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« Ouvrir la voix » d’Amandine Gay : Ne nous racontez plus, on s’en charge !

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On ne cesse de le répéter : la représentation compte (#RepresentationMatters) et pour la mettre en application, il existe peu d’outils aussi puissants que le cinéma. Dans Ouvrir la voix, la parole est donnée aux concernées, les femmes noires, celles-ci étant naturellement les mieux placées pour exprimer leur réalité. En une semaine, une soixantaine d’entre elles ont répondu à l’appel lancé par la réalisatrice, Amandine Gay, sur Twitter. Au final, c’est 2h02 passées avec 24 femmes, qui ont entre 22 et 47 ans, et qui parlent de leurs expériences et déconstruisent tous les stéréotypes, simplement en étant elles-mêmes.

 

Si Amandine Gay avait été américaine, son film aurait sûrement été une fiction autobiographique, comme beaucoup de premiers films. Mais après s’être confrontée à des producteurs·trices français·es pour qui les personnages noir·e·s qu’elle décrivait n’existaient pas, il a fallu revenir aux bases. Ce mur, elle s’y était déjà heurtée pendant plusieurs années, au cours de sa carrière de comédienne dans le monde du théâtre français. Elle s’est, par ailleurs, vite rendu compte que les rôles pour les femmes noires étaient rares et se limitaient souvent à ceux de prostituées ou de sans-papiers. Elle avait fait le choix, il y a quelques temps, de quitter la France pour Montréal. Finalement, elle y revient dans le même état d’esprit, avec ce besoin de débloquer les imaginaires. Dans un contexte où les femmes noires françaises ont souvent dû se tourner vers les Etats-Unis pour se voir à l’écran, Ouvrir la voix est une révolution : une production réaliste, montrant que les femmes noires existent dans leur pluralité.

 

« Votre silence ne vous protègera pas »     

 

« Peu importe si je n’ai pas dit ce qu’il fallait, si je me suis trahie par toutes sortes de petits silences, remettant ma parole à plus tard, ou comptant sur une autre pour parler à ma place. […] J’allais mourir, tôt ou tard, que j’aie pris la parole ou non. Mes silences ne m’avaient pas protégée. Votre silence ne vous protégera pas non plus. […]»
       Audre Lorde, “The Transformation of Silence into Language and Action”, 1977, Chicago.

 

Cet extrait, provenant de la poétesse féministe afro-américaine et lesbienne Audre Lorde, fait puissamment écho à Ouvrir la voix, en ce qu’il souligne la nécessité de briser l’assourdissant silence et de rendre audibles, en leurs propres termes, les récits de vie de femmes françaises et belges noires, jusqu’alors contés et monopolisés par des non-concerné·e·s.

La race ne se dit pas en France, elle se vit. Dans Ouvrir la voix, à mesure que chacune de ces femmes met des mots sur leur expérience sociale partagée, un paramètre commun apparaît : on leur a imposé leur identité ethnique tout en leur refusant de se revendiquer d’une appartenance autre que leur francité – sous peine d’accusations communautaristes (vous savez, lorsque les racisé·e·s se réunissent, cela effraie, mais personne ne rechigne quand des Blanc·he·s se retrouvent à gouverner dans les hautes instances entre eux·elles). Ces femmes noires choisissent donc de se réapproprier cette expérience en s’autodéfinissant comme « afropéennes », ou « afrodescendantes ». Se faisant, elles affirment d’une seule et même voix leur refus de choisir entre leur francité, leur africanité, leur féminité ou encore leur religiosité, puisqu’elles participent toutes de leur identité.

Ouvrir la voix donne donc corps à cette construction sociale qu’est “la race noire”, qui se conjugue ici spécifiquement au féminin et dans le contexte particulier de l’Europe. Dès le premier chapitre, à la lumière des expériences de chacune, se noue une conversation où s’entremêlent plusieurs voix relatant les différentes étapes marquantes de leur racialisation – c’est-à-dire le processus subjectif par lequel elles ont découvert et ont vécu leur différence raciale. L’une des étapes les plus marquantes de leur socialisation en tant que « femme noire », c’est-à-dire l’apprentissage des stéréotypes accolés à la catégorie « Noire », est symbolisée dans le documentaire par le récit, commun à toutes, de cette obsessionnelle question : « Tu viens d’où ? ». Cette injonction à présenter ses origines est vécue par ces dernières comme une violation de leur intimité, dans la mesure où elle marque une frontière raciale manifeste entre un « Nous » et un « Eux ». Cette question les renvoie à une identité supposée extérieure qui en fait les « Autres » de cette société française blanche et hétéronormée (c’est-à-dire dominée par des normes hétérosexuelles). C’est en cela que le documentaire prend tout son sens : il met en évidence les manifestations quotidiennes du racisme systémique vécu chaque jour par les femmes noires françaises.

 

Une des protagonistes du film.

Crédit photo : Capture d’écran d’un extrait du film sur Youtube

 

De la domination à l’émancipation

Aiss Berg, Amelia Ewu, Eléonore, Fania Noël, Fanny aka Thisiskyemis, Laura aka MrsRoots, Maboula Soumahoro, Many Chroniques, Marie Leda, Marie Julie Chalu, Merci Michel, Nass, Ndell a Paye, Ornella aka Loulou, Po B.K Lomani, Rachel Khan, Rébecca Chaillon, Sabine Pakora, Sandra, Sandra Sainte Rose, Fanchine, Sharone, Taina, Thara, Zina… Toutes ces femmes révèlent en quoi le fait d’apprendre à « être noire » ne se réduit pas à la prise de conscience du fait que l’on est perçue comme différente : cela signifie également intérioriser que la norme demeure blanche. Grâce à ces témoignages, ce sont les privilèges de la société majoritaire blanche qui transparaissent, mais surtout l’incapacité de cette dernière à se représenter et à reconnaître sa propre blanchité, tout comme l’exprime de façon très juste l’une des protagonistes lorsqu’elle s’exclame :

« Le privilège de l’innocence de sa propre couleur de peau, on aimerait tous l’avoir, nous. »

Peu à peu, les discours de ces femmes prennent de l’épaisseur et en viennent à décrire ce que certaines d’entre elles nomment « un mille-feuilles identitaire ». Ce mille-feuilles représente finalement, non plus un handicap, mais une réserve où elles puisent leur force – tout comme elles en trouvent dans leur religiosité ou encore leurs convictions afroféministes, qui deviennent alors sources d’émancipation.

Parallèlement à cela, le documentaire se singularise particulièrement par le fait qu’il rend visible les impacts psycho-sociaux des expériences de discrimination répétées. Ces dernières sont d’ailleurs fidèlement illustrées à travers les récits d’anecdotes communes : elles ont été plusieurs à être confrontées à cette fameuse conseillère d’orientation qui a tenté de les dissuader de viser des grandes écoles, sous prétexte d’un “niveau insuffisant”. Ces témoignages, comme bien d’autres dans le documentaire, sont autant d’expériences communes qui peuvent mener à l’auto-sabotage, à la dévalorisation de soi ou encore à la dépression. Faire face à ces discriminations signifie pour certaines la mise en place de véritables stratégies afin d’être mieux acceptées. En ce qui concerne le monde du travail par exemple, elles ont dû adopter diverses tactiques de coiffage comme le défrisage ou la coupe totale de leurs cheveux (dreads, tresses, afro) afin de convenir à une norme éthique et esthétique blanche. Par ces choix, elles anticipent les rappels à l’ordre de mise en conformité de leurs cheveux crépus ou frisés, dont la forme et la texture sont perçues comme problématiques et « non présentables » auprès de certains employeurs.

C’est cette dimension très peu reconnue des discriminations sexistes et racistes subies par les femmes noires qui donne, aux yeux des premières concernées, une portée quasi-thérapeutique au documentaire d’Amandine Gay. À prescrire de toute urgence !

 

L’esthétique photographique : magnifier sans fétichiser

 

Parallèlement aux nombreuses questions de fond abordées dans le film, la singularité d’Ouvrir la voix tient également au fait que c’est un documentaire comme on n’en a jamais vu, au sens proprement visuel du terme.

 

En effet, l’une des grandes forces du travail d’Amandine Gay, c’est surtout de nous offrir un spectre inédit de la diversité des femmes noires en France. Réunies autour de problématiques qu’elles partagent, ces femmes sont cependant toutes très différentes. Cette diversité, la réalisatrice la met en scène de manière magistrale, à l’opposé de tout ce que l’on a été habitué·e·s à voir à la télévision. Il suffit de jeter un œil aux rôles qui sont habituellement attribués aux femmes noires dans les films et séries françaises. On les dépeint comme des femmes de ménage vivant dans des conditions précaires (la mère de Driss dans Intouchables par exemple), ou comme des nourrices correspondant aux clichés de la “Mama” (Mamacita dans Il a déjà tes yeux). C’est également en délinquantes reléguées à la périphérie parisienne qu’elles sont constamment représentées (une image vue et revue dans des séries policières telles qu’Engrenages, et bien d’autres…).

 

Amandine Gay

Crédit photo : Christin Bela / Cfl Group Photography

 

Ces représentations-clichés, qui ne reflètent pas la pluralité des femmes racisées, Amandine Gay les défait totalement dans son film. Pour cela, elle choisit une esthétique propre à son projet de décolonisation des esprits.

 

“Je suis aussi une artiste et je ne veux pas qu’on zappe l’aspect esthétique du film.”

 

Ouvrir la voix se présente a priori de manière très minimaliste. Là où les reportages tendancieux de la télévision française usent d’une voix-off pour orienter les images filmées, ou de musiques dramatiques pour romancer des scènes quotidiennes et susciter la peur ou la pitié des spectateurs·trices étranger·e·s à ces représentations, Amandine Gay laisse entièrement la parole à ses interlocutrices. Le montage, lui aussi très épuré, propose d’ailleurs de vivre ces différents témoignages sous la forme d’une discussion continue, que rien n’interrompt si ce n’est les cartons annonçant les titres, tantôt dénonciateurs, tantôt drôles, des quatorze chapitres.

La parole (re)donnée aux concernées : un projet bien plus subversif en France que ce que les médias, représentant systématiquement les femmes noires comme un bloc homogène, nous laissent bien croire !

 

« Je voulais repenser le documentaire de “têtes parlantes” en faisant quelque chose d’esthétiquement intéressant. (…) Mais aujourd’hui, le documentaire “têtes parlantes” a été pourri par le reportage télé, c’est à dire les codes du bandeau qui arrive, les plans de coupe pour qu’on ne s’ennuie pas, la voix off et la musique omniprésente. »
Citations d’Amandine Gay dans son interview pour Lafrolesite et  Le Deuxième Regard

 

De l’évolution des représentations à la révolution

 

Concernant l’image à proprement parler, c’est dans une esthétique très photographique que s’inscrit la réalisatrice. Des cadres serrés offrent à voir les différents grains de peau de ces femmes actrices de leur récit, en même temps qu’ils créent une proximité peu visible à la télévision. Les légères contre-plongées (lorsque la caméra filme les personnes d’en bas) donnent une impression de grandeur à la fois physique et psychologique à ces femmes victimes d’oppressions racistes et sexistes à la fois, d’habitude rabaissées. Amandine Gay les magnifie sans les fétichiser ; elle les représente à l’état brut, celui que personne ne veut voir, parce qu’il dérange, ou parce qu’il “n’existe pas”, comme on a pu le lui laisser entendre à de nombreuses reprises tout au long de sa propre carrière. Ici, il s’agit surtout de construire à la fois un espace de parole safe pour ces victimes de violences sexistes, racistes, classistes (ndlr. mépris de la classe sociale) et/ou d’oppressions religieuses, ainsi qu’une image différente des femmes noires françaises.

 

Cependant, la réalisatrice n’a pas l’ambition de chambouler les représentations avec un seul et unique film. Son documentaire est le fruit d’une lutte de longue haleine contre les différents symptômes de cette société mysogynoire (ndlr. la rencontre entre racisme et misogynie, une double oppression donc pour les femmes noires) qui réduit ses comédiennes, ingénieures et autres militantes au statut d’objets. Il ne s’offre pas comme une réponse absolue au racisme et au sexisme systémiques dont souffrent quotidiennement ces femmes, mais plutôt comme un espace de représentation singulier, qui lie fond contestataire et forme émancipatrice afin de sonner l’alarme.

 

Ouvrir la voix représente donc un outil esthétique dans la longue lutte pour la (re)prise de parole par les femmes racisées, et constitue en cela un moment historique pour le cinéma français.

 

 

Article écrit par Claire-Issa Diallo, Natacha Djedji et Tarani

 

 

Crédit photo à la une : Affiche du film, Bras de Fer Production

 

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Les cheveux, un marqueur capillaire et identitaire

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Fatou N’Diaye, Bloggeuse

Christiane Taubira , Ancienne Garde des Sceaux

Sandra Sainte Rose, Danseuse & Chorégraphe

Alice Diop, Réalisatrice

Aissa Maiga, Actrice

Imany, Chanteuse

 

 AFRO !                                                                   

 

Vous vous demandez certainement pourquoi ces noms et pas d’autres ? Parce que ces noms, CES FEMMES ont retenu mon attention, mon regard durant de longues minutes lors de l’exposition photo « AFRO ! » de la réalisatrice, journaliste, écrivaine, et militante antiraciste Rokhaya Diallo et la photographe Brigitte Sombié. Inspirée de leur livre du même nom, cette exposition contribue à donner encore plus de visibilité à leur projet initial, celui de faire reconnaître et de valoriser la beauté des afropéen·ne·s et tout particulièrement celle de leurs cheveux, s’opposant aux canons de beauté capillaires imposés par nos sociétés occidentales. La beauté serait-elle seulement synonyme de blancheur et de cheveux raides ? Cette exposition tend à s’opposer à cette idée encore partagée par beaucoup.

 

«  Les cheveux sont des cheveux. Cependant ils portent sur des questions plus larges : l’acceptation de soi, l’insécurité et ce que le monde considère comme beau. » Chimamanda Ngozi Adichie – The Guardian, 7 avril 2013

Photo de Chimamanda Ngozi Adichie

Crédit photo : Lakin Ogunbanwo for New York Magazine
 

Prononcée par la féministe nigériane dont le discours a été popularisé par la célébrissime Beyoncé dans sa chanson «  Flawless », cette phrase amorce l’exposition. Elle englobe et rappelle ce que les cheveux véhiculent comme message. Nos cheveux, et surtout notre rapport à nos cheveux se reflètent dans nos coiffures : nous les assumons pleinement, partiellement ou nous en rejetons l’aspect. La photographie illustrant ce propos est celle d’une femme afro-descendante avec un afro à la teinte assez claire dont le volume et l’ombre cachent légèrement son œil gauche mais laisse toutefois percevoir ce léger sourire qu’elle esquisse. BEAUTE, NATUREL·LE, ACCEPTATION DE SOI, FIERTE : Voilà les maîtres mots qui se dégagent de cette exposition, se prolongeant dans cette pièce aux murs blancs sur lesquels sont apposés des portraits de personnalités et d’anonymes qui ont accepté de se prêter au jeu de la photo pour véhiculer un message fort.

 

« Il est aussi important que les femmes noires gardent les cheveux naturels que les Chinoises ne se débrident pas les yeux. La beauté de l’humanité c’est que les beautés multiples s’assument et s’affichent. Elle s’appauvrit si on se ressemble tous. » Christiane Taubira, Ancienne Garde Des Sceaux.

 

«  Nous avons été tellement habitués à voir, dans les médias, des filles noires avec les cheveux au vent que c’est devenu notre critère de beauté. Etre noire et belle, c’était avoir des cheveux lisses. » Fatou N’Diaye, Bloggeuse.

 

Photo de Fatou N’Diaye

Crédit photo : © Brigitte Sombié

 

Notre révolution capillaire est en marche…

 

Comme le dit si bien Fatou N’Diaye -alias BlackBeautyBag, bloggeuse incontournable en matière d’esthétique capillaire dont les recommandations sont suivies et relayées-, être noire et belle ne signifie pas avoir des cheveux lisses. Bien que des personnalités d’envergure internationale telles que Beyoncé ou encore Naomi Campbell ont recours au lissage, des personnalités fortes telles que Fatou N’Diaye ou Solange Knowles s’y opposent farouchement. Malgré leur lien de parenté étroit, Solange et Beyoncé véhiculent deux messages forts opposés auxquels chacun·e d’entre nous peut s’identifier. L’une prône un retour au naturel affiché et assumé ; l’autre prône une esthétique capillaire bien plus lisse, avec une tendance à recourir aux extensions et aux tissages. Dernière polémique en date : un magazine britannique du nom de « London Evening Standart » a mis en couverture de l’un de ses numéros Solange Knowles, qui n’a pas du tout été satisfaite de la version définitive. En effet, la coiffure que Solange arbore fièrement sur la couverture a été tronquée, avec une esthétique beaucoup moins impressionnante que la version de départ. Je vous laisse en juger par vous-même.

 

Crédit photo : © 2017 CMI marketing

Etrange décision, alors que l’artiste attache une grande importance aux cheveux et surtout aux coiffures tressées qu’elle décrit comme un «  art à part ». Son formidable « Don’t Touch My Hair » ne semble pas avoir été entendu et compris par tou·te·s apparemment.

Mon propos, comme celui de l’exposition, n’a pas pour but de dénigrer ou de valoriser une esthétique plutôt qu’une autre. Elle vise à (re)donner la visibilité à « l’afro » trop souvent caché car moqué de ceux et celles qui le considèrent comme une négligence lorsqu’il est porté. Considère-t-on comme négligent·e celui ou celle qui attache ses cheveux en permanence sans les accessoiriser ? Bien que sûr que non ! Pour certains points, et l’aspect capillaire en faisant partie, les connotations négatives ne semblent concerner qu’une certaine catégorie de personnes, en l’occurence les personnes racisées.

Une réalité tout aussi tranchée lorsqu’il s’agit des cheveux tressés qui peuvent être considérés comme «  chic » ou « banal/ghetto/retro » en fonction de celui ou de celle qui les portera. A ce sujet, l’exemple le plus évocateur est bien entendu les fameuses tresses collées de Kim Kardashian. Rectification : les tresses collées que s’est gentiment appropriée Kim Kardashian de la culture africaine. C’est plus juste, non ?! Un parfait exemple de ce que l’on appelle plus communément l’appropriation culturelle. Le contexte actuel met en valeur la culture africaine, notamment d’un point de vue vestimentaire et capillaire, mais provoque dans le même temps une appropriation, une récupération de celle-ci par intérêt purement économique. Autre exemple : Stella McCartney, lors de sa collection printemps-été 2018 présentée lors de la Fashion Week à Paris dont les mannequins arborent des tenues créées à partir du WAX et vendues à un prix exorbitant. Pour les principales concernées, leur culture, reposant sur leurs propres codes vestimentaires et capillaires, n’a pas qu’une simple dimension économique. S’agissant de nos cheveux, ils ont une dimension avant tout politique, sociale et IDENTITAIRE. C’est bien de notre identité dont il est question, et il nous faut plus que jamais l’affirmer et la revendiquer. Faire de ce qui est considéré comme une différence, un défaut ou encore une anomalie, une richesse participant à l’amour de soi et à l’écriture d’une nouvelle définition plus inclusive de la beauté.

 

Alors, si vous n’avez pas vu l’expo « AFRO ! », vous savez ce qu’il vous reste à faire : Rendez-vous à la Maison des Métallos à PARIS (11ème). Faites vite, l’exposition ne dure que jusqu’au 29 octobre !

Crédit photo à la une : Plumelle

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Afroféminisme : Ndella Paye met les points sur les i

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Quand on s’intéresse à la question des revendications de femmes, on s’aperçoit très vite que celles qui se définissent comme afroféministes sont aussi intrigantes qu’inspirantes, et surtout incontournables. En tant que femme musulmane non noire, je me suis interrogée sur ce mouvement, ce qui le porte, ainsi que sur notre position d’alliées, en tant que féministes qui souhaitons faire entendre les voix des femmes musulmanes.

 

J’ai choisi de m’adresser à l’une des figures de ce mouvement en France, Ndella Paye, une femme dont le nom revient assez souvent et déclenche un sourire chez celles et ceux qui l’évoquent. On me décrit à chaque fois une personne avertie, franche et punchy. C’est donc curieuse et enthousiaste que je la contacte. Entre deux rendez-vous pendant une de ses journées chargées, Ndella m’accorde un entretien téléphonique.

 

Pour commencer, qu’est-ce que l’afroféminisme et quelles sont ses visées ? De quelle nécessité provient-il ?

 

Tout d’abord, il est important de préciser que les mouvements féministes sont tous nés à la même époque, dans les années 60. Il en est de même pour la lutte des femmes noires, de l’afroféminisme. Seulement, l’afroféminisme s’est différencié du féminisme blanc par le fait que nous n’avons pas les mêmes priorités en termes de luttes et d’exigences pour les femmes. Nous avons des spécificités qui sont au mieux ignorées, et au pire niées, donc jamais prises en compte par celles qui considèrent représenter l’universalisme. On nous dissout dans un universalisme dans lequel nous ne nous reconnaissons pas, dans lequel nous ne pouvons pas nous reconnaître. Un universalisme qui a pour référence la peau blanche.

Par exemple, à l’époque où les féministes blanches avaient pour souci la légalisation de l’IVG et de la contraception, les femmes noires, elles, étaient stérilisées de force. Aujourd’hui, quand les féministes blanches se battent contre l’exposition de leurs corps, les femmes noires se battent pour que leurs critères de beauté soient reconnus, que la peau noire ne soit plus synonyme de laideur, que les cheveux crépus ne soient plus considérés comme rebelles ou indisciplinés ; pour que la beauté ne soit plus synonyme de peau blanche, de cheveux raides et de nez pointu. Quand elles luttent pour ne plus se soumettre aux diktats de beauté, nous luttons pour parvenir à trouver du maquillage adapté à notre carnation !

 

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Crédit photo : Ndella Paye dans « Ouvrir la voix » de Amandine Gay

 

L’afroféminisme viserait alors des objectifs différents ?

 

Nos demandes sont les mêmes, c’est-à-dire l’exigence d’une égalité femme/homme ; mais s’ajoute aussi, pour nous, l’exigence d’égalité de traitement avec les femmes blanches. Nous, femmes noires, subissons la misogynie que subissent les femmes blanches, mais également la misogynoire spécifique à notre couleur de peau. L’afroféminisme s’inscrit donc forcément dans une démarche intersectionnelle, car les femmes noires sont à l’intersection de plusieurs discriminations. En Afrique du Sud par exemple, pour ne citer que cela, l’apartheid est fini, mais les enfants luttent en 2016 pour garder leurs cheveux naturels afro, alors que leurs cheveux n’ont pas à être dénaturés. Pareillement, les jouets offerts aux petites filles, les poupées, ont toutes les cheveux raides. Devenues adultes, ces enfants ne sont pas habituées à manipuler leur type de cheveux qui, du coup, leur sont complètement étrangers. Les femmes noires sont ensuite convaincues que les cheveux afro sont trop difficiles à entretenir. Beaucoup de femmes noires ont fini par intégrer cette absurdité et s’éclaircissent la peau et/ou se défrisent les cheveux pour adopter les critères « universels » de beauté qui nient leurs spécificités. Dans la culture, dans les films, les Noirs s’identifient aux protagonistes blancs, alors que les Blanc.he.s ne s’identifient qu’à des personnages qui leur ressemblent ; ils sont l’universel.

 

Vous êtes l’une des figures de ce mouvement en France ; qu’est-ce qui vous y a amenée ?

 

J’ai commencé en 2003 mon engagement contre la loi de 2004, qui excluait de l’école les jeunes filles musulmanes portant le foulard. Une lutte terrible contre le foulard s’est dès lors engagée en France par les détenteurs d’une laïcité d’exclusion. Or, il n’était pas possible pour moi d’exclure des filles de l’école ! C’est déjà bien assez difficile de pouvoir travailler et ne pas dépendre d’un homme. Je me suis engagée corps et âme dans cette lutte, puis j’ai découvert l’afroféminisme. Et j’y ai adhéré ; il comblait un vide.

Le film « Ouvrir la voix » d’Amandine Gay, qui va sortir prochainement et auquel j’ai participé, sera un vrai tournant pour nous, femmes noires en France, mais également pour nos enfants. Il a le mérite de donner la parole aux femmes noires tant ignorées. Avant, je militais dans des collectifs mixtes, mais les luttes, elles, n’étaient pas mixtes. Car tout le monde n’est pas représenté, les spécificités de l’autre ne sont pas prises en compte. En tant que femmes noires, on ne peut pas dire que notre vie est juste privée : nos vies sont aussi politiques, nos expériences le sont tout autant !

 

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Crédit photo : Ouvrir la voix – Amandine Gay
 

Quelle est la situation et la dynamique de ce mouvement en France ?

 

Ce n’est pas évident ; il y a une sorte de déni en France dès lors qu’on essaie de s’organiser entre personnes touchées par les mêmes discriminations, surtout quand il s’agit de personnes racisées… On fait dès lors systématiquement planer une suspicion de communautarisme, censée nous dissuader de nous retrouver entre nous. Personnellement, j’assume ce dit communautarisme, qui se voit dans tellement d’autres lieux censés être mixtes, comme nos hautes instances, l’Assemblée Nationale, le Sénat, les directions des partis politiques et des grandes sociétés. Pourquoi devrions-nous rougir de trouver plus sain et facile de s’organiser entre personnes concernées pour lutter contre les discriminations qui nous touchent, sans avoir à gérer des susceptibilités et fragilités de toute sorte ?

Nous n’avons pas beaucoup de visibilité en France, c’est aussi pour cela que le film d’Amandine Gay « Ouvrir la voix » est nécessaire. Car la question est d’importance : qu’est-ce que c’est qu’être une femme noire dans un pays qui se dit universaliste ? L’universalisme français est très blanco-centré et assimilationniste. Il exige de nier une bonne partie de ses identités, de s’asseoir sur ses spécificités. Quand tu es une femme noire en France, tu ne trouves pas vraiment de figures qui te ressemblent pour t’identifier. Et quand on a la « chance » de voir des films comme « Bande de filles » sortir au cinéma, on attend de nous que nous nous en réjouissions et que nous n’émettions aucune critique pour améliorer les futures productions concernant nos vies. Nous, nous devons nous contenter d’être satisfaites des représentations qu’on daigne nous présenter. Nous, nous n’avons pas le droit aux critiques, aux refus des représentations dénigrantes et nocives pour nos enfants. Nous, nous devons nous contenter de ce qu’on nous produit même si c’est de la m****. Nos héros ont tendance à être blanchis pour les rendre universels. C’est à croire que la blanchitude a besoin de figures blanches pour s’identifier, mais qu’elle s’étonne qu’on exige des figures noires pour nous identifier. Quand il s’agit de héros, leur partie noire doit être dissimulée, comme dans le film « L’autre Dumas« , où Alexandre Dumas est joué par un acteur blanc, Gérard Depardieu. Mais dès lors qu’il s’agit de criminels, cette partie est seule à être mise en avant.

Les présentateurs/trices télé ne représentent pas la diversité tant prônée. On a eu un certain Harry Roselmack au 20h de TF1, le truc qui est censé faire taire nos exigences. Nous continuons d’être des objets parlés et non des sujets parlants (pour reprendre l’expression de Saïd Bouamama). Ce sont encore des intellectuel.le.s blanc.he.s et autres spécialistes qui traitent et parlent de la question noire quand elle est soulevée.

On exige de nous d’adopter un roman national qui déforme et ment quant à la façon de raconter notre Histoire. Nous devons nous approprier la narration de cette Histoire qui nous appartient, et non la laisser aux mains des vainqueurs. Le proverbe africain ne dit-il pas : « Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continueront de glorifier les chasseurs » ? Nous devons donc raconter notre propre Histoire. Ça arrive, doucement mais surement.

En 2004, on a accusé les féministes musulmanes de diviser la sphère féministe, mais j’ai été contente de cette division. Je n’en pouvais plus de voir le CNDF (Collectif National des Droits des Femmes) parler au nom des femmes. Je ne me suis jamais sentie représentée par Maya Surdite et compagnie.

 

Est-il juste de penser que les racines de ce mouvement viennent des Etats-Unis avec la lutte des Noir.e.s pour les droits civiques, ou faut-il aller les chercher plus en amont encore, en Afrique même ?

 

Crédit photo : 04 Juillet 1974, Raleigh, North Carolina, USA – Angela Davis s’exprime lors d’un rassemblement à Raleigh – © Bettmann/CORBIS

 

Les luttes des femmes sont nées au même moment à travers le monde. Qu’il s’agisse des femmes blanches en Europe, des femmes musulmanes dans les pays arabes, des femmes noires aux États-Unis, en Europe ou en Afrique, ces luttes ont démarré au début des années 60. Aux Etats-Unis, le parcours d’Angela Davis montre combien il fut difficile de faire reconnaître la lutte des femmes noires dans les milieux militants. En effet, elle a commencé par adhérer au parti communiste, où elle s’est rendu compte que la lutte pour les droits civiques n’était pas leur priorité. On était convaincu que la lutte de classe, une fois finie, réglerait tout le reste. Davis a quitté le parti communiste pour adhérer au mouvement des Black Panthers, mais là également, la priorité était la lutte raciale – les femmes devaient attendre. La nécessité d’un black feminism s’est alors imposée à elle et aux femmes noires en général. Il faut arrêter de croire que ce sont les femmes blanches qui ont ouvert la voie du féminisme, c’est juste que ce sont elles qui ont le pouvoir de narration.

 

Quelles sont les figures qui vous inspirent, celles qui vous donnent envie d’aller plus loin et de vous sentir à votre juste place dans la lutte ?

 

Ma mère est celle qui m’a le plus inspirée dans ma vie. Ma position d’aînée m’a culturellement privilégiée, mais elle m’a aussi permis de la voir se battre pour offrir une meilleure vie à ses enfants. Elle a mis un point d’honneur à ce que tous ses enfants étudient et aient une situation, à ce que ses filles soient autonomes et ne dépendent d’aucun homme. Très jeunes, elle nous répétait ô combien il était important de travailler indépendamment d’un mari. Elle en savait quelque chose. Divorcée de mon père, elle a dû reprendre des études alors qu’elle avait 3 enfants en bas âge. Elle était syndiquée à l’hôpital dans lequel elle travaillait. Elle a toujours lutté pour ses droits ; un vrai modèle pour moi. Et puis il y a Angela Davis, martyr de la cause. Mais aussi mon amie Christine Delphy, féministe blanche lucide quant à ses privilèges de femme blanche. Une superbe alliée, pionnière du féminisme blanc français, et l’une des rares féministes françaises à s’être opposée à la loi de 2004, à se demander pourquoi ne vouloir lutter que contre une seule forme d’aliénation. En luttant avec elle, j’ai beaucoup appris. En lisant, on apprend chaque jour davantage, on se rend compte combien on est ignorant.e. Mais ma mère reste celle qui m’a vraiment marquée, c’est ma fierté !

 

Vous êtes une femme noire et musulmane. Au-delà de l’idée de sororité idéalement universelle, pensez-vous que les féministes musulmanes devraient s’appuyer ou s’inspirer de l’afroféminisme ?

 

En fait, tout dépend des contextes. Je vis à Londres depuis plus d’un an maintenant, et ici, quand on parle du mouvement « Black », ça veut dire « non-White ». Je me souviens avoir publié sur mon profil Facebook un article en anglais qui parlait de l’élection de la première femme « Black » à la tête de NUS, le plus grand syndicat étudiant au Royaume-Uni. Malia Bouata, c’est son nom et elle est arabe. J’ai donc été interpellée par l’usage du mot « Black » alors qu’elle n’est pas noire. J’ai dû répondre en expliquant le contexte anglais de l’article. En effet, au Royaume-Uni, dans le milieu militant, les non-Blanc.he.s se définissent comme « Black ». Une personne a questionné, à raison, la légitimité pour une personne qui n’est pas noire de se définir comme « Black ». J’ai toujours estimé que les personnes qui luttent ont toute légitimité à se définir et à choisir le ou les mots qui leurs conviennent pour désigner leurs luttes, leurs identités. C’est mon avis.

 
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Crédit photo : Aurélien Gillier photographe
 

Lors du camp d’été décolonial, il y a eu un atelier au sujet des alliances. Noir.e.s et Arabes subissent la domination du même système raciste qui a établi une hiérarchie en fonction de la couleur de la peau. Nous devons lutter ensemble contre ce système. Mais cette alliance n’est possible que si les Arabes reconnaissent à leur tour la domination qu’ils ont sur les Noir.e.s. Un allié non conscient de ses privilèges ne peut être un bon allié. Tout comme des Blanc.he.s peuvent nier les privilèges que le système est susceptible de leur apporter, il y a des Arabes qui nient également la négrophobie chez les Arabes, et ce n’est pas acceptable. Or, on s’en fiche de la « fragilité arabe », cela doit être reconnu, sinon l’alliance n’est pas possible !

Nous avons une lutte commune, mais c’est une difficulté que l’on rencontre souvent, et surtout dans les milieux musulmans où l’on nous cite souvent la figure de Bilal pour taire nos accusations de négrophobie chez les musulmans. (ndlr : Bilal est un esclave noir qui, après avoir été racheté et libéré par Abû Bakr, fut l’un des premiers compagnons du prophète de l’islam, Muhammad, l’un des plus aimés et le premier muezzin.)

Les gens disent que l’islam n’a pas de fondement raciste et invoquent Bilal pour en conclure que le milieu musulman n’est pas un milieu raciste… C’est faux ! C’est comme de dire que l’islam a honoré la femme alors que les hommes musulmans, sur le terrain, sont loin du compte. C’est l’islam que nous vivons qui nous importe ici, et non un islam théorique non appliqué. Pour mieux leur faire comprendre le décalage, je n’hésite pas à comparer la situation à celle de la France, qui prétend être le pays des droits de l’Homme (on résiste à dire humains), mais où la déclaration des droits humains n’est nullement appliquée.

Si j’avais un message à adresser à mes sœurs musulmanes et arabes, ce serait celui d’arrêter de nous brandir l’islam théorique pour refuser de reconnaître la violence que nous subissons, car il y a pire que la violence subie, c’est la violence niée. L’islam que l’on vit est celui qui m’importe ! Autrement, cela participe à la négation de la violence. Et il n’y a pas pire violence que la négation d’une violence.

 

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