La fiction contre l’oppression ou comment la fiction peut transformer la société

par | 21/04/21 | (Dé)construction

Ce texte retrace le chemin de pensée qui m’a conduite à créer ma série « Histoires courtes ». J’y explique pourquoi, selon moi, la fiction est un outil révolutionnaire pour changer la société.
Version actualisée le 30 avril 2022

 

1. Comment les modèles toxiques de féminité dans les films ont-ils influencé la femme que je suis devenue ?

Dès mon plus jeune âge, je me suis identifiée aux personnages féminins que je voyais dans les films. J’ai incorporé les normes de féminité qu’ils véhiculaient et telle une bonne élève, j’ai tenté de les suivre pour être considérée comme désirable par la société.

Pour l’enfant puis l’adolescente que j’étais, il y avait deux modèles de femmes possibles : la princesse Disney ou la James Bond Girl. La femme docile, maternelle et gentille se soumettant directement au prince ou l’héroïne indomptable et agressive résistant à James Bond.

Si ces deux modèles peuvent paraître en apparence très différents, ils reposent en réalité sur un socle commun : la soumission. L’héroïne n’existe que par rapport au personnage masculin. Ce qui la rend désirable, c’est sa beauté d’abord, prérequis pour que le héros s’intéresse à elle, puis sa personnalité, qui n’a qu’une vocation : permettre au héros d’exprimer sa domination et de rayonner. Si la James Bond Girl oppose une résistance de façade, ce n’est que pour rendre plus jouissif le moment où James parviendra à la maîtriser.

Thunderball. 1965.

 

En devenant une jeune adulte, j’ai réalisé à quel point ces modèles de féminité m’avaient influencée dans mon comportement quotidien. Adolescente, je me scrutais dans les miroirs du lycée ou les vitres des magasins plusieurs fois par jour pour me rassurer sur mon apparence, persuadée que le moindre défaut physique me retirerait toute ma valeur. Dehors, je contrôlais constamment ma façon de marcher, de m’asseoir, de me mouvoir, pour apparaître sous mon meilleur jour. Comme si, au lieu de vivre pleinement dans mon corps, je posais un regard extérieur sur moi-même.

 

2. Pourquoi le cinéma et la littérature ont-ils une telle influence sur nous ?

Comment expliquer que des films aient pu avoir un tel impact sur mon comportement quotidien ? On aurait tendance à dire que le cinéma est un moyen de transmettre des normes sociales au même titre que l’éducation ou l’école. Cependant, le cinéma et la littérature ont selon moi une spécificité qui les rend particulièrement efficaces pour nous influencer en profondeur : ils font appel à nos émotions et à notre capacité d’identification.

Tandis que des parents ordonneraient à leur fille de prendre soin de son apparence, un film se contenterait de mettre en scène l’attente interminable d’un homme pendant la préparation de l’héroïne, puis la descente au ralenti de celle-ci dans une robe magnifique, provoquant la fascination générale.

Virgin Suicides. 1999.

 

Plus efficace que n’importe quel discours, la scène suffit à faire passer le message-clé aux jeunes filles : « c’est votre apparence qui définit votre valeur ».

 

3. Pourquoi le pouvoir d’influence de la fiction est-il une bonne nouvelle ?

Je vous le concède, que les représentations des femmes dans les films aient des conséquences si dévastatrices sur l’estime de soi des jeunes filles est affligeant. Mais il y a quand même une bonne nouvelle dans tout ça : si les films ou les livres ont un tel pouvoir d’influence, alors cela implique qu’ils peuvent aussi être utilisés à bon escient et participer à libérer le spectateur plutôt qu’à l’opprimer en véhiculant des normes toxiques !

Si les James Bond Girls provoquent en moi des désirs superficiels – être belle et attirer le regard masculin –, « Le Jeu de la Dame » m’a donné envie de me progresser aux échecs, « Les femmes de l’ombre » m’a aidée à persévérer dans mes études de mathématiques, « Une femme d’exception » m’a encouragée à me battre pour mes idées.

Hidden Figures. 2017.

 

4. A vos plumes !

Une fois que l’on prend conscience du pouvoir de la fiction, l’univers des possibles nous est ouvert ! Nous pouvons créer un monde plus proche de la réalité ou au contraire penser au-delà du réel, imaginer des futurs plus radieux, façonner des identités dépassant les catégories imposées, décrire notre monde idéal !

Pourquoi ne pas imaginer qu’une jour une jeune fille tombera sur votre texte ou votre film, que votre personnage résonnera en elle et d’un être de papier, se changera en un être de chair et d’os ?

Alors, si vous souhaitez semer des graines de liberté dans les esprits des jeunes filles de demain… à vos plumes !

 

 

Crédit image à la Une : Écrivaine égyptienne Nawal al-Saadawi, qui nous a quitté le 21 mars 2021

 

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