Histoire courte #3 : Le Djinn

par | 10/05/21 | Histoires courtes

Les histoires courtes de Pommette sont des petits textes de fiction destinés à  redonner espoir, inspirer et faire rêver les femmes musulmanes. Merci à la talentueuse Myriam pour ses magnifiques illustrations !

 

Cette histoire est inspirée de faits réels.

 

C’était le dernier cours de science politique de l’année. L’enseignante gravit les trois marches jusqu’à l’estrade, puis ordonna à l’amphithéâtre de se taire. Asma, assise au quatrième rang, rassembla ses notes. Pour préparer la séance, la professeure avait demandé aux élèves d’identifier les différentes explications au phénomène de la radicalisation, afin d’organiser un débat sur ce sujet.

Après une heure de cours magistral, l’enseignante annonça le début du débat. Le micro fut donné à différents élèves, qui présentèrent des explications tantôt sociologiques, tantôt géopolitiques, jusqu’à ce qu’une élève au premier rang ne prenne la parole : « Le problème vient de l’islam en lui-même ! Doit-on vraiment s’étonner qu’une religion qui ordonne de frapper les parties génitales des femmes donne lieu à des comportements d’une telle violence ? » Aussitôt, un jeune homme au balcon rétorqua : « Peux-tu me dire à quel texte tu fais référence ? » La jeune fille sortit son téléphone de sa poche, effectua une rapide recherche Google, cliqua sur le premier site qu’elle trouva, et donna la référence d’un hadith. « Par qui a été rapporté ce hadith ? », insista le jeune homme. Mais sa question se noya dans l’agitation générale. L’enseignante interrompit le débat, rappelant que l’objectif était de relayer les théories des chercheurs et non son opinion personnelle.

Asma ressentit un sentiment d’humiliation et d’injustice en quittant l’amphithéâtre. Les élèves bavardaient gaiement à la sortie, ayant déjà oublié la scène qui venait de se produire sous leurs yeux. Au cours de la journée, le sentiment d’humiliation se transforma peu à peu en colère et en frustration. « Pourquoi n’ai-je rien dit ? Pourquoi ne me suis-je pas levée pour répondre ? », se reprocha Asma. Le soir, dans sa petite chambre étudiante, elle peina à trouver le sommeil. Elle se leva pour regarder le ciel noir par sa fenêtre, puis implora Allah de l’aider à surpasser ces pensées négatives.

Lorsqu’elle regagna son lit, une petite créature volante l’attendait près de son oreiller. « Ne t’inquiète pas, je ne te veux aucun mal, déclara la créature en voyant le visage apeuré d’Asma. Je suis là pour t’aider et exaucer un de tes vœux. » Le visage d’Asma s’illumina. Elle savait exactement quoi demander. La créature tapa dans ses deux mains, et en une fraction de seconde, Asma se retrouva dans ce même amphithéâtre dans lequel elle s’était sentie si impuissante quelques heures auparavant. Le temps qu’elle reprenne ses esprits, la professeure était déjà en train de clôturer le débat.

Asma prit son courage à deux mains, et se leva : « Excusez-moi, je voudrais dire quelque chose ! »

 

Crédit : @myriam_arts

 

Tous les regards se tournèrent vers elle. Plus personne ne parlait. « C’est à toi d’abord que je m’adresse, commença-t-elle en pointant du doigt la jeune fille. Rassure-toi, je ne vais pas essayer de te prouver que l’islam est une religion de paix et d’amour, et qu’à l’époque où elle est apparue, elle a offert à la femme un statut qu’elle n’avait jamais eu auparavant. Je ne vais pas essayer de te faire changer d’avis, car tu es de ceux qui pensent avant de réfléchir, alors que les sciences sociales, qu’on nous enseigne ici, nous invitent à laisser nos préjugés de côté avant de nous intéresser à un sujet. Sache que l’islamologie est une science. Une science qui tente de comprendre et d’analyser des textes datant de plusieurs siècles, révélés dans un contexte historique particulier, écrits en langue arabe. Sais-tu que, comme en science politique, il existe en islamologie différentes écoles, que les savants débattent parfois des heures sur la signification d’un seul mot tant la langue arabe est polysémique ? Te viendrait-il à l’idée de t’exprimer sur la théorie de la relativité sans avoir une notion de physique ? Je pense que non. Alors, comme tu le ferais pour toutes les autres sciences, abstiens-toi de parler de ce que tu ne maîtrises pas. Et si tu souhaites malgré tout suivre le chemin de la malhonnêteté intellectuelle, je te prie au moins de ne pas nous l’imposer dans un lieu de science comme celui-ci.

Et vous, Madame la professeure ! En clôturant le débat ainsi, vous manquez à votre rôle. Vous ôtez la parole dans un même geste aux musulmans offensés et aux islamophobes, comme si leurs discours étaient équivalents, comme s’il n’y avait pas d’un côté ceux qui se défendent d’une oppression et ceux qui humilient. Quel message envoyez-vous à cette promotion par ce silence ? Le message selon lequel un discours islamophobe a toute sa place dans cette institution, qui formera l’élite politique de demain. Comment s’étonner alors que l’on retrouve ces mêmes inepties islamophobes dans la bouche de nos dirigeants et de nos journalistes ?

Et vous, la masse silencieuse, qui une fois ce cours terminé, poursuivra sa journée, tranquille, ira manger son sandwich, tranquille, prendra le métro, tranquille, puis ira se coucher, tranquille, soutenez votre camarade musulman, montrez-lui votre compassion, prenez au sérieux sa peine, car si pour vous ceci n’est qu’un cours comme un autre, lui vient de vivre une humiliation publique de plus parmi tant d’autres. Et, lorsqu’il a le courage de se lever face à la foule, applaudissez-le ! »

Sur ce, Asma se rassit, tandis qu’éclata un tonnerre d’applaudissements dans l’amphithéâtre.

 

 

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