L’islamophobie, ou la mode de revendiquer ses névroses

par | 12/10/16 | (Dé)construction

L’islamophobie est aujourd’hui tellement décomplexée que n’importe qui peut afficher la sienne lors d’un dîner de famille ou pendant une émission de grande audience.

 

En fait, on peut même s’en vanter. C’est un peu comme les gens qui te disent d’un ton fier « Bah ouais, j’suis comme ça, moi, faut pas me chercher, sinon je m’énerve direct ! » … Attends, t’es en train de te vanter de tes défauts et de ton incapacité à te maîtriser, ou il y a quelque chose que je n’ai pas suivi ?

De la même manière, en France en 2016, on peut clamer haut et fort qu’on est « islamophobe, et ouais, qu’est-ce que t’as, j’ai le droit de dire ce que je veux, on est dans un pays libre ! » Hum, on pourrait déjà commencer par faire un petit rappel à la loi, sur le mode du CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France) : « L’islamophobie n’est pas une opinion, c’est un délit ». Mais bon, l’incitation à la haine, la discrimination, tout ça, ce sont sûrement des inventions d’islamo-gauchistes.

Personnellement, je préfère le « rappel à la santé psychologique ». En effet, une phobie est définie comme une « peur démesurée et irrationnelle d’un objet ou d’une situation précise ». Ah tiens, pour une société qui a érigé la Raison en nouvelle déesse, dont la générosité a privilégié notre peuple par rapport au reste de la planète, de la galaxie et de l’univers, ça fait un peu tâche.

 

Une peur irrationnelle

 

Effectivement, pour le côté irrationnel, il n’y a qu’à voir la frénésie qui emporte les islamophobes décomplexé.e.s quand ils parlent de l’islam, ou pire encore… à des musulman.e.s (petit tressaillement dans l’assemblée).

Il faut savoir qu’avec mon foulard sur la tête, mon quotidien se transforme en arène de débat, où je suis sans cesse sommée de m’expliquer, de prendre position sur des choses qui sont complètement éloignées de ma réalité, et d’apporter la preuve que je ne suis pas une menace pour le vivre-ensemble, l’identité française, la laïcité, les droits des femmes, la République et la sauvegarde des orangs-outans en Indonésie. Je connais donc bien cette fougue (pour le dire gentiment) qui les anime, les faisant parler beaucoup trop fort, gesticuler dans tous les sens et me postillonner dessus. Il faudra qu’on m’explique où se trouve la raison là-dedans.

 

Bien sûr, il y a aussi ceux et celles qui gardent parfaitement leur calme, le genre de pseudo-intellectuel.le.s avec une petite faiblesse pour les mots compliqués et la condescendance. Mais si la forme est épargnée, le fond ne l’est pas, et leurs propos sont tout aussi peu rationnels. Cette fameuse raison est généralement mise en opposition avec la passion, que je viens d’évoquer, mais aussi avec l’émotion. Or, dans ces débats imposés, la façade des phrases bien articulées se fissure bien rapidement laissant entrevoir la peur, le dégoût, la haine, le mépris… et autres petits bouquets printaniers cueillis à mon intention.

Malgré tout cela, il ne faut surtout pas contrarier ces personnes dans leur sentiment de supériorité par rapport à la sauvage que je suis. Car ce sentiment est largement fondé sur une illusion d’être les seul.e.s détenteurs.trices de la sacro-sainte raison, alors que je suis embourbée dans des superstitions illogiques et irrationnelles.

Pour être honnête, je reconnais ce genre de personnes à des kilomètres, et la simple perspective du débat qui m’attend me vide de toute mon énergie, d’autant plus que la répétition des mêmes arguments devient vite lassante. Or, je refuse que ma vie soit un mauvais film où je suis condamnée à revivre encore et encore la même scène douteuse.

 

Par conséquent, quand ce genre de personne se chauffe (souvent toute seule), je reste généralement en retrait, écoutant avec un sourire en coin. Et, si je n’ai pas le choix, je réponds en réduisant mon investissement personnel autant que possible. Je fais ça pour me protéger car je sais que je vais prendre des coups au passage mais d’un point de vue extérieur, je donne l’impression que je suis calme, posée et que je garde le contrôle de moi-même. Ce qui ne manque pas de provoquer des réactions pour le moins intéressantes.

Lors d’une émission sur une radio locale, par exemple, l’un des deux autres invités en a oublié ma présence : alors que les langues se déliaient hors antenne, il a commencé à parler des femmes voilées comme si je n’étais pas là. Je suis alors intervenue pour dire que je me sentais insultée par ses propos – il a sursauté en se retournant vers moi, bouche bée.

 

Mon Dieu, mais elle parle ?! Et en plus, elle s’oppose à un homme ?!

 

Une autre fois, me promenant en bord de mer et prenant le parti de garder le sourire malgré les regards assassins qui me suivaient, deux femmes ont explosé : « Mais regarde-la, c’est qu’elle nous insulte, en plus ! »

Alors il paraît qu’il faut les comprendre, que les gens ont peur, qu’il y a eu les attentats… Et c’est là qu’intervient l’autre aspect de la notion : une phobie est une peur démesurée.

 

Une peur démesurée

 

Lallab Femme musulmane #Lallab

Par exemple, l’arachnophobie paraît un peu démesurée quand on connaît leur taille et l’infime proportion d’araignées véritablement venimeuses (sauf si vous habitez en Australie, bien sûr). Ça ne me paraît pas beaucoup plus justifié d’avoir peur de tous les musulmans quand les experts estiment le nombre de membres de l’Etat Islamique à tout au plus 200 000 personnes. Allez, même si on montait jusqu’à un million, ils représenteraient 0,0005% des 1,8 milliards de musulmans dans le monde.

Ça, ce sont les faits. Le reste, à savoir que tous les musulmans soutiendraient Daesh ou seraient des terroristes en puissance, ce sont des peurs, des fantasmes et des présomptions sur ce qui passe dans nos têtes, et non pas la réalité. Il suffit d’éteindre BFM et de côtoyer de vrai.e.s musulman.e.s pour s’en rendre compte. De la même manière, avec plus de 90% de personnes qui ne sont pas musulmanes en France, il y a encore de la marge avant d’être grands-remplacé.e.s.

Qu’on soit d’accord : les épisodes de délire paranoïaque, ce n’est donc pas sur des plateaux de télé ou dans la rue qu’il faut les extérioriser, mais bien sur le canapé de son psy. Ça me fera des vacances.

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