Wissale Achargui, militante contre le cyberharcèlement

par | 16/10/17 | Portraits

On a souvent tendance à penser que lorsque l’on s’engage dans une cause, celle-ci devient plus importante que tout, et surtout plus importante que soi. Mais quand la lutte est quotidienne et que l’on finit par se faire violence au profit d’une cause, c’est l’efficacité de nos actes qui en souffre.
La lutte pour Wissale Achargui aux côtés du collectif “Féministes contre le cyberharcèlement” c’est, comme elle le dit si bien elle-même, de “renseigner pour un usage plus safe des internets et venir en aide aux victimes.”. “Safe” -c’est-à-dire “sécurisé”- est un mot que l’on utilise beaucoup dans les processus de déconstruction, mais que l’on oublie aussi trop souvent d’appliquer à soi-même. Pour Wissale, le self-care est une priorité pour être un·e bon·ne activiste. Des paroles qui font du bien et qui nous inspirent !

 

Étudiante, activiste et porte-parole contre les violences faites aux femmes racisées

 

Avant de rejoindre le collectif “Féministes contre le cyberharcèlement”, Wissale est d’abord une étudiante au parcours des plus inspirants. Après un bac ES et une année de CPGE Economique, elle se tourne vers une double licence d’Histoire et d’Arabe à la Sorbonne. A 21 ans, elle est déjà intervenue dans de multiples colloques et journées de sensibilisation afin de dénoncer les violences subies par les femmes racisées sur les réseaux sociaux et de conseiller le self-care comme modérateur. Mais cela n’a pas toujours été simple pour elle. C’est durant son intervention lors du LallabDay#3 qu’elle en fait part :

 

“Mes deux parents sont d’origine maghrébine, et en tant que descendant·e·s post coloniaux·ales, on subit beaucoup de pression pour réussir. (…) Je me souviens que je travaillais tous les jours, j’avais des très bonnes notes à l’école et dès que je rentrais chez moi, je travaillais encore sans que ce ne soit reconnu. Je m’imposais tellement de pression que j’ai fini par ne plus vouloir aller en cours. Je ne pouvais plus. Je suis allée voir un médecin qui m’a confirmé que ma santé passait avant tout, et qui a reconnu le caractère oppressif des études. J’ai eu la chance que quelqu’un me dise que j’avais le droit de ne pas être tout le temps à fond.”

 

Une pression que beaucoup d’entre nous s’imposent. Mais Wissale n’est pas défaitiste, bien au contraire. Parallèlement à ses études, elle est aussi une membre dynamique du collectif “Féministes contre le cyberharcèlement”, qui a pour objectif de “sensibiliser l’opinion et les réseaux sociaux au cyberharcèlement, d’aider les victimes et de les informer sur les recours possibles”.

 

“Le collectif, pour moi, ça a été un tremplin pour faire les recherches nécessaires à l’articulation de mon combat : j’ai pu, en son sein, faire la connaissance d’autres activistes, me renseigner, réfléchir et être écoutée et entendue. Cela m’a aussi permis de penser l’idée de réseaux sociaux et d’internet comme outils d’oppression et de mettre un nom sur chacun des mécanismes à l’oeuvre. Mais internet permet aussi de faire un travail de veille qui déconstruit et produit du contenu sans arrêt. Notre association vient concrètement renseigner les personnes pour un usage plus safe des internets et venir en aide à des victimes, tout en proposant un contenu féministe intéressant”, nous confie-t-elle avec une douce ferveur. C’est donc, comme pour beaucoup de militantes féministes racisées, à travers la lutte pour de meilleures conditions d’expression et la mise en place de réelles solutions contre les violences faites aux femmes (cf. la rubrique “Que faire en cas de cyberharcèlement” ou encore “Liens utiles et contact” sur le site du collectif) que Wissale met en pratique, au sein du collectif, un activisme qui la touche personnellement et politiquement.

 

Wissale, troisième à droite, et plusieurs des membres du collectif “Féministes contre le cyberharcèlement”

Crédit photo : Laure Salmona

 

(Re)prises de la parole pour dénoncer les stéréotypes et victoires du collectif

En témoigne, par exemple, son intervention aux côtés de plusieurs autres activistes lors du European Lab Forum qui a eu lieu à Lyon en 2017 sur le thème “Arabe ? Mode d’emploi : Compter pour de la beurette ?”. Un thème qu’elle a eu l’occasion d’étudier lors de longues recherches historiques, anthropologiques et sociologiques, et s’appuyant notamment sur la représentation des femmes maghrébines dans la pornographie française et la médecine coloniale, travail dont elle fait part durant la discussion.

 

“Quand on parle de pornographie, on pense que c’est quelque chose d’extrêmement récent, qui serait dépourvu de dynamiques de pouvoir. Mais en fait, on peut voir que toutes les narrations, tous les scénarios où les “beurettes” sont mentionnées, où les “beurettes” jouent un rôle (tout en sachant que “beurette” est le hashtag le plus recherché dans le porno français), c’est toujours cette narration de la jeune Maghrébine que l’on cherche à dévoiler, qui est toujours sous l’emprise d’une domination masculine, qui est soit son père, soit son frère, ou même l’imam de quartier ; et que l’homme blanc va libérer, dévoiler.”

 

En mettant en lumière ces faits, mais surtout en prenant la parole pour dénoncer ces représentations qui continuent d’oppresser les femmes maghrébines et de perpétuer des narrations néo-coloniales les réduisant au statut d’objets, Wissale défait d’une part les stéréotypes concernant les femmes racisées, et expose les fantasmes qui nourrissent les représentations visuelles et les imaginaires, et ce encore aujourd’hui. D’autre part, elle donne corps à tous les principes fondamentaux qui nous tiennent à coeur chez Lallab : féminisme, solidarité, et surtout parole aux concerné·e·s. Ce qui en fait, en plus d’une grande source d’inspiration, un pilier dans la lutte pour la reconnaissance des violences subies par les femmes racisées.

 

Cette lutte, elle continue à la mener à travers les activités du collectif “Féministes contre le cyberharcèlement,” et elle porte déjà ses fruits. On le voit d’ailleurs dans les avancées permises par les engagements pris par le collectif, auxquels Wissale prend ardemment part. On pense, par exemple, aux nombreuses campagnes de sensibilisation du collectif afin de révéler les différentes manifestations du harcèlement sur le web, ou encore au sujet de la culture du viol.

 

Un exemple de la campagne d’information du collectif à propos des cyberviolences

Crédit photo : Tumblr FéministesVsCyberH

 

C’est en rendant visible ce genre d’informations que le collectif apporte de la légitimité à une seconde manifestation des victoires acquises grâce aux combats du collectif : la prise de parole des victimes de cyber-violences. Comme on peut le voir dans la première rubrique du site, Posts, l’effort de visibilité que fait le collectif donne un certain pouvoir aux victimes de cyberharcèlement, et libère une parole malheureusement encore très peu entendue. Autant dire que même si la lutte n’est pas finie, ces avancées permises par les “Féministes contre le cyberharcèlement” comme Wissale sont toutes de grandes victoires pour les femmes racisées !

 

Mais le self-care, qu’est ce que c’est précisément ?

 

Aux premiers abords, on pourrait penser que le self-care n’a rien à voir avec l’activisme. Mais face à l’incompréhension, l’acharnement et surtout le harcèlement direct et/ou subi à travers les réseaux sociaux dont sont victimes plus d’un·e d’entre nous, prendre soin de soi devient une priorité afin de pouvoir continuer à se battre.

 

« On vit dans une société qui nous soumet à des injonctions et si on s’épuise, on va être inefficace dans notre combat. »

 

Pour Wissale, “le self-care est un outil politique indispensable pour les femmes racisées”. En effet, en tant qu’individus soumises à des discriminations multiples (de genre, d’ethnie, mais aussi parfois sexuelles et religieuses), les femmes racisées sont victimes d’une pression sociale qui prend des formes plus ou moins violentes dès qu’elles s’emparent d’une parole politique dans la réalité ou sur les réseaux sociaux notamment. Du “troll” aux injures raciales en passant par les “blagues” alimentant la culture du viol ou les narrations coloniales, ces violences psychologiques sont tout autant de paramètres qui affectent profondément les militant·e·s et peuvent porter atteinte à la santé mentale et physique au point de ne plus être en mesure de s’exprimer.

 

« Rien ne justifie qu’on mette notre santé physique et mentale en danger. »

 

C’est en cela que le self-care devient indispensable. Savoir prendre soin de soi, se préserver de certaines violences verbales ou physiques qui vont malheureusement encore de pair avec l’engagement politique, quelle que soit sa forme, est pour Wissale une condition sine qua non d’un militantisme efficace. Elle l’applique d’ailleurs à sa propre expérience : “Personnellement, le self-care a été salutaire en ce sens qu’il a rationalisé la nécessité de ne pas être tout le temps productive dans ma lutte politique. J’ai pu d’un côté être une activiste virulente, et de l’autre me donner le temps de prendre du recul et de réfléchir au sens de mes actions”.

Lors de son intervention durant le LallabDay#3, elle revient d’ailleurs sur un exemple très concret de l’articulation qu’elle fait du militantisme et du self-care. “Par exemple, je sais que je ne supporte pas les manifestations et violences policières. Si je vais à une manifestation, où je vais être entourée de gens, de la police, et de toutes sortes de violences physiques, ma santé mentale risque d’en pâtir sérieusement. Alors je n’y vais pas, je ne m’impose pas cette violence. Et cela ne me rend pas moins active. Je me préserve.” Afin de mettre en lumière une des multiples formes que peut prendre le self-care, elle cite, toujours durant le LallabDay#3, la fameuse artiste mexicaine Frida Kahlo. Celle-ci, nous rappelle Wissale, a eu recours au care : “Atteinte de la polio et victime d’un accident grave qui l’immobilisera dès son enfance, elle a articulé dans ses oeuvres son rapport à la douleur. L’art et la peinture lui ont permis de survivre en tant que femme racisée au Mexique”.

 

 

Illustration à propos du selfcare (de gauche à droite) : “Le selfcare pour les activistes. Prendre du temps pour soi. Manger régulièrement. Boire de l’eau. Arrêter les réseaux sociaux de temps en temps. S’entourer de gens qui te soutiennent. Bien dormir”.

Crédit Photo : @AnnMarieBrok/Instagram

 

Alors pourquoi se sentir coupable de s’accorder un moment, au milieu de nos folles journées de sensibilisation, de travail acharné pour faire entendre nos voix et de débats incessants avec des individu·s posté·e·s derrière leur écran et prêt·e·s à tout pour nous faire plier sous la pression que l’on s’impose déjà soi-même au quotidien ? Prenons soin de nous, pour pouvoir continuer à nous battre encore plus efficacement !

 

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