Marwa El-Yamni, “militante de force” suite au meurtre de son frère Wissam par des policiers

par | 9/09/19 | Portraits

Membre du comité Justice Vérité pour Wissam, Marwa lutte constamment afin de rendre justice à son frère Wissam El-Yamni, tué en 2012 par des policiers lors d’une arrestation. Elle nous explique à quel point cet événement a bouleversé sa vie et celle de sa famille, nous encourageant ainsi à soutenir toutes les victimes de violences policières.

 

La mort de son frère comme déclic militant

 

Marwa se définit comme une “militante de force”. Auparavant, elle n’était pas vraiment engagée politiquement. “Je ne pensais pas que cela puisse arriver, c’est seulement le jour où ça t’arrive que tu ouvres les yeux sur beaucoup de choses”. De plus, Marwa pense que le fait de venir d’une petite ville rend ce triste événement encore plus choquant qu’à “Paris ou dans d’autres grandes villes, comme Lyon ou Marseille. On n’a jamais vécu ça”. Ayant passé ses vacances d’été au Maroc, le pays natal de ses parents, elle insiste sur le besoin de se déconnecter. “C’est essentiel, sinon, tu pètes un plomb”. Jonglant entre son emploi et le fait d’être mère de deux enfants, Marwa est également une membre importante du comité Justice Vérité pour Wissam. Ce dernier a tout de suite été créé après le décès de son frère alors âgé de 30 ans. Ce collectif est formé par plusieurs membres de la famille de Wissam, à l’instar de son frère Farid, mais également par des ami·e·s de la victime, de plusieurs militant·e·s et d’autres “personnes mécontentes”, comme les définit Marwa. “C’est important de se battre pour soi et en même temps de s’allier aux autres comités contre les violences policières”, explique-t-elle, prenant d’ailleurs l’exemple de son frère Farid, en contact avec plusieurs militant·e·s à Paris. La soeur de Wissam affirme aussi qu’il est très important que les familles luttent au sein des comités, en raison de leur accès aux informations judiciaires. Elle évoque également l’importance des familles soudées lors de ces combats. “Même si nous ne sommes pas forcément d’accord, il faut rester uni·e·s, parce que c’est cette stabilité qui permet de survivre, de ne pas faire n’importe quoi”. Selon le comité, Wissam a été battu à mort lors d’une arrestation. Tombé dans le coma, il est emmené à l’hôpital où il est resté durant 24h sans que sa famille n’en soit informée. “Un infirmier nous a conseillé de prendre des photos, affirmant que c’était très bizarre, puisque selon la version policière, mon frère est décédé en raison de problèmes de santé, alors que plusieurs traces montraient qu’il était roué de coups”. Plusieurs photos ont disparu, d’autres ont été antidatées, des vêtements ont également disparu. Wissam a par exemple été retrouvé sans ceinture, le pantalon au niveau de ses chevilles.

 

La nécessité de soutenir les familles des victimes de violences policières

 

Vêtements représentant Wissam. Crédit : Comité Justice Vérité pour Wissam

 

Afin de rendre justice à Wissam, il est possible de soutenir le collectif de plusieurs façons. Tout d’abord, Marwa insiste sur l’importance de notre présence en manifestation. “J’ai rencontré des gens formidables qui nous ont beaucoup aidé·e·s au sein du comité”. La militante explique qu’il n’est pas possible de se montrer constamment disponible dans la lutte mais que les “portes demeurent ouvertes, même pour quelque temps”. Elle est ravie de voir qu’il existe une réelle diversité de profils au sein du collectif. Elle incite cependant tout le monde à s’engager concernant les violences policières, notamment les non-Blanc·he·s. “Je me bats pour notre avenir, mes enfants ne sont pas blanc·he·s, iels sont bronzé·e·s, mon frère ne reviendra pas mais il est nécessaire de se battre pour nos descendant·e·s”. Marwa comprend néanmoins que de nombreuses personnes aient peur, bien qu’elle regrette le fait que cela paralyse le mouvement. “Nous savons que nous avons du soutien, y compris celui du consulat du Maroc, nous avons un réseau qui fonctionne”. Ainsi, Marwa rappelle que malgré plusieurs menaces visant des membres du comité et leurs proches, entraînant parfois des arrestations, voire des emprisonnements, il est essentiel de soutenir les familles des victimes. “Les petites aides sont très importantes, nous n’avons pas uniquement des soucis, nos actions peuvent bien se passer donc c’est important de se mobiliser, d’être là pour les familles et de ne jamais oublier les prénoms des victimes”. Les dons sont également essentiels. “On ne vit que de ça”, affirme-t-elle, “nous sommes souvent obligé·e·s de payer par nous-mêmes, notamment les frais de justice”. Nous pouvons également porter des vêtements à l’effigie de Wissam. “Cela nous revient généralement plus cher, on ne se fait pas de l’argent avec ça, mais ça permet de donner une image à la cause, avec le logo, on sait direct qui tu es en manifestation”. Depuis 2018, le collectif organise également une fois par an le Challenge Wissam, à Clermont-Ferrand. Il s’agit de passer un bon moment en jouant au futsal, tout en aidant financièrement le comité et en se souvenant de Wissam, dont la photo est présente lors de l’événement. “On essaye de lier la cause à la culture, pour montrer une autre image du collectif, notamment aux jeunes, pour ne pas être constamment dans la colère”. Le comité agit ainsi surtout à Clermont-Ferrand, mais également à Paris et à Lyon.

 

Les proches des victimes, hanté·e·s par ce traumatisme

 

Rassemblement en hommage à Wissam. Crédit : World Around Me

 

La militante se confie aussi sur le désespoir souvent ressenti par les proches des victimes. “Parfois, j’ai envie de lâcher les bras, mais quand je vois mes enfants, tous les jours, je me dis qu’il faut qu’on se réveille, notamment les musulman·e·s qui sont de plus en plus attaqué·e·s”. Son père est “dans le déni et la tristesse” tandis que “sa mère est en colère, elle regrette d’avoir la nationalité française, considérant que la France a tué son fils, ce qui l’amène à souhaiter finir sa vie dans son pays natal”. Marwa affirme que le deuil n’a pas encore pu avoir lieu. “On ne sait pas tout ce que mon frère a vécu donc forcément, la nuit, avant de dormir, on s’imagine des choses terribles”. De plus, Marwa était enceinte lorsque Wissam est décédé. Elle a accouché un mois suite à cette perte. “Avec les contractions, c’était très compliqué. Des problèmes avec ma thyroïde se sont aussi déclenchés, on ne guérit pas de ça, on devient des monstres judiciaires”, dévoile-t-elle. “Des émeutes ont eu lieu, ce qui a empêché l’oubli de cette affaire. Il s’agit d’une arrestation qui a mal tourné et deux personnes doivent être jugées pour cela”. Marwa regrette cependant le fait que la justice ne soit pas indépendante. “La justice travaille avec la police, notre juge ne veut pas entendre les témoins du commissariat, alors que les membres du comité les ont entendus. Notre affaire est très sensible et la juge n’est pas à la hauteur de sa fonction, cherchant à mon avis à plaire aux injustes en faisant obstacle à la manifestation de la vérité”. La militante évoque également la violence de certains propos, visant à diaboliser les victimes des violences policières. “On les présente systématiquement comme des délinquants ou des mauvais garçons. Ma mère l’a très mal vécu. S’il avait vraiment commis une connerie, on aurait pu l’arrêter, mais le tuer n’est en aucun cas justifiable”. Face à toute cette douleur, Marwa tente de s’évader. “Certaines personnes trouvent du réconfort auprès des psychologues, pour moi, c’est la gymnastique”. En tant qu’éducatrice sportive, la militante affirme “tout oublier” lorsqu’elle est “dans cette salle”.

 

Il est donc possible de soutenir la famille El-Yamni en suivant leurs actions sur les réseaux sociaux et sur leur site, en se mobilisant lors de leurs prochaines manifestations, mais également en achetant leurs produits en contactant le collectif sur les réseaux sociaux. En attendant, pas de justice, pas de paix.

 

 

 

Image à la une: Rassemblement en hommage à Wissam. Crédit : World Around Me

 

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