Hanane Karimi, une autre définition de soi est possible

par | 12/03/18 | Portraits

Lors d’une fin d’après-midi, j’écoute son histoire, je la regarde et j’ai du mal à imaginer que cette femme si engagée, Hanane Karimi, put être un temps, chez elle, à ne pas partager ses riches idées. « Morte socialement », comme elle le dit.
Actuellement doctorante en sociologie, cette féministe musulmane nous montre qu’une autre réalité, une autre définition de soi-même est possible. A tout moment. Comment a-t-elle pris sa vie en main ? Comment est-elle devenue une des figures médiatiques de la lutte contre le sexisme, l’islamophobie, et de nombreuses autres injustices ?
C’est l’histoire d’une Femme plus que d’une militante que j’ai envie de partager. Bien que l’un n’aille pas sans l’autre. Je veux essayer de comprendre ce qui se passe dans une vie pour que tout change…

 

Premier évènement

 

Le premier évènement marquant dans la vie d’Hanane se produit à ses 19 ans. Elle est en BTS à Nancy. Son voile ne plaît pas. Les tensions montent au sein de son établissement avec cette islamophobie latente. Plutôt que de se faire virer, c’est elle qui quitte son lycée. Nous sommes en 1998, bien loin encore de la loi du 15 mars 2004.

Elle finit son BTS dans un autre établissement, puis se retrouve femme au foyer. Par ses propres mots, elle dit « jouer son rôle assigné d’épouse, de mère » pendant 10 ans. Son expérience familiale, maritale, va être chargée de sexisme. Au départ, cela concerne essentiellement son environnement familial. Mais pas que… Elle commence à le vivre, à le voir, de plus en plus dans d’autres sphères. Rebelle et revendicatrice, c’est à la naissance de son troisième enfant que les choses changent.

 

L’épreuve

 

A 27 ans, elle se sent morte socialement. Pour elle, c’est « la mort, la fin ». Puis naît son troisième enfant, malade. Tout est chamboulé. Cette épreuve remet en question toutes ses certitudes. Rien ne sera plus comme avant. Elle ne rentre plus dans le « moule de la structure familiale, religieuse, communautaire ». Elle ressent l’envie « de reprendre [s]a vie en main, d’agir ».

Première étape : reprendre des études, contre l’avis de sa famille. C’est son premier pas vers SA définition d’elle-même. Elle ose un voyage aux Etats-Unis et part suivre une université d’été de bioéthique. Une nouvelle Hanane renaît.

Le plus dur au départ est de dépasser la peur. Elle parle de cette « peur de l’émancipation, peur de l’inconnu et peur de changer la personne que je suis ». Elle parle de cette nécessité de cependant « dépasser les structures limitantes sans se nier ».

C’est le premier pas de ce changement : « Accepter que je ne sois plus la même ».

Elle se lance dans la sociologie, avec une préférence pour la bioéthique. Son choix de l’éthique rentre en total accord avec sa quête de justice au sein de la société. Un brin de philosophie s’y mêle. De spiritualité aussi…

 

Les premières rencontres féministes

 

Ses plus belles rencontres ont eu lieu dans des livres, dans des romans historiques. Ce sont, comme elle le dit si joliment, « des fenêtres ouvertes sur le monde ».

Elle est inspirée en premier lieu par des femmes musulmanes telles que Khadija et Aïcha, deux des femmes du prophète Mohammed (que la Paix et le Salut soient sur lui).

 

« Ces femmes sont, à leur époque, déjà émancipées. Il y a un tel décalage avec le rôle, la fonction qu’on veut nous donner par rapport à ce qu’étaient ces femmes-là. Elles avaient des fonctions sociales, politiques, économiques reconnues. »

 

Sa vie change. Les rencontres se multiplient. Pendant deux ans, une fois par mois à Paris, elle rejoint le collectif Musulmanes en mouvement. C’est un lieu où d’autres femmes musulmanes partagent les mêmes questionnements sur le sexisme. C’est également un lieu de ressourcement, de sororité, d’unité.

Sa première action visible sera sa place de porte-parole au sein du mouvement Les femmes dans la mosquée en 2013. Elle ira y défendre, avec d’autres sœurs, une prise en considération des besoins des femmes au sein de la communauté musulmane, luttant contre l’invisibilisation dont elles souffrent déjà socialement du fait de l’islamophobie.

 

Crédit photo : Citizende/Michel Stoupak

 

Puis s’enchaînent de nombreuses autres actions et une médiatisation importante d’Hanane. Son but est de défendre les droits des femmes musulmanes, avec en particulier la Marche de la dignité et contre le racisme, organisée en 2015 et à laquelle elle participe activement.

Depuis, elle poursuit sa thèse. Son engagement a pris le pas sur tout le reste. Elle cherche à comprendre l’impact de la loi du 15 mars 2004, interdisant le port de signes religieux ostensibles dans les établissements d’enseignement publics, sur la vie des femmes musulmanes.

 

Crédit photo : 7 sur 7.be

 

Pour cela, elle interviewe nombre d’entre elles. Elle cherche à savoir ce que sont leurs réalités sociales, économiques, familiales, religieuses. A comprendre leurs trajectoires de vie et les stratégies qu’elles ont adoptées.

Elle croit en la force de l’exemple, en l’identification qui permettra à un plus grand nombre de femmes de trouver les outils pour se construire et avancer malgré les difficultés.

Son rêve, son souhait est « que chaque être soit considéré comme un être humain à part entière. Une vie respectée comme sa propre vie. Que les catégories de couleur de peau, de religion, d’origine, de sexe, de handicap ne soient plus des critères de sélection ».

 

Quelques conseils

 

Je lui demande quelques conseils inspirants pour les femmes qui, comme elle, souhaitent trouver LEUR place :

  1. S’auto-définir : on ne doit pas accepter que l’autre nous définisse et s’en contenter.
  2. L’affirmation de soi. Dire oui à SA vie. Ne pas accepter une projection du pouvoir de quelqu’un d’autre que soi.
  3. Oser faire le premier pas vers ses objectifs, aussi irréalisables semblent-ils. Juste le premier pas, se projeter. Faire les causes. Rêver.
  4. Ne pas rester seule, être entourée de personnes inspirantes, bienveillantes et motivantes.

 

Ses forces et ses ressources pour lutter

 

La lutte qu’elle mène est source d’attaques permanentes. Il y a eu des moments de grandes difficultés : « Ce n’est pas possible de lutter sans souffrir, ce n’est pas une ballade ». Je me demande où elle trouve sa force. Elle parle de la sororité, de ses sœurs avec qui elle partage une solidarité, une empathie qu’elle ne trouve nulle part ailleurs.

Puis elle me parle de Dieu, de sa foi. « L’islam, c’est LE refuge qui me permet de tenir. »

Elle récite ces versets de la sourate Ad-Duha, « Le jour montant » : « Ne t’a-t-Il pas trouvé orphelin ? Alors Il t’a accueilli. Ne t’a-t-Il pas trouvé égaré ? Alors Il t’a guidé. » (sourate 93, versets 6-7).

 

 

Crédit photo : Pexels

 

C’est dans l’épreuve que Hanane a compris que la cause pour laquelle elle se bat est très grande. Elle comprend alors que les attaques personnelles et les menaces qu’elle reçoit sont destinées à ce qu’elle représente et ce qu’elle porte comme message.

 

Une source d’inspiration pour les sien·ne·s

 

Et autour d’elle, auprès de sa propre famille, les lignes aussi ont bougé. Sa plus grande fille la remercie : « Merci. Merci d’avoir fait le travail que tu as pu faire ». Hanane refuse que sa propre fille ait à subir ça. Une fille qui rêve de devenir avocate…

Sa sœur, boostée par son parcours, a elle aussi repris le chemin du travail.

Et cette phrase sublime de sa propre mère : Ma fille, je t’ai longtemps enfermée dans mes propres convictions. Ce sont les femmes qui doivent s’affirmer. Je n’ai pas entendu. C’est toi qui as raison ».

Elle est la preuve vivante qu’on peut se réaliser en tant que femme avec sa propre définition, qu’un autre possible existe et est réalisable. Dix ans après, elle a dépassé ses projets.

 

Et maintenant ?

 

Je me demande si on ne pourrait pas la retrouver en politique un jour. Elle me répond : « J’ai déjà été sollicitée deux fois, mais j’ai refusé, car je ne suis plus en accord avec le système ». Elle croit en un changement du système de l’extérieur, même s’il faut un peu plus de temps.

 

« Regardez les luttes de décolonisation en Algérie, et d’émancipation aux USA. Il faut une grande détermination collective pour ébranler un système. Un contre-pouvoir qui serait le peuple. La force est dans le collectif. Il ne faut pas s’isoler. Quand on voit les obstacles, il faut continuer à y croire. »

 

Crédit Photo : Hassan Kodak

 

Elle poursuit sa route, en passant peu à peu le relais à d’autres. Elle finit sa thèse puis espère écrire un roman. Elle continuera ainsi à inspirer d’autres femmes par ses écrits et nous partagera sa propre « fenêtre ouverte sur le monde ».

Merci Hanane.

 

 

Pour continuer à suivre cette femme inspirante :

Sur twitter : @7Lou_Anne

Sur Facebook : Hanane Karimi

Elle a participé à l’écriture de Voiles et préjugés aux éditions Melting Book

 

 

Prochaine actualité : 

Une performance artistique le 13 mars à Rennes : « Est-ce que tu crois que je doiVe m’excuser pour les attentats ? »

Sa soutenance de thèse à la rentrée, si Dieu le veut.

 

Crédit photo à la une : Laurent de Martini

 

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