Récit de lutte en Belgique : la parole aux concernées – Partie III

par | 6/04/21 | (Dé)construction

Dans le cadre du dossier sur le récit de lutte des étudiantes musulmanes en Belgique, une série d’entretiens consacrés aux partages d’expérience de collectifs, ayant initié et/ou participé au mouvement #HijabisFightBack, a été réalisée au mois de février 2021. Parce que l’histoire de leurs collectifs respectifs constitue également un récit de lutte, nous avons décidé de publier l’intégralité des entretiens avec  Imane Nachat, porte-parole du collectif Les 100 diplômées, que vous trouverez ci-dessous, Sarah Tulkens-Azami, fondatrice de la plateforme Belges Comme Vous, et Souheila Amri, membre du collectif Imazi Reine.

 

Imane Nachat, porte-parole du collectif Les 100 diplômées

 

  • Pourriez-vous présenter le collectif des 100 diplômées ? Quand et comment est né le mouvement ?

 

Le Collectif a pour objectif de lutter contre les discriminations et les exclusions dont sont victimes les femmes ayant fait le choix de porter le foulard.

L’histoire va paraître assez incroyable ! Tout est parti d’une invitation des organisatrices de la manifestation Hijabis Fight Back du 5 juillet qui avait pour objectif de contester l’avis de la Cour Constitutionnelle de juin dernier. Le mouvement était porté par des associations composées de jeunes étudiantes qui subissent cette interdiction du port de signes convictionnels. Ces jeunes militantes ont proposé à une de leur aînée un espace pour prononcer un discours lors de la manifestation. Après réflexion, s’est posée la question de la pertinence de tenir un énième discours sur la question: un exemple valait mieux qu’un long discours. Pour  cette raison, l’idée a été lancée de mener une action symbolique : réunir 100 femmes qui portent le foulard et qui, en dépit des difficultés, ont réussi à décrocher un diplôme, voire plusieurs. Notre première action a donc eu lieu le 5 juillet. Les images de ces cent femmes coiffées de leur foulard et de leur toque de diplomation qui se tenaient debout sur les marches du Mont des Arts, à proximité de la Cour Constitutionnelle, en solidarité avec leurs petites sœurs, a connu un relai médiatique inespéré.

Il y a donc un aspect intergénérationnel certain : d’une part, le mouvement Hijabis Fight Back qui est composé de jeunes étudiantes, et d’autre part le Collectif Les 100 diplômées, leurs aînées, qui ont subi ces mêmes discriminations, qui ont elles-mêmes lutté à leur échelle. Le message qu’elles voulaient apporter était donc un message de soutien et de solidarité envers ces filles.

D’une simple invitation est née une action symbolique, et de cette action est né le mouvement. C’est ainsi que nous nous sommes lancé le formidable défi de former le collectif Les 100 diplômées qui aujourd’hui est l’un – parmi d’autres – des plus actifs en matière du droit pour le port du foulard.

Aujourd’hui le mouvement est composé d’un réseau de professionnelles actives dans toutes les sphères de notre société : des professeures, des architectes, des ingénieures, des médecins, des infirmières, des journalistes, des chercheuses, et bien d’autres. Ensemble, nous luttons contre les discriminations et les exclusions dont nous sommes victimes.

 

 

  • Suite à la décision de la Cour Constitutionnel de juin dernier 2020 qui autorise l’interdiction du port du voile en Belgique, quelle a été votre réaction ? Comment vous êtes-vous mobilisées ?

 

En juin dernier, la Cour constitutionnelle rendait un arrêt relatif au port du foulard dans l’enseignement supérieur. Cette dernière estimait que le port de signes convictionnels pouvait être interdit dans l’enseignement supérieur afin de “protéger l’ensemble des étudiants contre la pression sociale qui pourrait être exercée par celles et ceux, parmi eux, qui rendent leurs opinions et convictions visibles”. La plus haute juridiction du plat pays participe à la banalisation et à la légalisation de l’islamophobie ambiante. Au sein du collectif, nous trouvons cet arrêt islamophobe, sexiste et paternaliste. Nous sommes des femmes adultes qui ne pouvons disposer de notre liberté de nous vêtir comme  nous le souhaitons. 

Comme mentionné, nous avons mené une action symbolique et visuelle forte qui a connu un franc succès et a occupé l’espace médiatique.  De cette action, une demande est née : s’organiser pour devenir un mouvement au sens propre. Aujourd’hui, nous  agissons sur plusieurs leviers :  politique, médiatique et de sensibilisation.  Nous interpellons les politiques à travers un processus de lobbying et de mentoring, nous occupons l’espace médiatique quand l’occasion nous est donnée, et nous faisons un travail de sensibilisation à travers le relai de témoignages.

 

 

  • Quels ont été vos acquis dans cette lutte ? Récemment, il y a eu une victoire partielle en matière du port du foulard puisque la Fédération Enseignement Wallonie-Bruxelles l’autorise dans son réseau. Quelle est la suite de votre lutte ?

 

En réalité, cette victoire de la Fédération Enseignement est due à l’action d’une délégation étudiantes CEHEB2 de la Haute École de Brabant qui s’est opposée au règlement de son école. La note a été introduite au sein du conseil d’administration et les suites des discussions ont débouché sur une levée de l’interdiction généralisée pour toutes les Hautes Écoles de ce réseau-là. 

Il y a encore toute une série de règlements de certaines Hautes Écoles en Belgique qui continuent d’infantiliser ces femmes adultes en leur interdisant de porter ce qu’elles souhaitent.  

Cette marginalisation sociale à de lourdes conséquences tant psychologiques qu’économiques : un choix d’études limités, des espérances et ambitions restreintes et un avenir socioprofessionnel incertain dans une société qui connaît déjà un indice d’inégalités de genre important. Cette récente décision de la Fédération Wallonie-Bruxelles d’autoriser le port de signes convictionnels dans son réseau, y compris le foulard, est une avancée mais la lutte continue.

En termes d’acquis, donc, je peux dire que nous avons gagné en terme d’organisation et de synergie avec d’autres structures. Je dois également   souligner que la question du foulard est de plus en plus médiatisée et qu’en tant que collectif, nous avons eu à plusieurs reprises voix au chapitre au sein de certains espaces médiatiques. Les principales concernées, sont, doucement mais sûrement, incluses sur cette question qui les touche directement. Récemment, j’ai également pu sensibiliser les jeunes sur mes expériences de discriminations en tant que femmes portant le foulard. Ce projet permettra de toucher un public plus vaste via la diffusion d’une web-série européenne.

Sur le plan des acquis et des suites à donner à notre collectif, notre philosophie est de converger avec tous les mouvements qui ambitionnent de faire avancer la cause des femmes… toutes les femmes !

 

Crédit image à la Une : Hijabis Fight Back d’Imanys World

 

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