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Pourquoi et comment parler des violences intracommunautaires

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À l’occasion de la 6e édition française du Muslim Women’s Day, la journée internationale des femmes musulmanes, Lallab lance une campagne de mobilisation digitale et médiatique autour des violences que subissent les femmes musulmanes en intracommunautaire et de l’impact de l’islamophobie sur ces vécus. Dans cet article, nous vous expliquons de quoi il s’agit et pourquoi nous avons décidé de nous attaquer à ce sujet.

 

« Violences intracommunautaires », de quoi parle-t-on ?

Les violences intracommunautaires, ce sont toutes les violences commises au sein de nos propres communautés, notamment nos cercles familiaux, religieux et militants. C’est cet homme qui utilise des arguments religieux pour exercer une emprise sur sa conjointe, cette femme qui tient des propos racistes sur les fidèles noir.e.s à la mosquée, ce responsable d’une association religieuse qui profite de la précarité de ses employées qui portent le foulard pour les sous-payer.

C’est un sujet important car ces violences ont un grand impact sur nos vies et notre santé mentale. Nous subissons déjà beaucoup d’oppressions dans les médias, au travail et dans les institutions. Nous aimerions donc que nos familles, nos mosquées, nos espaces militants, soient des lieux bienveillants dans lesquels nous pouvons nous ressourcer et recevoir du soutien. Et malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. Certain.e.s musulman.e.s profitent même que nous soyons isolées ou précaires pour exercer des violences. 

En plus de cela, les femmes musulmanes font également face à une violence institutionnelle dans la prise en charge de ces violences. Elles sont soit récupérées pour asseoir un discours raciste et islamophobe, soit discréditées en raison de leur culture et de leur religion considérées comme des sources d’oppressions.

De part et d’autre, cela nous indigne et nous souhaitons apporter tout notre soutien si vous êtes touchée par cela.

 

Pourquoi les violences intracommunautaires sont taboues ?

Pour les femmes musulmanes, dénoncer les violences intracommunautaires est une lutte sans fin ! Les musulman.e.s font l’objet de violences racistes et islamophobes : dans l’imaginaire collectif, ils sont considérés comme moins civilisés que les autres, plus violents, plus sexistes, leur culture et leur religion sont des sources d’oppressions. Ils sont également la cible de violences policières et subissent des discriminations dans les institutions et les entreprises. Face à cela, surgit la crainte, pour les femmes musulmanes, de renforcer ces discriminations en dénonçant des violences commises par des musulman.e.s. Au sein de nos communautés, cet argument est également utilisé pour nous inviter à nous taire.

Nous nous retrouvons ainsi dans un conflit de loyauté : faut-il taire ces violences qui ont un impact important sur nos vies ou bien les dénoncer, au risque qu’elles fassent l’objet d’une récupération islamophobe ? Rester silencieuses ou être accusées de trahison ?

Sur Médiapart, Hanane Ameqrane, militante féministe, communiste et révolutionnaire des quartiers populaires explique le conflit de loyauté auquel sont confrontées les féministes des quartiers populaires. Crédit : capture d’écran de la chaîne youtube de Médiapart.

 

Dans un précédent communiqué, nous avions dénoncé le labyrinthe émotionnel et psychologique dans lequel beaucoup de femmes, victimes de ces violences, se retrouvent, complètement démunies, délaissées par leurs semblables, leurs compagnon.ne.s de lutte, se retrouvant entre l’enclume et le marteau, entre d’un côté les violences institutionnelles et de l’autre les violences communautaires. 

 

En quoi le fait que l’oppresseur soit musulman a une importance ?

Comme dans tous les milieux que nous fréquentons et qui sont traversés par le patriarcat, il existe également dans la communauté musulmane des mécanismes de violences systémiques. En politique, par exemple, on s’est rendu compte que l’une des techniques qui permet de faire taire les femmes était la loyauté au parti (« si tu parles, tu risques de nuire à l’image du parti »). Dans le monde du travail,  il y a le rapport hiérarchique (« si tu dis non, je vais ruiner ta carrière »).

Au sein de la communauté musulmane, ces mêmes mécanismes de silenciation et d’intimidation opèrent, par exemple lorsqu’un homme utilise son savoir religieux pour instaurer un rapport de domination. Ou lorsqu’il s’appuie sur l’appartenance à la même communauté religieuse pour inciter la victime à se taire et à ne pas dénoncer les faits. Ou encore lorsqu’il profite du fait qu’une musulmane soit isolée socialement, professionnellement, à cause des oppressions qu’elle subit, pour exercer des violences.

Crédit illustration : Amani Haydar

 

Et l’instrumentalisation médiatique et politique dans tout ça ?

Le problème c’est que très souvent, les personnes qui abordent le sujet des violences sexistes et sexuelles au sein de la communauté musulmane ne sont pas concernées par ces questions. Elles confisquent la parole aux femmes musulmanes et traitent le problème uniquement sous le prisme du voile ou pour tenir un discours raciste dans les médias.

À présent, comment éviter que l’extrême droite (ou la droite tout court (ou la gauche universaliste (bref, des politiciens))) saute sur l’occasion pour dire que, « vous avez vu, on le dit depuis le début, les hommes musulmans oppressent leurs femmes, et puis de toute façon [insérer propos orientaliste, raciste ou islamophobe] ».

Rappelons d’abord que nous avons plusieurs remparts contre l’instrumentalisation. L’un des objectifs de Lallab est de construire une communauté de femmes musulmanes qui s’apportent du soin, qui créent et se mettent au centre de leurs propres narrations et qui prennent le pouvoir pour s’organiser collectivement et trouver des solutions. Une partie de nos réflexions se fait dans des groupes de parole, des réunions de travail. Nous organisons nous-mêmes nos ressources, de la page Instagram à la prise de parole médiatique en passant par le choix des intervenantes lors du festival, du Lallab Day… nous créons et gérons notre propre agenda féministe et antiraciste.

Ceci étant dit, il est important de le dire : nous ne pouvons pas contrôler ce que les islamophobes vont dire, on n’en est pas responsables et c’est injuste de nous faire porter cette responsabilité. Nous n’avons qu’une priorité : défendre les droits des femmes musulmanes qui se reconnaissent dans notre combat et faire entendre leurs voix.

Donc reformulons la question : est-ce que le risque de l’instrumentalisation est une raison suffisante pour invisibiliser le vécu des victimes et nous priver de réflexions intéressantes pour changer les choses ? Non ! Est-ce que si nous nous taisons l’islamophobie va miraculeusement disparaître ? Non ! Est-ce que notre priorité est de protéger les auteurs de violence, quand bien même ils sont musulmans ? Non !

Par contre, est-ce que nous avons envie de créer nos propres narrations, parler nous-mêmes de ces sujets que nous connaissons en profondeur, trouver nos propres solutions, plutôt que d’autres le fassent à notre place et très mal ? Oui ! Est-ce que nous pensons que ce sont des sujets importants, qui affectent nos vies et qui ont toute leur place dans le débat ? Oui ! Est-ce que nous préférons être à l’initiative de ces débats plutôt que ce soit l’extrême-droite ou les féministes universalistes qui s’en chargent ? Carrément ! 

Pour cette raison et depuis 6 ans chez Lallab, nous nous organisons pour dénoncer les violences intracommunautaires que subissent les femmes musulmanes dans nos mosquées, nos milieux militants, nos familles. Nous pensons qu’il est important et hautement politique de les écouter attentivement et d’être intransigeantes sur les violences qu’elles subissent, d’où qu’elles viennent. Avec cette nouvelle édition du Muslim Women’s Day, nous souhaitons dénoncer ces violences intracommunautaires et l’impact de l’islamophobie sur nos vies. Nous souhaitons mettre en lumière les récits des femmes musulmanes, co-construire une réponse solidaire et commune, alignée sur nos valeurs, ainsi qu’une synergie féministe et antiraciste afin de pouvoir nous organiser, proposer des solutions, briser ces cycles de violences et créer nos propres voies d’émancipation.

Retrouvez nos précédents communiqués sur les violences intracommunautaires (affaire Ramadan, imam de Montpellier, VSS dans les milieux militants).

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Une Lalla raconte les temps forts de ce début d’année à Lallab

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Pour la première fois depuis la naissance de Lallab, toutes les bénévoles, anciennes et nouvelles, ont dû participer à un parcours de formation, qui s’est déroulé pendant les mois d’octobre et novembre. Une ancienne Lalla nous raconte les temps forts qui l’ont marquée tout au long de ce parcours.

 

Le 1er octobre, je suis arrivée au Lallab Day comme une ancienne. Le visage souriant et le regard rassurant, prête à accueillir les nouvelles et à leur expliquer le fonctionnement de l’association.

En les observant, je me suis revue, il y a deux ans, débarquant dans cet espace décoré de petits drapeaux jaunes, parmi ces femmes toutes différentes. Toutes les couleurs de peau, toutes les textures de cheveux, toutes les façons de porter le voile, tous les âges, tous les styles vestimentaires étaient représentés. Une complicité se créait simplement par le croisement de nos regards, sans avoir besoin d’échanger de mots.

En réalité, on reste toujours une nouvelle, j’en ai pris conscience pendant le parcours de formation de cette année. Les moments collectifs d’émotions et de découvertes sont tout aussi intenses même après plusieurs années de militantisme, comme si on les vivait pour la première fois.

Il y a les instants de déclics, lorsqu’une intervenante formule un discours clair et logique sur un ressenti commun, sur lequel on n’a jamais réussi à poser de mots. Ce fut le cas par exemple lorsque Hanane Karimi, sociologue, expliqua comment l’islamophobie subie par les femmes musulmanes profitait à certains hommes musulmans. Elle faisait alors référence aux associations religieuses, conscientes des discriminations subies par les femmes musulmanes sur le marché du travail, qui en profitent pour les rémunérer à de très bas salaires (cela fera l’objet d’un prochain article). 

 

 

D’autres interventions ont été l’occasion de questionner nos discours militants. Leïla Alaouf s’est notamment exprimée sur un effet indirect de l’obsession autour du voile : l’impossibilité d’avoir une conversation apaisée sur le dévoilement. Notre réaction spontanée, face à la stigmatisation du voile, consiste en effet à combattre ces clichés et à rappeler que la grande majorité des femmes qui portent le foulard ont choisi de le faire. L’une des limites de ce discours est qu’il rend peu audible la parole d’une personne qui aurait décidé de retirer son voile après avoir réalisé qu’elle le portait pour de mauvaises raisons, une personne dont le témoignage est tout aussi nécessaire et important. 

C’est le cas de Leïla Alaouf, qui a clôturé son intervention par la lecture d’un texte relatant ses interrogations sur sa décision, alors qu’elle venait d’avoir ses règles, de porter le foulard : “Je me suis souvent demandée, j’ai souvent été aussi questionnée, sur ce qui pousse une petite fille de onze ans à porter un foulard ou à prendre n’importe quelle autre décision qui touche à son intégrité physique, sans jamais avoir été verbalement contrainte à le faire.  (…) Cette injonction s’est activée avec la puberté, comme un automatisme. D’ailleurs, je ne sais plus comment cette certitude s’est ancrée si naturellement en moi, je n’en ai aucun souvenir. Je ne me remémore pas une parole ou un moment qui aurait fait germer cet engagement et je crois que c’est ce qui fait vraiment le plus peur. Avec la puberté on se couvre. (…) Alors j’ai passé ces dix dernières années à me demander : comment se construisent les choix d’une petite fille ?”

D’autres temps forts du parcours de bénévole furent les moments de rencontre et de discussion entre Lallas. Ces instants étaient parfois silencieux, comme lorsque nous dûmes nous arrêter devant une personne au hasard et la regarder dans les yeux pendant une minute, un exercice pratiqué lors du Lallab Day pour faire connaissance. Beaucoup de larmes ont été versées lors de ces face-à-face durant lesquels nous avions l’impression d’accéder à l’intériorité de l’autre.

Nombre d’entre nous ont aussi été marquées par les groupes de parole. Dans la salle de sieste, matelas par terre, coussins contre les murs, le temps était comme suspendu. Il y a eu quelques hésitations avant la première prise de parole, puis chacune s’est lancée, rebondissant sur les remarques des autres, enchaînant sur d’autres sujets. Un doudou faisait office de bâton de parole et circulait de mains en mains.

Des expériences douloureuses ont pu être racontées dans cet espace, où chacune se sentait en sécurité. Certaines en parlaient pour la première fois. Dans mon groupe de parole, beaucoup se sont exprimées sur les oppressions perpétrées par des personnes musulmanes : au sein de leur famille, de leur couple, de leur mosquée (cette problématique, dont Lallab a décidé de faire l’une de ses priorités, sera explorée plus en détail dans le magazine dans les mois à venir).

Je me rends compte que ces histoires sont à la fois différentes et toutes les mêmes. Sans ces groupes de parole, nous n’aurions pas pu nous rendre compte des similitudes que dessinent nos récits. 

Je me rends compte, aussi, qu’on ne devient pas Lalla par hasard. Il y a souvent, à l’origine de nos engagements, une multitude de traumatismes et d’humiliations qui nous conduisent à devenir des féministes antiracistes, non par choix, mais par nécessité, dans l’urgence. A cause de la société raciste et sexiste dans laquelle nous vivons, qui nous expose aux violences à la fois des hommes blancs, des hommes musulmans et des femmes blanches, qui veulent contrôler nos corps et nos vies.

Je me suis souvent fait la réflexion que le mot “communauté”, employé à tort et à travers dans les médias, n’avait pas de sens. En réalité, c’est la façon dont la société nous pointe du doigt et nous stigmatise, qui crée la communauté. La communauté des femmes musulmanes existe, qu’on le veuille ou non, car il existe des oppressions qu’elles sont les seules à vivre. A nous de décider ensuite du destin de cette communauté. 

A Lallab, nous avons choisi de transformer les expériences douloureuses qui nous unissent en joie et en amitiés. Nous chantons, dansons, nous nous applaudissons et nous nous célébrons les unes les autres ! C’est de là que nous puisons notre force, qui nous permet ensuite de changer le monde.

 

 

Crédit photos : @dalal.tmr

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Imamat féminin, groupes de parole, orientalisme… 8 Lallas nous racontent ce qu’elles ont appris pendant le parcours de formation

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Nous avons commencé l’année à Lallab par un parcours de formation des bénévoles, qui s’est déroulé durant les mois d’octobre et novembre. L’occasion de connaître les prénoms, les visages, les histoires les unes des autres et de se forger un socle de références communes. Lors de la journée de bilan, l’équipe magazine est allée demander à plusieurs Lallas ce qu’elles avaient appris durant ces deux mois.


 

« Durant le parcours de formation, je me suis rendue compte que, même si on est réunies pour lutter contre la même chose, c’est ok d’apprendre les choses à son rythme et de donner ce qu’on peut quand on peut », confie Myriam, cinéaste. Bénévole depuis plusieurs années, cette Lalla, déjà passée par les équipes « groupe de parole » et  « festival », a intégré le magazine le temps du parcours de formation. 

Nouveauté cette année : les équipes ne sont plus permanentes mais provisoires. Elles sont constituées pour répondre à un objectif puis dissoutes lorsqu’il est atteint. Chaque Lalla peut donc en changer plusieurs fois dans l’année. Une organisation appréciable pour certaines, comme Myriam, qui peuvent choisir des équipes plus ou moins demandeuses en investissement en fonction de leurs disponibilités.

 

« J’ai compris que je n’étais pas seule »

Mouna, étudiante en sciences politiques à Bruxelles, a intégré Lallab cette année. Échanger avec les autres bénévoles, touchées par les mêmes problématiques, notamment dans le milieu du travail, a été source de réconfort. « Ce que j’ai appris, c’est que je ne suis pas seule dans mon combat. Nous sommes plusieurs à vivre les mêmes violences sans pour autant nous connaître ni venir des mêmes milieux », explique-t-elle. 

Une prise de conscience qui a pu avoir lieu durant le Lallab Day (le week-end de rencontre et de formation des bénévoles) et surtout au cours des groupes de parole, organisés les 23 octobre et 20 novembre après-midi. « Je me suis rendu compte que je vivais la même chose presque mot pour mot qu’une autre Lalla », s’étonne Mouna.

Le groupe de parole a aussi été une belle découverte pour May, 24 ans, étudiante en sociologie. « Je n’avais jamais participé à ce type d’activité avant et je pensais ne pas aimer ça », raconte-t-elle. « Finalement, j’ai dit des choses dont je n’ai même pas parlé à des gens que je connais. En général, je me dis que les gens ne vont pas comprendre ou me juger et j’ai la flemme de tout expliquer et de me justifier. Mais là, je n’ai pas ressenti ce besoin-là parce qu’on avait toutes les mêmes valeurs et que même si les histoires étaient différentes, elles se rejoignaient. »

 

La découverte de l’imamat féminin

Quant à Assadiallo, 29 ans, c’est la découverte de la figure d’Oum Waraqa qu’elle retiendra. Les 23 octobre et 20 novembre matin, lors des Lallab Agora, des ateliers de transmission du savoir et de réflexion collective, l’équipe en charge a présenté les fruits de son travail auprès du reste des bénévoles. L’occasion de découvrir trois figures féministes musulmanes invisibilisées : Maboula Soumahoro, Fatima Mernissi et Oum Waraqa. 

Pour retracer l’histoire de cette dernière, l’équipe s’est appuyée sur le travail d’Attika Trabelsi, qui a publié l’année dernière le livre À quoi ressemblerait l’Islam si toutes ces femmes musulmanes n’avaient pas été oubliées ?. Oum Waraqa, l’une des 15 figures présentées dans l’ouvrage, est la première femme ayant obtenu le statut d’imam, ce que de  nombreux commentateurs contestent (ils s’appuient pour cela sur le fait que le prophète (PSL) l’ait chargée de diriger la prière dans son « dar » au sens de « maison » et non de « quartier », mais cette interprétation paraît peu cohérente avec le fait qu’un muezzin ait été mobilisé à l’époque pour l’appel à la prière). 

Une révélation pour Assadiallo : « Dans mon entourage, j’entends tellement d’arguments contre l’imamat féminin, que pouvoir puiser dans des sources religieuses pour affirmer que c’est possible, que ça a déjà été fait, non pas sous les ordres d’un calife, mais du prophète (PSL) lui-même, c’est incroyable », raconte-t-elle, enthousiaste.

 

Orientalisme et lien entre racisme et capitalisme : les déclics des Lallas

Le Lallab Agora n’était pas la seule étape du parcours de formation où ont pu être échangés des savoirs. Le 11 octobre avait lieu à distance la formation « Discriminations systémiques : comprendre pour agir », lors de laquelle des outils ont été donnés pour identifier les discriminations systémiques.

À cette occasion, Nawal, 39 ans, a fait le lien entre deux concepts : « J’ai eu un déclic sur le lien entre le capitalisme et le racisme. Lors de l’arrivée des Espagnols et des Portugais en Amérique latine, les populations autochtones ont été décimées par les colons, qui ont pris soin qu’ils ne soient plus considérés comme de vrais hommes. » C’est à la suite de cet épisode que l’esclavage se développe, pour exploiter les terres nouvellement colonisées par les Européens. Le racisme vient en appui de la colonisation et de l’esclavage pour justifier le traitement fait à ces populations par le fait qu’elle soient inférieures.

Cette formation a été dispensée par Justine Devillaine, co-fondatrice et directrice, et Paya Ndiaye, responsable de la mobilisation collective et de la formation, à qui nous avons aussi tendu le micro. « Après ce parcours de formation, je repars avec une manière beaucoup plus concise, ludique et complète d’expliquer l’islamophobie, ses sources et la manière dont elle est utilisée politiquement à des fins bien spécifiques. J’avais tous les éléments en tête mais la manière dont Assadiallo les a présentés après la projection-débat était hyper enrichissante », déclare-t-elle. 

Lors de cette présentation qui a suivi la projection du premier épisode du Women Sense Tour, le 20 octobre, Assadiallo (la même qui nous confiait avoir découvert avec émerveillement Oum Waraqa), a notamment évoqué le concept d’orientalisme. « Je voyais très bien ce que c’était comme courant littéraire, politique et idéologique, mais je n’avais pas réalisé à quel point il avait alimenté le racisme envers les Arabes et plus généralement l’islamophobie », détaille Paya.

 

Mieux se connaître

Lors de la dernière journée du parcours bénévole, dimanche 27 novembre, toutes les équipes ont fait le bilan sur les actions menées. Durant cette journée des temps de réflexion sur les compétences et les potentiels de chacune ont été aussi organisés, notamment un exercice pour identifier son style de leadership (à chaque style était associée une couleur).

Béatrix y a découvert une nouvelle facette de sa personnalité : « Si en surface je suis ce qu’on appelle une personne verte, c’est-à-dire qu’en termes de leadership j’aime discuter avec les gens, m’assurer que tout le monde a pu donner son opinion et qu’il y a un consensus, c’est le style rouge qui ressort dès qu’il y a une situation stressante ou qu’il y a besoin d’action. Je vais être alors beaucoup plus directive et autoritaire. »

Pour conclure ce tour d’horizon du parcours de formation, voici le joli témoignage de Maryème, 21 ans, qui participé à organiser la marche féministe et antiraciste du 15 octobre et nous décrit son atmosphère magique : « C’était dans le 93, ce qui nous a permis de montrer que nos quartiers ne sont pas des déserts féministes. Ce que j’ai trouvé incroyable, c’est la communauté de femmes racisées présentes et le fait que les femmes musulmanes soient mises à l’honneur en étant placées en tête de cortège. C’est incroyable l’effet que ça a eu de marcher dans les rues de Saint-Denis. Des hommes venaient nous voir, nous soutenir, nous demander ce qu’on faisait. Des personnes ont même reconnu les panneaux de Lallab et sont venues nous parler en nous disant que ce que faisions était incroyable. Les gens voient les efforts que nous faisons, ça donne du pouvoir, ça fait du bien, ça donne envie de tout casser ! »

 

Merci à Myriam, Mouna, May, Assa, Nawal, Paya, Béatrix et Maryème pour leurs témoignages.

Crédit photo image à la une : @dalal.tmr

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Histoire courte #10 : La lune et l’étoile

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Les histoires courtes de Pommette sont des textes de fiction destinés à redonner espoir, inspirer et faire rêver les femmes musulmanes. Un grand merci à Myriam pour ses jolies illustrations !

 

L’idée de cette histoire m’est venue en découvrant le collectif @Collages Féministes Juif-ves Marseille et leur solidarité indéfectible envers les femmes musulmanes. Merci à elles de m’avoir donné leur avis sur ce texte !

 

Depuis toujours, on avait fait croire à Aïcha et Myriam qu’elles ne pourraient pas être amies. Parce que l’une portait autour du cou une lune et l’autre une étoile. On leur avait appris que la lune et l’étoile étaient fondamentalement différentes et incompatibles. Que l’éclat de l’une détournait l’attention de l’autre. Tant l’une que brillerait, l’autre ne pourrait jamais régner sur le ciel.

L’innocence de l’enfance rendit leurs esprits imperméables aux mots des adultes et elles devinrent naturellement amies, ignorant tout de la guerre du ciel qui se jouait entre la lune et l’étoile. Elles s’amusèrent du fait que, lorsque leurs pendentifs étaient invisibles, on les prenait pour des sœurs.

Plus tard, adolescentes, elles subirent la même violence et cela les rapprocha davantage. On méprisa leurs précieux pendentifs et on les tourna en dérision. Lorsqu’on tenta d’arracher sa lune à Aïcha, Myriam se positionna devant elle pour la protéger. Lorsqu’on se moqua de l’étoile de Myriam, Aïcha se leva pour son amie et la défendit. Elles comprirent que la lune et l’étoile étaient méprisées autant l’une que l’autre et que la guerre du ciel avait été inventée pour les pousser à se déchirer entre elles plutôt qu’à s’unir.

 

Crédit : @myriam_arts

 

Lorsqu’elles devinrent de jeunes femmes, elles découvrirent qu’elles avaient des points communs autres que la violence qu’elles subissaient toutes les deux. Elles apprirent qu’elles venaient du même pays, terre de jasmin et de liberté. Que leurs mères, qui depuis toutes ces années désapprouvaient leur amitié, parlaient la même langue et couvraient leurs cheveux de la même façon. Que dans la famille de la lune comme dans la famille de l’étoile, on se réunissait le même jour de la semaine pour partager le même repas. Depuis des années, on leur avait caché ces similitudes pour qu’elles se détestent au lieu de s’aimer.

L’âge ne leur ôta pas leur capacité d’émerveillement pour la beauté du monde. Durant leurs dernières années d’existence, elles passèrent des nuits à contempler ensemble l’harmonie des étoiles et de la lune coexistant en paix dans le ciel.

Elles s’éteignirent finalement le même jour et leurs âmes s’élevèrent dans un seul mouvement vers les cieux.

 

Retrouver les autres histoires courtes

 

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Histoire courte #9 : La révolte des femmes

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Les histoires courtes de Pommette sont des textes de fiction destinés à  redonner espoir, inspirer et faire rêver les femmes musulmanes. Un grand merci à Myriam pour ses jolies illustrations ! 

 

Il était une fois, pendant le Ramadan, deux mondes, séparés par un couloir.

À droite du couloir, il y avait le salon, monde des hommes. Une heure avant la rupture du jeûne, les pères et les maris débarquaient, s’asseyaient autour de la grande table et commentaient l’actualité, d’ici et de là-bas. Plus tard, les jeunes se joignaient à eux, le front encore transpirant de la partie de football qu’ils venaient d’interrompre. Les anciens se mettaient alors à les questionner : qui avait gagné le match ? Est-ce qu’ils travaillaient bien à l’école ? Quel sport pratiquaient-ils ?

À gauche du couloir, il y avait la cuisine, monde des femmes. Elles étaient là depuis plusieurs heures déjà, répétant les mêmes gestes que chaque jour. Au fil des années, elles avaient mémorisé les particularités alimentaires de chacun. L’oncle voulait sa brick avec harissa mais sans câpres, le mari avec œuf dur, le neveu avec œuf coulant. Le cousin n’aimait pas le poulet donc il fallait prévoir du bœuf. Leur perception du temps aussi s’était perfectionnée : elles savaient que c’était une heure avant la rupture qu’il fallait pétrir la pâte du mlewi et quinze minutes avant qu’il fallait le mettre à frire dans la poêle pour qu’il soit servi chaud. La citronnade devait être préparée suffisamment à l’avance pour être fraîche, mais assez tard pour conserver les vitamines.

Alors que dans le monde des hommes, la rupture semblait ne jamais arriver, dans le monde des femmes, elle arrivait toujours trop vite. Lorsqu’elle survenait, les hommes croisaient leurs bras face à leurs assiettes tandis que les femmes, mécaniquement, attrapaient, remplissaient, resservaient, déposaient un plat à la cuisine, en ramenaient un autre. Puis, une fois que les hommes avaient tout ce qu’il leur fallait et qu’elles savaient qu’elles n’auraient pas à faire d’aller-retour d’ici quelques minutes, elles s’asseyaient sur la table basse, celle pour les femmes et les enfants, et mangeaient enfin. Elles n’avaient pas la disponibilité d’esprit de savourer les plats qu’elles avaient cuisinés, toutes attentives qu’elles étaient à ce qui se déroulait à la table d’en haut. Malgré leur expérience, elles commettaient toujours de petites erreurs, que les hommes, dans leur grande générosité, leur faisaient remarquer pour les aider à s’améliorer : un plat trop froid, pas assez salé, une cuillère mal lavée, une assiette manquante. Les femmes avaient cependant développé des stratégies astucieuses pour réduire le nombre d’erreurs. Par exemple, elles s’attribuaient toujours les bricks froides ou les mlewis trop cuits pour ne pas déranger les hommes. Si jamais elles avaient sous-estimé les quantités, elles se servaient moins, de sorte à ce qu’ils puissent satisfaire leurs appétits.

Quand les ventres des hommes étaient gonflés et leurs assiettes vides, sans un mot, les femmes se levaient, ramassaient les assiettes, passaient l’éponge sur la grande table, ramenaient les fruits, préparaient le café. Puis, moment qui amusait toujours les hommes, elles se disputaient pour faire la vaisselle tandis qu’ils se rendaient à la mosquée pour tarawih.

Mais un jour, les femmes en eurent marre. Elles commencèrent par servir aux hommes des bricks brûlées et froides et à garder les meilleures pour elles. Puis elles se mirent à profiter pleinement des repas, à manger avec plaisir, à rigoler, discuter et chanter autour de la petite table, en ignorant les demandes des hommes qui souhaitaient qu’on les serve. Quelques jours plus tard, elles décidèrent, une fois le repas fini, de laver seulement leurs propres assiettes et de se rendre ensuite ensemble à la prière de tarawih. Elles passèrent la nuit à discuter de leur foi et cela leur plut tellement qu’elles se dirent qu’elles y retourneraient tous les soirs.

Crédit : @myriam_arts

 

Le lendemain, lorsque les pères et les maris arrivèrent dans le salon, les femmes s’étaient assises autour de la grande table. Les hommes se mirent en colère, crièrent sur les femmes et certains devinrent même violents. Mais cela n’arrêta pas les femmes, qui continuèrent à faire ce qui leur semblait juste.

Les hommes argumentèrent que leur comportement était contraire aux ordres de Dieu, mais les femmes répondirent que le travail ménager n’était pas le devoir de la femme en Islam et que leur nouvelle vie leur permettait justement d’être plus proches de Dieu et de lire, honorant ainsi la première sourate du Coran. Les hommes utilisèrent alors leur intelligence, se remirent en question et changèrent.

 

Il était une fois, pendant le Ramadan, un monde harmonieux, dans lequel femmes et hommes s’impliquaient pour que ce mois soit synonyme de sérénité et d’apaisement pour tou.te.s…

 

 

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Histoire courte #8 : Les deux mots

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Les histoires courtes de Pommette sont des textes de fiction destinés à  redonner espoir, inspirer et faire rêver les femmes musulmanes. Un grand merci à Myriam pour ses jolies illustrations ! 

 

Depuis toutes ces années, elle s’était habituée à cet ascenseur émotionnel. Elle se levait pleine de joie parce que ce jour si spécial était arrivé. Elle se sentait unie à tous les autres êtres humains de la terre et prête à devenir une meilleure personne. Puis, en se rendant à l’école, elle constatait que c’était pour les autres un jour banal. Que le fait qu’il soit important pour elle, ne le rendait pas moins ordinaire à leurs yeux.

Jamais, depuis toutes ces années, elle n’avait exprimé sa déception. On lui avait appris, depuis petite, à ne pas se plaindre, parce que cela ferait des problèmes et lui retomberait dessus. Il valait mieux être discrète, faire profil bas. Elle n’avait jamais exprimé sa déception, mais elle était bien là, se renforçant année après année. 

 

Crédit : @myriam_arts

 

Elle n’attendait pourtant que deux mots, qui signifiaient tant pour elle : « nous sommes heureux pour toi », « nous partageons ta joie », « puisque c’est un jour important pour toi, il l’est aussi pour nous », « nous te respectons et t’estimons ».

A la fin de la journée, alors qu’elle franchissait le portail du lycée, résignée, une main se posa sur son épaule et une voix prononça la formule magique : « Ramadan moubarak ! »

En une seconde, la déception qu’elle trainait comme un fardeau depuis des années guérit et son expression triste se dissipa pour laisser apparaître un grand sourire.

Ce mois de ramadan serait exceptionnel.

 

 

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Histoire courte #7 : Le clash de Super M

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Les histoires courtes de Pommette sont des petits textes de fiction destinés à  redonner espoir, inspirer et faire rêver les femmes musulmanes. Merci à la talentueuse Blachette pour ses illustrations ! 

 

« Si vous êtes ici, c’est que vous croyez comme moi en la France, en notre culture, en nos traditions. Si vous êtes ici, c’est que vous voyez, comme moi, que ce patrimoine est menacé. Le couscous et le kebab remplacent notre bœuf bourguignon, la chicha remplace notre cigare. Ils sont de plus en plus nombreux à s’appeler Mohammed au lieu de Pierre. Ils menacent nos traditions, harcèlent nos femmes dans la rue. Mais nous sommes là, vous êtes là ! »

La foule répondit par des cris virils à l’unisson, accompagnés de gestes rappelant les heures les plus sombres du vingtième siècle. S’il y avait eu des caméras, le staff aurait sans doute diffusé des consignes, mais ce jour-là, aucun journaliste ni militant antiraciste n’avait voulu s’inviter, sans doute par manque de goût pour le tabassage et les insultes. Ils étaient entre eux, les langues pouvaient se détendre et les bras se tendre.

Enfin, c’est ce qu’ils croyaient. En effet, Jean-Louis le vigil n’était pas Jean-Louis mais Habib. Grâce à ses yeux clairs, il avait pu passer incognito lors de l’entretien – qui aurait soupçonné qu’un arabe ressemble à un gaulois ? Il avait pensé exagérer en insistant sur sa passion pour les armes à feu auprès du recruteur, mais visiblement, cela n’avait pas attiré ses soupçons, puisqu’il l’avait rappelé dans la journée.

Son collègue Philippe, cependant, s’appelait vraiment Philippe. A chaque tirade d’Henri Zemar, il applaudissait en répétant ses dernières paroles. « Nous faisons face à une guerre de civilisation sans précédent ! », hurla Henri Zemar. « Sans précédent ! », répéta Philippe, avant de se resservir un verre de rosé.

Tout fonctionnait comme prévu. A vrai dire, Habib alias Jean-Louis était presque déçu. Il avait passé du temps à élaborer un plan A, un plan B, un plan C et même un plan D ! Il ne s’attendait pas à ce que le plan A : bouteille de rosé, marche directement.

Au bout d’un quart d’heure à peine de meeting, alors que Zemar enchainait sur les tout à la fois soumises et terriblement dangereuses femmes musulmanes, Philippe partit aux toilettes. Habib n’eut qu’à abaisser le compteur, et les lumières s’éteignirent instantanément, dans la stupeur générale.

Juste le temps nécessaire à Sylvie, alias Aminata, de changer la direction des projecteurs. Pour Aminata, le camouflage avait été plus compliqué, et pour cause : elle était noire. Cependant, en insistant sur son éternelle reconnaissance envers les blancs pour avoir civilisé l’Afrique, elle avait obtenu de participer à l’organisation du meeting, à condition de ne pas être trop visible. Un poste à la régie lui conviendrait parfaitement, avait conclu le recruteur.

Habib ralluma les projecteurs avant le retour de Philippe, puis s’esquiva par la porte de secours. Son seul regret était de ne pas pouvoir assister à ce qui allait suivre. Heureusement, il pouvait suivre le live sur la chaîne YouTube de Henri Zemar, piratée par Super M elle-même, cheffe d’orchestre de l’opération.

Les projecteurs étaient à présent braqués sur elle. Les mains accrochées à deux rubans suspendus au plafond de la salle, Super M volait au-dessus des spectateurs, toute de noir vêtue. Sur son estrade, Zemar gesticulait en s’énervant contre son micro, dont Sylvie-Aminata avait pris soin de couper le son. De toute façon, l’attention de la foule n’était plus du tout concentrée vers l’estrade. Tous les regards convergeaient vers Super M. Pris par surprise, les militants s’étaient brusquement tus.

Aminata lança l’instru, et Super M commença son rap.

Pour commencer khouya tu fermes ta gueule et t’écoutes

Jamais eu besoin de dix heures de BFM pour qu’on me respecte

Deux heures de meeting ? Ha, petit joueur

Une minute de Super M et tu repars en pleurs

Respire un coup, dis bismillah pour limiter les dégâts

Mon flow est si puissant qu’tes lunettes vont voler en éclat

D’ici je t’entends répéter « inchallah inchallah »

« Inchallah que je reste debout après que Super M m’a fait la hagra »

Des conneries sans t’arrêter t’en racontes à la pelle

Ton psy a tellement de taf qu’toutes les heures il te rappelle

Monsieur le comte du racisme entre nous on t’appelle

Antisémite, islamophobe, xénophobe, on compte plus les labels

Tu parles tellement de nous que ça en devient attendrissant

On dirait l’mec à qui j’avais mis un râteau, miskine il est si frustré

Tu dis tellement de la merde que ton haleine en devient fétide

Même pendant ramadan l’odeur de ma bouche n’est pas si acide

Le gars fait des refrains sur la virilité, toute la journée

De quoi tu parles, devant un voile tu t’enfuis sans autre forme de procès

Procès ça tu connais frérot, et pas parce que tu les as gagnés

Comment par un délinquant la France pourrait-elle être gouvernée ?

En boucle il répète qu’c’est les immigrés les sexistes

Rappelle-moi ton sport favori ? Agresser la gente féminine

Enfin c’est seulement le deuxième après lécher le cul à Poutine

Dis-moi Henri est-ce qu’un jour t’arrêteras de faire le gamin ?

J’ai pas trouvé à quoi tu sers à part effrayer ma p’tite cousine,

Faire pleurer ma mère et exciter une bande de miskines

J’suis pas Corinne, j’m’appelle Nesrine, qu’est-ce tu vas faire ?

J’suis une blédarde, je parle arabe, qu’est-ce tu vas faire ?

J’ai passeport français et marocain, je sais qu’tu rages mon frère

Ma grand-mère faisait toujours ses cinq salat pour se consoler de la misère

Petite fille de colonisés j’te clashe dans la langue de Molière

Islamo-gauchiste-progressiste-wokiste en chef, je t’emmerde

Pour finir je me présente car j’aime faire les choses à l’envers

Mon blaze à moi c’est Super M, pour vous déplaire

Ce que mes sœurs pensent tout bas j’le dit out loud

Bonne nuit les fachos et surtout imprimez ça : I’m Muslim and I’m proud

Crédit : @blachette

 

Sur ces entrefaites, Super M lâcha le micro, tandis qu’une pluie de confettis s’abattait sur la salle abasourdie. Depuis le banc sur lequel il s’était assis, Habib souriait, comme les millions de Français qui avaient suivi l’événement depuis leur téléphone.

Le plan avait marché cinq sur cinq.

 

 

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Histoire courte #6 : Effet miroir

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Les histoires courtes de Pommette sont des petits textes de fiction destinés à  redonner espoir, inspirer et faire rêver les femmes musulmanes. Merci à la talentueuse Blachette pour ses illustrations ! 

 

Samia pénétra la première dans l’amphithéâtre, pleine de joie. Elle scruta la salle encore vide et s’assit au premier rang, puis contempla l’immense tableau noir avec émotion. Tandis que les rangs se remplissaient, son imagination dessinait sur le tableau des courbes, des équations, des suites de nombres. Elle se réjouissait à l’idée de découvrir, au cours des prochaines années, de nouveaux objets mathématiques, des propriétés insoupçonnables, des démonstrations surprenantes.

Lorsqu’elle sortit de sa rêverie, la salle était pleine. En balayant la foule du regard, un sentiment de malaise l’envahit. Les étudiants étaient des copies conformes les uns des autres. Tous des hommes, ils dégageaient cette même confiance en eux, se comportaient comme si leur présence dans cet amphithéâtre allait de soi, comme si c’était la continuité logique de leurs années lycée. Ses voisins parlaient entre eux de concepts mathématiques qu’elle n’avait jamais étudiés. Sa stupeur augmenta encore lorsque, dans une synchronisation parfaite, ils sortirent chacun de leurs sacs un épais polycopié portant l’intitulé du cours, un document dont elle ignorait l’existence.

Occupée à observer les autres, elle mit du temps à se rendre compte qu’on l’observait aussi. La foule l’observait. Mal à l’aise, elle baissa le regard et regretta ses cheveux bouclés trop volumineux et sa robe orange trop voyante. Dans sa naïveté, elle avait cru pénétrer dans un monde uni par la passion des mathématiques, qui acceptait tout le monde, d’où qu’il vienne.

Le brouhaha s’arrêta lorsque le professeur pénétra dans la salle. Il écrivit son nom sur le tableau, son adresse mail, puis, sans même saluer l’audience, commença son cours.

Samia sortit de l’amphithéâtre pleine de doute. Elle rêvait depuis l’âge de cinq ans de devenir mathématicienne. Face aux questions des adultes, elle avait toujours été l’enfant qui savait ce qu’elle voulait faire plus tard. Comment une conviction si profonde avait-elle pu être ébranlée en l’espace d’une heure ? Elle se sentait si différente de ce professeur presque robotique et de ces étudiants surhumains qu’elle ne pouvait s’imaginer être un jour à sa place.

 ***

Selma pénétra la première dans l’amphithéâtre, pleine de joie, exultant à l’idée de faire ses premiers pas dans le monde des mathématiques.

Mais à mesure que la salle se remplit, un sentiment de malaise l’envahit. Elle ne trouva personne qui lui ressemblait et se sentit soudainement seule et inférieure à tous ces étudiants sûrs d’eux-mêmes.

Ce sentiment s’accentua lorsqu’elle prit conscience qu’ils la regardaient. Comme quelqu’un d’étrange, de différent. Selma se dit d’abord qu’elle prenait trop de place, avec ses cheveux bouclés volumineux. Puis elle en vint même à douter de mériter sa place dans cet amphithéâtre, alors que sa passion pour les mathématiques était la seule chose dont elle n’avait jamais douté au cours des dernières années.

Soudain, le brouhaha s’estompa. La professeure pénétra dans la salle, toute d’orange vêtue, et les cheveux aussi volumineux et bouclés que ceux de Selma. Elle écrivit son prénom au tableau, puis, avant même de parler, se tourna vers l’audience et la contempla du regard.

Ses yeux croisèrent ceux de Selma et elle perçut un changement dans le regard de la jeune fille. Plein de doute, il se changea en un regard brillant, confiant en l’avenir.

Crédit : @blachette

 

 

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Histoire courte #5 : Marcher seule

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Les histoires courtes de Pommette sont des petits textes de fiction destinés à  redonner espoir, inspirer et faire rêver les femmes musulmanes. Merci à la talentueuse Blachette pour ses illustrations ! 

 

D’habitude, elle ne conduisait jamais. Il voulait toujours conduire lui. A vrai dire, la question ne s’était jamais réellement posée. Ç’avait été une évidence, dès le début. Évident que, si elle conduisait, ce serait humiliant pour lui, car il se retrouverait sur le siège passager.

Mais aujourd’hui, pour une fois, les rôles étaient inversés. Alors qu’il ne disait rien, elle sentait qu’il était aux aguets. Il observait ses moindres faits et gestes à la recherche d’une faille. Oublier le clignotant, freiner un peu trop brusquement au feu rouge, ne pas choisir le chemin le plus rapide. Tout pourrait être une excuse.

Crédit : @blachette

 

Avec les années, elle le connaissait par cœur. Elle connaissait par cœur ces moments de tension. Le calme avant la tempête. C’était devenu une partie de son quotidien, une situation qu’elle avait appris à gérer, qui pouvait survenir n’importe quand. Il fallait avancer, sans se poser de question.

C’était étrange, tout à coup, de se retrouver au volant. Elle alluma la radio. « Pourquoi tu allumes la radio ? » Elle sentit qu’il avait envie de se disputer, mais elle n’avait pas la force. Elle éteignit la radio.

Elle l’oublia quelques instants et se focalisa sur la conduite. Elle avait toujours aimé ça. Cela lui procurait un sentiment de liberté, d’indépendance. Dès qu’elle avait travaillé, son premier achat avait été une voiture. Elle se remémora ses vingt ans, et ces moments où elle prenait la voiture, la nuit, allait sur l’autoroute et roulait, roulait, roulait à en perdre le souffle. Elle mettait du rap, kickait les paroles qu’elle connaissait par cœur. Si c’était l’été, elle ouvrait les fenêtres et laissait l’air s’engouffrer dans la voiture, faire virevolter ses boucles. Elle sourit.

D’habitude, elle ne conduisait jamais. Mais aujourd’hui, exceptionnellement, il ne pouvait pas conduire. Il s’était blessé à la main, la veille.

Il était en train de la regarder. Elle se rendit compte qu’elle chantait. Il aimait bien qu’elle chante. Ça lui plaisait, car il s’imaginait que c’était féminin de chanter. Les femmes chantent et ont la voix douce, pensait-il.

Mais elle n’avait pas envie de chanter pour lui, alors elle s’arrêta. Elle continua à l’ignorer et pensa à cette jeune fille de vingt ans qu’elle était. De celle que j’étais alors, qu’est-ce qui subsiste encore aujourd’hui ?, se demanda-t-elle.

Même ses cheveux s’étaient transformés. Elle n’avait plus ce carré qu’elle adorait, avec les boucles qui volaient dans tous les sens. Ses cheveux étaient longs, lisses, parce qu’il trouvait ça plus beau. C’était normal de faire ça pour lui, disait-il, puisque lui aussi demandait parfois son avis sur ses tenues.

Il aimait ses cheveux comme ça, mais lorsqu’elle sortait, il préférait qu’elle les dissimule en chignon, pour ne pas attirer l’attention. Pour qu’aucun homme ne veuille la lui prendre. Ça l’aurait rendu fou, qu’un autre homme la regarde. « Je perdrais mon honneur », disait-il. « Je préfère que tu meures plutôt que tu te laisses faire », répétait-il souvent, lorsqu’ils allaient se coucher, le soir.

D’habitude, elle ne conduisait jamais. Mais aujourd’hui, il ne pouvait pas conduire. Il s’était ouvert la main en jetant la vaisselle contre les murs. C’est elle qui avait lavé le sang sur le sol et ramassé les débris. Un jour comme un autre.

« Arrête-toi, je vais acheter des cigarettes. » Elle tourna à droite sur l’aire d’autoroute. Il sortit et se dirigea vers la supérette. Après avoir fermé la porte de la voiture et avancé de quelques mètres, il se tourna vers elle et la fixa. Plus tard, elle se rappellerait de ce regard.

Comme si elle avait préparé cet instant toute sa vie, elle connecta son téléphone à la voiture et lança une playlist de rap. Elle était, soudain, de nouveau dans le corps de cette jeune fille de vingt ans.

Elle enclencha le frein à main, démarra, accéléra. Dans la voiture, la rappeuse disait : « Dodo c’est la même, depuis le départ j’ai pas changé, Dodo c’est la merde envoie le départ, j’vais tout casser, Dodo marche seule, c’est pas la peine d’la mélanger »

Tandis que la rappeuse chantait, elle scandait les paroles, fenêtres ouvertes, cheveux au vent.

 

 

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Histoire courte #4 : Les larmes d’Aicha

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Les histoires courtes de Pommette sont des petits textes de fiction destinés à  redonner espoir, inspirer et faire rêver les femmes musulmanes. Merci à la talentueuse Myriam pour ses magnifiques illustrations !

 

Aicha pénétra dans le wagon du métro et repéra une place libre sur laquelle elle s’assit avec lassitude. C’était le Ramadan, mois béni, moment hors du temps, opportunité de se rapprocher d’Allah, d’être une meilleure personne, de passer du temps auprès de ses proches.

Pourtant, Aicha n’arrivait pas à se débarrasser de la tristesse qui l’accompagnait au quotidien. Sa journée démarrait toujours par de mauvaises nouvelles : les guerres au Moyen-Orient, la persécution des Ouïghours, les SDF de plus en plus nombreux, les lois islamophobes, la montée de l’extrême droite, la détresse des étudiants. Toute la journée, ces mauvaises nouvelles tournaient en boucle dans sa tête, l’empêchant de penser à quoi que ce soit de positif. Le soir, elle restait plusieurs heures allongée dans son lit, fixant le plafond, avant de réussir à trouver le sommeil. Ses nuits étaient peuplées de personnages menaçants qui répétaient les mêmes choses en boucle.

 

Crédit : @myriam_arts

 

Aicha sortit du métro et emprunta le chemin jusqu’à chez elle. Une fois franchie la porte de son appartement, elle s’affala sur le canapé et sombra dans un sommeil profond.

Une sensation de chatouille sur son visage la tira de son sommeil quelques heures plus tard, alors que la nuit était tombée. Elle ouvrit les yeux. Un visage souriant, les yeux remplis d’amour, lui faisait face. « Comment se porte ma reine aujourd’hui ? » Aicha aurait voulu lui répondre avec un sourire aussi tendre que le sien, mais elle n’y parvint pas. Elle essaya de parler, sans qu’aucun mot ne puisse sortir de sa bouche. Il reposa la question en caressant son visage pour l’encourager.

Soudain, elle éclata en sanglots. Cela faisait des jours qu’elle se retenait de pleurer, considérant cela comme un signe de faiblesse. En laissant ses larmes couler, elle ressentit une sensation incroyable de soulagement et de sérénité, comme si tous ses pleurs avaient entraîné dans leur chemin ses angoisses.

Il la serra très fort contre lui, puis attrapa ses mains. Une musique festive se répandit dans la pièce sur laquelle tous les deux se mirent à danser. Alors qu’elle tourbillonnait, Aicha sentit une délicate odeur parvenir jusqu’à ses narines. Elle se retourna et aperçut de délicieux mets sur la table.

 

 

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