Anlya Mustapha : concilier style, entreprenariat et convictions par la Modest Fashion

par | 18/12/17 | Portraits

“Un style, ça va plus loin que “j’aime telle ou telle couleur”. C’est exprimer sa personnalité et son identité culturelle. Et comme on a énormément d’identités en nous, c’est parfois assez difficile.” Pour Anlya Mustapha, créatrice de la marque de maxi hijabs Anlya Modest Fashion, lier style et religion n’est pas toujours évident. D’autant plus qu’en France, peu de plateformes, boutiques ou réseaux s’attachent à élargir le marché de la mode à toutes les confessions. Anlya a donc décidé de pallier ce manque. “Composer des tenues pudiques et contemporaines”, un challenge qu’elle accepte volontiers avec une positivité à toute épreuve. Portrait d’une jeune entrepreneure musulmane dont le parcours et les projets nous donnent tou·te·s envie de faire pareil !

 

Inspirée par les Londoniennes, elle devient inspirante pour les Françaises

 

A 25 ans, Anlya est une jeune entrepreneure hyperactive. Entre stories Instagram quotidiennes pour tenir sa clientèle au courant de ses dernières sorties et tournage de vidéos “Inspirations looks” ou “Tutos” pour sa chaîne YouTube, elle est sur tous les fronts. Cette énergie, Anlya la puise dans de nombreuses sources. C’est d’abord à l’étranger que se fait le déclic. Elle nous raconte.

“J’ai commencé à Londres, à l’issue de mon Master 2 que j’ai effectué là-bas (…). J’avais réalisé qu’en France, c’était un peu plus difficile de s’habiller avec le voile, avec son style, avec “goût”. En fait, j’étais beaucoup inspirée par les Londoniennes qui portaient le foulard ; j’ai eu envie de donner à mon tour l’opportunité en France aux femmes voilées de retrouver les même foulards qu’elles.”

C’est à son retour à Paris qu’elle décide de mettre ses inspirations en action, et de monter son entreprise.

“J’ai commencé à faire de petites ventes à distance, via Instagram, c’était vraiment simple. Et petit à petit, j’ai vu qu’il y avait un engouement autour de ce foulard, mais pas seulement. Beaucoup de femmes me demandaient des conseils : comment associer les couleurs, comment le porter ? Je me suis donc penchée sur comment porter des tenues, des idées de looks avec les foulards que je vendais. A travers les commentaires, j’ai vraiment réalisé que ça allait plus loin que de donner des conseils mode (…). En France, comme le voile est considéré comme quelque chose qui nous oppresse, ou qui nous écarte de la société, il est parfois difficile pour les femmes qui le portent de se valoriser pleinement. Je ne parle pas au nom de toutes les femmes voilées, mais il y a quand même cette tendance qui veut que le porter avec style est beaucoup décrié.”

De fait, Anlya répond en quelque sorte à une “demande” : celle d’une génération de femmes musulmanes qui souhaitent se réapproprier les écrits tout en exprimant leur style, au sens “d’identités culturelles” comme elle le dit. En cela, elle a conscience de refléter une certaine image des femmes musulmanes, dont elle se revendique sans prétendre à l’universalité de sa voix. C’est d’ailleurs cette conscience à la fois personnelle et professionnelle qui la pousse au quotidien.

 

Crédit photo : @Anlya_ModestFashion

 

Un travail laborieux, mais qui en vaut la peine

 

Anlya est aussi très réaliste : donner un nouveau souffle à la Modest Fashion en France n’est pas une tâche facile. C’est après avoir fini son Master 2 en Stratégies des marques que naît, début 2016, Anlya Modest Fashion, non sans difficultés. Elle est effectivement confrontée à plusieurs barrières sur son chemin vers l’excellence, notamment durant sa scolarité.

J’en ai connu, des difficultés, surtout la première année de mon voilement (la deuxième année après le bac), de la part surtout du corps pédagogique. Ça a été très difficile, avec une autre amie voilée, on a été victimes d’une agression verbale de la part d’une professeure qui ne voulait pas nous donner cours alors qu’on était dans un amphithéâtre rempli. Elle nous a demandé de partir de la salle ou bien d’enlever le voile devant tous les élèves. Ça a été super difficile à vivre. A côté de ça, il y avait d’autres professeur·e·s qui nous imposaient de mettre notre voile en arrière, de sorte qu’on voie le cou et les oreilles, et qui justifiaient leurs prises de positions par rapport à la laïcité, alors que c’était totalement faux.

C’est donc aussi de l’expérience personnelle des violences islamophobes qu’elle tient sa force d’agir et sa conviction. Pour les femmes racisées, le milieu scolaire ou universitaire peut très vite devenir un lieu de violences. Comment trouver la force de réussir alors que l’on nous exclut au sein même des lieux qui sont censés nous donner les outils de la réussite ? Anlya n’est pas fataliste face à cette question que l’on s’est tou·te·s posée, mais elle mesure aussi l’impact de ces violences sur sa vision actuelle de l’entreprenariat.

“Ça a été difficile à vivre, parce que c’est là que j’ai réalisé que ça allait être beaucoup plus difficile pour moi d’être épanouie professionnellement. C’est cela qui m’avait poussée à faire du e-commerce, parce que je me disais que dans tous les cas, j’allais être derrière un ordinateur. Et maintenant, je trouve ça ahurissant de me dire que j’étais à peine en train de me former que je me fermais déjà des portes. Je me disais : “C’est pas la peine, je vais m’autocensurer”, je ne voulais même pas m’y confronter parce que je savais que ça allait être trop violent. Je ne regrette pas du tout le choix du e-Commerce parce que c’est quelque chose que j’aime, mais quand même… faire des choix par dépit, c’est très difficile.”

 

Force, espoirs et ambitions : la sororité comme moteur

 

Cette force, Anlya la trouve à plusieurs endroits. Au-delà des difficultés qu’elle a pu rencontrer tout au long de son parcours vers l’entreprenariat, c’est essentiellement le rapport qu’elle entretient avec sa clientèle qui la pousse à continuer son ascension professionnelle. Entre elles, c’est bien plus qu’un lien de marché qui s’est noué, comme elle l’exprime avec une émotion et une reconnaissance des plus touchantes :

“Le chemin est long, laborieux, mais ce sont mes clientes qui me donnent la force – sans le savoir, peut-être. Je suis vraiment contente et fière, et le fait qu’elles puissent s’identifier à mon parcours, c’est ce qui m’intéresse. Mon objectif n’est pas de déconstruire les préjugés par rapport aux femmes voilées, je ne m’adresse pas aux personnes qui ont des préjugés. Je suis là pour donner de la force à celles qui en ont besoin, et celles qui en ont envie. Et elles me donnent de la force, c’est du soutien mutuel.”

C’est donc un véritable rapport de sororité qu’elle construit avec sa clientèle. Cette sororité, elle vient également de son féminisme revendiqué, qui participe tout autant de sa vision de la Modest Fashion. Pour Anlya, “la mode est une manière d’exprimer son féminisme, qui est subtilement politisée. Je considère que dans la Modest Fashion, il y a du féminisme, parce que c’est une façon d’exprimer mes identités plurielles de la manière dont j’ai envie.” C’est aussi dans son lien très particulier avec ses followers que se formalise son féminisme : on le voit dans ses vidéos, Anlya cultive une proximité tout-à-fait unique avec sa clientèle, qui reflète sa vision de la Modest Fashion en même temps qu’elle donne une version très personnelle et innovante de la sororité.

Sur sa chaîne Youtube, Anlya propose des tutos simples, efficaces et drôles, où elle reste très proche de ses followers en étant à la fois naturelle et très professionnelle.

 

 

C’est également dans son rapport à la culture américaine, qui l’a beaucoup inspirée petite, que la jeune entrepreneure a forgé son engagement féministe. Anlya a connu, comme beaucoup d’entre nous, la nécessité de se tourner vers les Etats-Unis pour trouver des modèles.

“Ça m’a nourrie inconsciemment pour porter ma voix sans avoir peur, et pour être fière de ce que je suis. Je suis de la génération Beyoncé et Destiny’s Child, faut pas se mentir, ça m’a énormément inspirée ! Quand j’étais jeune, ça m’a aidée à me former, je me disais que ces femmes n’avaient pas froid aux yeux. J’avais envie d’être un peu comme elles.”

Mais aujourd’hui, c’est sur le territoire français, où elle a grandi, qu’elle souhaite à son tour participer à une meilleure représentativité des femmes musulmanes et noires à travers son investissement dans la Modest Fashion. Malgré les nombreuses difficultés, Anlya possède une force et un désir de réussite qui nous donnent, à notre tour, envie de “casser des portes”, comme elle le dit si bien. C’est sur une note d’espoir des plus inspirantes qu’elle a souhaité terminer son portrait :

“Aujourd’hui, j’ai l’intime conviction que la société peut changer pour le mieux si l’on se soutient, que l’on échange, et que l’on communique. Parfois, il ne faut pas forcément être dans la réaction, mais plus dans l’action. Si j’écoutais tout ce qui se dit sur le marché dans lequel je suis, j’arrêterais. Mais j’ai la conviction que cela va changer et que la résistance va s’épuiser. Ils finiront par ne plus avoir l’énergie, parce qu’on est là, et ils n’ont pas le choix. Et on a énormément de potentiel et de talent. (…) Je suis confrontée à des choses que la majorité de la promo des diplômé·e·s de mon Master n’a pas à faire, mais tout ça nous forme et nous endurcit. On a le droit d’avoir nos moments de faiblesse, et c’est important de le conscientiser, mais allons de l’avant et exprimons-le ouvertement. Le combat concerne plein d’autres personnes. C’est pour ça que j’essaie d’être publique. Il faut que je l’exprime, parce que c’est comme ça que je conscientise d’autres personnes qui voudront aussi casser des portes !”

 

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Crédit photo à la une : ModestFashion.fr

 

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