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Nos Voix

Mon père, ma source d’inspiration

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On dit que dans la vie, on a toujours un modèle, connu ou inconnu, que l’on suit par mimétisme et qui nous guide dans nos choix et nos engagements. Le mien c’est mon père. Cet homme a été pour moi une grande source d’inspiration et m’a permis de pouvoir me sentir légitime à m’engager pour des causes qui me tiennent à cœur. Ma perception de l’engagement, c’est à travers lui que je l’ai vue, apprise, et comprise. C’est pourquoi je voudrais mettre en lumière son histoire,  ainsi que celles de ces hommes et femmes qui sont aujourd’hui des personnes accomplies malgré leur parcours, et surtout encore et toujours engagé.e.s pour la même cause : leur patrie.

Bien que la question des réfugié.e.s soit vivement discutée en France aujourd’hui, ce qui en ressort majoritairement, c’est que ce pays n’a pas beaucoup de considération pour la condition de ces personnes qui ont quitté leur contrée natale. Pourtant, ces citoyens du monde, hommes, femmes et enfants, venant d’Asie, d’Afrique, ou d’Amérique, n’ont pas d’autre espoir que celui de pouvoir enfin avoir le droit de vivre, penser, aimer, ou tout simplement exister, dans un pays supposé plus accueillant.

Chaque récit d’exil mériterait, évidemment, d’être raconté. Mais aujourd’hui, c’est en tant que femme issue de l’immigration, et témoin pendant plus de vingt ans de la lutte exercée par mon père pour libérer sa patrie tout en vivant loin de son pays, que je choisis de vous parler de lui, car ses victoires m’inspirent et m’aident à la construction de mes propres engagements.

Le récit d’exil de mon père prend ses racines au Maghreb, et plus précisément en Tunisie, le 27 décembre 1983. Le Président Bourguiba décide ce jour-là de doubler le prix du pain dans tout le pays, déclenchant le jour-même une révolte du peuple sud tunisien, « l’Émeute du Pain”, occasionnant des confrontations entre la police et de jeunes manifestants dont mon père, alors âgé de 17 ans, faisait partie. Blessé par les forces de l’ordre, il sera admis à l’hôpital, puis transféré en prison.

Quelques jours plus tard, une grande manifestation ayant éclaté dans la capitale, le Président cède et revient sur ses propos. Le 3 janvier 1984, le pain reprend son coût initial. Cette première victoire obtenue par la jeunesse tunisienne m’a permis de prendre conscience que lutter, c’est résister, combattre sans abandonner, mais aussi s’organiser pour réussir, ensemble.

 

 

En 1987, Ben Ali arrive au pouvoir. Il organise, en 1989, des élections législatives dites “libres”, mais qu’il a en réalité truquées. Cette manipulation va créer, au sein du pays, des tensions politiques. Plusieurs opposants au Gouvernement ayant été arrêtés, certains dissidents, dont mon père, décident de quitter la Tunisie. Avec quinze de ses compatriotes, il rejoint dans un premier temps la Libye. Mais dès leur arrivée, constatant l’insécurité et l’instabilité du pays, ils décident d’entreprendre un nouveau périple d’une quinzaine de jours vers le Soudan, dans des conditions évidemment très dangereuses.

A la frontière, ils subissent un long interrogatoire portant sur les raisons qui les poussent à vouloir pénétrer le territoire soudanais, à l’issue duquel ils sont enfin autorisés à entrer dans le pays. Ils poursuivent jusqu’à Khartoum, la capitale, où ils décident d’un commun accord de s’installer. Cependant, rencontrant au fil des jours de trop grandes difficultés d’intégration dans ce pays dans lequel ils aspiraient à vivre libres et en paix, mon père et ses compagnons de route rebroussent finalement chemin vers la Libye.

En arrivant là-bas, mon père apprend que tous ses frères ont été emprisonnés. Il entreprend alors, malgré les risques que cela représente, de rejoindre la Tunisie pour être au côté de sa famille. Mais un avis de recherche à la frontière tunisiennes conduira à son arrestation, et il sera alors transféré de poste de police en poste de police. C’est au cours d’un de ces transferts qu’il parviendra à prendre la route et à échapper aux forces de l’ordre, le 25 août 1992.

Il trouve refuge chez des proches, mais commence tout de suite à organiser son départ pour l’Algérie. Accompagné d’une femme et de ses quatre enfants, tous fugitifs et donc recherchés comme lui, il quitte le pays avec l’aide d’un passeur algérien, respectant la consigne stricte de le suivre sans jamais lui adresser la parole. A cette époque, il était très compliqué de passer la frontière en raison de la fréquence des contrôles de police, mais ils y parvinrent au bout de deux jours, et purent rejoindre Annaba.

 

 

L’Algérie, troisième pays du périple mais pas le dernier, l’histoire continue…

Aussi inspirante soit-elle, cette histoire est aussi une leçon de vie. Elle m’a permis de prendre conscience de la force et du courage qu’il faut à tous ces hommes, ces femmes, et ces enfants, pour quitter leur pays dans des conditions indécentes, bravant le danger et même parfois la mort, pour tenter de construire une nouvelle vie, seul-e, sans famille ni ami-e-s ni repères, dans un pays dans lequel tout est différent, êtres, langue, et culture.Ce parcours a été pour moi un modèle. Un modèle de lutte et de combat. Un modèle de vie et de survie. Un modèle de réussite et de victoire. Un modèle de leçon et d’engagement. Je pense qu’aujourd’hui s’engager c’est donner de sa personne, de son temps, parfois de sa vie, pour une cause, pour une histoire, pour un combat important à nos yeux. C’est aussi faire entendre nos voix et nos vies, nos droits et nos libertés. Et comme le dit si bien Rosa Parks : “Si nous baissons les bras, nous sommes complaisants envers les mauvais traitements, ce qui les rend encore plus oppressifs.”, alors engageons-nous, et brisons les barrières de l’oppression.  

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Récit de lutte en Belgique : la parole aux concernées – Partie III

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Dans le cadre du dossier sur le récit de lutte des étudiantes musulmanes en Belgique, une série d’entretiens consacrés aux partages d’expérience de collectifs, ayant initié et/ou participé au mouvement #HijabisFightBack, a été réalisée au mois de février 2021. Parce que l’histoire de leurs collectifs respectifs constitue également un récit de lutte, nous avons décidé de publier l’intégralité des entretiens avec  Imane Nachat, porte-parole du collectif Les 100 diplômées, que vous trouverez ci-dessous, Sarah Tulkens-Azami, fondatrice de la plateforme Belges Comme Vous, et Souheila Amri, membre du collectif Imazi Reine.

 

Imane Nachat, porte-parole du collectif Les 100 diplômées

 

  • Pourriez-vous présenter le collectif des 100 diplômées ? Quand et comment est né le mouvement ?

 

Le Collectif a pour objectif de lutter contre les discriminations et les exclusions dont sont victimes les femmes ayant fait le choix de porter le foulard.

L’histoire va paraître assez incroyable ! Tout est parti d’une invitation des organisatrices de la manifestation Hijabis Fight Back du 5 juillet qui avait pour objectif de contester l’avis de la Cour Constitutionnelle de juin dernier. Le mouvement était porté par des associations composées de jeunes étudiantes qui subissent cette interdiction du port de signes convictionnels. Ces jeunes militantes ont proposé à une de leur aînée un espace pour prononcer un discours lors de la manifestation. Après réflexion, s’est posée la question de la pertinence de tenir un énième discours sur la question: un exemple valait mieux qu’un long discours. Pour  cette raison, l’idée a été lancée de mener une action symbolique : réunir 100 femmes qui portent le foulard et qui, en dépit des difficultés, ont réussi à décrocher un diplôme, voire plusieurs. Notre première action a donc eu lieu le 5 juillet. Les images de ces cent femmes coiffées de leur foulard et de leur toque de diplomation qui se tenaient debout sur les marches du Mont des Arts, à proximité de la Cour Constitutionnelle, en solidarité avec leurs petites sœurs, a connu un relai médiatique inespéré.

Il y a donc un aspect intergénérationnel certain : d’une part, le mouvement Hijabis Fight Back qui est composé de jeunes étudiantes, et d’autre part le Collectif Les 100 diplômées, leurs aînées, qui ont subi ces mêmes discriminations, qui ont elles-mêmes lutté à leur échelle. Le message qu’elles voulaient apporter était donc un message de soutien et de solidarité envers ces filles.

D’une simple invitation est née une action symbolique, et de cette action est né le mouvement. C’est ainsi que nous nous sommes lancé le formidable défi de former le collectif Les 100 diplômées qui aujourd’hui est l’un – parmi d’autres – des plus actifs en matière du droit pour le port du foulard.

Aujourd’hui le mouvement est composé d’un réseau de professionnelles actives dans toutes les sphères de notre société : des professeures, des architectes, des ingénieures, des médecins, des infirmières, des journalistes, des chercheuses, et bien d’autres. Ensemble, nous luttons contre les discriminations et les exclusions dont nous sommes victimes.

 

 

  • Suite à la décision de la Cour Constitutionnel de juin dernier 2020 qui autorise l’interdiction du port du voile en Belgique, quelle a été votre réaction ? Comment vous êtes-vous mobilisées ?

 

En juin dernier, la Cour constitutionnelle rendait un arrêt relatif au port du foulard dans l’enseignement supérieur. Cette dernière estimait que le port de signes convictionnels pouvait être interdit dans l’enseignement supérieur afin de “protéger l’ensemble des étudiants contre la pression sociale qui pourrait être exercée par celles et ceux, parmi eux, qui rendent leurs opinions et convictions visibles”. La plus haute juridiction du plat pays participe à la banalisation et à la légalisation de l’islamophobie ambiante. Au sein du collectif, nous trouvons cet arrêt islamophobe, sexiste et paternaliste. Nous sommes des femmes adultes qui ne pouvons disposer de notre liberté de nous vêtir comme  nous le souhaitons. 

Comme mentionné, nous avons mené une action symbolique et visuelle forte qui a connu un franc succès et a occupé l’espace médiatique.  De cette action, une demande est née : s’organiser pour devenir un mouvement au sens propre. Aujourd’hui, nous  agissons sur plusieurs leviers :  politique, médiatique et de sensibilisation.  Nous interpellons les politiques à travers un processus de lobbying et de mentoring, nous occupons l’espace médiatique quand l’occasion nous est donnée, et nous faisons un travail de sensibilisation à travers le relai de témoignages.

 

 

  • Quels ont été vos acquis dans cette lutte ? Récemment, il y a eu une victoire partielle en matière du port du foulard puisque la Fédération Enseignement Wallonie-Bruxelles l’autorise dans son réseau. Quelle est la suite de votre lutte ?

 

En réalité, cette victoire de la Fédération Enseignement est due à l’action d’une délégation étudiantes CEHEB2 de la Haute École de Brabant qui s’est opposée au règlement de son école. La note a été introduite au sein du conseil d’administration et les suites des discussions ont débouché sur une levée de l’interdiction généralisée pour toutes les Hautes Écoles de ce réseau-là. 

Il y a encore toute une série de règlements de certaines Hautes Écoles en Belgique qui continuent d’infantiliser ces femmes adultes en leur interdisant de porter ce qu’elles souhaitent.  

Cette marginalisation sociale à de lourdes conséquences tant psychologiques qu’économiques : un choix d’études limités, des espérances et ambitions restreintes et un avenir socioprofessionnel incertain dans une société qui connaît déjà un indice d’inégalités de genre important. Cette récente décision de la Fédération Wallonie-Bruxelles d’autoriser le port de signes convictionnels dans son réseau, y compris le foulard, est une avancée mais la lutte continue.

En termes d’acquis, donc, je peux dire que nous avons gagné en terme d’organisation et de synergie avec d’autres structures. Je dois également   souligner que la question du foulard est de plus en plus médiatisée et qu’en tant que collectif, nous avons eu à plusieurs reprises voix au chapitre au sein de certains espaces médiatiques. Les principales concernées, sont, doucement mais sûrement, incluses sur cette question qui les touche directement. Récemment, j’ai également pu sensibiliser les jeunes sur mes expériences de discriminations en tant que femmes portant le foulard. Ce projet permettra de toucher un public plus vaste via la diffusion d’une web-série européenne.

Sur le plan des acquis et des suites à donner à notre collectif, notre philosophie est de converger avec tous les mouvements qui ambitionnent de faire avancer la cause des femmes… toutes les femmes !

 

Crédit image à la Une : Hijabis Fight Back d’Imanys World

 

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(Dé)construction

Récit de lutte en Belgique : la parole aux concernées – Partie II

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Dans le cadre du dossier sur le récit de lutte des étudiantes musulmanes en Belgique, une série d’entretiens consacrés aux partages d’expérience de collectifs ayant initié et/ou participé au mouvement #HijabisFightBack, a été réalisée au mois de février 2021. Parce que l’histoire de leurs collectifs respectifs constitue également un récit de lutte, nous avons décidé de publier l’intégralité des entretiens avec Souheila Amri, membre du collectif Imazi Reine, que vous trouverez ci-dessous, Sarah Tulkens-Azami, fondatrice de la plateforme Belges Comme Vous, et Imane Nachat, porte-parole du collectif Les 100 diplômées

 

Souheila Amri, membre du collectif Imazi Reine

 

 

  • Pouvez-vous présenter le collectif Imazi Reine ?

 

On est quatre pour l’instant. Il y a Fatima-Zohra qui est la fondatrice, Bettina, Yousra et moi-même. C’est un collectif qui, à l’échelle de l’associatif, est assez jeune. Au début, c’était juste Fatima Zohra et son talent de personne qui arrive à mener les projets assez loin. Ce qui est marrant, c’est que les gens pensent que c’est une association déjà très établie parce que Fatima Zohra arrive vraiment à faire en sorte que tout ait l’air professionnel, mach’Allah. C’est un collectif féministe anti-raciste qui est radicalement inclusif et qui travaille à mettre en avant, dans un premier temps, l’héritage des peuples indigènes. On a commencé avec les Amazighs parce que Fatima est chelha [un des peuples amazigh marocain] et je suis du Rif [région amazigh du Maroc]. Et après, on s’est dit qu’on voulait étendre [notre action] à toutes les femmes des peuples indigènes. Dans un premier temps, on a vraiment envie de le faire à travers l’art. En parallèle de ça, on mène aussi des actions militantes . […] On s’est forcément retrouvées dans ce monde-là, de par nos identités qui nécessitent malheureusement de se battre dans la société. Le premier gros combat militant qu’on avait mené, c’est la campagne #HijabisFightBack et il y a d’autres actions qu’on mène ensemble.

 

 

  • Le 4 juin, la Cour constitutionnelle décide l’interdiction du port des signes religieux dans les établissements supérieurs en Belgique, quelle a été votre réaction et comment vous êtes-vous organisées ?

 

En Belgique, on a une situation un peu complexe, dans le sens où il n’y a pas d’interdiction stricte et étatique du port du foulard dans les écoles, que ce soit dans les écoles du secondaire ou du supérieur. En gros, l’Etat a décidé de donner cette responsabilité aux différents établissements et il y a différents réseaux. En secondaire, la très grosse majorité des écoles a choisi d’interdire le foulard et dans le supérieur, on a une espèce de situation hybride où la majorité des universités accepte le foulard, mais dans les autres écoles, et dans les écoles de promotion sociale – ce sont des écoles pour adultes qui travaillent la journée et qui ont des cours, des formations le soir – c’est déjà beaucoup plus difficile. Il faut savoir qu’il y a quelques années, il y a un groupe de jeunes filles qui a mené une action contre une école en particulier, la Haute Ecole Francisco Ferrer qui refusait de les laisser entrer dans l’école et étudier avec leur foulard. Le 4 juin, la décision de la Cour constitutionnelle était en lien avec cette école-là. La cour a décidé que l’école Francisco Ferrer était dans son droit et en faisant ça, elle ouvrait la porte à toutes les écoles supérieures pour une interdiction.

Donc forcément, on l’a vraiment accueilli comme une très mauvaise nouvelle étant donné la portée que ça pouvait avoir et en parallèle de ça, on a aussi eu la ville de Bruxelles qui s’est réjouie de ça. Il y a tout ce contexte et nous on voit tout ça et il faut savoir qu’on est quatre personnes à l’origine du mouvement Hijabi Fight Back qui nous connaissons plus ou moins, Fatima Zahra et moi (du collectif Imazi Reine), Sarah (de la plateforme Belges comme vous) et Selma (du collectif La Cinquième Vague), mais on avait un groupe toute ensemble et on a toutes réagi de notre côté avec colère, frustration, déception, etc. On s’est rejointes sur ce groupe et on a commencé à parler, on s’est dit OK, ça ne mènera à rien d’être frustrées, donc essayons de mener une action. On a commencé à discuter de ce qu’on pouvait faire à notre échelle, en tant qu’étudiantes. Nous ne sommes pas avocates ou autre, donc on ne peut pas forcément rentrer dans le système pour essayer d’avoir un impact direct  sur la décision. On s’est dit qu’on allait faire une manifestation et une campagne en ligne, en utilisant la force des réseaux sociaux. On a commencé à travailler ensemble pour créer #HijabiFightBack, on a brainstormé, on a tout d’abord mené une campagne en ligne avec des vidéos explicatives de la situation et ensuite des appels à manifester, ce qui a été fait en juillet. On a fait une manifestation qui a réuni plus ou moins 4 000 personnes. En parallèle, on archivait aussi des récits parce que ce qui revient très souvent dans les débats autour du foulard, c’est cette idée de ce que ça représente, ce que ça peut avoir comme impact dans la société, etc, tout en oubliant que derrière tout ça, il y a des femmes, des vécus. On voulait vraiment mettre en lumière ces vécus-là pour montrer les conséquences directes de ce genre d’arrêtés, de ce genre de règlement et autre.

Il faut savoir que nous on a fait une action, dans un contexte plus global, il faut savoir qu’avant nous, il y a eu des femmes qui ont fait des actions. Après nous, il y a des gens qui ont fait des actions et c’est l’addition de toutes ces actions-là qui fait qu’on a réussi à avoir une nouvelle positive le 16 janvier. Nous, très récemment, on a appris le rôle du cercle d’étudiants CEHE2B. C’est là qu’on se rend compte que c’est une action, la nôtre a fait du bruit parce que c’était voulu, on voulait vraiment médiatiser le truc parce qu’on a fait le constat qu’autour de nous, beaucoup de personnes, blanches majoritairement ou non-musulmanes, ne savaient même pas qu’il y avait une interdiction. La première fois que je m’en suis rendue compte, je discutais avec une fille de mon auditoire – il faut savoir que je fais des études d’Histoire en option didactique dans l’optique de devenir professeur, tout en sachant que je ne pourrais pas devenir professeur si je garde mon foulard – dans la discussion, j’aborde ce sujet-là et elle m’a vraiment regardée très interpellée et elle me dit : «Comment ça, il y a une interdiction ? ». Je lui dis : « Oui, pour les professeurs, mais aussi pour les élèves », j’étais choquée et face à ce constat-là qui est très répandu, on s’est dit on va médiatiser pour que les gens réalisent et qu’il y ait potentiellement des retombées positives.

 

  • Alors que ce soit avant ou après l’arrêt constitutionnel, l’Etat laisse la responsabilité aux établissements, qu’est-ce qui a changé avec cette décision de justice ?

 

Ce qui se passe, c’est qu’on a une décision légale, qui légitimise. Il y a beaucoup d’écoles qui vont autoriser [le port des signes religieux] parce que dans la logique des choses, on est face à des adultes, donc les arguments qu’ils vont nous sortir pour le secondaire ne fonctionnent plus et ils veulent éviter le problème, donc ils vont accepter le foulard dans l’école. Sauf qu’avec une décision légale qui leur dit qu’ils ont le droit de l’interdire, certaines écoles vont choisir de l’interdire et de sortir la décision de la Cour constitutionnelle. Connaissant le climat en Belgique, c’était extrêmement dangereux comme décision et même si ça n’avait pas d’impact direct, connaissant les écoles, on savait que ça allait avoir un impact. On a d’ailleurs interpellé des universités qui ont confirmé qu’elles gardaient l’autorisation du foulard dans les écoles pour éviter que ça puisse changer au cours du temps. En Belgique, on a ce flou qu’on aimerait supprimer en direction d’une autorisation du port du foulard. En France, il y a une loi qui interdit le port du foulard dans les écoles, ce qu’il n’y a pas chez nous, donc on est vraiment dans une situation où il faut qu’on fasse attention à chaque décision de loi, chaque petit document avec une portée légale qui pourrait ouvrir les portes à des interdictions supplémentaires.

Quand on ne vit pas en Belgique et même quand on vit en Belgique, c’est compliqué. Chez nous, il y a différents réseaux d’études et chaque réseau a ses écoles et il y a un ou deux ans, il y a un parti politique qui a réussi à débloquer un réseau et dans ce réseau-la, au niveau de l’enseignement supérieur, les femmes avaient le droit de porter le foulard. Donc, au niveau du supérieur, on est vraiment en train de débloquer des réseaux. 

 

 

  • Quand vous avez commencé toute cette mobilisation, est-ce que vous saviez vers où vous tourner pour faire un maximum de bruit et surtout pour être entendu ? Est-ce que vous aviez une idée des allié.e.s ou ça s’est fait au fur et à mesure ?

 

Nous, les quatre membres de Hijabis Fight Back, on était déjà très impliquées dans le monde associatif, donc on savait exactement vers qui se tourner quand on avait besoin d’informations ou d’éléments plus techniques. Donc typiquement, dès le début de la campagne, on a travaillé avec le CCIB – le collectif contre l’islamophobie en Belgique – ce qui fait qu’on avait tout le pan informatif, on avait vraiment quelqu’un qui nous aidait à structurer notre projet, etc Vraiment, autant médiatiquement on a quatre personnes qui représentent le mouvement Hijabi Fight Back, autant le nombre de personnes sans qui on n’aurait jamais pu y arriver, c’est hallucinant. Il y a eu une telle solidarité autour du mouvement, vraiment je me dis c’est que de la baraka [bénédictions]. C’était incroyable, ça fait des années que je suis dans l’associatif et je n’ai jamais vu autant de travail solidaire. On avait le CCIB dès le début à nos côtés qui était là, qui nous soutenait, qui nous aidait. Ce sont des gens qui sont très qualifiés, qui sont sur le terrain depuis des années, mais qui pour autant n’ont jamais rabaissé notre travail. Donc, c’était très agréable de travailler avec eux. On avait fait des contacts dans le monde militant qui nous aidaient sur certains aspects qui étaient plus de l’ordre de l’organisation de la manifestation, des gens qui étaient là et qui pouvaient aider au niveau technique. On nous a fait remarquer que lors de la manifestation, le son était extrêmement propre, ça peut sembler être un détail secondaire, mais en réalité ça souligne le fait que c’était un mouvement collectif. 

On était quatre, mais si on était restées quatre tout le long et si on n’avait pas travaillé avec les gens, la manifestation n’aurait pas eu la portée qu’elle a eue. Tout ce qui est de l’ordre de la campagne sur les réseaux sociaux, c’est nous quatre, on aurait pu amener des gens sur le terrain à la manifestation, mais la portée du message n’aurait pas été la même sans tous les gens qui ont travaillé derrière. On a eu des centaines de bénévoles qui sont venus à la manifestation pour encadrer le tout. C’est vraiment là qu’on s’est rendu compte à quel point cette question était brûlante. Il y avait des gens – et on en fait aussi partie – qui en ont marre de cette situation et donc on a eu cette mobilisation collective de toutes les personnes qui veulent faire changer les choses. Et c’est encore le cas, là, on est en train de parler, je suis sûre qu’il y a des gens qui organisent des choses pour essayer de faire avancer la situation.

 

  • Qu’apporte la décision de la Fédération Enseignement Wallonie-Bruxelles d’autoriser les signes convictionnels dans son réseau ?

 

Le réseau Wallonie-Bruxelles a essentiellement des Hautes Écoles et des écoles de promotion sociale, qui représentent quand même une vingtaine d’établissements. J’ai une amie qui était dans l’une de ces écoles et qui a dû retarder la fin de ses études à causes d’un cours de piscine parce qu’elle ne voulait absolument pas se mettre en maillot de bain, on refusait même qu’elle viennent avec une combinaison short, ce qui n’a aucun sens, c’est un maillot avec un peu plus de tissus… Ce genre de situations n’arrivera plus dans ces établissements, donc c’est toujours une nouvelle qu’on accueille positivement. Ça ne va pas supprimer les profs islamophobes, mais ils auront moins d’arguments. Le combat n’est pas encore terminé. Même si la fédération Wallonie-Bruxelles accepte, il y a encore des écoles qui refusent le port du foulard dans leurs établissements.

 

  • En quoi cette victoire n’est pas seulement symbolique ? Quels sont les acquis du mouvement autre que la décision de Wallonie-Bruxelles Enseignement ?

 

Je ne pense pas qu’elle soit que de l’ordre du symbolique. Par exemple, mon amie qui a tout terminé et on lui refuse l’accès à son diplôme çà à cause du cours de piscine. Ce sont des situations absurdes qui n’arriveront plus et du moins qui ne pourront plus se reposer sur ce qu’ils considèrent comme des bases tangibles. On a aujourd’hui deux réseaux qui ont officiellement autorisé la port du foulard dans leurs établissements. Même si c’est une petite portion d’établissements à l’échelle du territoire belge, c’est quand même des milliers d’étudiantes qui vont voir la liste de possibilités s’allonger. Là où certaines femmes se tournaient clairement vers des établissements parce qu’elles voulaient garder leur foulard, ce sera toujours le cas malheureusement, mais la liste s’allonge et donc elles ont plus d’opportunités. Personnellement, je suis le genre de personnes qui se dit que si ça a un impact positif sur une seule personne, c’est qu’il y a une victoire qui n’est pas négligeable. Dans le tas d’étudiantes qui veut aller en supérieur, l’année prochaine, il y a certainement des jeunes filles qui voulaient aller dans un des établissements de la liste de la Fédération Wallonie Bruxelles qui portent le foulard et qui envisageaient ça un peu avec crainte et qui, avec la décision qu’on a eu en janvier, ont ressenti un soulagement. Et cette personne hypothétique me dit que cette victoire n’est pas seulement symbolique. 

La grosse victoire de Hijabis Fight Back, ce n’est pas tant la décision parce que pour moi, la décision est de l’ordre du travail collectif, je ne pourrais pas dire que c’est Hijabis Fight Back qui a fait que. On a fait un mouvement qui a eu une portée assez importante et qu’on ne peut pas nier, néanmoins, je pense qu’il serait assez difficile de décortiquer les éléments qui ont amené à cette victoire-là. J’imagine qu’il y a un gros travail du cercle d’étudiants de la HE2B et je pense qu’il y a aussi tout le travail des femmes qui sont sur ce combat depuis des années. Il y a des femmes avec qui on a travaillé, avec qui on a parlé pendant le mouvement qui sont sur le terrain depuis 10 ans, sur la même question. Ce sont tous ces éléments-là qui ont mené à la décision. 

Ce sur quoi on a agi avec Hijabis Fight Back, c’est la visibilité du problème. Là où beaucoup fermaient les yeux, on les a obligés à le regarder en face et à se poser la question : “Est-ce que je suis pour ou contre et pourquoi ?” On est même allées dans un média qui s’appelle Views, qui fait partie de la RTBF et qui est assez regardé, et on a fait part de nos récits. Et je me rappelle qu’au-delà du flot de remarques et insultes islamophobes qu’on pouvait trouver dans les commentaires, il y avait vraiment une certaine conscientisation de certaines personnes qui disaient : “Je ne m’étais jamais posé la question et c’est vrai qu’en y réfléchissant, ce sont des personnes majeures donc pourquoi on devrait les forcer à faire ça ou ça.” Le gros point fort de Hijabis Fight Back en termes d’impact externe, c’est vraiment cette visibilité du problème, cette obligation de le regarder en face et de se poser la question de ce qu’on va en faire. Là où on ne nous entendait pas vraiment, maintenant on est un peu obligés de se poser la question. Il y a des politiques qui sont vraiment venus vers nous, par intérêt politique, mais qui sont venus chez nous et qui nous ont dit : “On vous soutient” et du coup qui sont forcés de se positionner sur ces questions-là. Avant ils pouvaient juste l’occulter ou essayer d’en parler le moins possible. Mais il y a eu un moment où ils ont dû se positionner. 

Et il y a un gros impact, je ne sais pas si on peut le quantifier et si certains en parleraient comme un gros impact, mais personnellement, je pense que notre plus grosse victoire, c’est peut-être le fait que quand on a organisé cette manifestation et qu’on a assumé nos identités pleinement, publiquement, on a eu des jeunes filles et peut-être même plus âgées, en tout cas des femmes qui n’avaient pas forcément honte de leurs identités, mais à qui on renvoyait tellement d’images négatives de leurs identités qu’elles avaient peur de s’exprimer là-dessus. J’en connais une par exemple personnellement qui m’a vraiment touchée dans le sens où elle a grandi, dans le temps, avec beaucoup de personnes islamophobes, donc elle était présente mais elle avait des réticences à montrer un peu son identité religieuse ou s’expliquer sur certains points et de voir qu’il y avait autant de personnes à cette manifestation qui avaient sur certains points la même opinion qu’elle, ça l’a aidée à s’assumer. C’est une personne qui a réussi à s’assumer plus en tant que femme qui porte le foulard et de ne pas avoir honte de cette part de son identité et c’est un discours qui m’est beaucoup revenu. Dans la manifestation, beaucoup de femmes se sont soutenues, même si on est fortes et qu’on se dit qu’on a pas besoin du soutien d’autres personnes, mais être à la manifestation et voir qu’il y a un tel engouement sur une question qui nous touche personnellement, se sentir réellement soutenues par des femmes qui nous ressemblent ou pas, par des hommes, mais il y en avait quand même, ça a été une expérience positive pour beaucoup. et là où on est peut-être plus dans l’ordre du symbolique, du sentiment impersonnel, mais je pense que c’est aussi un aspect important que c’est important de retenir. C’est comme toute la question de la représentativité, cette idée qu’on n’a besoin de personnes qui nous ressemblent, qui soient visibles dans les médias et pendant tout un moment, ça été le cas sur les réseaux sociaux. Je parle et je me rappelle de toutes les personnes qui ont travaillé, qui ont fait de ce mouvement quelque chose d’abouti et vraiment, c’est incroyable.

 

Crédit image à la Une : Hijabis Fight Back d’Imanys World

 

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(Dé)construction

Récit de lutte en Belgique : la parole aux concernées – Partie I

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Dans le cadre du dossier sur le récit de lutte des étudiantes musulmanes en Belgique, une série d’entretiens consacrés aux partages d’expérience de collectifs ayant initié et/ou participé au mouvement #HijabisFightBack a été réalisée au mois de février 2021. Parce que l’histoire de leurs collectifs respectifs constitue également un récit de lutte, nous avons décidé de publier l’intégralité des entretiens avec Sarah Tulkens-Azami, fondatrice de la plateforme Belges Comme Vous, que vous trouverez ci-dessous, Souheila Amri, membre du collectif Imazi Reine et Imane Nachat, porte-parole du collectif Les 100 diplômées

 

Sarah Tulkens-Azami, fondatrice de la plateforme Belges Comme Vous

 

          Pouvez-vous présenter la plateforme Belges Comme Vous ?

Derrière ce compte se cachent pour le moment deux personnes racisées – une femme maghrébine et un homme noir – soucieuses de créer une plateforme d’information et de sensibilisation concernant les problématiques liées au racisme, à la xénophobie et à d’autres formes d’oppression. L’idée est également de mettre cette plateforme à profit de personnes issues de minorités culturelles ou religieuses en Belgique afin de les mettre en avant et parler de leurs réalités de vie. En se développant, Belges Comme Vous est devenu un des porteurs du mouvement #HijabisFightBack, et d’autre part une volonté plus ferme de dénoncer les violences étatiques, et particulièrement policières, s’est dessinée. Cette plateforme s’engage dans une démarche féministe, décoloniale, et intersectionnelle.

Belges Comme Vous, c’est parce que qu’on soit afro-descendants, arabes, asiatiques, etc, notre identité belge n’est pas moins forte de par notre nature cosmopolite. Nous sommes tou.te.s belges, nous ne partageons pas forcément la même culture, ni les mêmes origines, ni la même religion, ni les mêmes traits, ni la même couleur de peau, mais nous partageons la même nationalité, et nous foulons tou.te.s le même sol de nos pieds. Nous sommes belges. Tout comme vous. Nos différences ne changent rien à ce fait, ne rendent en aucun cas illégitime notre place dans cette société, et ne nous soumettent pas à un devoir de discrétion ou de conformisme quelconque. Il est temps aujourd’hui de changer notre définition de ce que c’est que d’être belge, et d’accepter et accueillir – et pas simplement tolérer – la diversité et le multiculturalisme, qui nous enrichissent plutôt que de nous appauvrir.

          Pouvez-vous raconter comment est né le mouvement #HijabisFightBack ?

Le mouvement #HijabisFightBack est né de l’initiative de quatre jeunes femmes étudiantes scandalisées par l’arrêt de la Cour constitutionnelle belge du 4 juin 2020 affirmant que les interdictions de port de signes convictionnels dans les établissements d’enseignement supérieur ne constituent ni une atteinte au droit à l’éducation ni une atteinte à la liberté de religion. Toutes les quatre, on a voulu réagir, on a fini par se concerter et c’est là que l’idée de lancer la campagne #HijabisFightBack a pris forme, le 12 juin. Mais je pense qu’à côté de l’arrêt de la Cour, ce qui nous a beaucoup secoué.e.s aussi, c’est le communiqué de la Ville de Bruxelles qui s’en réjouissait. Les mots de l’Echevine de l’Instruction Publique de Bruxelles, Faouzia Hariche, paraissaient tellement insultants pour des femmes qui avaient dû faire des choix douloureux concernant leur éducation.

Étant donné que toutes les quatre, on a dû faire face à de l’islamophobie dans le milieu de l’enseignement supérieur et qu’on nous a refusé certaines formations parce qu’on porte le foulard, lire qu’on puisse se réjouir de l’exclusion de tant de femmes, qu’on puisse se réjouir qu’on écrase les ambitions de tant de femmes, c’était trop douloureux et on n’a simplement pas accepté de rester silencieuses, surtout parce qu’on savait qu’on n’était absolument pas des cas isolés. Preuve en est qu’on a reçu d’innombrables témoignages dès le début de la campagne.

          En quoi consistait la campagne #HijabisFightBack ? Comment vous êtes-vous organisées ?

La campagne #HijabisFightBack c’était deux choses : un appel à témoignages et une manifestation. Pour ce qui est des témoignages, on a dit aux femmes concernées de nous les envoyer ou de les poster sur les réseaux avec le hashtag #HijabisFightBack, on a tout archivé et ce sera bientôt posté sur une plate-forme dédiée. La manifestation a eu lieu le 5 juillet, on l’a organisée à quatre, mais on a bénéficié de l’aide d’énormément d’autres personnes, que ce soit pour l’aide matérielle ou pour la diffusion de l’information.

Une chose importante à relever à mon sens, c’est aussi qu’ organiser tout ça, ça a révélé un problème de division dans les communautés musulmanes belges. On a dû faire l’effort conscient de rendre cette campagne inclusive, et je suis persuadée qu’on aurait pu et aurait dû faire d’autant plus, parce que c’est loin d’être assez. #HijabisFightBack, ce sont les réalités de vie des femmes musulmanes en Belgique dans leur pluralité, pas juste les femmes maghrébines, pas juste les femmes sunnites, pas juste les femmes qu’on estime assez pieuses pour mériter qu’on les défende. C’est une question de droits des femmes et on espère vraiment que tout le monde a pu s’y sentir à sa place, tout en étant conscientes que l’état actuel de ce qu’on appelle la Oummah [communauté musulmane] nous oblige à faire tous les efforts possibles pour inclure là où on a trop souvent exclu.

          Aviez-vous une idée des potentiel.le.s allié.e.s ? J’ai eu l’honneur de discuter avec le CEHE2B [Conseil des étudiants de la Haute Ecole Bruxelles-Brabant] et j’ai l’impression – je me trompe peut-être – que vous avez, sans vous consulter, travaillé sur la même problématique à différents niveaux ?

Non, nous ne savions pas vraiment à quelle porte frapper. Toutes les quatre, nous sommes des militantes, notre but c’était surtout de faire assez de bruit pour qu’on soit contraint de nous écouter, on n’a pas ciblé de porte en particulier. Le travail de plaidoyers politiques etc, ça n’a jamais été ce qu’on a voulu faire. Dès le départ on a dit aux personnes avec lesquelles on a collaboré et qui, elles, travaillent au niveau politique, que nous, on voulait explorer un autre terrain et être une force de frappe pour booster et visibiliser leurs initiatives. Notre opinion, c’est que ce sont des efforts qui sont pleinement complémentaires. On pense que ça a plutôt bien fonctionné de ce point de vue là, qu’on a pu faire assez de bruit pour que plus de personnes s’intéressent et s’interrogent sur les réalités de vie des femmes qui portent le foulard en Belgique. Mais on est aussi conscientes que ce n’est que le début et qu’on devra faire bien plus pour arriver aux victoires qu’on espère.

Instinctivement on s’est tournées vers le CCIB, évidemment, mais aussi vers les associations féministes d’une part et les associations anti-racistes de l’autre. On a pu trouver beaucoup d’allié.e.s comme ça. Ça semblait logique parce que pour nous c’est clairement une question féministe et décoloniale/anti-raciste. Au-delà de ça, on a aussi pu trouver du soutien auprès de professeur.e.s d’université. Ça s’est fait au fur et à mesure, on ne savait pas forcément tout dès le départ mais tout s’est déroulé très naturellement, et après le bruit de notre première publication de lancement de la campagne, qui avait fait plus de 20 000 “j’’aime” en moins de 24h sur Instagram, il y a aussi des allié.e.s qui se sont manifesté.e.s d’eux-mêmes.

Pour ce qui est du CEHE2B, effectivement, on ne s’est absolument pas concerté.e.s, et c’est même après avoir entendu la bonne nouvelle qu’on a découvert leur implication dans cette victoire, on n’en avait aucune idée. Ça rejoint ce que je disais avant, il y a beaucoup d’initiatives et d’efforts complémentaires qui sont faits, et ça ne peut qu’être bénéfique pour la lutte.

          Quelles sont les prochaines actions du mouvement ?

Pour le moment, chez Belges Comme Vous et Imazi Reine, nous travaillons sur le lancement d’une nouvelle plateforme sur Instagram où nous allons poster les témoignages que nous avons reçus. Et on aimerait organiser un événement Hijabis Fight Back dès que ce sera à nouveau possible. C’est loin d’être fini donc évidemment la lutte continue et on ne lâche rien.

 

Crédit image à la Une : Hijabis Fight Back d’Imanys World

 

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Diffuse la bonne parole

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(Dé)construction

Pourquoi la victoire des Chibanis est importante

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Paris, 31 janvier 2018. C’est une journée historique pour les Chibanis (“cheveux blancs” en arabe), ces travailleurs immigrés à la retraite. En effet, la Cour d’appel de Paris condamne en appel la SNCF dans l’affaire des 848 immigrés marocains qui poursuivaient la compagnie ferroviaire pour discrimination. Il aura fallu 12 années de procédures judiciaires pour arriver à cette victoire. Et j’avoue que j’ai un peu pleuré ! Revenons sur leur histoire et pourquoi nous devons nous souvenir de leur lutte.

 

 

Retour sur un procès qui a duré plus de 10 ans

 

Les Chibanis sont arrivés en France dans les années 1970. Recrutés en Afrique du Nord – principalement au Maroc – par la SNCF, on leur promettait “un travail égal / salaire égal” à ceux des Français. La réalité était néanmoins différente : là où les travailleurs français avaient le statut de cheminots, les Chibanis étaient considérés comme contractuels. Leurs contrats de travail étaient rédigés suivant le statut “PS 25”. Ces derniers n’avaient donc pas les mêmes droits que leurs collègues français : ils devaient travailler 7 à 10 ans de plus que les cheminots, ils étaient moins bien payés, n’avaient pas de perspective d’évolution et donc pas d’augmentation de salaire.

 

Groupe de triage en juin 1970 / Crédit inconnu

 

C’est au moment du départ à la retraite que bon nombre de Chibanis se sont sentis lésés et humiliés. Des courriers ont été adressés aux DRH, et grâce au bouche-à-oreille, ils se sont réunis et ont porté plainte collectivement contre la SNCF. La procédure a débuté aux Prud’hommes en 2001, une plainte pour discrimination a été déposée.

Au départ, ils n’ont pas obtenu de soutien de la part des syndicats. A l’époque, la CGT menaçait même de faire grève si les droits de passer des examens étaient donnés aux Chibanis. Les organismes de retraite se montraient également récalcitrants face à leur démarche, comme le raconte un des Chibanis dans cette entrevue.

En 2015, les Chibanis ont gagné le premier procès : la justice a condamné la SNCF à payer 170 millions d’euros à répartir entre les différents plaignants. La SNCF a cependant fait appel de la décision, bloquant ainsi le versement des indemnités et allongeant la procédure judiciaire.

Le 31 janvier 2018, la Cour d’appel de Paris a confirmé la condamnation pour discrimination obtenue en première instance, seconde victoire pour les Chibanis.

 

Pourquoi cette victoire est-elle importante ?

En regardant ces Chibanis et en lisant leur histoire, on ne peut que penser que “c’est 40 ans de discrimination qui sont posés devant [la justice]”. Et la justice leur a donné raison.

Les Chibanis qui ont subi un traitement injuste se sont indignés. Ils me donnent l’impression de “passer le flambeau” aujourd’hui : celui de lutter contre les discriminations que nous pouvons subir ou dont nous pouvons être témoins. Je me souviendrai de leur histoire comme de celle des tirailleurs nord-africains victimes de la “cristallisation des pensions” durant la Seconde Guerre mondiale.

Entendre les Chibanis heureux et crier “Vive la République ! Vive la France !” à la sortie du procès m’émeut aux larmes et rappelle combien la France est plurielle. C’est fou l’espoir que cette affaire m’a donné. Cela m’a appris qu’il faut continuer à revendiquer ses droits et à lutter contre toutes les discriminations.

 

Ce que m’ont appris les Chibanis

Crédit photo : AFP/Stéphane de Sakutin

 

En voyant la nouvelle passer sur mon fil d’actualités, je n’ai pu m’empêcher d’avoir un sourire ému. J’ai aussi un goût amer pour toutes ces personnes décédées qui n’auront jamais pu assister à l’aboutissement de ce procès.

Il faut dire que ces Chibanis me font beaucoup penser à ma propre famille. Mon oncle ainsi que mon grand-père ont travaillé plus de 30 ans dans une usine automobile pour une retraite de moins de 1 000 euros par mois. Ils ne se sont jamais plaints de leur situation.

Après tout, cette mince retraite leur permettait de retourner vivre au Maroc et ils n’ont jamais osé s’indigner, sans doute par peur des représailles. Ils sont aujourd’hui décédés, mais on me racontait souvent la pénibilité de leur travail : leurs journées commençaient à 5h du matin, les augmentations de salaires étaient quasi inexistantes… Des points communs avec les discriminations qu’ont pu subir les Chibanis.

Ces Chibanis m’auront tellement enseigné par leur histoire. Ils sont aujourd’hui pour moi un modèle de résilience : ce combat aura duré plus de 15 ans, ils ont fini par faire valoir leurs droits sans violence mais avec beaucoup d’acharnement. Ils m’auront aussi enseigné que l’union fait la force. Il est essentiel aujourd’hui d’être solidaires entre personnes qui faisons face aux mêmes problèmes.

Malgré le fait que les Chibanis aient gagné au premier procès puis en appel, la SNCF se réserve encore le droit de passer en cassation, ce qui signifierait un nouvel allongement de la procédure judiciaire. Restons vigilant·es et n’oublions pas leur histoire qui fait aussi partie de la nôtre.

Si vous souhaitez en savoir plus sur l’histoire des Chibanis, je vous invite vivement à lire ce si beau portrait d’un Chibani par le magazine Dialna !

 

Crédit photo à la une : Nadir Dendoune
Fresque murale réalisée par l’artiste Vince, située rue de la Tour, à Malakoff (92) et représentant Mohand Dendoune, père du journaliste et écrivain Nadir Dendoune

 

 

 

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