3 injonctions contradictoires faites aux femmes musulmanes

par | 5/07/17 | (Dé)construction

Etre une femme musulmane en France n’est pas franchement de tout repos. Certes, la société toute entière se soucie de notre bien-être et nous donne donc des conseils bienveillants et avisés sur la manière dont nous devrions nous comporter et vivre notre vie. Mais il y a un petit bémol : les « conseils » ressemblent plutôt à des injonctions, et se contredisent souvent. Il va falloir nous aider à y voir plus clair, parce qu’on s’y perd un peu…

 

1) Libérez-vous !

 
Devenez de vraies femmes Barbara Gould : habillez-vous librement, dites haut et fort ce que vous pensez – bref, émancipez-vous…
 
… si vous y arrivez
 
Ah oui, alors par contre ça serait bien si vous y arriviez sans avoir accès à l’emploi, voire aux études. On ne va pas tout vous servir sur un plateau d’argent, non plus.
 
… et comme on vous dit de le faire
 
Bien sûr que tu as le droit de choisir librement comment t’habiller ! Enfin, sauf si c’est un hijab parce que t’es soumise, si c’est une robe couvrante parce que t’as des belles jambes alors pourquoi tu les montres pas, si c’est pas à la mode parce que t’es à côté de la plaque, si c’est pas assez féminin parce que t’es un cageot, si c’est trop court parce que t’es une « pouffiasse », si c’est trop moulant parce que ça te boudine, si c’est… Bon, en gros, mets un jean H&M et arrête de nous casser les pieds.

Et puis oui, bien sûr que tu as le droit de faire entendre ta voix ! Enfin, sauf si c’est pour nous dire que tu as réussi l’exploit d’être musulmane, libre et heureuse, parce que dans ce cas, tu es une guerrière de l’islam politique et ça, c’est pas très bien.
 

 
BANZAÏ !
 


 

2) Mélangez-vous au reste de la société !

 
Communautarisme (n.m.) : reproche fait aux minorités qui osent rester entre elles dans les quartiers où elles sont parquées, au lieu de fréquenter les milieux blancs et huppés qui attendent désespérément de bénéficier de leur compagnie. A ne pas confondre avec l’innocent entre-soi des milieux majoritairement composés d’hommes blancs hétérosexuels de plus de 40 ans, qui passent simplement du temps entre gens respectables.

Bon, on va la faire claire, les Fatima : sortez un peu de chez vous, rencontrez des vrai·e·s Français·es, montrez que vous avez envie de vous intégrer, quoi !
 
… histoire qu’on puisse vous pourrir un peu la vie
 
Ah oui parce qu’en fait, ce qu’on ne te dit pas, c’est qu’on te demande de te mélanger aux autres, mais qu’on fait tout pour t’en passer l’envie. Quand j’ai commencé à porter le foulard, j’ai gardé mes habitudes et j’ai continué à fréquenter des endroits variés, éloignés de mon milieu d’origine, brassant des personnes aux identités diverses et parfois aux antipodes de la mienne. Je continue à le faire, parce que je ne veux pas que ma vie soit dictée par des ignorant·e·s, mais je suis souvent tentée de me réfugier dans un endroit avec des gens qui me ressemblent, où je passerais inaperçue et je pourrais vivre ma vie sans être dévisagée, importunée, voire humiliée.
 

3) Ne suivez pas bêtement des spécialistes religieux !

 
Voici le scénario classique : 1) on me sort des versets du Coran à la sauce « Et comment t’expliques ça, hein ?! » ; 2) je réponds qu’on ne peut pas interpréter nous-mêmes et qu’il faut se référer aux différents avis émis par les savants ; 3) on me dit de réfléchir par moi-même au lieu de suivre aveuglément des spécialistes religieux.

Bon, déjà, les deux ne sont pas incompatibles : différents savants émettent différents avis, et c’est à nous de faire nos choix en notre âme et conscience. L’islam nous encourage à rechercher le savoir (le premier verset révélé ordonne « Iqra » : « Lis ! »), à réfléchir et à faire usage de notre raison. Mais comme dans n’importe quel domaine, le fait de se renseigner auprès de sources compétentes ne fait pas de nous des moutons. Au contraire, c’est la connaissance acquise auprès de spécialistes qui nous protège des manipulations et des interprétations aberrantes. On le voit d’ailleurs très bien avec les terroristes, qui ne fréquentent généralement aucune mosquée et font leur petite tambouille tout seuls, avec internet comme mauvais conseiller.
 
… suivez plutôt nos propres avis
 
Le côté cocasse de ces conversations, c’est que quand nos réflexions personnelles aboutissent à des choix en opposition avec ce qui est attendu de nous par la société, ça plaît tout de suite beaucoup moins. Par exemple, on me reproche régulièrement de porter le hijab alors que « ce n’est pas demandé dans le Coran » ou « ce n’est pas obligatoire », avec une agréable touche de mépris du genre « c’est moi qui t’apprends ta propre religion ». Eh bien c’est le fruit de mes réflexions personnelles, vous devriez être content·e·s, non ?
 

Crédit photo : BDouin

 
… Et puis même ? Même si on part de l’idée que ce n’est pas obligatoire, que ce ne serait pas écrit dans le Coran, en quoi cela remet-il en cause mon choix et mon droit de porter le hijab ? Si je choisis de jeûner certains jours en dehors du mois de Ramadan, est-ce qu’on va essayer de m’en dissuader ou restreindre ma liberté de le faire sous prétexte que ce n’est pas obligatoire ?
 
De toute façon, ma vie, mes choix et ma pratique religieuse me regardent, et j’aimerais bien qu’on arrête de me dire en permanence ce que je devrais faire, dire et penser. Arrêtons de voir les femmes musulmanes comme de pauvres filles à éduquer, ça nous laissera respirer et ça vous fera des vacances, puisqu’on dirait que c’est une occupation à plein temps…

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