Samra Seddik et son petit bagage d’amour

par | 10/07/17 | Portraits

Il y a des moments dans la vie qui devraient toujours être entourés de douceur, de bonheur, de tendresse et de bienveillance. Comme la naissance d’un enfant. Une future maman, un joli ventre tout rond, une petite valise pleine de vêtements pour ce bébé qu’on s’apprête à accueillir. Un petit cocon tout doux, tout chaud pour ce nouveau-né qu’on attend avec impatience. Voilà le tableau idéal.

 


 

Malheureusement, la réalité est tout autre pour certaines futures mamans. C’est de ce constat que naît l’association « Un petit bagage d’amour »

Je m’appelle Samra Seddik, je suis sage-femme. J’étais de garde un soir à l’hôpital. Je m’apprêtais à transférer une maman qui attendait des jumelles pour son accouchement. Je lui ai demandé de prendre ses affaires pour aller à la maternité. A la place d’une petite valise bien garnie pour ses nouvelles-nées, cette maman n’avait qu’un sac Lidl avec peu de choses dedans. C’était une maman réfugiée. Elle n’avait pas les moyens d’acheter des vêtements pour ses futurs enfants. Cette situation m’a extrêmement touchée. A ce moment-là, j’étais moi-même enceinte. J’avais mon petit bagage bien plein, prête à accueillir mon futur bébé. Je me suis sentie extrêmement triste de voir que d’autres n’avaient pas ce bonheur-là, ce luxe de choisir.

Cet évènement ne la laisse pas insensible. Face à cette situation, deux choix : constater et passer son chemin, ou agir. Samra décide d’agir. Elle travaille à cette époque dans une structure qui s’occupe des mamans présentant des difficultés médico-psycho-sociales et des troubles de la relation mère-enfant. Ce n’est pas la première fois qu’elle croise une mère en difficulté, mais cette fois-ci, c’est une de trop !

 

Femmes enceintes, réfugiées ou à la rue : une urgence médicale !

 

Samra est déjà très investie dans l’associatif. Elle réalise, par exemple, des vidéos et émissions de radio pour l’association A2S, Avenir Santé Solidarité. Elle rend l’information médicale simple et accessible à tou·te·s.

La cause des réfugiées est connue pour elle. Mais, directement sur le terrain :

Je suis partie en mission avec Gynécologie sans frontières. Nous sommes allé·e·s en 2013 au niveau de la frontière syrienne. C’était une situation très éprouvante. Les menaces de bombardements nous ont fait quitter la zone de toute urgence. En laissant des femmes enceintes seules… »

 

Femme enceinte dans un camp à la frontière syrienne. Crédit Photo : Samra Seddik

 

Elle ne rentre pas indemne de ce voyage. C’est pour celles qui sont arrivées jusqu’ici qu’elle continue de se battre. Que ce soit ici ou là-bas, une grossesse associée à une situation de grande précarité est une urgence médicale. Tant pour la maman que pour le futur bébé. Sans parler des conditions de vie. Ou plutôt de survie…

Elle décide de fonder Un petit bagage d’amour en juin 2016. Le réseau autour de la périnatalité des personnes en difficulté est peu développé. L’association vient avant tout en aide aux mamans et futures mamans en grande précarité (réfugiées, sans-abri, femmes en situation d’extrême pauvreté…). Elle répond aux besoins matériels immédiats pour l’accouchement et le séjour à la maternité. Elle fournit, entre autres, des vêtements, des produits d’hygiène, du sérum physiologique, du shampoing, des crèmes, du lait premier âge, des biberons, des couches… Bien que toute jeune, cette association est déjà venue en aide à de nombreuses femmes et familles.

 

Quelles sont les raisons de ces situations ?

 

Les facteurs pouvant expliquer ces grossesses en situation de grande précarité sont aussi diverses qu’il y a de femmes : la perte d’un emploi, la perte d’un logement, une rupture de liens sociaux, un divorce, des troubles psychologiques, l’accès difficile aux moyens de contraceptions pour ces femmes en grande précarité (à la rue ou réfugiées), les viols, les tragédies sur le parcours vers l’Europe,… Samra partage avec nous quelques histoires qui l’ont particulièrement touchée :

Les histoires des réfugiées sont souvent lourdes, avec des grossesses qui ne sont pas toujours désirées. J’ai rencontré cette femme qui a traversé la mer de Libye pour fuir la guerre. Elle est tombée enceinte suite à un viol sur le parcours. C’est, malheureusement, un cas courant. Il y a aussi de nombreux papas décédés sur le trajet. Et d’autres, comme cette fille éthiopienne de 2 ans, qui a vu sa maman périr sous ses yeux dans le bateau pour la traversée. C’est un papa isolé qui, dans ce cas, a eu besoin d’aide.

 

Solidarité avant tout, entre elles et pour leurs bébés

 

Comment peut-on grandir et se construire dans de telles conditions ? Samra explique qu’au sein des hôtels sociaux, une grande solidarité se crée entre les mamans. Peu importe leurs origines, leurs parcours de vie ou la raison de cette grande précarité, elles sont unies pour le bien des enfants. Certaines gardent les bébés des autres quand elles doivent faire des démarches, chercher un travail, etc. Elles partagent le peu qu’elles ont entre elles : vêtements, nourriture,… Le plus dur, dans ces situations, est l’absence de repères. Les parents sont déplacé·e·s d’un hôtel à l’autre en permanence.

Les femmes à la rue ou réfugiées lui sont adressées grâce au relais fait par d’autres associations.

Il existe un réseau qui s’appelle SOLIPAM, qui regroupe des professionnel·le·s médicaux·cales et paramédicaux·cales qui vont permettre de répondre de manière adaptée aux besoins de ces familles en grande précarité. Ce réseau nous envoie 4 femmes par semaine. C’est notre limite fixée par manque de bénévoles de notre côté. Nous sommes également contactées pour 2-3 autres femmes par semaine par divers organismes comme Paris d’exil

Donc, si je calcule : 7 femmes par semaine, depuis 52 semaines… cela en fait, des mamans !

Les petits bagages sont apportés directement dans les hôpitaux et les hôtels sociaux. Celles qui peuvent se déplacer après l’accouchement viennent directement au local (prêté actuellement) à Montreuil. Elles ont ainsi le plaisir de choisir elles-mêmes les vêtements de leur·s enfant·s. Un petit bonheur si simple pour la plupart d’entre nous, mais d’une grande valeur à leurs yeux.

 


La valise idéale de bébé pour la maternité. Crédit Photo : Iwant-to-dream.com

 

Et puis, il y a aussi ces histoires d’anonymes au grand cœur :

Un jour, nous avons été contactées par un banquier. Du genre classe, costard et tout. Il travaillait dans des quartiers chics vers Bastille. Il croisait tous les jours une femme enceinte qui faisait la manche dans le métro. Il avait pris l’habitude de discuter avec elle. Grâce à l’association, il lui a fait faire une valise bien garnie avec une jolie poussette. Il a tenu à lui remettre lui-même. Cette femme a accouché. Il est resté en contact avec elle et continue à nous tenir au courant.

Quelle belle histoire ! Samra me parle de ces femmes émues et reconnaissantes. Elles sont pour une fois considérées et reconnues comme des mères et des futures mères, et non pas comme des réfugiées ou des rejetées de la société, à qui l’on fait ressentir qu’on ne veut pas d’elles ici. Les bénévoles de l’association restent longtemps en lien avec ces jeunes mamans et continuent à leur venir en aide. Elles reçoivent régulièrement des messages de remerciement pleins d’amour, et des photos des bébés qui grandissent.

Cette sublime initiative a rapidement été relayée et médiatisée. Vous pouvez d’ailleurs découvrir un joli reportage fait par France 5 pour l’émission Les Maternelles :

 

 

Et pour les aider ?

 

L’association a besoin d’aide. Les dons de vêtements sont déjà extrêmement généreux et suffisants. Mais il faut pouvoir les stocker.

Au départ, Samra gardait tout cela dans son garage dans le 77. Depuis janvier, un local leur a été gracieusement prêté par un homme généreux. Il a cependant besoin de le récupérer à partir d’août.

Nous avons besoin d’un local « à nous ». Il permettrait d’y assurer des permanences. Et également de stocker tous les dons. Nous avons besoin qu’il soit situé en Ile-de-France et facilement accessible en transports.

Nous parlons aussi d’Islam durant notre rencontre. Samra nous rappelle les valeurs qui lui tiennent à cœur dans notre religion : la solidarité, l’entraide, le partage, l’aumône de ses biens, mais également de son temps. Elle nous rappelle la place de la femme enceinte, de ses invocations qui sont acceptées. Qui ne souhaiterait pas en bénéficier ?

Alors si vous avez du temps, c’est aussi de bénévoles dont manque l’association :

Nous sommes une dizaine de bénévoles. Mais nous travaillons toutes. Nous avons besoin d’autres personnes pour nous aider. Nous recherchons des bénévoles disponibles le week-end pour trier et préparer les petits bagages. Nous avons aussi besoin de personnes véhiculées pour assurer les livraisons partout en Ile-de-France dans les hôtels sociaux.

 

Des valeurs universelles au service de l’Humanité

 

Cette association est aussi le reflet d’une France mixte, mélangée et solidaire : les bénévoles qui la composent sont de toutes origines, de toutes cultures, de toutes religions, touchées par la même cause : la fragilité de ces futures mamans, de ces futurs bébés. Elles partagent ces mêmes valeurs qui constituent l’Humanité tout entière. Des femmes plurielles, aux multiples identités, au service d’autres femmes. Une belle équipe et un beau rappel d’unité.

Et puis, il y aussi ces petits espoirs fous qui les animent :

L’avenir de ces mamans et de ces bébés est très flou. Le statut de réfugié·e n’est pas facile à obtenir. Même si, en principe, avec un bébé né sur le territoire français, ça peut accélérer les choses pour ces mamans. Je ne peux m’empêcher de penser, à chaque fois que je vais rendre visite à ces bébés avec leurs mamans, que plus tard ce seront de grandes personnes en France. Ils et elles feront de belles études et rendront fières leurs mamans qui auront traversé le désert, puis la mer pour leur offrir un avenir meilleur.

Au final, c’est surtout de cela dont il est question : des mamans qui fuient leurs pays pour offrir un plus bel avenir à leurs enfants.

Cette phrase résonne particulièrement dans mon cœur et me fait penser à beaucoup de nos parents qui n’ont peut-être pas quitté une zone de guerre, mais qui ont eux aussi traversé des océans pour construire une meilleure vie pour leurs enfants. L’histoire se répète… Peut-être qu’en vous aussi, cette phrase résonne. Qu’elle fait écho à une partie de votre récit de vie, de celui de vos parents, de vos grands-parents. Tant de générations ayant quitté leur terre pour l’avenir de leurs enfants. Au titre de ces sacrifices nous pourrions, au minimum, les accueillir décemment. Leur tendre la main et les accompagner au bout de ce long chemin.

Vous l’aurez compris, l’objectif n’est pas uniquement de fournir un bien matériel. Cette association à taille humaine permet d’écouter, d’aider ces femmes et de leur redonner une plus grande confiance en elles en tant que mamans. Partageons cette belle initiative, aidons-les à faire grandir ces enfants en bonne santé, en toute sécurité et dans la dignité.

Samra partage une citation de François Morin : « L’espérance ne mène à rien, mais la persévérance mène au droit chemin ».

Bonne route.

 


Une maman et son bébé aidés par l’association. Crédit Photo : Un petit bagage d’amour

 

Pour les contacter :

Triage régulier des vêtements au local : page Facebook.

 

Pour aller plus loin sur le thème :

De nombreuses ressources sur le site de SOLIPAM

Et un très bel article paru dans le Figaro : « Le douloureux parcours des femmes enceintes à la rue »

 

Crédit image à la une : Samra Seddik

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