vos questions. Cependant, au vu de vos positionnements récents et de vos choix de programmation, je me vois dans l’obligation de refuser, d’une part par principe et d’autre part car donner de mon temps à ceux et celles qui favorisent l’islamophobie au sein de notre pays n’est nullement dans mes priorités du moment.
Soyez bien conscient.e.s que vous contribuez à alimenter une psychose générale qui favorisent la haine et la violence quotidiennement !
Le seul conseil que je pourrais vous apporter est le suivant : les fois prochaines, avant de souhaiter inviter des femmes voilées sur vos plateaux, merci de faire en sorte que le cadre de votre chaîne et les personnes qui la représentent soient bienveillantes, sinon soyez sûr.e.s de rester dans votre entre-soi islamophobe !
 
« Est-ce que toutes ces polémiques ne cachent pas un racisme de la société ? » Sud Radio
 
Un bravo tout spécial à Sud Radio qui semble enfin toucher quelque chose du doigt… Avez-vous sérieusement besoin d’une femme voilée pour répondre à cette question ? Sincèrement, à ce niveau, le racisme n’est plus réellement caché !
 
Je pourrai continuer pendant un petit moment mais je m’arrêterai là sur les invitations et les sujets proposés ! J’invite les femmes musulmanes contactées à compléter cette liste non-exhaustive.
 

Nous n’avons pas tou.te.s les mêmes privilèges face aux médias

Et oui, ce n’est plus un secret ! Vous l’aurez compris, lorsque l’on est une femme musulmane et qui plus est voilée, s’exprimer publiquement c’est :
– Prendre le risque de s’exposer à du cyberharcèlement
– Voir ses propos totalement déformés, instrumentalisés (et du coup s’attendre à avoir une vingtaaine d’articles accolant son nom et prénom à des mots super agréables tels que : terroriste, islamiste, islam politique, radicalisation, voilement des petites filles et j’en passe…)
– Se mettre en danger socialement (perte d’emploi, convocations et j’en passe) et physiquement (oui oui, les personnes t’interpellent OKLM dans la rue pour t’insulter ou débattre avec toi d’un sujet
– Perdre de son temps et de son énergie. Tu reçois un mail ou sms pour t’indiquer que tu es invitée à venir t’exprimer le lendemain ou le jour même sur un plateau (à des heures improbables, genre 7h du mat’ ou 22h) mais que tu ne dois pas t’attendre à être payée malgré l’audimat que tu vas générer.
 
Pareil, je m’arrêterai là. Mais il y aurait beaucoup beaucoup beaucoup d’autres points à relayer !
 

Le cadre du débat : Pensez-vous sincèrement que c’est à travers des échanges manichéens et sur format de dualité que les mentalités pourront évoluer ?

 
Le format est bien souvent le même ! 20 minutes d’antenne avec en moyenne 7 minutes par intervenant.e.
Des face à face avec deux visions du monde et de la société littéralement opposées où l’objet n’est nullement de proposer un débat raisonné mais davantage des débats passionnés où l’émotionnel finira toujours par l’emporter.
Clairement, il n’y a rien à y gagner ! Cela ne fera nullement avancer notre société déjà bien trop enragée. Le seul risque est d’y voir sa santé mentale dégradée car le format n’est absolument pas adapté et n’est pas pensé dans l’optique de créer plus de respect envers les musulman.e.s vivant dans cette société.
 
Vous l’aurez compris, si j’ai fait le choix de décliner l’invitation pour un grand nombre d’interventions plateaux, c’est avant tout car j’estime que la temporalité imposée n’est en rien celle qui nous sera profitable. Je refuse tout bonnement de jouer le jeu des médias et politiques, c’est aussi car j’estime que le cœur du problème est bien ailleurs.
Je ne viendrai pas alimenter et commenter des propos qui devraient tout bonnement être juridiquement condamnés pour éviter que la libération de la parole raciste et islamophobe continue à se propager, non pas par moi donc, mais par une super chose qui s’appelle la justice. Coucou Éric Zemour , coucou Jean-Michel Blanquer coucou Yves Threard.
 
Bref, cette semaine je n’étais pas sur les plateaux car donner de mon temps à ceux et celles qui favorisent l’islamophobie au quotidien au sein de notre pays n’est nullement dans mes priorités du moment. Journalistes, politiques, cessez de jouer aux pompiers en voulant éteindre le feu quand le reste de l’année vous relayez des informations qui contribuent à l’alimenter.
 
J’ai bien mieux à faire : j’utilise mon temps pour produire et créer des ressources et contenus qui je l’espère contribueront à plus d’équité, de justice et d’égalité !
 
PS destiné à l’ensemble des médias : la fois prochaine lorsque l’on vous sollicitera pour vous présenter des projets, n’oubliez pas d’accepter d’être nos relais.
[/vc_column_text][/vc_column][vc_column width= »1/3″][vc_column_text]

Diffuse la bonne parole

[/vc_column_text][vc_facebook][vc_tweetmeme][vc_column_text][/vc_column_text][vc_widget_sidebar sidebar_id= »home-one »][/vc_column][/vc_row]

Catégories
(Dé)construction

Voyage en terre inconnue : la salle des prof’

[vc_row][vc_column width= »2/3″][vc_column_text]

Durant vos années collège-lycée, vous êtes-vous également demandé.e.s ce qui pouvait bien se passer derrière la porte de la « salle des professeur.e.s » ? Estampillée d’un panneau – enfin d’une feuille A4 plastifiée (on parle bien de l’Education Nationale ici, une feuille plastifiée c’est déjà du luxe) – sur lequel les professeur.e.s avaient tapé sur le logiciel WORD, en caractères gras et police taille 48 « INTERDIT AUX ÉLÈVES ».
La première fois que j’ai franchi cette porte en tant que professeure stagiaire, c’est ce que je me suis dit : I MADE IT ! J’avais donc finalement ouvert la porte de ce monde mystérieux et enfin je rejoignais les rangs des « prof’ ».

 

 

La salle des professeur.e.s : cet endroit emblématique et stratégique dans la journée d’un.e professeur.e, cet endroit censé être un refuge, un lieu d’échange entre les professeur.e.s, un lieu où ils et elles sont sûr.e.s de ne trouver ni élève, ni membre de la Direction. C’est le seul moment où ils.elles peuvent se retrouver seul.e.s, « entre soi ».

L’ « entre soi », parlons-en. Dans mon établissement par exemple, nous ne sommes qu’une poignée de professeur.e.s racisé.e.s. Mes collègues sont en grande majorité des personnes blanches, issues de la classe moyenne. Le métier est très féminisé. La salle des prof’ est devenue un lieu de soutien et d’entraide dans lequel j’ai beaucoup appris. Dans ce lieu, j’ai également bénéficié de nombreux conseils de la part de mes collègues. Mais paradoxalement, j’y ai subi énormément de violences.

Il est important de le préciser : je suis jeune, je suis une femme, je suis française d’origine maghrébine et musulmane (moyennement pratiquante). On m’a donc classée « bonne arabe ». Depuis que j’en ai pris conscience, c’est une violence de plus que je vis.

Sans plus attendre, je vous livre ici les perles racistes entendues en salle des professeur.es.

Passeras-tu le test ?

Suis-je une bonne ou mauvaise Arabe ? Les collègues ont très vite trouvé une façon de répondre à cette question.

Test 1 : MANGES-TU DE LA VIANDE HALAL ?

Après plusieurs semaines d’observation intensive de mon assiette à la cantine. Oui, je te vois lorgner sur mon assiette jour après jour…

Lui.elle : « Dis-moi j’ai remarqué que tu ne mangeais jamais de viande… »

Moi : « Oui, je suis végétarienne. »

Lui.elle : « Ah bon ? t’es végétarienne…TOI ? »

Résultat du test : non concluant. Les Maghrébin.e.s ne peuvent pas être végétarien.ne.s.

Test 2 : FAIS-TU LE RAMADAN ?

Venant de personnes avec qui je n’ai pas l’habitude de manger à la cantine. Question posée tous les jours de la semaine :

Lui.elle : « Tu viens manger à la cantine avec nous ? »

Moi : « Non, allez-y sans moi. »

Résultat du test : non concluant. Elle ne l’avouera pas d’elle-même. Il faudra donc envoyer quelqu’un.e pour lui demander directement si elle fait le R

Test 3 : la tenue vestimentaire

Lorsque je porte une jupe.

Lui.elle 1 (en s’adressant à moi) : « C’est bien, je vois que tu mets des mini-jupes. Ça te va bien. »

Lui.elle 2 : « Oui, il y a des quartiers où on ne peut pas se promener en jupe. »

Lui.elle 1: « Oui, mais elle met des mini-jupes souvent elle, je l’ai bien vu. C’est bien ! »

Résultat du test : concluant. C’est une bonne Arabe, libérée. Elle ose braver son quartier en mettant des jupes. Aucun témoignage de la principale concernée n’aura été nécessaire pour arriver à ces conclusions.

De façon générale, les résultats de ces tests étaient toujours peu concluants. D’une part parce qu’ils étaient tellement grotesques que je les voyais arriver de très loin, je me faisais donc un malin plaisir à brouiller les pistes. Mais surtout parce qu’ils reposaient sur un tas de clichés.

La place des clichés

En tant que minorité racisée au sein de la majorité blanche des professeur.es, j’ai aussi pu être témoin de nombreuses perles racistes. Ces perles ont pu tout aussi bien concerner les élèves racisé.e.s que moi-même.

Les Maghrébin.e.s et le bled

A l’approche des vacances scolaires, alors que nous déjeunions à la cantine, chacun.e s’est mis.e à raconter ce qu’il.elle avait prévu pour occuper ses vacances.

Lui.elle : « Et qu’est-ce que tu fais de beau pendant les vacances ? »

Moi : « Je suis super contente je vais en Jordanie ! »

Lui.elle : « Ah tu vas au bled ? »

Moi : « Non, pas du tout ! »

Lui.elle : « … »

Lui.elle « … »

Parce que les Maghrébin.e.s ne partent jamais en vacances. Ils.elles ne vont qu’au bled.

Deuxième scénario « type » :

Lui.elle 1 : « Les élèves n’ont aucune culture littéraire ! C’est désolant !»

Lui.elle 2 : « Moi j’essaie de parler d’art à mes enfants, de les cultiver. Surtout à table quand on est tous ensemble. »

Lui.elle 1 : « Bah en même temps les élèves, chez eux, à table, ils ne parlent que du bled ! »

 

Les maghrébins et Aljazeera

Pendant la correction de l’épreuve du Baccalauréat.

Lui.elle : « Les résultats des STMG au bac sont catastrophiques. Ils n’ont vraiment aucune culture ! »

Moi : « Je ne pense pas que ça ait grand-chose à voir, ils sont à mon avis un peu plus scolaire, ils.elles ont besoin de voir du vocabulaire en classe et comme c’était un document inconnu… »

Lui.elle : « Oui mais justement c’est ce que je dis ils n’ont pas culture.  De toute façon, ils ne regardent que Aljazeera, ils ne risquent pas de progresser. »

Les familles maghrébines et le féminisme

Discussion autour d’un café sur le sujet du féminisme.

Lui.elle : « Oui, moi je ne me suis jamais posé la question du féminisme jusqu’à maintenant. Je m’y intéresse que depuis très récemment. »

Moi : « Moi, ça fait quand même depuis très longtemps. Dans mon adolescence je me suis très vite identifiée comme féministe. »

Lui.elle : « Oui je comprends, après c’est vrai que quand le sexisme vient de la famille… »

Moi : « Euh non… Justement ma mère est féministe. »

Lorsque l’on est maghrébine et féministe, notre cheminement ne peut commencer qu’en réaction à nos pères et frères soi-disant autoritaires. Non Jaqueline, merci mais j’ai un cerveau. J’ai surtout une maman féministe formidable qui très tôt, m’a transmis ses valeurs et ses combats que tu as eu si longtemps le privilège d’ignorer.

Les enfants d’immigré.e.s et la langue française

En discutant au sujet d’une élève :

Moi : « Oui, elle a des difficultés de rédaction. »

Lui.elle : « Après c’est normal qu’elle ne sache pas parler français, ils ne parlent pas français à la maison ! »

Cette phrase, je l’ai entendue des dizaines de fois. Avoir deux langues maternelles c’est ce qu’on appelle être bilingue. Enfin ça dépend. Pour mes collègues, j’ai l’impression qu’être bilingue c’est lorsque tes parents t’apprennent des langue « stylées » type anglais, allemand ou russe. Pour d’autres langues en revanche, on ne les assimile pas au bilinguisme mais plutôt au refus de s’intégrer. Elles auraient un effet à la fois magique et incroyable : elles empêcheraient l’enfant de parler un français correct. Un.e bilingue darjia-français ou wolof-français, ça n’existe pas.

La terreur

Alerte générale : Un petit mot écrit en arabe a été trouvé sur le sol. Est-ce un verset du Coran ? Un complot ? Ce n’est certainement pas un mot d’amour. Sait-on qui en est l’auteur.e ?

C’est dans cet état de crise maximale que je trouve mes collègues lorsque je rentre en salle des prof’.

Puis, à ma grande surprise, on me tend le mot : « Tiens, tu peux nous le lire ?

Moi « Bah…non, je ne lis pas et ne parle pas l’arabe.»

Cela ne leur viendrait jamais à l’esprit que le mot ait pu être écrit par un.e non-Maghrébin.e. Ni même que moi, en tant que Française d’origine maghrébine, je ne puisse pas leur déchiffrer ce mot. Dans leur esprit, tout est catégorisé et rangé soigneusement dans des boîtes. Ces catégories, ils.elles sont les seul.es à pouvoir les définir.

Une après-midi, une de mes collègues est entrée en salle des prof très inquiète. En effet, un élève avait passé une partie de son cours à marmonner dans sa barbe. Ma collègue en était persuadée : l’élève en question était surement en train de prier…Il fallait absolument faire un signalement. Cet élève que je connaissais passait surtout le plus clair de son temps… à rapper. Même en classe. Je l’avais d’ailleurs plusieurs fois rappelé à l’ordre. Et il m’avait assuré que parfois c’était plus fort que lui…il ne se rendait même plus compte qu’il le faisait en classe.

Les noms de code

Les noms de codes sont, pour certains professeur.e.s, une façon de faire des sous-entendus classistes et racistes, sans utiliser les mots qui fâchent. Il faut toujours garder en tête que les antisémites, les homophobes et les sexistes sont les élèves racisé.e.s. Aussi, telle une pierre de Rosette, je suis là pour vous aider à décrypter tout cela.

Les STMG

Les classes de STMG sont pour les professeur.e.s une véritable obsession. Ils.elles en parlent à longueur de journée pour s’en plaindre ou pour se féliciter de les avoir domptées pendant quelques minutes. En vérité «  STMG » est un nom de code pour «  Noir.e.s et Arabes ». Visuellement d’ailleurs, ça ne trompe pas. Je suis toujours choquée de constater le manque de mixité dans les différentes filières. Lorsque je fais cours devant des STMG, je me retrouve devant des élèves noir.e.s, arabes et portuguais.e.s. Mes classes de filière scientifique sont à majorité blanches.

Les élèves n’ont pas les codes

Un des grands reproches que mes collègues font aux élèves racisé.e.s et issu.e.s des classes défavorisées est de ne pas avoir les « codes ». Pendant longtemps, j’ai cherché ces foutus codes que les élèves auraient perdus. De quoi parle-t-on ? Un code… des codes ? Quels codes ? Ce qu’ils devraient dire, c’est plutôt que les élèves n’ont pas les « bons » codes. C’est-à-dire leurs codes. Ils.elles aimeraient donc que d’une baguette magique, les élèves se rendent enfin compte que tous les codes liés à leur classe sociale, leur origine et/ou leur jeune âge sont méprisables et donc à abandonner au plus vite. Ces personnes n’ont manifestement jamais entendu parlé du switching code (l’alternance codique) qu’elles méprisent car ne comprennent pas. Il s’agit en réalité d’une véritable force pour ces élèves, qui leur permet de comprendre et de pouvoir évoluer dans pleins de mondes différents.

Tu sais, le grand black là…

Dans la salle des professeur.e.s, il y a une façon bien particulière de parler des garçons racisés.

Les jeunes garçons noirs par exemple, sont toujours décris comme étant « grands » et « blacks ». Sachons-le donc, tous les élèves noirs sont grands…très grands. C’est d’ailleurs la seule caractéristique qui pourrait les décrire.

La laïcité AKA l’éponge magique

La laïcité à l’école… ce sujet tant débattu et si cher aux yeux de mes collègues.

Du moins, c’est ce que je pensais. Ma surprise fut totale le jour où une de mes collègues a proposé avec aplomb l’intégration de « la lutte contre l’islamisation des élèves » au projet d’établissement de l’année suivante.

Même surprise lorsque plusieurs collègues en pleine soirée parents-professeur.e.s se sont insurgés et ont exigé du proviseur qu’il ne laisse pas les mamans voilées entrer dans l’établissement.

Ces deux fois, mes collègues se sont vus refuser leur demande car elles allaient à l’encontre de la laïcité.

Pour certain.e.s professeur.e.s, la laïcité est définitivement devenue un moyen d’exclusion et un outil d’oppression contre ces populations.

Les mêmes personnes qui s’insurgent de voir une élève entrer dans l’établissement avec une jupe trop longue, n’auront aucun scrupule à policer la pratique religieuse des élèves musulman.e.s : « Mais, ce n’est pas écrit dans le coran qu’il faut jeûner pendant le bac. Ma voisine ne jeûne plus maintenant qu’elle est en France. »

Toutes ces expériences douloureuses, sont surtout la preuve qu’il est urgent de briser l’ « entre soi ». Les professeur.e.s enseignent à une diversité d’élèves. Les adultes de l’Education Nationale participent à la construction et à l’éducation des enfants. Tous ces clichés racistes et sexistes qu’ils peuvent donc projeter sur eux ont des effets dévastateurs à long terme. Les jeunes adultes que nous devenons après avoir évolué dans ce contexte violent, intègrent ce racisme et mettent des années à s’en défaire. Ces comportements ont des conséquences directes sur la vie des jeunes. Il ne s’inscrivent pas dans une mission éducatrice mais plutôt dans la volonté de développer une « mission civilisatrice » d’enfants qui sont déjà citoyen.ne.s français.e.s.  Il faut plus d’enseignant.e.s racisé.e.s et/ou déconstruit.e.s dans l’Education Nationale. Il faut également ouvrir le dialogue sur ces questions dans les salles des professeur.e.s, car l’éducation est un moyen de se construire. Aucune construction sereine n’est possible dans une telle atmosphère de violence.

 

 

Crédit photo Image à la Une : Zohra Khaldoun

 

[/vc_column_text][/vc_column][vc_column width= »1/3″][vc_column_text]

Diffuse la bonne parole

[/vc_column_text][vc_facebook][vc_tweetmeme][vc_column_text][/vc_column_text][vc_widget_sidebar sidebar_id= »home-one »][/vc_column][/vc_row]

Catégories
(Dé)construction

Voile et travail : l’expérience de la discrimination

[vc_row][vc_column width= »2/3″][vc_column_text]

“C’est vraiment dommage vous avez un bon profil, mais le voile n’est pas toléré au sein de notre entreprise.”

 

Étudiante, j’étais à la recherche d’un job étudiant qui me permettrait d’arrondir mes fins de mois. J’ai donc postulé à plusieurs offres et envoyé une candidature spontanée à plusieurs entreprises et agences d’intérim. Les jours, les semaines, les mois s’enchaînaient et je n’avais toujours pas de réponse, mise à part quelques refus. Pendant ce temps, j’entendais mes camarades parler de leur job étudiant si fascinant ou si fatiguant. Je voyais tou.te.s ces étudiant.e.s qui avaient réussi à obtenir un emploi, la plupart d’entre elles/eux avaient été reçu.e.s en entretien au bout de 2 ou 3 candidatures. Moi j’en étais à ma 40ème candidature et pourtant, pas un entretien d’embauche.

 

Je m’étais résignée. Je n’y croyais plus jusqu’à ce qu’un jour je reçoive l’appel d’une agence d’intérim. Elle me proposait de rencontrer un de leur client dans le cadre d’un entretien collectif, suite à ma candidature au poste de standardiste. Au bout du fil, la chargée de recrutement me demanda de me préparer à l’entretien d’embauche, de lui envoyer ma pièce d’identité, mon RIB, etc. J’étais tellement contente que je me suis pincée ! Enfin j’allais faire mon premier entretien ! Pour mettre toutes les chances de mon côté, je suis allée dès le lendemain m’acheter une tenue professionnelle, j’ai fait des recherches sur l’entreprise et sur ce qu’est un entretien collectif, j’ai également demandé à mon entourage de m’aider à me préparer… J’étais heureuse et stressée en même temps.

 

Le jour-j est arrivé, ce moment tant attendu et redouté. Je me suis présentée aux locaux de l’entreprise, nous étions huit candidates dans la salle d’attente. Plus le temps passait plus le stress montait en moi, mais je ne le montrais pas. Au bout de quelques minutes, deux responsables vinrent nous chercher et nous firent entrer dans une grande salle.

 

A l’issue d’un entretien de deux heures et demie, alors que les autres candidates avaient été conduites vers la sortie, l’un des deux responsables me demanda de rester quelques minutes supplémentaires.
– Savez-vous pourquoi j’ai demandé à vous parler ? Me demanda-t-il.
– Non, à vous de me le dire, répondis-je.
– Il faut que vous sachiez que le port du voile n’est pas toléré dans notre entreprise.
– Pourquoi ? Demandais-je.
– Nous n’avons pas à nous expliquer sur notre position, c’est comme ça.
– Étonnant, répondis-je, selon la loi un signe religieux ne peut être interdit en entreprise privée que sous certaines conditions comme l’hygiène ou le contact avec la clientèle. Et encore, l’entreprise doit justifier que c’est « une exigence professionnelle essentielle et déterminante » et proportionnelle aux tâches à effectuer. Or les missions du poste de standardiste que vous proposez se résument à décrocher le téléphone et orienter les appels…
– Écoutez, je ne vais pas rentrer dans ce débat avec vous…
– Non, mais je vous explique pourquoi j’ai postulé pour ce travail. Car juridiquement parlant rien ne m’empêche de l’exercer avec mon voile. Votre interdiction ne répond pas, comme l’indique la loi, à une « exigence professionnelle essentielle et déterminante ». Sans oublier que la neutralité doit être générale et ne pas porter uniquement sur un signe religieux…
– Écoutez, chez nous c’est comme ça. Le voile n’y est pas toléré. Votre profil nous intéresse beaucoup. Vous vous exprimez bien. Si vous avez la possibilité de l’enlever…
– Non, je préfère travailler avec vous en étant moi-même.
– Je suis aussi embêté que vous, c’est dommage. Vous êtes sûre que vous ne pouvez pas l’enlever ? Votre profil est vraiment intéressant…
– Je ne peux pas travailler avec vous. Vous me demandez de renoncer à mes droits et ma liberté religieuse alors que votre intolérance au voile dont vous me parlez est tout simplement illégale… Je préfère qu’on en reste là.

 

Alors que je me dirigeais vers la sortie, je lui demandai :
– Est-ce seulement le voile qui est interdit ou aussi les autres ports de tête et autres signes distinctifs ?
– Ce n’est que le voile… (Monsieur prend le temps de réfléchir et se ravise)… ah tout ce qui est distinctif est interdit. »

 

Tout le long de notre échange, il n’a utilisé l’adjectif “interdit” qu’à la fin de notre échange. Alors qu’au début il a parlé d’intolérance. J’ai compris que ce n’était pas une question juridique, mais une question de point de vue. Mon voile le dérangeait personnellement. Ce n’était pas moi en tant que personne qui le dérangeait, mais mon voile. Je lisais dans ses sourcils froncés, de l’incompréhension face à mon voile et de la pitié pour moi. “Vous êtes sûre que vous ne pouvez pas l’enlever ? Votre profil est vraiment intéressant…” m’a-t-il dit avec une voix adoucie comme s’il voulait m’aider, me délivrer de quelque chose qui occultait mes compétences.

 

En sortant de l’entretien, les autres candidates avec qui j’avais sympathisé m’attendaient. Elles étaient sûres qu’il m’avait retenue en privé pour me parler du voile. L’une d’entre elles qui était une femme musulmane me dit : “Tu sais… à un moment donné, tu seras amenée à choisir entre Dieu et le travail”. Elle n’avait certainement pas l’intention de me faire du mal, mais cette phrase m’a profondément heurtée. Devrais-je finalement faire un choix ? Serais-je obligée d’abandonner une partie de moi-même ? Étais-je condamnée à me confronter sans cesse à ce dilemme ? Autant des questions qui me torturaient l’esprit.

Le lendemain de cet entretien, j’ai été la seule candidate ayant des disponibilités toute la semaine à être évincée du recrutement. J’étais effondrée, même pour un poste de standardiste mon voile était un frein. Je m’étais tellement préparée, j’avais mis ma plus belle tenue pour cet entretien, mais ce n’était pas suffisant ! J’ai mis des jours avant de m’en remettre. Les paroles de cet homme et son regard étaient encore dans ma tête. En quelques mots, en un simple regard, il avait réussi à briser ma confiance en moi et mes espoirs. Depuis, je n’ai pensé qu’à une seule chose : quitter la France ! Partir loin, très loin de ce pays qui ne voulait pas de moi, de ce pays qui ne voyait que mon voile, de ce pays pour lequel j’étais invisible…

 

Un an après cet incident, j’ai obtenu un stage avec mon voile. J’étais tellement reconnaissante envers ma structure d’accueil, comme si on avait eu pitié de moi. Je faisais des heures supplémentaires, j’étais toujours la première arrivée, je faisais le double de mon travail, j’avais de moins en moins de temps pour mon mémoire, je ne voulais pas les faire regretter de m’avoir acceptée avec mon voile. Je ne me sentais pas à la hauteur du poste. J’avais du mal à me sentir compétente, j’avais du mal à croire que c’était grâce à mes compétences que j’avais été prise. Je devais être excellente, je devais montrer à chaque instant que mon voile ne nuirait nullement à mon travail, je devais m’intégrer très rapidement au sein de l’entreprise, je m’efforçais d’aller vers mes collègues alors que j’étais de nature timide. Je devais tout simplement faire plus, même si cela m’épuisait.

 

Il m’a fallu du temps pour arrêter de me sous-estimer, du temps et du soutien pour reprendre confiance en moi. Je ne sais pas si à la fin de mes études je trouverai un travail. Mon avenir professionnel est incertain, mais je ne laisserai plus jamais des islamophobes me faire douter de moi ni même me forcer à mettre une partie de moi au placard. En France, les femmes musulmanes sont malheureusement à l’intersection des multiples discriminations : le genre, l’origine, la religion, etc. C’est pourquoi aujourd’hui, je tiens à dire à toutes celles qui me liront : ne doutez jamais de vous, ne baissez pas les bras, ne renoncez surtout pas à vos droits ! Ne vous enfermez jamais dans l’espace qu’on vous a injustement assigné. Face à celles et ceux qui s’obstinent à être sourd.e.s et aveugles à votre humanité et votre liberté, prenez le micro et écrivez votre propre histoire. Ne leur donnez pas le plaisir de voler votre plume, de travestir vos paroles et vos aspirations. Soyez celle que vous voulez être, même si c’est difficile accrochez-vous à celle que vous êtes ou que vous voulez devenir. Quels que soient les obstacles, ne laissez personne vous définir.

 

Crédit photo Image à la une: Zohra Khaldoun

[/vc_column_text][/vc_column][vc_column width= »1/3″][vc_column_text]

Diffuse la bonne parole

[/vc_column_text][vc_facebook][vc_tweetmeme][vc_column_text][/vc_column_text][vc_widget_sidebar sidebar_id= »home-one »][/vc_column][/vc_row]

Catégories
(Dé)construction

4 raisons de remercier les islamophobes

[vc_row][vc_column width= »2/3″][vc_column_text]

« Il se peut que vous ayez de l’aversion pour une chose alors qu’elle vous est un bien », peut-on lire dans le Coran (sourate 2, verset 216). J’ai effectivement la conviction que dans chaque chose, même difficile, il y a du bon. Mais alors, où est le positif dans le fait de vivre dans un climat où le rejet des musulman·e·s s’exprime de manière de plus en plus décomplexée ? J’ai essayé de trouver quelques raisons de remercier les islamophobes…

 

 

1. Je connais mieux ma religion – et j’y adhère encore plus

 

Eh oui, c’est dommage pour les personnes qui voulaient m’en dégoûter en me mitraillant de faits négatifs sur l’islam et les musulman·e·s, mais cela m’a poussée à me renseigner en profondeur sur ce que disent réellement nos sources. Et ce que j’ai découvert m’a prouvé que beaucoup de choses étaient dites par ignorance, mais venaient aussi du fait que nous trahissons de nombreux enseignements du Coran et de la vie du Prophète (que la paix et la bénédiction de Dieu soient sur lui).
 
Crédit : BDouin / Le Muslim show

 

Je remercie donc tou·te·s les excité·e·s qui ont été à l’origine de la redécouverte de mes propres sources religieuses. Cela m’a permis de comprendre la profondeur de certains gestes que je faisais par habitude, de reprendre confiance dans la place que l’Islam me donne en tant que femme, ou encore de redécouvrir ses valeurs et principes authentiques. Aujourd’hui, je pense qu’il n’y a rien de tel que de lire la biographie du Prophète (par exemple celle écrite par le Dr Martin Lings) ou les récits des premier·e·s musulman·e·s pour être convaincue que c’est cette éthique et ces exemples que je veux suivre.

 

En bonus, les islamophobes et leurs discours correspondent tellement aux descriptions qui en sont faites dans certains passages du Coran que même les observer ne peut que renforcer ma foi…

 

 

2. Je suis sûre de qui je suis et de mes convictions, car elles ont été durement testées

 

Une chose est sûre : si je n’avais pas vraiment envie de suivre ma religion, j’aurais eu mille occasions de laisser tomber de nombreuses pratiques. Ma vie sociale et ma vie professionnelle en auraient été bien plus faciles, et pas seulement par rapport à mon hijab. Je remercie donc Dieu de m’avoir permis de traverser ces tests et de savoir ce à quoi je tiens réellement, même au prix de sacrifices certains.

 

Ceci est d’autant plus important qu’en Islam, la sincérité est la base essentielle à toute action. Il ne sert strictement à rien de faire quelque chose pour plaire aux gens, pour être bien vu·e, etc. Or, peut-être que si je vivais dans une société musulmane, mon intention aurait été entachée par des motivations « mondaines » : me fondre dans la masse, avoir bonne réputation, éviter les critiques… J’espère donc que les difficultés auxquelles je fais face me permettront au moins de justifier d’une intention sincère, cherchant à satisfaire Dieu même si cela implique de déplaire à mes semblables. Alors merci les ami·e·s pour cette belle occasion de grandir spirituellement et mentalement !

 

 

3. Je vois que les difficultés nous encouragent à dépasser nos limites

 

Je pense que les difficultés que nous rencontrons nous poussent à considérer de nouvelles options et à investir des champs qui ne nous semblaient pas prédestinés. Par exemple, on compte de plus en plus de femmes entrepreneures qui ont lancé leur propre activité parce qu’elles ne trouvaient pas d’emploi à la hauteur de leurs compétences (ou d’emploi tout court) sur le marché du travail classique. On peut aussi penser aux entrepreneur·e·s qui ont constaté qu’aucune offre ne répondait réellement à leurs besoins, et qui ont décidé d’y remédier en créant un nouveau produit ou service.

 

Je vois également de plus en plus de personnes qui partent vivre à l’étranger pour échapper aux limitations que font peser le racisme et l’islamophobie en France. Ces limitations peuvent se ressentir sur les perspectives professionnelles, sur les activités accessibles au quotidien, ou tout simplement sur le potentiel de bien-être et de bonne santé dans un climat où nous sommes constamment pointé·e·s du doigt. Il est triste de devoir quitter son propre pays pour vivre pleinement et sereinement, mais c’est aussi un changement de vie qui peut offrir encore plus d’opportunités, de perspectives et d’épanouissement que si nous avions eu une vie « normale » en France.
 
Crédit : Muslim Travelers

 

Bref, peut-être que si nous ne rencontrions pas de difficultés en tant que musulman·e·s en France, nous resterions tou·te·s dans une zone de confort certes confortable, mais qui ne nous ferait pas beaucoup avancer. Alors merci de nous encourager à élargir notre champ des possibles, c’est vraiment gentil tout plein.

 

4. J’ai eu droit à des cours intensifs en leçons de vie

 

Je pense sincèrement que je ne serais pas la même personne sans l’environnement actuel et les difficultés que j’ai rencontrées parce que je suis une femme, jeune, musulmane, d’origine maghrébine, qui porte le foulard.

 

Il a bien fallu que j’apprenne à me distancier des critiques gratuites, à faire abstraction du brouhaha extérieur pour écouter ce que je voulais vraiment, et à avancer sans me laisser freiner par le regard ou le jugement des gens. Non pas parce que je suis particulièrement forte ou confiante en mes propres capacités, mais parce que sans cela, je finirais par me sentir morte intérieurement, écrasée par les injonctions, le mépris et le piétinement de ma propre identité.

 

J’ai aussi appris beaucoup de choses sur la nature humaine. J’ai encore du mal à croire que des personnes puissent mentir de façon éhontée sans ciller, être aussi convaincu·e·s de leur propre supériorité, se laisser bêtement aveugler par un discours dominant, ou encore abriter une telle haine dans leur cœur. Mais au moins, j’y ai été confrontée et je suis bien obligée d’être consciente que cela existe.

 

Evidemment, de tels apprentissages ne peuvent que me servir, et ce dans toutes les sphères de ma vie. Je ne prétends pas avoir tout vu, tout entendu, connaître le fond de la nature humaine ou être une machine qui ne se laisse jamais déstabiliser. Mais disons qu’il y a du chemin parcouru et que j’ai sans doute plus de cordes à mon arc que la jeune Emnus d’il y a quelques années.

 

 

Alors, qu’on soit d’accord, le but de cet article n’est pas de vanter les mérites des islamophobes ou de nous encourager à sourire et à nous taire face à ce que nous vivons. Mais nous disons en Islam que « la louange est à Dieu en toutes circonstances ». Je suis donc persuadée que Dieu ne veut toujours que notre bien et que si nous vivons ici, maintenant, dans ces conditions, c’est qu’il y a de bonnes raisons. Cela peut aider à patienter… en attendant peut-être de voguer vers d’autres horizons, enrichi·e·s de nos nouvelles expériences, de notre foi consolidée et de nos capacités renforcées.

 

 

Crédit image à la une : Oliver Contreras/Getty Images

[/vc_column_text][/vc_column][vc_column width= »1/3″][vc_column_text]

Diffuse la bonne parole

[/vc_column_text][vc_facebook][vc_tweetmeme][vc_column_text][/vc_column_text][vc_widget_sidebar sidebar_id= »home-one »][/vc_column][/vc_row]

Catégories
(Dé)construction

Lettre à mes ami.es non musulman.es : CESSEZ DE VOUS TAIRE. Vous avez le pouvoir d’être des justes.

[vc_row][vc_column width= »2/3″][vc_column_text]

Depuis que je suis petite, je me suis souvent demandée si j’aurais été dans le camp des collabos ou celui des justes pendant la Seconde Guerre mondiale. Je me suis souvent demandé comment on en arrivait à collaborer avec un gouvernement raciste, à dénoncer ses voisin.es. Je me suis souvent demandé si j’aurais eu le courage, la force, la clairvoyance d’être du côté des justes. Et puis je me suis souvent dit que si la vie de mes proches étaient en jeu, je ne suis pas sûre que j’aurais été prête à mourir pour mes valeurs.
Vendredi 15 mars 2019, je me suis levée pour prendre un train. Je venais d’apprendre que quasi 50 musulman.es venaient d’être assassiné.es par un terroriste suprémaciste blanc d’extrême droite uniquement parce qu’ils.elles étaient musulman.es. Je n’étais même pas surprise. Choquée, mais pas surprise. Mon pire cauchemar se réalisait.

 

Je m’étais souvent demandé si j’aurais été collabo ou juste. Bizarrement, je n’avais pas envisagé le cas où j’étais la potentielle déportée. La petite fille en moi ne comprenait pas pourquoi on s’en était pris aux Juifs.ves, aux Tziganes, aux homosexuel.les. J’étais donc rassurée qu’une partie de mon pays ait alors résisté et vaincu cette idéologie raciste. Et surtout, la petite voix au fond de moi me disait que mon pays ne pourrait plus jamais refaire ça. Je me disais que mon pays ne ME ferait jamais ça.

Pourtant, dès le 15 mars, même pas 24 heures après cette terrible attaque contre la communauté musulmane, MA communauté continue d’être salie, insultée, non-respectée dans son deuil. Nous serions en plus RESPONSABLES de ce drame de par notre existence même.

Pour mes ami.es non musulman.es qui prendront le temps de lire cette lettre, pour celles et ceux qui m’aiment, m’apprécient, ou juste me respectent, je vais vous demander une chose. CESSEZ DE VOUS TAIRE. Vous avez le pouvoir d’être des justes. Lorsque vous entendrez dans une phrase le mot « musulman.e » prononcé par certain.es politiques, journalistes, collègues ou membres de votre famille, remplacez le par « Nawal » et répétez-vous la même phrase dans la tête. Souvenez-vous que lorsqu’ils.elles disent « musulman.e », je suis directement visée. Si ma vie, mes droits et ma sécurité vous importent : intervenez, contredisez ou quittez simplement la table.

Si vous ne vous vous sentez pas concerné.e par ce que je viens de vous écrire, si ma vie, mes droits et ma sécurité ne vous importent pas, je ne vous en voudrais pas de ne plus vouloir me fréquenter. Je vous envoie tout mon amour et je vous souhaite une vie heureuse. Je ne suis pas sûre d’avoir besoin d’ami.es ou de « potes » qui sont complices, par leur silence, de la violence envers ma communauté. Je vous promets cependant, le jour où vous vous réveillerez, que la porte de mon cœur vous sera grande ouverte.

Pour les autres, souvenez-vous du choc psychologique du 13 novembre, souvenez-vous des émotions qui nous ont envahies. Alors que comme tant d’autres, je n’ai pas encore complètement digéré le 13 novembre, je dois de nouveaux faire face à ces mêmes émotions. Je vais continuer à vivre, à rire, à danser, à exister. Mais pendant un temps, chaque vendredi, j’aurai la boule au ventre quand mon père se rendra à la mosquée pour la prière collective. Et chaque vendredi soir, j’espère pouvoir fêter avec vous que j’ai eu tort de m’inquiéter car il sera rentré sain et sauf.

Soyez indulgent.es avec moi : je risque de tourner en boucle sur le sujet, ou par moments, de déprimer face à la bêtise de ce que j’entends, de ce que je vois, de ce que je vis. Rappelez-moi que vous êtes mes allié.es. Taisez-vous, ne répliquez pas, laissez le flot sortir. Prêtez-moi une épaule sur laquelle pleurer. Divertissez-moi. Acceptez le fait que vous ne me reconnaissiez pas ou que vous ne me compreniez pas complètement. Ma colère, même si elle s’exprime DEVANT vous, n’est pas dirigée CONTRE vous. Rappelez-vous que vous êtes les seul.es auprès desquel.les je m’autorise à l’exprimer. Car ailleurs, je n’ai socialement pas le droit de me mettre en colère, sans en subir les conséquences. Soyez mon espace de bienveillance dans ce monde qui en manque cruellement.

Je vous aime,

Nawal
#lavieestunefete #levieestunefeta

 

Crédit Photo Image à la une : Rakidd

[/vc_column_text][/vc_column][vc_column width= »1/3″][vc_column_text]

Diffuse la bonne parole

[/vc_column_text][vc_facebook][vc_tweetmeme][vc_column_text][/vc_column_text][vc_widget_sidebar sidebar_id= »home-one »][/vc_column][/vc_row]

Catégories
(Dé)construction Nos Voix

« Maman, tu peux m’accompagner en sortie scolaire ? »

[vc_row][vc_column width= »2/3″][vc_column_text]

À l’occasion du Muslim Women’s Day, il est important d’aborder la relation ambiguë que l’on peut entretenir avec l’institution scolaire et notamment en tant que mère. Cette relation est constituée d’une grande part d’appréhension face au comportement que pourraient avoir les professeur.e.s face à mon voile.

 
Elle prononce à peine les consonnes et ses phrases ne contiennent que quelque mots… Ma fille vient d’avoir deux ans. Elle n’est pas encore scolarisée. Je ne suis donc pas encore concernée mais j’appréhende déjà. Je vis en banlieue parisienne, à 10 minutes d’une grande mosquée. J’ose espérer qu’avec la population musulmane représentée dans ma ville, les enseignant.e.s sont plus ouvert.e.s (ou moins ouvertement islamophobes…).

En tant que femme voilée en France, j’ai énormément de craintes quant à mon avenir et mes perspectives dans mon pays. J’ai le sentiment que la situation de la France et la mienne ne font qu’empirer de jour en jour. Les médias et les politiques usent de beaucoup d’imagination pour inventer des polémiques liées à l’Islam et en particulier à mon voile. Dans le seul but d’enfouir sous le tapis les vrais sujets de notre société comme le chômage ou le mal logement.

Après avoir polémiqué autour du voile d’une présidente de syndicat étudiant, puis sur celui d’une star de téléréalité, on nous parle désormais du voile que l’on porte pour faire du sport… Pitoyable !
 

Hier, j’avais beaucoup d’appréhensions quant à mon avenir en France en tant que femme voilée. Aujourd’hui, j’en ai encore plus en tant que femme voilée et mère.

 

Tout parent est inquiet pour son enfant et surtout pour l’environnement dans lequel il va grandir et vivre. On veut la/le voir grandir dans des espaces les plus sereins, apaisants et les plus bienveillants possible.

Et ce tant dans la sphère familiale que scolaire. On veut les meilleures écoles, les meilleur.e.s professeur.e.s, la meilleure éducation pour nos enfants, pour qu’ils et elles s’épanouissent pendant leur scolarité.
 
Mais comment s’épanouir dans une institution qui rejette leur mère ?
 
C’est une question que ma fille me posera bientôt et cette question me fait peur. Pour la plupart des parents, c’est une question banale et la réponse est simple. Elle dépend seulement du temps et de l’envie du parent. Pour moi, c’est différent. Mon voile et mon choix de le porter pourra être la raison pour laquelle on me refusera d’accompagner ma fille à l’école.

Un de mes meilleurs souvenirs de sorties scolaires était un parc médiéval en Seine-et-Marne. C’est la seule sortie que ma mère a pu faire avec moi car elle ne travaillait pas ce jour-là. Je me souviens encore de la fierté que ce soit ma mère qui nous accompagne, de mon enthousiasme à l’idée de lui faire découvrir mon environnement scolaire, dont elle ne faisait pas vraiment partie.

J’ai peur de ne pas pouvoir accorder cela à ma fille.

J’ai peur de devoir me battre contre les professeur.e.s, contre la direction, contre l’école. Alors que l’on devrait marcher ensemble vers le même but : l’avenir de nos enfants.
 
L’accompagnement en sortie scolaire me questionne. Et je sais que d’autres points de discorde m’attendent : les menus végétariens, mon voile et mon implication en tant que parent d’élève.

Vous me direz que je suis peut-être très, voire trop, pessimiste ; que la plupart du temps tout se passe bien. Je suis d’accord. Cependant, je préfère me préparer au pire. D’autant plus que ce pire est de plus en plus probable. Lorsque je dis « préparer », je parle d’anticiper les problèmes et rechercher des solutions possibles. Car il n’est plus question que je laisse faire, que j’attende, que je me taise. Il n’est plus question que j’attende un miracle. Le miracle, j’irai le chercher moi-même.
 
Cette bataille a déjà commencé et est loin de se terminer.
 
Je pense à ma fille qui, si elle choisit un jour porter le voile, sera peut-être obligée de le retirer à la grille, obligée de laisser de côté une partie de son identité, une partie de ce qu’elle aura choisi d’être. Je pense à toutes ces questions et remarques idiotes que lui feront le corps enseignant et la suivront aussi dans la sphère professionnelle.

Je pense surtout à l’autocensure qu’elle pourra choisir inconsciemment face à la difficulté de trouver un stage ou un emploi dans certaines filières, justement à cause de son voile ou seulement de son apparence présupposée à l’Islam.

Je pense à tout cela et plus encore. Et je me dis que ma solution n’est pas le repli. Pour l’instant (et pour longtemps j’espère), je me bats pour mes droits et pour ceux de ma fille.
 
Que les futures lois mises en place respectent nos droits en tant que femme musulmane et/ou voilée.
Que les actuelles lois qui bafouent nos droits (comme la loi de 2004) soient abrogées.
 

Pour ma fille, Nour.

 

Crédit Photo Image à la Une : Nike

[/vc_column_text][/vc_column][vc_column width= »1/3″][vc_column_text]

Diffuse la bonne parole

[/vc_column_text][vc_facebook][vc_tweetmeme][vc_column_text][/vc_column_text][vc_widget_sidebar sidebar_id= »home-one »][/vc_column][/vc_row]

Catégories
(Dé)construction

Quelle place pour les Femmes musulmanes dans la production et transmission des savoirs religieux ? Partie 3

[vc_row][vc_column width= »2/3″][vc_column_text]

Tisser les fils de la mémoire collective et lire dans le silence de nos sources

Retrouvez ici la partie 1 et la partie 2 de cet article
Quelle fut la place des femmes musulmanes dans la production et la transmission des savoirs religieux ? Dans quelle mesure ont-elles participé à la transmission des ahadiths (paroles et actes rapportés du Prophète Mohammed), quel rôle ont elle joué dans les processus de raisonnement juridiques (fiqh), dans l’enseignement et la gestion des écoles religieuses, mais aussi dans la guidance spirituelle ? Quelles étaient les spécificités de leurs contributions ? Comment peut-on identifier et lire les sources historiques pertinentes ? Comment lire dans le silence des sources textuelles, et faire ressortir la voix et l’expérience de ces femmes dans textes majoritairement écrits par des hommes ? Que nous disent les efforts intellectuels de ces femmes musulmanes sur notre époque et notre rôle dans la production et la transmission des savoirs religieux.

 

Les limites dans la transmission des savoirs

Dans les parties précédentes, j’ai abordé quelques exemples des façons dont les femmes musulmanes ont contribué dans la production et la transmission des savoirs religieux en tant que muhadithates (transmetteuses de hadith), faqihates (juriste, savante en fiqh), muftiyates (donnaient des opinions juridiques), wa’izates (prédicatrices) et sufiyyates (guides spirituelles) dans la période prémoderne des sociétés islamiques (7e siècle jusqu’à la fin du 18e siècle). Quelles sont les limites de cette brève description ?

Tout en contrastant les lectures orientalistes du rôle des femmes dans les sociétés musulmanes, il faut garder un esprit critique et noter quelques limites :

• La plupart des femmes que j’ai cité faisaient partie des classes supérieures, d’une élite intellectuelle, et étaient pour la grande majorité filles de savants et d’éminents juristes.

• La période que j’ai couverte est une époque où les sociétés musulmanes étaient fondées sur des structures sociales profondément inégalitaires, en termes de classe, mais qui reposaient également sur l’esclavage. Les savoirs produits et transmis par les hommes et les femmes des classes populaires ainsi que par les musulman.es réduites à l’esclavage ne sont pas pris en compte dans ces sources textuelles ; à l’exception des exemples d’esclaves affranchis comme Rabi’a.

• Aussi, si les femmes que j’ai citées pouvaient enseigner dans les maisons, les rues et les mosquées ; elles restaient cantonnées au milieu informel. A quelques exceptions près, elles n’ont pas occupé de positions officielles auprès des institutions juridiques ou politiques.

 

Quelles leçons en tirer pour notre époque ?

Etant donné que leurs compétences et autorité scientifique étaient respectées, l’exclusion des femmes dans ces positions n’étaient pas due à un interdit religieux ou à un rejet sociétal, mais bien à des logiques de pouvoir et de domination patriarcale. Ces logiques de domination perdurent jusqu’aujourd’hui dans les institutions étatiques et religieuses, et bien évidemment cela va au-delà des contextes musulmans.

On peut se demander donc :

• Si les femmes dans les sociétés musulmanes prémodernes pouvaient répondre aux critères très exigeants de production et de transmission du savoir religieux, et même exceller dans ce domaine ; et s’il n’existe aucun interdit religieux pour qu’elles étudient, interprètent, transmettent, prêchent aux hommes et aux femmes ;

• Pourquoi la présence des femmes et leur leadership dans les sphères religieuses islamiques posent elle problème aujourd’hui ?

• Pourquoi l’héritage qui nous est transmis se concentre uniquement sur la piété, l’obéissance et la pudeur des femmes du prophète et des sahabiyates, et

• Pourquoi n’est-il jamais fait mention de ces femmes érudites, de leurs débats constructifs avec les autres savants, de leurs désaccords, de leur leadership etc… ?

 

Lire dans le silence des sources textuelles pour faire ressortir la voix des femmes

Comment devons-nous appréhender ces sources, ces biographies majoritairement écrites par des hommes, et comment pouvons-nous faire ressortir la voix et l’expérience des femmes de ces textes androcentrés ?

Pour apporter quelques éléments de réponse à cette question je me repose sur les travaux de Omaima Abou-Bakr, et notamment son article Rings of Memory où elle pose la question de l’invisibilité textuelle des femmes dans cette histoire documentée par des hommes. Les autres travaux sur le sujet que je vous conseille de lire sont ceux Leila Ahmed et de Mohja Kahf.

Crédit photo : Capture de la vidéo sur les Muhaddithat réalisée par Norhayati Kaprawi 

Il faut savoir que les mêmes questionnements ont été soulevés par des historiennes féministes spécialisées sur le Moyen-âge en Europe comme Ruth Evans. Comment penser les liens entre l’Histoire et l’historiographie, la réalité et la représentation. Ruth Evans parle par exemple de « ventriloquie » (ventriloquism) et met l’accent sur le rôle joué par les auteurs, masculins, ces ventriloques, dans la construction sociale des femmes dont ils relatent les faits, faits qui sont des représentations biaisées de la réalité.

Lorsque l’on explore ces sources, il faut donc garder à l’esprit les limites :

• Les descriptions des femmes dans les dictionnaires bibliographiques sont souvent brèves et les auteurs, des hommes, ont sélectionné ce qu’ils considéraient importants pour la postérité, comme le caractère moral, la piété etc.. ;

• Ces auteurs ne s’intéressaient pas aux questions d’émancipation des femmes ni au rôle joué par le genre dans l’accès à l’éducation et au savoir ;

• Enfin ces sources ne prennent pas en compte les préoccupations des femmes, leur vie quotidienne et leur routine, éléments que l’on ne peut que deviner en lisant dans le silence des sources, ou en faisant un travail de recherche dans l’histoire orale.

Il faut donc se poser plusieurs questions en appréhendant ces textes :

• Quelle représentation de la femme en question est véhiculée et est-ce que cela correspond à la réalité? (en comparant avec d’autres écrits et en prenant en compte les facteurs historiques, leur milieu social etc..)

• Qui sont les auteurs et en quoi l’image qu’ils peignent de cette femme peut servir les objectifs et les représentations véhiculés par leur environnement socio-historique ?

En d’autres termes ces sources textuelles nous informent sur la construction sociale et culturelle mais ne peuvent pas être considérées comme des représentations exactes des réalités vécues par ces femmes.

Pour Omaima Abou-Bakr, les œuvres conservées, même écrites par des hommes, sont une source d’information inestimable. Il faut néanmoins renverser la dynamique, de textes écrits sur les femmes à des textes écrits par les femmes. Pour cela elle suggère de creuser dans la mémoire écrite et orale, pour créer ce qu’elle appelle une « visibilité textuelle » des femmes musulmanes dans l’Histoire.

Rendre la visibilité textuelle aux femmes du passé est essentielle pour ré-affirmer la légitimité des femmes musulmanes aujourd’hui, à participer dans la transmission et la production de savoirs religieux. Je vous invite donc à lire ces sources à la lumière de nos contextes actuels, afin de tisser les fils de la mémoire collective entre les générations du passé et celles du présent.

Conclusion

Enfin, je ne pouvais pas finir cette intervention sans évoquer mes héroïnes contemporaines, celles sans qui je n’aurai pas été dans la mesure d’aborder ce sujet aujourd’hui, Omaima Abou Bakr, Mulki-Al Sharmani, Ziba Mir-Hosseini, Zainah Anwar, Jana Rumminger, amina wadud, Marwa Sharafeldin, Hala Al Karib, Zahia Jouirou, Asma Lamrabet et toutes les autres femmes avec qui j’ai la chance de travailler au quotidien à Musawah, mais également d’autres figures qui m’inspirent dans leurs écrits telles que Fatima Mernissi, Mohja Kahf et bien d’autres.

Je pense aussi à ces femmes qui aujourd’hui investissent les sphères du savoir religieux, notamment au réseau de savantes indonésiennes, ALIMAT qui a lancé pour la première fois, un majliss de fatwas émises par des femmes pour les femmes.

Pour finir, je souhaite aussi rendre hommage à toutes les femmes qui m’entourent, à mes grand-mères qui bien qu’elles ne soient pas lettrées sont des puits de sagesse et de savoir, à cet héritage oral transmis par nos mères, par nos tantes, par nos sœurs de sang mais aussi nos sœurs de lutte, héritage que nous nous efforçons de nous réapproprier et que nous devons valoriser au titre de savoirs légitimes. Car comme le dit Amina Wadud, « Our experiences matter, our lived realities matter » : nos expériences comptent, nos réalités vécues comptent.

Références :

– Al-Sa’di, Hoda, and Omaima Abou-Bakr. al-Mar’a wa-al-hayat al-diniyya fi al-‘usur al-wusfa (Women and Religious Life in the Middle Ages) Cairo: The Women & Memory Forum, 2001.
– Ahmed, Leila. Women and Gender in Islam: Historical Roots of a Modern Debate. New Haven: Yale University Press, 1992.
– Abou-Bakr, Omaima. “Rings of Memory: “Writing Muslim Women” and the Question of Authorial Voice.” In: The Muslim World, 2013, 103: 320-333
– Dryer, Elizabeth “Whose Story Is It? The Appropriation of Medieval Mysticism,” Spiritus: A Journal of Christian Spirituality, 4, no. 2 (2004), 151–172: 151.
– Evans, Ruth, and Lesley Johnson, eds. Feminist Readings in Literature. London and New York: Routledge, 1994.
– Kahf, Mohja. “Braiding the Stories: Women’s Eloquences in the Early Islamic Era”, in Windows of Faith, ed. G. Webb (New York: Syracuse University Press, 2000), 147-171:159.
– Lapidus, Ira M. A History of Islamic Societies. Cambridge: Cambridge University Press, 2014.
– Ruys, Juanita. “Playing Alterity: Heloise, Rhetoric, and Memoria,” in Maistresse of My Wit: Medieval Women, Modern Scholars, eds. L. D’Arcens and J. Ruys (Turnhout: Brespols Publishers, 2004), 211–235: 212.
– Scott, Joan. “Gender: A useful Category for Historical Analysis.” American Historical Review 91, no.5 (1986): 1053-75.
– Spellberg, Denise. « History Then ,History Now: the Role of Medieval Islamic Religio-Political Sources in shaping the Modern Debate on Gender. » In Sonbol, Amira (ed.). Beyond the Exotic: Women’s Histories in Islamic Societies. Cairo: The American University in Cairo press 2005. pp. 3-14
– Rhoded, Ruth. Women in Islamic Biographical Collections: From Ibn Sa ‘d to Who’s Who. Boulder and London: Lynne Rienner Publications, 1994. Introduction. pp. 1-14, Conclusion, pp. 135-141
Article écrit à partir de l’intervention de Sarah Marsso à l’occasion du festival féministe Lallab Birthday #2 qui, pour fêter les deux ans de Lallab le 6 mai 2018, célébrait les héritières.

Crédit Photo Image à la une : Gathering de Farsaneh Faris Moayer

[/vc_column_text][/vc_column][vc_column width= »1/3″][vc_column_text]

Diffuse la bonne parole

[/vc_column_text][vc_facebook][vc_tweetmeme][vc_column_text][/vc_column_text][vc_widget_sidebar sidebar_id= »home-one »][/vc_column][/vc_row]

Catégories
(Dé)construction

Quelle place pour les Femmes musulmanes dans la production et transmission des savoirs religieux ? Partie 2

[vc_row][vc_column width= »2/3″][vc_column_text]

Tisser les fils de la mémoire collective et lire dans le silence de nos sources

La première partie de cet article a été publié ici 
Quelle fut la place des femmes musulmanes dans la production et la transmission des savoirs religieux ? Dans quelle mesure ont-elles participé à la transmission des ahadiths (paroles et actes rapportés du Prophète Mohammed), quel rôle ont elle joué dans les processus de raisonnement juridiques (fiqh), dans l’enseignement et la gestion des écoles religieuses, mais aussi dans la guidance spirituelle ? Quelles étaient les spécificités de leurs contributions ? Comment peut-on identifier et lire les sources historiques pertinentes ? Comment lire dans le silence des sources textuelles, et faire ressortir la voix et l’expérience de ces femmes dans textes majoritairement écrits par des hommes ?Que nous disent les efforts intellectuels de ces femmes musulmanes sur notre époque et notre rôle dans la production et la transmission des savoirs religieux.

 

La réémergence des femmes savantes (cheikhas)

On assiste à une réémergence des femmes cheikhas, savantes religieuses, au milieu du 9e siècle. Après plus de 250 années de silence, comment peut-on expliquer ce renouveau ? Les historiens et historiennes avancent trois raisons principales. Tout d’abord, les nouveaux développements dans les sciences religieuses et notamment la consolidation des corpus de hadith dans les Sahih (Bukhari et Muslim) ont permis d’assouplir les critères d’accès et de participation à ces sciences. Ensuite, l’acceptation de la transmission écrite (et non orale) des ahadiths a également facilité la participation des femmes car elles n’avaient plus besoin de partir en voyage, de faire des rihlas pour récolter les narrations. Enfin, c’est le système de transmission intrafamilial de ces sciences au sein de grandes familles de savants qui a permis aux femmes faisant partie de cette élite intellectuelle d’avoir accès à ces connaissances au même titre que les hommes.

Ces femmes qu’on a appelé les muhadithates étaient des expertes dans le domaine des ahadiths et de leur interprétation. Récemment l’auteur Muhammad Akram Nadwi a publié une encyclopédie de 57 volumes sur les muhadithates depuis les premières décennies de l’Islam jusqu’au temps contemporain. Si son ouvrage est une source d’information incommensurable, l’auteur reste malheureusement assez factuel et n’offre pas d’analyse historique et notamment pas de perspective genre. D’autres auteures l’ont fait, dont Omaima Abou Bakr, Jonathan Berkey et  Hoda Al Saada.

On peut lire dans les biographies de ces femmes savantes les détails sur la nature de leur travail, leur milieu social mais également leurs méthodes d’enseignement et les environnements mixtes dans lesquels elles évoluaient, ce qui est un élément intéressant à prendre en compte lorsque l’on pense à la façon dont les sciences islamiques sont enseignées aujourd’hui…

L’enseignement dans les sociétés islamiques prémodernes se déroulait de manière informelle au sein de cercles d’étude (majliss al ‘ilm) dans les mosquées, parfois même dans les rues ou les places publiques dans les grandes villes. Les savants et savantes donnaient des conférences publiques et les individus intéressés se rassemblaient autour de ces personnalités pour apprendre, et disséminer à leur tour les connaissances acquises.

Les étudiants participaient à un majliss jusqu’à ce qu’ils aient jugé avoir acquis ce dont ils avaient besoin, puis ils se dirigeaient vers un autre majliss pour acquérir d’autres connaissances. On peut voir que le processus à l’époque était plus flexible, et plus démocratique en un sens qu’aujourd’hui. Enseigner dans un majliss n’était pas une chose aisée, car avant de débuter les étudiants évaluaient l’enseignant en posant plusieurs questions précises pour tester ses connaissances. Ce processus d’évaluation et de sélection intransigeant s’appliquait également aux femmes, et leur présence dans ce domaine prouve leur haute qualification. Il faut également noter que leurs compétences ne se limitaient pas à la transmission de hadith, mais s’étendaient également à la maîtrise des règles juridiques (ahkam), l’histoire, la logique, l’éthique et la philosophie.

Une fois l’enseignante jugée compétente, la méthode d’enseignement suivait un processus très précis, où dans un premier temps les étudiants devaient écouter (sam’), puis réciter ce qui a été mémorisé (qira’a), et enfin faire preuve d’esprit critique et écrire leurs commentaires, pour que l’enseignante puisse lui donner une certification (ijaza). Et c’est notamment à travers ces ijazas que l’on a pu découvrir que de nombreuses femmes ont donné des certifications à de grandes figures de la tradition musulmane.

Donner des ijazas n’était pas à la portée de tout le monde, il fallait remplir des critères stricts de légitimité et de précision intellectuelle, ainsi qu’être reconnu comme autorité savante par ses contemporains. Critères exigeants que remplissaient de nombreuses femmes ; comme le montre le fait que le grand juriste et théologien Ibn Hajar a cité 53 femmes auprès desquelles il a étudié, tandis que Al- Sakhawi mentionne avoir obtenu des ijazas, des certifications auprès de 68 femmes.

Leadership religieux et spirituel

Parmi ces muhhadithates on peut citer Shaykha Shuhda bint Aúmad bin al-Faraj (12e siècle) qui était connue sous le nom de fakhr a nisa (la fierté des femmes) et qui donnait de grandes conférences publiques à la mosquée de Bagdad. L’historien ibn Khaliqan dans son livre wafiyat al a’ian (volume 5) témoigne que de nombreux savants ont étudié auprès d’elle, qu’à elle seule elle attirait un public très large, des plus jeûnes aux plus âgées ce qui atteste de sa stature et de sa notoriété. L’exemple de Shaykha Shuhda prouve également que les femmes étaient autorisées d’enseigner dans les mosquées, devant de grandes assemblées et qu’elles n’étaient pas confinées à l’enseignement dans leurs maisons.

On peut également citer l’exemple de Aicha bint Ali Bin Mohammed Bin Nasarallah, qui était une savante hanbalite (1359-1436 14/15e s), qui a enseigné à de nombreux imams, et qui était une experte reconnue de la sira (biographie du prophète) mais également des outils du fiqh (analyse juridique). Aicha a été amenée à voyager d’Egypte à la Palestine pour transmettre ses connaissances à de grandes figures savantes contemporaines.

Une autre caractéristique intéressante qui ressort de ces biographies, ce sont les titres que l’on a donné à ces femmes. Dans son ouvrage Materials on Muslim Education, Arthur Stanley Tritton mentionne les titres de « Sitt al-wuzara » (La grande dame des ministres), ou de « Sitt al fuqaha » (La grande dame des juristes). Certaines d’entre-elles se sont même vues donner le titre de « dhat riyasa », de leader, ce qui voulait dire qu’elles étaient l’autorité suprême sur une spécialité, titre qu’elles obtenaient après avoir remporté un débat public avec d’autres savants experts en la matière. (Makdisi, Rise of Colleges).

Malheureusement, la plupart des travaux écrits de ces femmes savantes sont perdus, et nous avons connaissance de leur existence qu’à travers la mention des titres de leurs ouvrages par leurs étudiants et leurs contemporains. Ceux-ci évoquent par exemple que leurs enseignantes ont pu écrire des questions de fiqh (masa’il fiqhiya), des opinions juridiques (fatawas), des interprétations et commentaires (ta’aliq wa shuruh). On note aussi parfois la mention qu’un savant aurait compilé des travaux pour telle ou telle personnalité, ce qui nous indique que c’étaient les hommes scribes qui étaient chargés de préserver et compiler les opinions juridiques des femmes.

Crédit Photo : Capture de la vidéo sur les Muhaddithat réalisée par Norhayati Kaprawi 

Nous retrouvons également des traces dans les correspondances épistolaires entre les savants et savantes pour échanger des informations, des opinions mais également pour débattre de problématiques scientifiques et religieuses. Al Sakhawi par exemple a compilé ses correspondances avec Fatima (1451) la fille du juge Kamal al-Din Mahmud, leur relation était amicale, ils échangeaient des anecdotes personnelles, des poèmes qu’ils critiquaient mutuellement, mais également des opinions juridiques (fatawas). Ce qui montre que leurs échanges étaient placés sur un pied d’égalité.

Certains historiens ont avancé que l’autorité de ces femmes était restreinte par leur incapacité d’interagir directement avec les étudiants hommes, c’est le cas notamment de Jonathan Berkey dans son ouvrage Women and Islamic Education. Mais les exemples que j’ai cité de correspondances et d’enseignement dans les mosquées contredisent cette hypothèse.

Un autre contre-exemple est la pratique de ce qu’on appelait des « Mujawara », lorsque des voyageurs, hommes ou femmes s’installaient aux alentours des lieux saints (la Mecque, Médine ou Jérusalem) pour vivre une vie de piété et de méditation. Lorsque les premières madrassas (écoles) sont nées, beaucoup se sont installées autour de ces voyageurs (mujawirun) pour qu’ils transmettent leurs savoirs. Dans leurs compilations Ibn Hajar et Al Sakhawi mentionnent que des femmes figuraient parmi les mujawirun, et qu’elles interagissaient avec les hommes. Certaines femmes étaient également connues pour leur prêches, comme Taj al-nisa’ bint rustum bin tabi al raja al- Asbahani  (1504) qui avait le titre de « Shaykhat al –haram » c’est-à-dire le titre officiel de savante de la grande mosquée de la Mecque.

Enfin, de nombreuses femmes ont choisi la voie mystique soufie, les ‘abidates ou sufiyyates.  Abu Abd al-Rahman al-Sulami (936-1021) a écrit un dictionnaire bibliographique sur ces femmes soufis, (dhikr al-niswa al-muta’abbidat al sufiyyat), on retrouve également des traces de leur présence dans les commentaires des exégèses coraniques (tafsirs) ou dans les poèmes. Aziza Ouguir montre dans ses recherches que les savants issus de la tradition mystique soufi des sociétés islamiques prémodernes ne distinguaient pas les hommes des femmes, qu’ils considéraient comme leurs égales aux yeux de Dieu. Aussi les écrits de Ibn Arabi et de Ibn Taymiyya attestent que ces femmes avaient occupé des postions de leadership religieux et étaient reconnues pour leur piété et sagesse.

Une des figures les plus célèbres est celle de Rabia al Adawiyya (720-801), esclave affranchie originaire de Basra, en Iraq, qui a alimenté pendant des siècles et alimente encore les enseignements soufis, et notamment à travers ses poèmes relatant son amour inconditionnel pour Dieu. Rabi’a a refusé les maintes demandes en mariage qu’on lui a faite. Elle a réussi à dépasser les catégories sociales dans lesquelles on enfermait les femmes, elle n’était en effet, ni épouse, ni esclave ni en dessous de quelconque autorité masculine, la seule autorité à laquelle elle se soumettait était Dieu, un être non genré.

Il existe évidemment bien d’’autres femmes mystiques soufi moins connues ; Fatima de Nishapur, Fatima de Cordoba, Aicha de Damas, et de nombreux auteurs ont consacré des ouvrages à ce sujet, je vous conseille notamment les travaux sur les femmes mystiques musulmanes de Azad Arezou.

SUITE DE L’ARTICLE 

Retrouvez la suite de cet article « Quelle place pour les Femmes musulmanes dans la production et transmission des savoirs religieux ? ci-dessous :

Partie 3/3

 

Références :

– Al-Sa’di, Hoda, and Omaima Abou-Bakr. al-Mar’a wa-al-hayat al-diniyya fi al-‘usur al-wusfa (Women and Religious Life in the Middle Ages) Cairo: The Women & Memory Forum, 2001.
– Al-Sakhawi, Muhammad b. ‘Abd al-Rahman. Al-Daw’ al-Lami’ li-Ahl al-Qarn al-Tasi’. Cairo: Maktaba al-Qudsi, 1936.
– Al-Sulami, Abu ‘Abd al-Rahman. Dhikr al-Niswa al-Muta’abbidat al-Sufiyyat (Mention of worshipping mystic women), ed. M. M. al- Tanahi (Cairo: al) Hai’a al-misriya al-‘amma lil-kitab, 1999).
– Al- Zarkashi, Muhammad b. Bahadur. Al-Ijaba li-Irad ma Istadrakathu ‘Aisha ‘ala al-Sahaba. Beirut : al-Maktab al-Kutubal-‘Ilmiya, 2000.
– Azad, Arezou. “Female Mystics in Medieval Islam: The Quiet Legacy.” In: Journal of the Economic and Social History of the  Orient, 2013, 56: 53-88.
– Berkey, Jonathan. The Transmission of Knowledge in Medieval Cairo: A Social History of Islamic Education. Princeton, NJ: Princeton University Press, 1992. Chapter 6. pp. 161-181.
– Ibn Hajar al-‘Asqalani, Ahmad b. ‘Ali. al-Durar al-Kamina fi A’yan al-Mi’a al-Thamina. Cairo: Dar al-Kutub al-Haithda, 1966. Ibn Sa’d, Muhammad. Kitab al Tabaqat al Kabir, Leiden: E.J. Brill, 1904_18.
– Lapidus, Ira M. A History of Islamic Societies. Cambridge: Cambridge University Press, 2014.
– Makdisi, George. The Rise of Colleges. Edinburgh University Press, 1981.
– Norhayati Kaprawi, October 2018. Video on Muhaddithat : https://www.youtube.com/watch?v=dKX8cmWOxr8&feature=youtu.be
– Ouguir, Aziza. 2013. Female Religious Agents in Morocco: Old Practices and New Perspectives.
– Spellberg, Denise. « History Then ,History Now: the Role of Medieval Islamic Religio-Political Sources in shaping the Modern Debate on Gender. » In Sonbol, Amira (ed.). Beyond the Exotic: Women’s Histories in Islamic Societies. Cairo: The American University in Cairo press 2005. pp. 3-14
– Sayeed, Asma. “Women and Hadith Transmission: Two Cases from Mamluk Damscasus.” In: Studia Islamica, 95, 2002: 71-94
– Sayeed, Asma. Women and the Transmission of Religious Knowledge in Islam. Cambridge: Cambridge Univeristy Press, 2013. Sonbol, Amira. 1996. The New Mamluks: Egyptian Society and Modern Feudalism. New York: Syracuse University Press, 2000.
– Tucker, Judith. In the House of Law: Gender and Islamic Law in Ottoman Syria and Palestine. Cairo: American University in Cairo Press, 1999

 

Article écrit à partir de l’intervention de Sarah Marsso à l’occasion du festival féministe Lallab Birthday #2 qui, pour fêter les deux ans de Lallab le 6 mai 2018, célébrait les héritières.

Crédit Photo Image à la une : Capture de la vidéo sur les Muhaddithat réalisée par Norhayati Kaprawi

 

[/vc_column_text][/vc_column][vc_column width= »1/3″][vc_column_text]

Diffuse la bonne parole

[/vc_column_text][vc_facebook][vc_tweetmeme][vc_column_text][/vc_column_text][vc_widget_sidebar sidebar_id= »home-one »][/vc_column][/vc_row]


Catégories
(Dé)construction

Quelle place pour les Femmes musulmanes dans la production et transmission des savoirs religieux ? Partie 1

[vc_row][vc_column width= »2/3″][vc_column_text]

Tisser les fils de la mémoire collective et lire dans le silence de nos sources

 

Aujourd’hui nous célébrons ces femmes qui nous ont précédées, les combats qu’elles ont menés, les traumatismes qu’elles ont surmontés, mais surtout les sagesses qu’elles nous ont transmis, de génération en génération, une source immatérielle, créatrice et inépuisable de savoir qui est trop souvent passée sous silence. Ce sont ces voix étouffées, ces savoir-faire et savoir être rendus invisibles par des siècles de domination patriarcale, que j’aimerai rappeler à nous, et notamment l’héritage des femmes dans la tradition musulmane.

 

Quelle fut la place des femmes musulmanes dans la production et la transmission des savoirs religieux ? Dans quelle mesure ont-elles participé à la transmission des ahadiths (paroles et actes rapportés du Prophète Mohammed), quel rôle ont elle joué dans les processus de raisonnement juridiques (fiqh), dans l’enseignement et la gestion des écoles religieuses, mais aussi dans la guidance spirituelle ? Quelles étaient les spécificités de leurs contributions ? Comment peut-on identifier et lire les sources historiques pertinentes ? Comment lire dans le silence des sources textuelles, et faire ressortir la voix et l’expérience de ces femmes dans des textes majoritairement écrits par des hommes ? Que nous disent les efforts intellectuels de ces femmes musulmanes sur notre époque et notre rôle dans la production et la transmission des savoirs religieux.

 

L’émancipation des femmes musulmanes n’est pas née avec le colonialisme et les Etats nations modernes.

J’ai choisi de me concentrer sur la période prémoderne des sociétés musulmanes, c’est-à-dire depuis la mort du Prophète (PSL) dans la seconde moitié du 7e siècle jusqu’à la fin du 18e siècle, car c’est au cours de cette période que se sont construites, approfondies et consolidées les sciences religieuses islamiques telles qu’on les connait aujourd’hui. Contrairement à l’imaginaire façonné par les stéréotypes orientalistes, les femmes ont occupé des rôles et positions clés dans les sociétés islamiques prémodernes, et elles n’étaient pas toutes passives et cloîtrées dans des harems. La réflexion autour de l’histoire oubliée de ces femmes a fait l’objet de nombreuses études, de la part d’historiens et historiennes tels que Amira Sonbol, Leila Ahmed ou Jonathan Berkey

Ces travaux remettent en cause le postulat moderniste selon lequel les femmes n’ont pu et ne peuvent atteindre une pleine et véritable émancipation qu’à travers la modernisation dans toutes ses formes et ses manifestations. Ce postulat est problématique car il a ancré dans la conscience collective que l’émancipation des femmes musulmanes est née avec le colonialisme occidental et les Etats nations modernes. Aussi, il nous ramène au binarisme typique du paradigme orientaliste qui oppose la tradition à la modernité ; modernité qui serait synonyme de progrès.

Ainsi, les travaux historiques récents ont démontré la présence active des femmes musulmanes dans la sphère publique au cours de cette période, qui s’étale sur près de dix siècles, et notamment dans les domaines religieux et spirituels, en tant que muhadithates (transmetteuses de hadith), faqihates (juriste, savante en fiqh), muftiyates (donnaient des opinions juridiques), wa’izates (prédicatrices) et sufiyyates (guides spirituelles).

Avant d’explorer quelques exemples, il est tout d’abord important de noter ici la rareté et la dispersion des sources historiques sur la vie de ces femmes. Ainsi les historiens et historiennes qui travaillent sur ce sujet se sont essentiellement reposés sur les dictionnaires biographiques de l’époque, qui servaient à documenter la vie des grandes figures religieuses et politiques, y compris les figures féminines. Il existe de nombreuses compilations telles que Tabaqat de Ibn Sa’d (845), Siyar A’lam al-Nubala’ de al-Dhahabi (1348), al-Durar al-Kamina de Ibn Hajar al-Asqalani (1448) ou al-Daw’ al-Lami’ de Muhammad Shams al-Din al-Sakhawi (1428- 1497). L’information récoltée sur les femmes est souvent très brève et concise, et il faut donc être attentive aux détails de la narration ainsi qu’au ton du narrateur, et nous aborderons cela à la fin de mon exposé, comment lire entre les lignes et combler les lacunes lorsqu’il ne s’agit pas de HIStories mais de HERstories.

Les Sahabiyates

Dans son ouvrage, Women and the transmission of religious knowledge in Islam, Asma Sayeed identifie quatre phases historiques, en ce qui concerne la place des femmes musulmanes dans la transmission du savoir religieux.  La première phase est celle des premières décennies qui ont suivi la Révélation, où les femmes du prophète ainsi que les Sahabiyates – les femmes compagnones ont transmis leurs connaissances en ligne directe du Prophète Mohammed (PSL)

Ces femmes étaient des figures respectées et des sources prolifiques de savoir, dont l’autorité et la légitimité étaient notoirement reconnues par les musulmans de l’époque. Il n’existe pas de liste définitive des compagnons et compagnones du prophète, mais Ibn hajar cité précédemment a documenté 1545 femmes sur les 12304 compagnons. Certaines d’entre-elles sont très connues, d’autres moins. On peut citer bien évidemment les femmes du Prophète, qui non seulement furent source d’autorité pour témoigner des faits et gestes du Prophète, mais dont leurs propres comportements et préférences furent également considérés comme faisant partie de la Sunna.

Aicha et Umm Salama sont celles qui furent les plus actives, Aicha ayant transmis entre 1500 et 2400 ahadiths, et Umm Salama entre 175 et 375 ahadiths. De nombreuses biographies font l’éloge des compétences multiples de Aicha, dont par exemple Abu Nu’aym al-Isbahani dans son ouvrage Hilyat al-awliya qui raconte que non seulement Aicha excellait dans la transmission des hadiths, dans son esprit critique et son interprétation qui relève du fiqh, mais qu’elle était également reconnue pour ses compétences médicinales, sa maîtrise de la poésie et que son opinion était valorisée sur la gestion des affaires de la cité.

Aussi il est intéressant de noter que les ahadiths rapportées par les femmes du prophète ne se limitaient pas aux relations conjugales, Aicha a transmis des ahadiths sur la pureté rituelle, les prières surérogatoires, le jeûne, le pèlerinage, l’héritage mais aussi sur l’eschatologie. Aicha a également plusieurs fois fait figure d’autorité pour corriger les contradictions d’autres compagnons lorsqu’ils rapportaient des faits du prophète qui ne correspondaient pas avec sa personnalité, (débats qui furent compilés par Al-Zarkashi) elle a notamment corrigé à plusieurs reprises les paroles rapportées par le compagnon Abu Hurayra. Je vous conseille à ce sujet de lire l’ouvrage de Fatima Mernissi, Le Harem politique (1987) qui consacre tout un chapitre au rôle joué par ce compagnon dans la transmission de points de vue misogynes.

Les opinions juridiques de Aicha n’étaient pas toujours acceptées mais sa présence et sa prestance étaient telles que les compagnons ne pouvaient pas lui tenir tête, ainsi par exemple elle a permis aux enfants nés hors mariage de pouvoir diriger la prière – s’ils en avaient les compétences requises- et elle a également permis aux femmes de faire leur pèlerinage sans mahram (tuteur masculin) tant que celles-ci étaient assurées de leur sécurité.

Ce sujet est comme vous pouvez l’imaginer extrêmement riche, et je ne peux donc que vous inviter vivement à lire les ouvrages qui relatent la vie et les positions de Aicha, mais également de Um Salama, des autres épouses du prophète, ses tantes et cousines, et notamment sa tante Fakhita bint Abi Talib (um Hani) qui a rapporté 30 ahadiths, et des sahabiyates, Asma bint Abi Bakr, Lubaba bint al-Harith, Umm Ayman etc..

Les grandes discordes (fitna)

La deuxième phase est celle de la fin du 7e et du 8e siècle. C’est une période avec un contexte politique difficile, où vont se succéder trois « grandes discordes », ce qu’on a appelé des fitna c’est à dire les premiers affrontements, rivalités de pouvoir et divisions entre les musulmans.

Durant cette période, qui est aussi celle de la conquête et de l’expansion du monde musulman sous les dynasties omeyyades et abbasides, la transmission des ahadiths et le savoir religieux furent utilisés à des fins politiques et pour poursuivre des intérêts claniques et personnels. Cette manipulation des sources a poussé à la professionnalisation de cette discipline et à l’établissement de critères stricts pour déterminer la validité du savoir transmis.

Parmi les critères requis figuraient l’acuité juridique, la formation linguistique, la possibilité d’avoir des interactions directes avec les enseignants, et la possibilité de faire de long et pénibles voyages (rihlas) pour récolter et vérifier les narrations. Comme la plupart des femmes ne pouvaient pas remplir ces conditions et concurrencer leurs homologues masculins, leur participation dans la transmission du savoir a considérablement chuté sur à peu près deux siècles.

 

SUITE DE L’ARTICLE 

Retrouvez la suite de cet article « Quelle place pour les Femmes musulmanes dans la production et transmission des savoirs religieux ? ci-dessous :

Partie 2/3

Partie 3/3

 

Références :

– Al-Dhahabi, Muhammad Shams al-Din. Siyar A’lam al-Nubala’. Beirut : Mu’assasat al-Risala, 1981.
– Al-Sa’di, Hoda, and Omaima Abou-Bakr. al-Mar’a wa-al-hayat al-diniyya fi al-‘usur al-wusfa (Women and Religious Life in the Middle Ages) Cairo: The Women & Memory Forum, 2001.
– Al-Sakhawi, Muhammad b. ‘Abd al-Rahman. Al-Daw’ al-Lami’ li-Ahl al-Qarn al-Tasi’. Cairo: Maktaba al-Qudsi, 1936.
– Al-Sulami, Abu ‘Abd al-Rahman. Dhikr al-Niswa al-Muta’abbidat al-Sufiyyat (Mention of worshipping mystic women), ed. M. M. al- Tanahi (Cairo: al) Hai’a al-misriya al-‘amma lil-kitab, 1999).
– Al- Zarkashi, Muhammad b. Bahadur. Al-Ijaba li-Irad ma Istadrakathu ‘Aisha ‘ala al-Sahaba. Beirut : al-Maktab al-Kutubal-‘Ilmiya, 2000.
– Ahmed, Leila. Women and Gender in Islam: Historical Roots of a Modern Debate. New Haven: Yale University Press, 1992.
– Berkey, Jonathan. The Transmission of Knowledge in Medieval Cairo: A Social History of Islamic Education. Princeton, NJ: Princeton University Press, 1992. Chapter 6. pp. 161-181.
– Ibn Hajar al-‘Asqalani, Ahmad b. ‘Ali. al-Durar al-Kamina fi A’yan al-Mi’a al-Thamina. Cairo: Dar al-Kutub al-Haithda, 1966. Ibn Sa’d, Muhammad. Kitab al Tabaqat al Kabir, Leiden: E.J. Brill, 1904_18.
– Lapidus, Ira M. A History of Islamic Societies. Cambridge: Cambridge University Press, Makdisi, George. The Rise of Colleges. Edinburgh University Press, 1981.
– Sayeed, Asma. Women and the Transmission of Religious Knowledge in Islam. Cambridge: Cambridge Univeristy Press, 2013.
– Sonbol, Amira. 1996. The New Mamluks: Egyptian Society and Modern Feudalism. New York: Syracuse University Press, 2000.

Article écrit à partir de l’intervention de Sarah Marsso à l’occasion du festival féministe Lallab Birthday #2 qui, pour fêter les deux ans de Lallab le 6 mai 2018, célébrait les héritières.

Crédit photo : Montage effectué par l’autrice à partir des couvertures de ouvrages cités

[/vc_column_text][/vc_column][vc_column width= »1/3″][vc_column_text]

Diffuse la bonne parole

[/vc_column_text][vc_facebook][vc_tweetmeme][vc_column_text][/vc_column_text][vc_widget_sidebar sidebar_id= »home-one »][/vc_column][/vc_row]