Récit de lutte en Belgique : la parole aux concernées – Partie I

par | 24/03/21 | (Dé)construction

Dans le cadre du dossier sur le récit de lutte des étudiantes musulmanes en Belgique, une série d’entretiens consacrés aux partages d’expérience de collectifs ayant initié et/ou participé au mouvement #HijabisFightBack a été réalisée au mois de février 2021. Parce que l’histoire de leurs collectifs respectifs constitue également un récit de lutte, nous avons décidé de publier l’intégralité des entretiens avec Sarah Tulkens-Azami, fondatrice de la plateforme Belges Comme Vous, que vous trouverez ci-dessous, Souheila Amri, membre du collectif Imazi Reine et Imane Nachat, porte-parole du collectif Les 100 diplômées

 

Sarah Tulkens-Azami, fondatrice de la plateforme Belges Comme Vous

 

          Pouvez-vous présenter la plateforme Belges Comme Vous ?

Derrière ce compte se cachent pour le moment deux personnes racisées – une femme maghrébine et un homme noir – soucieuses de créer une plateforme d’information et de sensibilisation concernant les problématiques liées au racisme, à la xénophobie et à d’autres formes d’oppression. L’idée est également de mettre cette plateforme à profit de personnes issues de minorités culturelles ou religieuses en Belgique afin de les mettre en avant et parler de leurs réalités de vie. En se développant, Belges Comme Vous est devenu un des porteurs du mouvement #HijabisFightBack, et d’autre part une volonté plus ferme de dénoncer les violences étatiques, et particulièrement policières, s’est dessinée. Cette plateforme s’engage dans une démarche féministe, décoloniale, et intersectionnelle.

Belges Comme Vous, c’est parce que qu’on soit afro-descendants, arabes, asiatiques, etc, notre identité belge n’est pas moins forte de par notre nature cosmopolite. Nous sommes tou.te.s belges, nous ne partageons pas forcément la même culture, ni les mêmes origines, ni la même religion, ni les mêmes traits, ni la même couleur de peau, mais nous partageons la même nationalité, et nous foulons tou.te.s le même sol de nos pieds. Nous sommes belges. Tout comme vous. Nos différences ne changent rien à ce fait, ne rendent en aucun cas illégitime notre place dans cette société, et ne nous soumettent pas à un devoir de discrétion ou de conformisme quelconque. Il est temps aujourd’hui de changer notre définition de ce que c’est que d’être belge, et d’accepter et accueillir – et pas simplement tolérer – la diversité et le multiculturalisme, qui nous enrichissent plutôt que de nous appauvrir.

          Pouvez-vous raconter comment est né le mouvement #HijabisFightBack ?

Le mouvement #HijabisFightBack est né de l’initiative de quatre jeunes femmes étudiantes scandalisées par l’arrêt de la Cour constitutionnelle belge du 4 juin 2020 affirmant que les interdictions de port de signes convictionnels dans les établissements d’enseignement supérieur ne constituent ni une atteinte au droit à l’éducation ni une atteinte à la liberté de religion. Toutes les quatre, on a voulu réagir, on a fini par se concerter et c’est là que l’idée de lancer la campagne #HijabisFightBack a pris forme, le 12 juin. Mais je pense qu’à côté de l’arrêt de la Cour, ce qui nous a beaucoup secoué.e.s aussi, c’est le communiqué de la Ville de Bruxelles qui s’en réjouissait. Les mots de l’Echevine de l’Instruction Publique de Bruxelles, Faouzia Hariche, paraissaient tellement insultants pour des femmes qui avaient dû faire des choix douloureux concernant leur éducation.

Étant donné que toutes les quatre, on a dû faire face à de l’islamophobie dans le milieu de l’enseignement supérieur et qu’on nous a refusé certaines formations parce qu’on porte le foulard, lire qu’on puisse se réjouir de l’exclusion de tant de femmes, qu’on puisse se réjouir qu’on écrase les ambitions de tant de femmes, c’était trop douloureux et on n’a simplement pas accepté de rester silencieuses, surtout parce qu’on savait qu’on n’était absolument pas des cas isolés. Preuve en est qu’on a reçu d’innombrables témoignages dès le début de la campagne.

          En quoi consistait la campagne #HijabisFightBack ? Comment vous êtes-vous organisées ?

La campagne #HijabisFightBack c’était deux choses : un appel à témoignages et une manifestation. Pour ce qui est des témoignages, on a dit aux femmes concernées de nous les envoyer ou de les poster sur les réseaux avec le hashtag #HijabisFightBack, on a tout archivé et ce sera bientôt posté sur une plate-forme dédiée. La manifestation a eu lieu le 5 juillet, on l’a organisée à quatre, mais on a bénéficié de l’aide d’énormément d’autres personnes, que ce soit pour l’aide matérielle ou pour la diffusion de l’information.

Une chose importante à relever à mon sens, c’est aussi qu’ organiser tout ça, ça a révélé un problème de division dans les communautés musulmanes belges. On a dû faire l’effort conscient de rendre cette campagne inclusive, et je suis persuadée qu’on aurait pu et aurait dû faire d’autant plus, parce que c’est loin d’être assez. #HijabisFightBack, ce sont les réalités de vie des femmes musulmanes en Belgique dans leur pluralité, pas juste les femmes maghrébines, pas juste les femmes sunnites, pas juste les femmes qu’on estime assez pieuses pour mériter qu’on les défende. C’est une question de droits des femmes et on espère vraiment que tout le monde a pu s’y sentir à sa place, tout en étant conscientes que l’état actuel de ce qu’on appelle la Oummah [communauté musulmane] nous oblige à faire tous les efforts possibles pour inclure là où on a trop souvent exclu.

          Aviez-vous une idée des potentiel.le.s allié.e.s ? J’ai eu l’honneur de discuter avec le CEHE2B [Conseil des étudiants de la Haute Ecole Bruxelles-Brabant] et j’ai l’impression – je me trompe peut-être – que vous avez, sans vous consulter, travaillé sur la même problématique à différents niveaux ?

Non, nous ne savions pas vraiment à quelle porte frapper. Toutes les quatre, nous sommes des militantes, notre but c’était surtout de faire assez de bruit pour qu’on soit contraint de nous écouter, on n’a pas ciblé de porte en particulier. Le travail de plaidoyers politiques etc, ça n’a jamais été ce qu’on a voulu faire. Dès le départ on a dit aux personnes avec lesquelles on a collaboré et qui, elles, travaillent au niveau politique, que nous, on voulait explorer un autre terrain et être une force de frappe pour booster et visibiliser leurs initiatives. Notre opinion, c’est que ce sont des efforts qui sont pleinement complémentaires. On pense que ça a plutôt bien fonctionné de ce point de vue là, qu’on a pu faire assez de bruit pour que plus de personnes s’intéressent et s’interrogent sur les réalités de vie des femmes qui portent le foulard en Belgique. Mais on est aussi conscientes que ce n’est que le début et qu’on devra faire bien plus pour arriver aux victoires qu’on espère.

Instinctivement on s’est tournées vers le CCIB, évidemment, mais aussi vers les associations féministes d’une part et les associations anti-racistes de l’autre. On a pu trouver beaucoup d’allié.e.s comme ça. Ça semblait logique parce que pour nous c’est clairement une question féministe et décoloniale/anti-raciste. Au-delà de ça, on a aussi pu trouver du soutien auprès de professeur.e.s d’université. Ça s’est fait au fur et à mesure, on ne savait pas forcément tout dès le départ mais tout s’est déroulé très naturellement, et après le bruit de notre première publication de lancement de la campagne, qui avait fait plus de 20 000 “j’’aime” en moins de 24h sur Instagram, il y a aussi des allié.e.s qui se sont manifesté.e.s d’eux-mêmes.

Pour ce qui est du CEHE2B, effectivement, on ne s’est absolument pas concerté.e.s, et c’est même après avoir entendu la bonne nouvelle qu’on a découvert leur implication dans cette victoire, on n’en avait aucune idée. Ça rejoint ce que je disais avant, il y a beaucoup d’initiatives et d’efforts complémentaires qui sont faits, et ça ne peut qu’être bénéfique pour la lutte.

          Quelles sont les prochaines actions du mouvement ?

Pour le moment, chez Belges Comme Vous et Imazi Reine, nous travaillons sur le lancement d’une nouvelle plateforme sur Instagram où nous allons poster les témoignages que nous avons reçus. Et on aimerait organiser un événement Hijabis Fight Back dès que ce sera à nouveau possible. C’est loin d’être fini donc évidemment la lutte continue et on ne lâche rien.

 

Crédit image à la Une : Hijabis Fight Back d’Imanys World

 

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