Nur Jahan : lumière du monde

par | 28/05/19 | Femmes musulmanes dans l'histoire, Portraits

L’Inde, le Pakistan, le Bangladesh… Si vous avez déjà voyagé dans l’un de ces pays alors peut-être connaîtrez vous la femme dont nous allons parler aujourd’hui. Son nom y est fréquemment prononcé et son histoire souvent contée.
Cependant, aussi fascinant que cela puisse l’être, si Nur Jahan est régulièrement racontée, ce n’est pas pour ses talents qui lui permirent de briller ou pour les efforts déployés afin de développer l’Empire sur lequel elle a régné. Si dans ces pays l’on parle de Nur Jahan, c’est avant tout pour nous partager l’histoire d’amour qui la lia à son bien aimé.
Alors aujourd’hui, je tâcherai de vous la présenter sous le prisme de l’amour mais également sous celui de l’intelligence et du leadership qu’elle sut développer. Nur Jahan, ton histoire, pour sûr, va nous fasciner !

 
Fille d’un grand vizir nommé Mirza Ghias Beg et de sa femme Asmat Begam, Mihr un-Nisa signifiant littéralement « Soleil parmi les femmes » naquit en 1577 à Kandahar, dans l’actuelle Afghanistan. Issue d’une famille de la noblesse persane, Mihr fut la deuxième d’une fratrie de quatre enfants. Elle vécut ses premières années dans le confort le plus total et un amour familial des plus complets.

Cependant, pour des raisons aujourd’hui inconnues, sa famille perdit l’ensemble de sa fortune en 1579 et se retrouva rapidement dans une situation complexe. Dans l’obligation d’abandonner tout ce qu’ils possédaient, ils firent le choix de quitter leur pays natal pour s’installer en Inde dans l’optique de créer un avenir plus certain. Ils choisirent de s’installer dans la région d’Al-Hind, région située au-delà de l’Indus. La pluralité, la diversité et la tolérance qui y régnaient permirent à différentes sensibilités, religions et traditions de coexister.

Son père, Ghiyas Beg, commença sa carrière en Inde en tant que commerçant. Ses talents et ses compétences le firent rapidement repéré. Quelques années plus tard, il fut nommé trésorier de la province de Kaboul. Grâce à son habileté dans la conduite des affaires, il gravit rapidement les échelons et fut notamment nommé par l’empereur Itimad-ud-Daula ou «Pilier de l’État».

Grâce à son travail acharné et à ses différentes promotions, Ghias Beg pu s’assurer que sa fille Mihr-un-Nissa recevrait la meilleure éducation possible. Ainsi, très tôt, elle se familiarisa avec les langues arabe, persane, avec l’art, la littérature, la musique et la danse.

En 1594, alors âgée de dix-sept ans, Mihr fit la connaissance de son premier mari, Ali Quli Istajlu, également connu sous le nom de Sher Afgan Khan. Sher Afgan était l’un des fonctionnaires du gouvernement, ancien officier de l’armée moghole, il servait notamment sous les ordres de l’empereur Akbar. En récompense de ses loyaux services, l’empereur lui-même organisa leur mariage. Ensemble, ils partirent s’installer au Bengale et de leur union naquit en 1605, leur fille Ladli Begum.

Quelques années plus tard, son conjoint fut accusé de complot à l’égard du nouveau souverain Jahangir. Ce dernier ordonna qu’il soit fait prisonnier mais finalement ce dernier mourut avant lors d’une bataille avec les hommes du gouverneur. Mihr, dès lors veuve, trouva refuge dans le harem de Jahangir où elle fut très vite appréciée par les autres femmes. Les connaissances qu’elle possédait et qu’elle partageait développèrent chez elles, une profonde admiration et un grand respect. Quatre années après son arrivée à la cour, Jahangir, épris de Mihr, fit vœu de l’épouser. Chose qu’elle refusa dans un premier temps. En 1611, Mihr finit cependant par accepter et devint alors impératrice.

Cette relation ne fit pas l’unanimité. Certains et certaines jugeaient intolérable que l’empereur puisse épouser une femme veuve et qui plus est mère de famille. Peu importait les dires, l’empereur était follement amoureux de cette dernière, tant et si bien qu’il dépeignit des portraits élogieux de Mihr dans ses mémoires. Elle était une femme aimante, une femme patiente, une femme aidante. Elle était une conseillère accomplie, une chasseuse expérimentée, une diplomate et même une amatrice d’art. Elle était à ses yeux la femme parfaite, elle était à ses yeux Nur Jahan, la lumière du monde.

Sous le règne de Jahangir, l’empire moghol fut l’une des plus grandes et des plus puissantes dynasties de l’Inde.
Sous l’impulsion et les recommandations de son épouse, il devint protecteur des arts, de la musique et de l’architecture. Ensemble, ils construisirent de grandes villes et des forts majestueux, des mosquées et des écoles.

Nur devint une poète reconnue, et une architecte talentueuse. Grâce aux encouragements de son conjoint et à la confiance qu’il lui accorda, Nur occupa de hautes responsabilités au sein de l’Empire. Elle devint politicienne et gouverna officiellement le vaste empire moghol en tant que co-souveraine.

En 1617, des pièces d’or et d’argent portant son nom en face de celui de Jahangir commencèrent à circuler.

Les remarques désobligeantes à l’égard de l’empereur fusèrent, présentant ce dernier comme ensorcelé. L’empereur, conscient des talents que possédait son épouse n’en avait que faire. En effet, le courage, la bravoure et les compétences administratives de Nur Jahan se révélèrent inestimables au cours de sa régence. En l’absence de son mari, elle dirigea une armée et défendit elle-même les frontières de l’Empire, ce qui lui valut enfin l’approbation et le respect des habitant.e.s.

En 1626, l’empereur Jahangir fut capturé par des rebelles alors qu’il se rendait dans la région du Cachemire. Le chef rebelle Mahabat Khan espérait pouvoir organiser un coup d’Etat mais c’était une fois de plus sans compter sur Nur Jahan qui dirigea de nouveau une armée et intervint elle-même dans la bataille au sommet d’un éléphant de guerre afin de libérer son mari. Elle ordonna aux ministres d’organiser une attaque contre l’ennemi afin de sauver l’empereur et par la même l’Empire.

Durant la bataille, Nur Jahan fut touchée et placée en captivité aux côtés de son mari. Grâce à créativité et son intellect, elle parvint à se sauver. De nouveau, elle leva une armée et fut cette fois-ci en capacité de libérer son bien-aimé.

Malheureusement en 1627, quelques années après son sauvetage, Jahangir mourut. Sa mort déclencha une guerre de succession entre le prince Khurram et le prince Shahryar. Nur Jahan choisit de prendre parti pour Shahryar qui avait davantage de compétences pour régner et plus à même de collaborer. Ils furent finalement tous deux trahis par le frère de Nur Jahan, Asaf Khan qui, jaloux du pouvoir de sa sœur, se rangea dans le camp opposé. Asad Khan demanda à ce que sa sœur soit emprisonnée, et Shahryar fut exécuté. En 1628, Shah Jahan devint le nouvel empereur moghol.

Nur Jahan passa donc le reste de sa vie confinée dans un confortable manoir à Lahore avec sa fille Ladli. Au cours de cette période, elle supervisa l’achèvement du mausolée de son père à Agra, mausolée qui inspira la construction du Taj Mahal, œuvre incontestable de l’architecture moghole. Le 17 décembre 1645 à l’âge de 68 ans, Nur décéda.
 
L’impératrice Nur Jahan fut la femme la plus puissante du XVIIème siècle en Inde. Elle joua à ce titre un rôle sans précédent dans la gestion du vaste empire moghol. Aujourd’hui encore, Nur Jahan reste une figure incontournable dans l’histoire de l’Inde, du Pakistan et du Bangladesh.

Les histoires à son sujet abondent dans les maisons et près de monuments, à Agra, dans le nord de l’Inde, et à Lahore, dans le nord du Pakistan. Pourtant, bien que les gens aient entendu parler de son histoire et notamment de son histoire d’amour, rarement, sa bravoure, ses talents d’artistes, de politicienne ou de diplomate sont mis en avant. Pourtant la force de Nur Jahan régnait dans son génie politique et les ambitions puissantes qu’elle projetait sur l’Empire qu’elle dirigeait.

Alors, lorsque l’histoire se veut sélective, tâchons ensemble de revoir les sélections et de proposer des (ré)écritures.

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