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Ezel Bahar, une danseuse en quête de spiritualité

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Ezel vient tout juste de terminer ses études en école de danse. Elle revient pour nous sur son parcours artistique, profondément lié à son cheminement culturel et spirituel, en tant que Franco-turque alévie.

 

La danse, une révélation

Née à Beauvais, Ezel a grandi auprès de ses parent·e·s, mais aussi entourée par ses deux soeurs. Depuis ses neuf ans, elle suit des cours de danse. Sa mère l’avait accompagnée au Conservatoire, afin de l’inscrire à des cours de piano. Malheureusement complets, elle a proposé à sa fille de l’inscrire en danse classique et contemporaine. « Cela me semblait impossible de mettre un juste-au-corps collant ». Sa mère a cependant insisté et Ezel a perçu la première séance comme une véritable révélation. « C’était comme une évidence : la danse faisait partie de moi ! ». Cette activité lui a permis d’améliorer l’estime qu’elle avait d’elle-même. « Je voyais ce que je pouvais faire de mon corps ainsi que la beauté de ses mouvements, ce qui m’a aidée afin d’accepter mon apparence. Toutes les cellules de ton corps semblent nourries et ce n’est pas étonnant que l’humanité, peu importe la culture, se réfère systématiquement à des danses, pouvant d’ailleurs être sacrées. C’est un véritable langage ! ». Elle a par la suite pris des cours de modern jazz de ses 16 à ses 18 ans au sein de l’association No-Made. Elle a également intégré une école de danse jazz dans le but de se former professionnellement. « C’est un univers plus différent, c’est à la fois très formateur académiquement et frustrant d’un point de vue artistique. Je me suis sentie coupée de ma facilité innée à inventer et à improviser car on consacre peu de place à notre créativité ». Elle déplore le manque de représentation de la diversité corporelle au sein de ce milieu, mais également l’omniprésence du male gaze (la vision masculine). « Dès le lycée, je me suis intéressée au féminisme, la révolte a commencé à bouillir en moi ». Ezel regrette également que l’on oublie le sens de certains arts. « Si l’on prend l’exemple de ce qu’on appelle la danse orientale, que je préfère nommer baladi, il s’agissait au départ d’une façon de célébrer la féminité, la maternité, c’était une danse de fertilité, sensuelle, pour se connecter à son essence primaire. Elle glorifie la puissance femelle. Désormais, elle est très facilement érotisée ou mal vue, alors que sa dimension est profondément sacrée ».

 

 

Ezel. Crédits : Shehrazad

 

Ses racines alévies, au centre de son cheminement artistique

Sa famille est originaire du centre de l’Anatolie, plus précisément de la région de Sivas. Ezel est également alévie. L’alévisme correspond à un courant hétérodoxe de l’islam. « En France, l’alévisme semble encore très inconnu ». Ainsi, Ezel n’hésite pas à partager son héritage culturel. « Je le fais à ma façon. J’ai souvent été la seule Turque et la seule alévie de mon entourage, c’est également un plaisir de partager sa culture avec des personnes qui s’y connaissent peu ». Elle demeure cependant étonnée que des personnes lui demandent si elle parle arabe, lorsqu’elles apprennent qu’Ezel est d’origine turque. « Il existe un gros point d’interrogation sur la Turquie, sûrement en raison de la médiatisation autour de cette contrée. Certaines personnes la voient aussi comme un pays très fermé. Souvent, on ne sait même pas le situer sur une carte. On ignore sa grande diversité, alors que notre terre est bordée par quatre mers et que différents climats et cultures y coexistent ». En outre, certains stéréotypes semblent encore très ancrés concernant les femmes turques. « Je ne ressemble pas à une Turque typique pour les gens, sûrement en raison de ma couleur claire de peau, de ma manière de me vêtir ou encore de mes choix de vie qui sont différents ». Face à tout cela, Ezel est ravie de pouvoir célébrer ses racines turques avec quelques proches. « Ma meilleure amie et mes soeurs vivent également à Paris, c’est génial de pouvoir continuer de parler turc entre nous, lorsqu’on a souvent l’impression de devoir se justifier, en tant qu’enfant·e·sd’immigré·e·s ».

 

Ainsi, Ezel rêve de pouvoir lier sa carrière artistique à son attachement profond pour ses racines. « C’est difficile à vivre émotionnellement, je me demande ce que je vais pouvoir apporter. J’aimerais véritablement me réapproprier mes racines ainsi que mes différentes identités ». L’été dernier, Ezel a ressenti le besoin de se rendre seule en Turquie, alors qu’elle n’y était pas retournée depuis sept ans. « C’est un choix. Je m’étais promis d’y voyager une fois adulte, afin de m’y ressourcer, d’y vivre mes propres expériences et d’y rencontrer de nouvelles personnes. Sur le plan spirituel, cela a été incroyablement bouleversant ». Ezel s’est retrouvée auprès de ses grand·e·s-parent·e·s. « Mon grand-père est très respecté dans son village, il me touche beaucoup du fait de sa sensibilité artistique, il joue du saz, il chante, il écrit des poèmes et il incarne une forme de sagesse pour moi ». Cet homme participait au cem, un rituel durant lequel les femmes, les hommes ainsi que les enfant·e·s se rassemblent dans un espace, où la transmission des croyances s’effectue à travers la musique, des chants, des danses et des prières. Les cem sont aussi connus pour leur danse, le semah, ce qui signifie « tourner en rond ». Plusieurs personnes effectuent donc ce rituel précis en tourbillonnant et il arrive qu’un individu effectue seul cette danse, en se positionnant au milieu de façon à être entouré par les autres. « Cette transmission physique me touche, la personne au centre est à la fois au service de Dieu et des hommes, elle nous apporte une dimension puissante et magique ». Ezel estime ainsi qu’il n’existe aucune civilisation sans art, qu’il s’agisse de la danse, de la musique ou encore de la peinture. « Dès la Préhistoire, nous pouvions observer des traces de civilisation sur les fresques des premier·e·s humain·e·s ». Ezel souhaite donc contribuer à partager cette puissance spirituelle. « Je me définis comme une personne multiculturelle, je ne me cantonne pas à une identité particulière. Il y aura forcément du métissage au sein de mes créations, cependant, j’aimerais aussi contribuer à préserver l’essence de l’alévisme, sans pour autant nier son évolution au cours des siècles ».

 

Un cem en Turquie. Crédits : Hürriyet

 

En effet, Ezel est profondément fascinée par les traditions, notamment le cem, un rituel codifié. « C’est très codé, chaque chose est liée a une signification précise ». Elle évoque ainsi la grandeur d’un cem ayant eu lieu à Berlin, durant les années 2000. « Une diaspora alévie importante y vit. Une centaine de personnes, dont plusieurs artistes connu·e·s, y avaient participé, en récitant des poèmes. La vidéo, de mauvaise qualité, m’avait donné des frissons. Je n’ose même pas imaginer si j’y avais assisté ! », rit-elle. De plus, la préservation de cette culture est très importante à ses yeux et elle ressent l’ « özlem », la nostalgie. « C’est un peu comme la ghorba pour les Nord-Africain·e·s, ce sont des mots de l’émotion, afin de manifester le déchirement que l’on ressent en raison du manque de son pays ». Son père évoque ainsi très souvent son manque de l’air de sa région natale. « Je ne suis pas immigré·e, mais ce que ressentent mes parent·e·s me bouleverse, c’est la raison pour laquelle j’aimerais rendre hommage à mes racines au sein de mon art ». Ezel rêve également d’accueillir des femmes afin de danser et de célébrer la féminité, dans toute sa diversité corporelle et culturelle.

 

En attendant d’assister à ses futurs projets, il est possible de suivre Ezel Bahar sur Instagram. Nous ne lui souhaitons que du succès, inshAllah.

 

Crédit image à la Une : Shehrazad

 

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Diffuse la bonne parole

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Busra Doner, la reine du collage

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Busra est une jeune artiste et étudiante âgée de 23 ans. Née en Turquie, elle vit en France depuis trois ans. Elle nous explique sa passion pour l’art du collage ainsi que son amour pour la littérature russe et turque.

 

L’art du collage comme thérapie

Busra a grandi en Turquie, à Izmir, ville connue pour sa diversité culturelle, ayant été sous le contrôle de la Grèce de 1919 à 1922. La jeune femme quitte sa ville natale à 18 ans, afin d’étudier la sociologie à Istanbul, au sein de l’université francophone de Galatasaray. Elle y apprend le français, ce qui lui a permis d’étudier à la Sorbonne. Désormais, Busra a pour objectif de consacrer une année entière à l’apprentissage de la langue russe, à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO). « Mon intérêt pour la Russie a débuté par la littérature, notamment par le biais de Dostoïevski ou encore Andreï Platonov ». Busra est fascinée par l’influence de la doctrine orthodoxe au sein des différentes formes d’art en Russie, à l’instar du cinéma, de la littérature et de la musique. Elle découvre ainsi le réalisateur soviétique d’origine arménienne Sergueï Paradjanov, pratiquant aussi l’art du collage, alors qu’elle est encore lycéenne. Durant son enfance, Busra adorait dessiner en compagnie d’une amie, qui a commencé à pratiquer le collage. « Lors de ce moment précis, je me suis rendue compte que l’art pouvait aussi exister sous cette forme, je ne l’avais jamais su auparavant ». Fascinée par Sergueï Paradjanov, Busra se demandait également : « s’il pratique le collage, pourquoi ne pas le faire, moi aussi ? ».

 

Busra et son sac INALCO. Crédits : Shehrazad

 

Cet art lui semblait très accessible, d’un point de vue matériel : Busra utilise généralement des magazines trouvés dans la rue. Elle n’hésite pas non plus à demander à ses ami·e·s de lui en fournir s’iels en ont et qu’iels ne les utilisent pas. « En Turquie, les collages me permettaient de m’amuser avec l’Histoire de mon pays ». Néanmoins, Busra évoque certains changements suite à son cheminement artistique. « Mes collages ne sont plus explicitement politiques. Je demeure évidemment influencée par la politique, cependant, mes collages sont plus symboliques, plus ésotériques ». Le collage est devenu beaucoup plus important à ses yeux depuis qu’elle vit en France. « Je me suis sentie très seule et j’étais très nostalgique. La Turquie me manque beaucoup. Je me suis mise à écouter des chansons turques que je n’écoutais jamais lorsque je vivais là-bas », rit-elle. « Les collages me servent donc à refléter ma nostalgie, ma solitude, ma manière de voir le monde et cela me permet aussi de rire de lui ». Busra perçoit donc le collage comme une « thérapie ». Lorsqu’elle en commence un, elle le termine forcément, trouvant désagréable ce sentiment d’inachevé. Cela lui coûte donc entre deux et cinq heures, mais également quelques petites toiles trouvées chez Action, lorsque les cartons dans la rue sont fragiles. « J’aimerais également pratiquer le collage sur d’autres matériaux, tels que le verre, les assiettes ou encore les miroirs afin de profiter des jeux de réflexion ».

 

 

Affiche de l’exposition de Busra Doner au restaurant Black Pide. Crédits : Elif Doner

 

L’art est ainsi omniprésent dans la vie de Busra, songeant parfois à consacrer exclusivement ses études à l’art plastique. « Parfois, je considère que je devrais m’engager dans une véritable carrière artistique, acquérir des connaissances académiques et théoriques sur le sujet, pourtant, tout ce que je produis est issu d’une démarche 100 % intuitive, je rassemble simplement ce qui me plaît ». Busra définit l’art comme le fait de créer une sensation de beauté. « J’aimerais faire sentir aux spectateur·trice·s que je suis heureuse de voir le monde, de profiter de sa beauté et d’en produire une, de façon harmonieuse ». Elle déplore ainsi le fait que des artistes professionnel·le·s de collage méprisent certaines façons de pratiquer cet art. « Au sein des collages très traditionnels, il est commun de retrouver des images accompagnées d’un mot ou d’une phrase. Lorsque tu observes ces collages, tu as l’impression d’avoir fini une histoire ». Néanmoins, Busra revendique le fait de ne pas pratiquer le collage de cette manière. « Pour les artistes les plus traditionnel·le·s, mes collages n’ont aucun sens. Pourtant, j’estime que les images détiennent leur propre langage qui influence le processus de réception. J’ai produit le collage, je l’offre à vos interprétations. Je ne peux pas encadrer vos pensées et c’est ce qui m’intéresse dans l’art ». Désormais, les oeuvres de Busra sont très liées à sa féminité ainsi qu’aux différentes conditions féminines, comme l’illustre son court-métrage. Elle a également pu exposer ses oeuvres en juillet, au sein du nouveau restaurant kurde et turc Black Pide, dans le IXème arrondissement de Paris. Cette exposition se nommait « Les intuitions ». Busra rêve également d’illustrer des ouvrages pour enfants.

 

 

Un collage de Busra. Crédits : Busra Doner

 

La poétesse Didem Madak, au centre de sa vie

Busra affirme ne pas se sentir représentée par les mouvements féministes en France. « Pour les Turques ou encore pour les femmes ayant une culture similaire à la mienne, nous avons d’autres soucis. J’estime que le capitalisme est le fruit de la civilisation européenne et qu’en tant qu’Européen·ne, tu bénéficies forcément du capitalisme et de l’oppression des minorités ». Elle refuse donc qu’il y ait un « porte-parole des opprimé·e·s ». « Nous pouvons nous défendre nous-mêmes, construire notre propre féminisme. Nos paroles sont crédibles, nous devons être les actrices de nos propres combats, je considère que cette radicalité est nécessaire afin de faire bouger les lignes ». Elle estime que la façon dont on va militer peut être particulièrement nocive, revenant finalement à accepter une domination. « Pour quelle raison aurais-je besoin de me défendre avec la légitimité d’une personne privilégiée ? Elle n’est pas dans ma peau ». Ainsi, Busra propose plutôt d’apprendre à écouter les personnes s’exprimant sur l’oppression qu’elles subissent, ce qui nécessite le fait d’apprendre à se taire. « Moi-même, j’ai la chance d’étudier en Europe, je ne vais donc pas parler à la place des femmes kurdes en Turquie par exemple. Nous ne vivons ni les mêmes souffrances, ni les mêmes défis ». Busra considère ainsi que la meilleure manière de soutenir des opprimé·e·s est de ne pas mal interpréter l’autonomisation de leur propre lutte. « Certaines femmes rencontrent des problèmes auxquels nous ne sommes pas confrontées. Tout le monde a le droit de se défendre. Évoquer un supposé séparatisme parce que des personnes dénoncent ce qu’elles subissent, c’est foncièrement cruel ». Ainsi, Busra est plutôt inspirée par des femmes vivant dans les pays du Sud, à l’instar de l’écrivaine brésilienne, juive et d’origine ukrainienne Clarice Lispector, ayant vécu l’exil. « Sa vie était tragique. Des antisémites ont violé sa mère durant un pogrom et la syphilis l’a rendue malade jusqu’à sa mort ». Busra admire également l’écrivaine mexicaine Elena Garro, ayant beaucoup écrit sur le racisme ainsi que la marginalisation des femmes dans son pays. « Elle est très critique à l’égard du mythe national mexicain, comme je le suis vis-à-vis de celui turc ».

 

Didem Madak. Crédits : BirGün

 

Busra demeure néanmoins avant tout marquée par la poétesse turque Didem Madak. Elle affirme que ses poèmes ont beaucoup influencé les recherches féministes concernant la littérature en Turquie. Ses écrits sont très liés à la condition féminine. « Dans l’un de ses poèmes, elle effectue son propre jugement imaginaire, affirmant : “si vous me pendez, faites-le avec la bretelle de mon propre soutien-gorge” ». La poétesse a perdu sa mère à 13 ans, suite à un cancer. Elle finit par étudier le droit à Izmir, alors âgée de 19 ans, avant de cesser ses études en raison de son mariage avec un étudiant en philosophie. Suite à son divorce, Didem Madak part vivre à Istanbul, où elle enchaîne plusieurs travaux difficiles et purement alimentaires. « C’est pour ça que je m’identifie à elle », rit Busra. La poétesse vivait en effet seule dans un sous-sol lugubre. « Durant trois ans, Didem portait le foulard et on sent d’ailleurs l’influence du mysticisme islamique au sein de ses écrits ». Didem affirmait dans l’un de ses poèmes vouloir « embrasser avec ma bouche, avec laquelle j’ai bu du vin, le front avec lequel je me prosterne ». Sa vie était incroyablement solitaire, à tel point qu’elle contait ses problèmes à la photo de sa mère. Cette dernière se prénommait Füsun, signifiant « magique » en turc et en persan. « Didem a donc adopté le stigmate de la sorcière, de ces femmes que l’on chasse ». Puis, la soeur de la poétesse, professeure de littérature, a permis à Didem de gagner un prix, suite à l’envoi de ses poèmes à un magazine littéraire. Elle a ainsi repris ses études en droit. Ses poèmes étaient lus par des prisonnier·e·s politiques, dont son futur mari, rencontré par hasard sur la place Taksim à Istanbul. Elle finit par disparaître en 2011, suite au même cancer que sa mère, alors que sa fille était âgée de 3 ans. « Elle est devenue l’héritière du destin de sa mère et elle affirmait à son enfant : “ma fille, je suis devenue poétesse suite à la tristesse causée par la perte de ma mère, ne deviens pas poétesse parce que je meurs”. Elle n’a pas hésité à se brûler avec son propre feu ». Busra aimerait donc rendre hommage à cette femme, par le biais des collages.

 

L’artiste organisera sûrement d’autres expositions. En attendant, il est toujours possible de suivre ses oeuvres sur Facebook et de lui souhaiter un grand succès dans ses études, mais aussi dans sa carrière artistique, inshAllah.

 

Crédit image à la Une: Shehrazad

 

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