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Khadija et Oum Kalsoum :  Musulmanes et femmes amoureuses — Oum Kalsoum, l’hymne à l’amour

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Je vous invite à vous accompagner d’une chanson de la Dame pour lire cet écrit. De préférence une chanson enregistrée avec le public. Il est « l’autre instrument ». Pendant c’est bien, après c’est encore mieux. En réalité, dès que vous pouvez, notamment quand vous ressentez le besoin d’un réconfort. Par ces temps difficiles, vous réaliserez la force incroyable que peut déployer une femme musulmane amoureuse. Les chansons d’amour de l’Étoile d’Orient, c’est l’art d’aimer au féminin dans toute sa splendeur ; dans toute sa magnificence ; dans toute sa puissance. Aux profanes, si vous voulez saisir l’âme arabe, écoutez et laissez-vous transporter par la Voix d’Oum Kalsoum. 

 

1983. Lille. C’est un de ces dimanches matin comme je les aime, ce mode en pause où, enfant, je me réjouis de ne pas être pressée pour aller à l’école. Ces dimanches confortables où je sais que je vais rester en pyjama et savourer le temps qui passe. Je vais avoir bientôt 6 ans, ma sœur et moi chahutons sur le canapé du salon. Je vois mon père se lever de son fauteuil, poser sa tasse de café, et mettre un vinyle sur la platine orange. Il allume une cigarette. Le temps s’arrête. Silence. J’entends encore le début du crépitement du diamant sur le disque. Des applaudissements. La ferveur du public. Des violons en joie. Et la Voix qui entame « Habibiiiiiii… » Les violons répondent.

Je me souviendrais toujours,de cette ambiance onirique, de ce parfum trouble mais si doux de l’enfance. Je m’en souviendrais toujours. La plénitude répondait à la mélancolie. La sensualité conversait avec la nostalgie. Dans ce bavardage délicat, je ne saisissais pas d’où venaient ces murmures, ces paroles, ces émotions. Était-ce mon père assis sur le fauteuil, qui, dans les volutes de fumée de sa cigarette, les yeux fixés dans ses pensées, dialoguait avec sa terre natale ? Lui disait-il à quel point lui manquait sa lumière, ses couleurs, sa poésie, sa musique ? Lui disait-il à quel point il l’aimait ? Lui disait-il que l’exil, el ghorba, lui devenait insoutenable ? Qu’il ne supportait plus la distance et l’hostilité du pays d’accueil ? Ou peut-être s’adressait-il à quelqu’un d’autre ? 

Ya Habibiiiiiiiiiiii… violons… Yaaaaaaaa Habibiiiiiii ». Clameur extatique du  public « Aaaaah !!! » Durant cet interlude, le temps s’arrête. Mon père est ailleurs. Il a pris ses bagages, il est retourné au pays. Il continue à haler la fumée. Il semble penser à cette femme qui chante pour lui. Oui il n’a d’yeux que pour cette femme. Cette voix. Car elle seule peut le consoler, dans cette langue qu’ils partagent tous les deux. Cette Voix seule peut comprendre sa douleur, entendre ses confidences. J’en suis jalouse. 

À qui appartient cette voix éraillée et tremblante ? Mais qui est cette chanteuse que tout le monde semblait admirer ? Je saisis la pochette du vinyle, pour imager la Voix. C’est elle ? Comment une dame d’un certain âge pouvait faire cet effet à mon père ? Au public ? Des yeux masqués par des lunettes noires, une coiffure surmontée d’un chignon haut et droit, un mouchoir en soie dans la main gauche. Mais qui est cette chanteuse à l’allure si austère ? En vrai, j’avoue… Oui j’avoue que, moi aussi, je suis saisie ce jour-là. Si ce moment d’enfance est encore gravé dans ma mémoire, c’est qu’elle a su toucher mon tréfonds de petite fille. Son timbre, son souffle, son âme s’y sont nichés pour toujours et à jamais. 

Et sur la pochette est écrit Oum Kalsoum. Oum Kalsoum est son nom.  

 

1898 ( ou 1904 ?). Delta du Nil. Née la Nuit du Destin, celle de la Révélation, quand le Prophète (psl) reçut le Coran de l’Archange Gabriel, pendant le mois du Ramadan, elle ne pouvait que connaître une destinée hors du commun. Le Livre sacré deviendra son antre, son inspiration, sa source de vie. C’est un élément à comprendre si on veut percer le secret de celle qui deviendra l’Astre de l’Orient. Ses parents décident de lui donner le nom de la dernière fille de Khadija et du prophète Mohamed. Comme une réincarnation du fruit de l’al hiba (plante désertique qui a donné al hub, l’amour) entre l’Envoyé de Dieu et sa femme. Celle qu’on nommera l’Étoile de l’Orient est prédestinée à glorifier l’amour, le désir, Allah. 

C’est en écoutant son père chanter que la future diva apprend à manier sa voix. Ibrahim est imam et cheikh dans un village d’un delta du Nil, et vit de ses interprétations de chants religieux lors de mariages, fêtes sacrées ou Maoualids. Un jour, il surprend sa petite entonner les mêmes refrains. Subjugué, le père réalise la puissance vocale de sa fille. Il comprend vite qu’elle peut devenir un gagne-pain juteux pour la famille. Pour ne pas se risquer à déshonorer sa réputation en faisant chanter sa propre fille, le père la déguise en garçon. Certains y verront plus tard l’origine de son ambiguïté sexuelle. Peu importe. Il décide de l’envoyer à la mosquée, pour parfaire son talent. Oum Kalsoum y fait une rencontre qui la bouleverse. Elle tombe amoureuse. Intensément. Follement. Éperdument. Al-Coran. La Récitation. Elle découvre l’absolu. Allah s’est réincarné dans le Verbe. De ses mots elle s’émerveille. De son message, elle jubile. De ses entrelacs elle joue. La langue arabe transcende le Sensible. Le texte saint l’habite, la possède. « Le Coran est toute ma vie», confiera-t-elle lors d’une interview. C’est pourquoi même dans les chansons d’amour les plus érotiques, vous l’entendez faire appel à Dieu. « Yaaaaaa Rab… aaaaa Rab ». Car la jouissance charnelle vous transcende vers le Créateur et donne un avant-gout du Paradis. Intonation, modulation, silence, souffle. L’art de la psalmodie métamorphose sa voix en instrument magique. Oui. On tient le secret de sa tessiture divine. Le livre sacré l’a révélée. Oum Kalsoum venait de naître une deuxième fois. 

Ses prestations se révèlent vite exceptionnelles et toute la Région du Delta ne parle que de ce petit bédouin. Qui est cet enfant dont la voix envoûte tous les villageois du Nil ?  Mais qui est-il pour émouvoir son auditoire jusqu’à le faire pleurer ? Ayant  écho du succès du « jeune garçon », le célèbre cheikh Abou El Ala Mohamed décide d’assister à un de ses récitals. Ému aux larmes, il n’en revient pas. Incroyable. Devant ce joyau brut, il tombe en pâmoison. Il presse les parents d’envoyer leur enfant prodige à la Capitale. Il insiste, l’aura de l’adolescente mérite de briller sur toute l’Égypte. Mais c’est dans le monde entier qu’elle rayonnera. 

 

1967. Paris. L’Olympia. L’excitation est à son comble. Des cars bondés en provenance de toute l’Europe, des avions du monde entier. Les admirateurs affluent. Des files d’attentes interminables devant la salle de spectacle. Le boulevard des Capucines profite des dernières lumières d’automne. « C’est du jamais vu ! » affirme Bruno Coquatrix, le propriétaire vient de signer le cachet le plus cher de l’histoire de la mythique salle. Se bousculent des princes du Moyen-Orient, des ambassadeurs de tous les pays, et surtout des immigrés, des ouvriers de chantiers, des étudiants, marocains, algériens, tunisiens qui côtoient des juifs séfarades ayant grandi eux aussi avec le « Rossignol du Caire ». La musique transcende la discorde. S’impatientent quelques français connaisseurs, dont un jeune acteur qui deviendra un monstre sacré du cinéma. Beaucoup d’hommes en réalité, et ce n’est pas un détail. Les places se sont vendues à prix d’or. La salle se comble vite.

 

1956. Le Caire. Bouillonnante, foisonnante, électrique, la capitale est le théâtre depuis 30 ans de grands changements politiques : l’expulsion des Britanniques, l’indépendance et le coup d’État des militaires en 1952.  Nasser, le Raïs, chantre du tiers-monde et héraut du panarabisme, est à la tête d’un pays plein d’espoirs. Et le Caire est une promesse, elle est the place to be. Cosmopolite, sensuelle, inspirante, la ville vit son âge d’or artistique. Les cinéastes, chanteurs, starlettes s’y côtoient dans les cabarets. On peut y croiser Mohamed Abdel Waheb, Samia Gamal, Youcef Chahine, Omar Sharif, future grande star internationale, et tant d’autres, qui donneront les lettres de noblesses au cinéma et à la nouvelle musique arabe. Les comédies musicales du Nilwood sont légions et les artistes servent de porte-drapeau au soft power égyptien dans un monde arabe à peine décolonisé, de Casablanca à Bagdad. Le nouveau président le sait et c’est ainsi qu’il se rapproche de celle qu’on nomme déjà là 4e pyramide. À son arrivée dans les années 1920, la jeune Oum Kalsoum rencontre le succès très vite, elle a laissé son déguisement de garçon dans les loges et s’offre depuis triomphante à la ville. La prédiction du cheikh Mohamed s’est avérée juste. Désormais elle brille, à Tanger, Tripoli ou Damas. Son public lui voue une dévotion quasi mystique. Incontournable et déjà iconique, la Diva est au firmament de sa gloire. Nasser vient de faire subir un affront monumental aux Français et au Britanniques lors de la crise de Suez. Auréolé de sa victoire, le Raïs se lie d’amitié avec El Sett, la Dame. Pour lui, elle intègre des hymnes patriotiques, dans son répertoire dominé par la thématique amoureuse,. En 1960, il lui suggère de collaborer avec un autre génie,  le chanteur musicien Mohamed Abdel Wahab. Pour la Voix de l’Orient, l’artiste composera le légendaire « Enta Omri».

 

1964. La Nation arabe. Du Maghreb au Mashrek, l’air chaud est électrique et impatient. Il est 20h. Rabat, Alger, Beyrouth, Kharthoum arrêtent toutes leurs activités pour se précipiter dans les hanouts, échoppes et cafés. On s’y rassemble autour du transistor ou de l’unique télévision du quartier. Les rues se vident littéralement.  À la radio d’État égyptienne, les généraux du comité de la Révolution occupent le premier rang. Des âmes bénies dans le reste de la salle mesurent leur chance de voir leur divinité en chair et en os. Le cénacle d’amoureux impressionne par son nombre. Ses prétendants s’apprêtent à vivre pleinement « Le moment de grâce ». C’est devenu un rituel. Chaque premier jeudi du mois, la Nation arabe a rendez-vous avec leur Bien-aimée. Ce jour-là, Al shaeb arab est suspendue à ses lèvres. Al- Uma retient son souffle. Silence. La garde orchestrale entre en scène. Applaudissements. Clameurs. Sifflements. Les corps s’agitent. Les musiciens virtuoses ouvre le bal. L’orchestre est la sentinelle de la Voix. Oum Kalsoum n’est plus un corps. Mais une voix, une respiration, un rêve. Ça commence. Violons, derbouka, luths résonnent au diapason. Dès les premières notes, la foule frissonne. Le préambule musical tels des préliminaires entre des amants, se veut délicat, lent, long. Crescendo, le désir monte. Ardent, le peuple se contient difficilement. Dans la salle, on entend « Allah Akbar». Le temps s’arrête. Les instruments retiennent la note. La font durer. La tension est érotique. Et soudain, la Voix. Telle une caresse, elle lui souffle un « Habibi» doux et tendre. Le public lui répond « Aaaaaaah !!!» il est au bord de l’évanouissement. Oum Kalsoum a parlé. S’enchaine un corps à un corps fiévreux entre sa Voix et les instruments. La guitare électrique s’alanguit auprès de l’orgue. Les violons frémissent aux sons du kanoun. La derbouka joue des arabesques devant le luth, la flûte murmure secrètement à l’accordéon. Mais c’est à la Voix qu’ils dédient leur symphonie. Et puis silence. Le peuple tremble. La Voix déclame une longue et voluptueuse litanie à son soupirant.  Enta Omri/Tu es ma vie. Oum Kalsoum est une femme amoureuse. Entre deux souffles lascifs, elle récite des vers d’une beauté sans pareil. Kouli Farah echtaka min kablak khayali/Chaque joie dont je me languissais de toi. Dans le creux sinueux des notes, elle fait vibrer chacune de ses syllabes pour retenir son amant. Elle l’aime. Ellayali el hilwa wil shouk wil mahaba/ les belles nuits, le désir, le grand amour. Elle le veut. Elle souffre. Ses gémissements sont à la limite de l’indécence. Enflammé, son chant est à l’acmé du plaisir. Ses auditeurs sont entrés dans une forme d’extase. La Voix androgyne, voilée, sensuelle glisse et pénètre tout leur être. Âmes déchues, ils n’ont pu résister à la tentation de la luxure. Et lorsqu’elle rythme avec insolence, ses longues vocalises par un langoureux Enta ou ana/Toi et moi, ils s’exaltent « Aaaaaaaaah » Quand la Voix leur susurre un suggestif Douk al Houb/Goûte l’amour, ils succombent. Quand enfin jaillit l’ultime Habibi/mon amour, la Voix porte, avec ivresse et ardeur, la dernière vibration, celle de l’abandon final. S’en suit une orgie musicale explosive qui n’en finit plus. C’est l’apothéose. Elle couronne le plaisir suprême. Transcendantale ! La joie hurle, les applaudissements se délectent et la clameur est orgasmique. Essoufflé mais heureux, le peuple vient de vivre la petite mort. Béatitude insolente et gloire au Divin. Oui. La Nation arabe vient de goûter au fameux « Tarab ».

Certains sons (aswât) font qu’on se réjouit, (…) certains excitent (itrâb) et suscitent dans les membres des mouvements de la main, du pied et de la tête, accordés à la mesure ! » disait Al Ghazali au XIe siècle. La chanteuse  fait durer le plaisir aussi longtemps qu’elle le peut. Dans le tarab, l’interprète elle-même vit cet état second, dans ce face à face, avec son public. L’amour, le désir, le plaisir sont vécus dans une commune extase. La flamme consume l’âme et l’esprit qui font corps. Oum Kalsoum n’interprète que deux ou trois chansons mais ses refrains sont prolongés à l’infini. Les hommes sont à ses pieds. L’indigent comme le nabab s’enivre de sa voix suave et rauque, le soldat comme le paysan respire son souffle, le poète comme le musicien boit ses paroles, elle était devenue l’opium du peuple. Ils savent qu’elle est inaccessible. Et pourtant, chacun se persuade que les mots d’amour chantés par la Reine lui est destiné. Lyrique, tragique, théâtrale, Oum Kalsoum sait jouer des mots, des notes et des hommes. Elle les a domptés. Oui, une femme amoureuse est une femme libre et puissante. Une femme musulmane qui plus est. Mais le tarab ne suffit pas à expliquer ce pouvoir hors du commun. Perfection artistique, son secret réside d’abord dans la langue du Coran, l’arabe. Souvenez-vous, le livre sacré avait fait naître l’étoile de l’Orient. L’art de la psalmodie lui a fait découvrir la puissance du Verbe. L’Arabe est la métaphore de l’âme et du Créateur. Lorsqu’elle chantait, Oum Kalsoum puisait dans les profondeurs de la langue, la force du Seigneur. Sa voix aspirait dans chaque quatrain, chaque vers, chaque lettre, chaque accent le souffle divin, et lui donnait une forme accessible aux mortels. Elle rendait ainsi sensible l’Invisible. Sa voix donnait à voir le miracle d’Allah. Et de l’Amour. 

Dans l’histoire des musulmans, pour moi, Khadija et Oum Kalsoum symbolisent, toutes deux, la femme amoureuse par excellence. Et je vous l’ai répété, elles sont des sources d’inspiration incomparables. Dans chaque femme, s’y insuffle la vie. D’ailleurs en arabe, le mot al-rahma, la miséricorde et amour, ne signifie t-il pas rahim, l’utérus. Splendide ! Non seulement, l’arabe est la langue d’Allah, de l’amour, et du sexe. 

Mais définitivement, l’Arabe est la langue de la Femme.  

 

1975. Le Caire. Le 3 février. Cela fait deux heures que le cercueil passe de mains de mains. Couvert du drapeau national, il flotte au-dessus d’un cortège impressionnant d’un 1, 5 km. Les stars de cinéma, les vedettes de la chanson arabe, les dignitaires du pouvoir sont présents. Éplorés mais fidèles jusqu’à la mort, ses musiciens décident de l’accompagner jusqu’à sa dernière demeure, au cimetière El Bassatine. C’est de la folie. La ferveur des cairotes est hors-norme. Et le sacrifice de l’Égypte devant l’autel de la Diva défunte est dramatique : 53 morts. Piétinés par une foule en deuil. C’est Marc-Antoine qui pleure Cléôpatre, des amants maudits. Trois millions de personnes composent la marée humaine. Les anonymes sont anéantis. Leur chagrin est incommensurable. Dans toutes les capitales, la Nation arabe pleure leur Kawkab Acharq. L’espoir suscité par le rêve d’une nation unie s’est éteint en même temps que le porte-voix du panarabisme. Al shaab arab vient de perdre sa bien-aimé. En deuil, beaucoup d’hommes pleurent dans la rue. Le comble de cette histoire d’amour est que la Diva préférait peut-être les femmes. On ne lui connaissait aucune romance officielle, avant de se marier avec son médecin à l’âge de 52 ans. Pourtant les prétendants ne manquaient pas. L’amoureux transi le plus célèbre est le parolier Ahmed Rami. Il lui écrira des centaines de chansons ; dont le chef d’œuvre Rubbayat, les quatrains du poète Omar Khayyam, traduit du perse à l’arabe spécialement pour elle. Les rumeurs sur une éventuelle homosexualité continuent d’être alimentées aujourd’hui. Quelle importance finalement ? Elle est une femme libre. Amoureuse. Immortelle. On nait, on vit, on meurt avec la Voix de Oum Kalsoum.  Son pouvoir a traversé les mers et les continents. Les années et les siècles. Le cœur et les corps. Même Paris sera à ses pieds. Oui aux pieds d’une femme musulmane. Marqué à jamais par « la grande prêtresse du monde islamique », titre France Soir le 14 novembre 1967.

 

1967. Paris. 14 novembre. 2h30 du matin. « Taira echaouki oughani alami/De l’oiseau du désir ardent pour lui chanter ma douleur ». Les applaudissements sont sans fins. Des larmes coulent le long des joues. Les poitrines sont emplies de vibrations. Les esprits sont étourdis d’ivresse. Les âmes vaillantes planent et les cœurs brisés se remettent. Nuit incandescente. L’Olympia venait de vivre un concert historique. Deux soirs de suite. Jamais la salle n’avait veillé aussi tard. Standing-ovation, le public est en trans. La Dame triomphe sur la capitale et  vient de soigner un peuple meurtri d’une plaie encore béante. Quelques mois plus tôt, en juin, les Arabes venaient de perdre la Guerre des Six Jours. Israël occupe désormais la totalité de la Palestine et le Sinaï égyptien. Terrible défaite pour Nasser, l’unité arabe tant rêvée ne sera plus qu’une illusion perdue. La tragédie des Palestiniens vire au cauchemar.  Amoureuse et patriote, Oum Kalsoum décide de céder son cachet pour soutenir le Raïs et la cause arabe. Affectée, la chanteuse débute une tournée dans les capitales arabes pour réconforter le moral des troupes. Des marxistes égyptiens lui ont reproché d’avoir détourné le peuple du combat avec ses chants d’amour. Encore une fois dans l’Histoire, les femmes répondent à l’appel mais sont vite accusés de tous les maux. Mais la Voix des Arabes n’en a que faire : « Nous sommes des fedayins, nous mourons plutôt que de céder», avait-elle déclaré. Et rien de tel que la capitale française, seule escale occidentale, pour faire taire ses détracteurs et graver sa légende. Pour ce grand soir parisien, elle décide de chanter un monument « Al Atlal » les Ruines. Tout un symbole. 

« Ya faoudi la tassal ayna el houa/ Ô mon cœur, ne demande pas où est passé l’amour». « Iskini ouachrab aala atlatlihi /Sers-moi et bois en souvenir de ses ruines ». 

La Diva se tient debout, magistrale et magnétique. Chaque refrain, chaque complainte, chaque mimique entre dans le cœur du public. « Ya habiba zourtou yaouman aykahou/Ô mon amour, j’ai un jour visité le nid. Il lui répond par des cris, des pleurs, des déclamations. Quelques profanes sont subjugués et ne comprennent pas cette communion inédite mais fabuleuse. Parmi eux, un seul saisit la puissance d’Oum Kalsoum et savoure l’extase du tarab. C’est un jeune homme, et c’est Gérard Depardieu. Son cœur chavire, son âme est touchée, il tombe amoureux. L’acteur décide de se convertir à l’Islam. Incroyable. Il confiera plus tard, dans sa biographie « Je me suis retrouvé dans une communion artistique avec elle ». Extraordinaire ! La foule est en émoi. Les spectateurs ne retiennent plus leurs larmes, ni les convulsions de leur corps. Ils tiennent leurs visages, ils chantent, s’assoient, se lèvent. La Voix de l’Orient a réveillé les sens sacrés, elle est allée chercher dans les entrailles de chaque spectateur la dignité, le désir, l’élan de vie, le divin. Elle donnait vie à l’Indicible.

« A-t-il vécu l’amour dans l’ivresse comme nous/Hal ra el houbou soukara mithlana »

Elle est au Septième ciel. Dans son ascension, elle transporte ses fidèles dans une nouvelle dimension. L’Etoile s’est envolée dans le cosmos. Un homme, sous l’effet du tarab probablement, se jette à ses pieds. Il est vite évacué. L’incident ne trouble pas Oum Kalsoum, la Diva continue de chanter. Invincible ! 

Le lendemain ; ces deux concerts feront les titres des journaux « Opulente, indestructible, la voix de velours et de soie, le port pharaonique, c’est Oum Kalsoum l’Egyptienne » affirme le Monde.

« Donne-moi ma liberté et lâche mes mains/Aateni houriati oua tlik yadayya » 

La 4e pyramide a emmené en ce jour historique, son public, ses admirateurs et toute la Nation arabe au sommet. Non seulement elle leur a rendu leur fierté. Mais elle a clamé au monde entier que les Arabes étaient une Nation faite pour l’amour. 

« J’ai tout donné, il ne me reste plus rien/Innani aataytoi ma astab kaytou chaya » 

Sous les vestiges, la reine d’Égypte savoure sa gloire, la scène est son trône, l’Olympia est son royaume. 

Le peuple vient de prêter serment d’allégeance à leur Reine. 

Un serment éternel.

 

Nejwa Mimouni, le 12 février 2021

 

Si vous l’avez ratée, retrouvez ici le premier épisode de notre chronique « « Quand l’Arabe était la langue du sexe» !

 

Crédit image à la une : Nejwa

 

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Diffuse la bonne parole

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Portraits Sentiment amoureux en Islam

Khadija et Oum Kalsoum :  Musulmanes et femmes amoureuses

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Il vaut mieux pour ce cœur de battre

Et dans les flammes de l’amour de brûler

Quelle perte le jour que je passe

Sans que je n’aime et sans que je ne m’éprend 

Oum Kalsoum, Robbayat, 1964

 

En France, on aime à nous dire que l’Amour arabe est pudique, peu démonstratif, silencieux. Et bien permettez-moi, à mon échelle, les lallas de dénoncer, cette pernicieuse affabulation bien occidentale. Oui. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours entendu mon père, chanter des refrains d’amour. À la maison, dans la voiture, lors de veillées nocturnes, mes parents reprenaient en chœur avec leurs amis les mélopées langoureuses d’Oum Kalsoum, d’Abdel Halim Hafez ou de Fayrouz. Au Maroc, les ruelles des vieilles médinas de Meknès ou de Tanger, résonnaient de voix sensuelles des divas arabes émanant des transistors. Je revois encore ces chibanis sur les terrasses, entre deux kass atay, et leur jeu de dames, fredonner l’amour perdu, le vague à l’âme. Les clips très suggestifs des chaînes satellites du Golfe, ou les séries égyptiennes regorgeaient de « habibi » à tout va. « Habibi » par-ci, « habibi » par là. Oui cette pudibonderie excessive et mortifère est avant tout politique ; elle est entretenue par des pouvoirs autoritaires musulmans ; elle leur permet de mieux contrôler les corps en dictature. Cependant, on n’efface pas aussi facilement des siècles de libertinage et de célébration amoureuse. Je l’ai déjà dit, c’est indélébile. C’est dans nos corps et à jamais.

La diaspora arabe du Maghreb en Europe baigne depuis les années 80 dans l’atmosphère érotique des rythmes algériens de Cheb Khaled, de Cheb Hasni ou Cheba Zahouania. Subversif, le Raï chante l’amour, le sexe, l’alcool, l’excès. Les musulmans aiment dire l’Amour. Célébrer l’amour, vivre l’amour, ressentir l’amour. Souffrir d’Amour. Mourir d’amour.

Mais l’amour, aimer, être amoureux, c’est quoi au juste ? « L’amour, puisse Allah te rendre puissant, commence par le badinage et finit par les choses sérieuses » nous dit Ibn Hazm dans le Collier de la Colombe. « Ses divers aspects sont d’une subtilité telle qu’ils échappent à toute description, on n’en saisit la réalité, qu’en les subissant soi-même ». Que j’aime la sagesse d’Ibn Hazm. 

L’histoire arabe des émotions est intense et sacralise l’Amour. Polymorphe, riche, infini, l’état d’Amour est sublimé par une langue qui le porte aux nues. L’arabe dispose de plus d’une soixantaine de déclinaisons pour désigner le sentiment amoureux, affirme Ibn Qayyim, au XVe Siècle, dans le Jardin des amoureux. L’Amour est divin (mahaba) l’Amour est courtois (al-oudhri) L’Amour est sentiment (al-Houb) L’Amour est désir (al-ish’q) L’Amour est passion (al-hawa). L’Amour est brasier (al-houq) L’Amour est tendresse (al-hanane). 

Omnipotent, omniscient, insaisissable, à l’image d’Allah, il offre dans sa magie, une source d’inspirations incroyable aux poètes. Il se compose d’une multitude de partitions selon les temps et les territoires de Daar-el Islam. La manifestation de l’amour arabo-musulman a produit des symphonies aux notes tantôt pures et austères, tantôt brutes et sexuelles. Quelle merveille. Si je m’écoutais, je pourrais vous produire des écrits interminables sur le sentiment amoureux dans l’Islam, sur sa complexité, sur sa multiplicité. Mais j’ai eu envie de vous parler d’amour au féminin. En tant que femme, j’ai eu envie de vous dire qu’aimer au féminin est tellement singulier. Aimer au féminin est aussi politique. Et en tant que femme, musulmane et grande amoureuse, j’avais envie de vous dire comment on aime, combien on aime, pourquoi on aime.

 

Khadija, ou quand l’Islam nait dans les bras d’une femme amoureuse

 

J’aime me promener et me perdre dans les dédales de la poésie arabe ancienne, quelle délectation de croiser la prose suave d’Ibn el Arabi, Ibn Hazm, Tifachi, Nafzaoui. Dans ce labyrinthe exquis, je réalise toutefois que les hommes y dominent sans partage. Où sont les femmes ? Où sont-elles, celles chantant l’amour, leur désir, leur envie de l’autre, du corps, de sexe ? A vrai dire, elles sont bien silencieuses et peu visibles. Je continue à chercher. A-t-on volontairement effacé leurs noms de l’Histoire ? Je partais, au départ, avec l’idée d’évoquer l’amour du point de vue de poétesses musulmanes, (parce que c’est la période de la Saint Valentin), j’avais envie et hâte de vous faire découvrir les quelques précieux trésors de littérature amoureuse de la gente féminine. Mais tout compte fait, je vais réorienter mon article. En raison du temps imparti trop court, j’ai besoin de parfaire mes recherches. Mais j’y reviendrai. Promis. Là, je vais donner une touche plus personnelle, plus intime à mon écrit. Je vais vous conter la vie de deux compagnes sacrées, à qui je dois, en partie, ma délivrance. Je ne les remercierai jamais assez de m’avoir frayée un chemin si jouissif sur l’art d’aimer, et de désirer, au féminin.

 

Dans mon panthéon de femmes qui a façonné mon féminisme, Khadija, illustre mère des croyant.e.s, est sans conteste, ma number one. Première femme à avoir embrassé l’islam, elle a marqué l’Histoire de l’amour. Je vous avoue que je lui voue une admiration sans bornes. Et un profond respect. Nul besoin d’être musulmane pour être fascinée par son destin. C’est une héroïne flamboyante qui susciterait l’admiration de millions de fans aujourd’hui. Romanesque, sa vie fut ponctuée de passions, de drames, de victoires, une vie digne d’un feuilleton à succès. Avec plusieurs saisons et des épisodes palpitants qu’on attendrait avec impatience. Et ce n’est pas une fable. C’est inspiré d’une histoire vraie. Je vous plante le décor. La Mecque. Fin du VI e siècle. Dans une Arabie aride mais prospère, la ville sainte est une escale dans le réseau légendaire des routes de la soie. Khadija Bent Khuywalid, descendante des Quraich et issue de la tribu des Banu Asad, est à la tête d’une entreprise de caravanes. Elle est veuve mais elle a déjà aimé deux fois. Elle s’est mariée d’abord avec Abou Hala, avec qui elle a eu deux enfants Hind et Hala. Elle divorce et convole en noce avec Atiq bin Abed. Il meurt et la laisse avec un enfant Hind. La période est difficile mais elle ne se laisse pas abattre. Cheveux de jais, le port altier, cette aristocrate inspirait la fascination et le respect dans toute la cité. Elle est riche, et elle est réputée pour être une femme d’affaire redoutable. Elle a sous ses ordres des hommes qui assuraient pour elle les transactions et les échanges des marchandises. Un jour, on lui recommande un jeune homme, Muhammad, pour devenir un de ses caravaniers. En dépit d’une lignée prestigieuse, ce bel homme courageux et intègre est pauvre et a besoin de travailler. Ils se rencontrent, et se produit ce qui était écrit, ils tombent amoureux. Ils étaient tous deux faits pour l’amour et pour s’aimer. Mektoub. Imaginez et prenez le temps d’analyser ce réjouissant tableau à l’aune de notre modernité : elle a 40 ans et il en a 25 ; elle est riche, il est pauvre ; elle a connu des hommes, il est encore vierge ; elle a des enfants, il n’en a pas ; elle est sa patronne, il est son employé. C’est une femme, c’est un homme. Exaltant ! C’était d’une avant-garde absolue. Et ça ne s’arrête pas là, Khadija prend les devants et demande la main de son bien-aimé. Fabuleux. Plus encore, elle défie son propre père qui s’oppose au mariage, et selon Tabari, elle le fera boire lors d’un festin, qui, ivre, lui donnera sa bénédiction. Jubilatoire ! Cette dernière précision reste une légende, mais j’adore. Sa témérité, son audace !

Voilà…Le futur Prophète n’a à aucun moment fait fi de ces détails qui froisseraient pourtant l’égo (très) fragile de milliards d’hommes aujourd’hui, en France comme partout dans le monde. Loin de s’interrompre, le destin de Khadija la fait entrer dans l’Histoire. Elle va participer à ce qui va bouleverser l’humanité, la naissance de l’Islam. Son jeune mari, Muhammad a désormais 40 ans, elle 55.  Vers l’an 609, l’ange Gabriel apparaît une première fois et lui révèle qu’il est l’envoyé d’Allah. Effrayé, il craint de sombrer dans la folie, et trouve le réconfort auprès de son épouse. Un Hadith relate « qu’il se blottit entre ses cuisses », elle lui demande alors s’il voit encore l’ange. « Oui », répond-il. Elle le serre contre son sein. « Le vois-tu encore ? » : « Non ». « Alors, c’est un ange ; un ange n’ose jamais s’immiscer entre un homme et sa femme dans une position si intime », assure-t-elle. Chaque apparition de l’archange sera l’occasion de déployer les ailes puissantes et rassurantes d’une femme amoureuse.  Ainsi pour reprendre Fatima Mernissi, « l’Islam débuta dans les bras d’une femme aimante ». Sublime. 

Alors c’est donc ça ? Je viens de saisir. Le mystère autour de cet Islam séculaire qui sublime tant l’amour, les sentiments, le désir, est enfin élucidé. Nul péché originel dans la religion musulmane, mais une vertu originelle. L’amour physique et spirituel entre Khadija et le Prophète sera l’essence de notre foi, et l’immanence du patrimoine littéraire, artistique et religieux de cette nouvelle civilisation. 

Khadija venait de démontrer qu’il était possible de déplacer la perspective de l’état d’amour, prendre le pouvoir et devenir sujet de son désir, en tant que femme. Mais que reste-t-il de cet héritage dans nos vies de musulmanes ? Aujourd’hui, je sais que ma manière d’aimer, ni universelle, ni figée, est le fruit d’une culture, d’une éducation, d’expériences particulières. Surtout dans un environnement dominé par les riches, les hommes, les hétérosexuel.e.s, les cisgenr.e.s, les blanc.he.s, les non musulman.e.s. Aimer n’est pas neutre. Mon histoire a façonné ma féminité, et mon état d’amour. Bien entendu, je réalise en écrivant ces mots que mon filtre d’analyse est hétéronormé et cisgenré. D’ailleurs j’ai longtemps cru qu’aimer, c’était avant tout être l’objet de l’Amour, de l’Autre. Mon état d’amour de femme ne pouvait être complet et total que s’il était initié et approuvé par l’homme. Et dans le cadre du couple, d’un duo exclusif. En France, on m’a appris à être la Juliette de Roméo, la Cendrillon du Prince charmant, la Jasmin d’Aladdin, la Pretty Woman de Richard Gere. Autrement dit, à être une possession. Bien qu’on assiste aujourd’hui, aux balbutiements d’une évolution des mentalités, l’adoubement masculin continue de sceller le pacte amoureux, l’homme convoite, l’homme demande en mariage, l’homme jouit, l’homme conclut l’acte sexuel. C’est d’une outrancière monotonie, d’une obscène tristesse, d’une insupportable injustice. Il suffit de s’attarder sur tout le raffut publicitaire et médiatique autour de la Saint Valentin. Le preux Chevalier propose, la belle dispose. En apparence. On connaît le côté obscur de notre objectivation et le refus de notre agentivité, certains osent l’indécence quand ils nous parlent de « drames amoureux » ou de « crimes passionnels » ; quand il s’agit en réalité de schèmes d’emprise, de perversion narcissique, de violences qui peuvent s’exercer dans le cadre d’une relation de domination cruelle. Et souvent son corollaire est tragique : de trop nombreux féminicides jalonnent l’histoire des femmes, en Occident comme en Orient.  Il est sujet, Elle est objet. Captive. De son amour, de son désir, de sa poésie. De sa violence. Il a droit de vie et de mort sur elle. Notre salut ne peut plus résider dans cette funeste configuration. Notre survie en dépend. Il est temps de s’en libérer. 

 

Pour m’amuser, parfois, je m’imagine renverser la donne. Vous me voyez venir faire la demande, le khatab aux parents de mon futur mari. Lui demander sa main auprès de sa mère. Visualisez la scène : on m’accueillerait avec du thé et des gâteaux ; j’apporterais la dot, signe de ma richesse. Gêné et caché dans la cuisine, il aurait les yeux baissés en attendant l’approbation de la matriarche. 

Plus sérieusement, l’expérience m’a permis  difficilement de m’affranchir d’un système patriarcal qui au final nous maintient, toutes, dans une forme d’asservissement sentimental. Dans mon enfance, j’aurai voulu moins de Cendrillon. Et même moins de Shéhérazade. Honnêtement j’aurai voulu qu’on m’apprenne à être Khadija, au lieu de m’abreuver d’une mythologie romantique centrée sur le désir masculin, avec ces livres, ces contes, ces films mièvres à souhait.  

Oui j’aurais voulu qu’on m’apprenne à être Khadija. A être sujet. L’amour comme empowerment ! Se réapproprier notre corps, notre sexualité fait partie de notre libération. Incontestablement. Être amoureuse, aussi. Dire ses sentiments et les porter à la connaissance de tous, sans tabous, braver les interdits, fait partie de notre chemin vers le pouvoir sur nos vies. 

« l’Islam débuta dans les bras d’une femme aimante ». Quel miracle. Enchanteresse, une femme amoureuse peut changer le monde. Ne l’oubliez jamais. Ce récit aurait pu traverser les siècles et les continents, et servir de boussole à l’humanité entière. Au lieu de ça, elle en fut privée. Un renoncement lié à un coup d’État masculin sur l’Islam. Quelle défaite ! Une capitulation terrible. Il est temps de retourner au combat, sur le front de l’Amour, mes lallas. Pour nous, nos sœurs, nos filles. Être une femme amoureuse ; c’est être une femme libre ; et puissante. 

J’aime, donc je suis. Une femme amoureuse et musulmane.

Je suis consciente que Khadija était en position financière bien confortable pour s’être autorisée à prendre les devants et conquérir le futur Prophète. Et ça pose la question de l’indépendance financière des femmes. Cependant, riche ou pauvre, combien d’hommes aujourd’hui m’autoriseraient à les séduire ? à leur faire la cour ? à leur déclarer ma flamme ? à leur demander un numéro de téléphone ? ou leur faire livrer des fleurs ? ou les inviter au restaurant ? Très peu, et à chaque fois que je m’y suis risquée, et peu importe leur âge, leur croyance, ou leur culture, ils m’ont bien fait comprendre dans un malaise tangible, que cela heurtait leur fierté bien vulnérable.  Quand j’ose renverser les règles du jeu, c’est leur position de « dominants » comme ils aiment à dire, qui est ébranlée. Ben voyons. Je ne vous parle même pas des relations sexuelles, centrées avant tout sur la « sacro-sainte » pénétration masculine. Non définitivement, les hommes redoutent de partager ce pouvoir qu’ils se sont octroyés et de perdre leur exclusivité. Ils ont peur. Car un jour, dans une partie du monde, de l’autre côté de la Méditerranée, il n’y a pas si longtemps, certains d’entre eux ont vendu leur âme, et ont gouté à la domination et à la puissance érotique, 

extatique, 

mystique d’une grande amoureuse. 

Cette femme les a mis à genoux. 

Cette femme les a vaincus.

À terre pourtant, ils en redemandaient encore. 

 

Partie une. La suite arrive…

 

Nejwa Mimouni, le 8 février 2021

 

Si vous l’avez raté, retrouvez ici le premier épisode de notre chronique « Quand l’arabe était la langue du sexe » !

 

Crédit image à la une: Nejwa

 

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(Dé)construction Sentiment amoureux en Islam

Quand l’arabe était la langue du sexe

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« Dieu m’a fait aimer de votre monde, les femmes, le parfum et la prière »

 

Quel doux souvenir, à la bibliothèque, il y a quelques années, lorsque je découvre cette phrase sur une quatrième de couverture. Avant sa mort, le prophète Muhammad (sws) venait de prononcer ce qui a comblé sa vie de croyant. La spiritualité et la jouissance charnelle se conjuguaient intimement dans la foi du Messager. J’avais 14 ans, le livre en question, je crois, évoquait la richesse de la civilisation arabo musulmane. En quête identitaire, l’adolescente que j’étais avait soif de retourner aux sources, et à la fois, s’éveillait aux premiers émois sexuels. Entravée par une injonction familiale à la pureté virginale jusqu’au mariage, nourrie par la Hshouma et le Haram , par une absence totale d’éducation sexuelle à l’école de la République, et une culture occidentale sexiste nourrie par le Male gaze, cette citation venait de me délivrer d’un carcan oppressant. Mes désirs n’étaient ni transgressifs, ni honteux.
« Dieu m’a fait aimer de votre monde, les femmes, le parfum et la prière ».
Ce message était un cadeau, une bénédiction, une promesse.
Une invitation délicate à lever le voile sur les alcôves de l’Islam. Et même un consentement à entrevoir par une porte dérobée, un univers amoureux, voluptueux, sexuel. Un empire des sens intense. Où la femme et ses fantasmes avaient toute leur légitimité. Un empire qui donnera naissance dès le IXe Siècle à une littérature érotique islamique, exceptionnelle, riche, et merveilleuse. Et tout cela, sous la bénédiction d’Allah.

 

 

Dar el Islam, terre promise de l’Amour

 

Dès l’avènement de l’Islam au VIIe Siècle, le désir et le plaisir sont au fondement de la pratique religieuse. « L’acte sexuel qui est accompli par l’un de vous est une aumône » disait le Prophète cité dans un Hadith . Le Coran et particulièrement la Sunna regorgent de conseils explicites sur la manière de faire l’amour, afin d’améliorer les performances sexuelles, ou éloigner les maux qui pourraient nuire aux plaisirs convoités. Les femmes musulmanes n’étaient pas en reste. Le Prophète dit à celui de ses Compagnons qui jeûnait la journée et qui priait la nuit, comme Abd Allah Ibn Amr : « Ton corps a un droit sur toi et ton épouse a un droit sur toi ». Nombreuses à solliciter le Prophète ou ses compagnes, elles étaient à la recherche du plaisir. D’ailleurs une des raisons qui peut justifier le divorce demandé par la femme, est l’impuissance de son mari. Les siècles suivants, la religion ouvre la voie à une littérature foisonnante célébrant la jouissance charnelle et l’extase spirituelle, indissociables. Une littérature amoureuse et pornographique, dont une partie des œuvres étaient des commandes de princes, sultans ou vizirs. L’Orient était devenu la Terre promise du raffinement, de la beauté, de l’Amour. Sous l’ère abbasside, du VIIIe Siècle au XIe Siècle, de Bagdad à Cordoue, en passant par Fès et le Caire, les érudits se devaient de manier l’art de la Science, de la Théologie et du Sexe. Dans ces œuvres, de l’amour courtois à l’érotisme religieux, l’amour est une notion extrêmement riche avec un nuancier complexe. Il regroupe le désir (shawq), la passion amoureuse (mahabba) et la fusion de l’Être aimé avec celui qui l’aime (uns), et inversement. Ce principe de la mahabba (amour de Dieu et de ses attributs) s’applique aussi à l’amour profane. Aimer, s’unir, copuler est une transcendance pour comprendre et aimer Dieu. L’amour terrestre est un avant-goût de l’Éden promis aux fidèles.

« Je pratique la religion de l’amour. Où que se tournent ses caravanes ! Partout c’est l’amour qui est ma religion et ma foi » Ibn al Arabî, dans « l’Interprète des désirs ».

Avec émerveillement, plus tard, lorsque j’étais au lycée, je découvris lors d’un voyage scolaire à l’Institut du monde arabe, dans la librairie, quelques œuvres qui avaient fleuri durant cet âge d’or. Avec mes amies, nous nous sommes empressées de les lire dans le bus, découvrant cette figure insoupçonnée de notre culture. Je me suis plongée dans ces livres à corps perdus, imaginant, mes ancêtres, à l’ombre des minarets, chantant des mélopées d’amour et de désir, et professant la saveur de l’esprit et le goût de la chair. Nous sommes une Nation faite pour l’Amour, disait un proverbe préislamique. Le « Jardin parfumé » est un des recueils les plus illustres. Manuel d’érotologie, qui se propose d’initier aux joies du sexe, répertorie les meilleures positions pour jouir, liste des mets aphrodisiaques utiles et agrémente l’œuvre de contes imagés. Muhammad Al-Nafzawi, érudit tunisien, s’adresse aux hommes, et aux femmes et débute son livre par « Louange à Allah, qui a fait le grand plaisir pour l’homme réside dans le huis de la femme, et que le grand plaisir de la femme, réside dans l’instrument de l’homme ». Faire l’amour, et bien, c’est rendre grâce au Créateur. Encore, j’ai envie de vous parler du « Bréviaire arabe de l’Amour » ou « Le Collier de la Colombe », et tant d’autres. Mais exhumer l’héritage de cette bibliothèque prolifique et en faire l’inventaire serait interminable et mériterait une kyrielle d’articles, sur des œuvres phares. « Toutes ces œuvres mis bout à bout, représentent sans doute la mieux fournie du monde arabo- musulman, bien avant celle des Sciences, de l’architecture, ou de la calligraphie, et tout de suite après le Corpus coranique et ses exégèses » disait feu Malek Chebel. C’est dire.

 

 

Manifeste pour une Révolution du plaisir des femmes musulmanes

 

Et les femmes dans cette littérature avant tout masculine ? Celle-ci s’est d’abord nourrie de la séparation stricte des sexes. Dans la « femme dans l’inconscient musulman », Fatima Mernissi définit une femme omnisexuelle et surpuissante, dans le discours érotique médiéval, libre mais dangereuse, car insatiable. Elle jouit et procrée, une double menace pour l’homme. Cependant, l’anthropologue marocaine reconnaît aux imams du désir « le courage, la témérité d’affronter ce fantasme du féminin, désirant et fertile par sa sensualité ». Aujourd’hui que reste-t-il de cet érotisme dans notre intime et dans notre culture ? Soyons honnêtes, depuis la colonisation, dans une majorité de pays musulmans, désormais les interdits rythment les rapports sociaux et emprisonnent les corps. Pourtant, elle subsiste, et je la ressens, depuis toute petite, cette sensualité millénaire, dans notre communauté, chez mes parents, dans les corps nus et libres des hammams, dans les longues complaintes d’Oum Kalsoum quand elle chante les Rubayât d’Omar Khayyâm. Les sens ne demandent qu’à être éveillés et assumés. Des siècles d’amour et de sexe ne peuvent qu’être indélébiles dans nos corps et nos esprits, et à jamais. Quelques écrivains audacieux contemporains, femmes notamment, dans le monde arabe, ont remis au goût du jour cette littérature sensuelle, osée, parfois scandaleuse. Je pense, à la syrienne, Salwa Al Neimi, et son délictueux, la « Preuve par le miel », qui met ces textes érotiques en écho à ses propres désirs. Ou au plus sombre « Fracture du désir » de la marocaine Rajae Benshemsi, recueil de nouvelles qui racontent le destin tragique de femmes. Ou le sulfureux « L’amande » de Nedjma.

Et en France. En Occident ? Nous musulmanes ? Redonnons une visibilité sans honte et sans ambages à ce merveilleux patrimoine. Réapproprions-nous ce trésor inestimable de sensualité. Avant qu’on nous approprie cet héritage en effaçant l’origine du monde sexuel islamique. Profitons pour l’opposer à une pornographie occidentale dépassée, raciste, sexiste et, via un cinéma pornographique viriliste, violent, ou seul le corps blanc, valide et mince serait désirant et désirable. Une esthétique consommable et jetable, qui inonde les plates-formes dédiées au sexe, et qui sert de lieu d’éducation sexuelle à des milliards d’hommes et de femmes à travers le monde. La sexualité mainstream, monotone et monochrome est devenue la norme mondiale, imposant une standardisation des pratiques sexuelles. Les corps non blancs sont fétichisés, méprisés ou invisibilisés. Le sexe n’est-il pas devenu un des aspects de l’argumentaire qu’opposent les détracteurs de l’Islam pour lui signifier sa barbarie ? La femme arabe, son corps, est devenu un enjeu de civilisation qui justifie les attaques islamophobes. Fantasmée depuis que l’Occident a cédé aux délires orientalistes, l’odalisque alanguie rêvée depuis les Croisades a été remplacée par la « beurette », fétichisme ethnique la plus recherchée dans les sites de pornographie français. La beurette qu’on doit « dévoiler » et « libérer » mais s’approprier.

Le corps est politique, le sexe est politique.

Armons-nous de cet héritage précieux pour reprendre le pouvoir.

L’idée que les hommes seraient plus gourmands que les femmes confortent définitivement les inégalités sociales et politiques entre les sexes et élucide la domination masculine. Pire, la tragédie de notre sexe puise sa justification dans l’angoisse universelle des hommes que puissent mieux jouir les femmes.
Réinventons notre sexualité. Ressuscitons cette littérature. Redonnons des mots à nos désirs. Comblons ce vide. Nous femmes, musulmanes, prenons le pouvoir, et cultivons notre érotisme, assumons nos plaisirs, au service d’une sexualité libre, multiple, et savoureuse. Face aux hommes, à tous les hommes.

Avec ou sans eux.

 

 

Crédit photo : @comepictlove

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« C’est un mur ! » : Le vaginisme

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Ceci est mon humble témoignage sur la manière dont j’ai vécu mon vaginisme, comment j’en ai pris conscience et comment j’ai réussi ce combat contre moi-même – contre mon propre corps et mon propre esprit, en quelque sorte.

 

D’abord, le vaginisme c’est la contraction des muscles du plancher pelvien qui entourent l’ouverture du vagin. Concrètement, pour moi au début, rien ne passait. Tous mes muscles se contractaient. Mon corps se crispait sans que je ne parvienne à me détendre. C’était une réaction épidermique. Je n’arrivais  pas à contrôler mon corps.

Hamdoulilah, cette période est terminée.

Mais ça en a mis du temps…

 

Commençons.

J’ai eu ma première relation sexuelle avec l’homme que je venais d’épouser quelques jours après mon mariage. La journée du mariage a été tellement épuisante que la seule chose qu’on a fait en rentrant, c’est prendre une douche et ronfler. La nuit de noces ne s’est pas exactement passée comme dans les films.

Après quelques jours de repos, première tentative : clairement, on se rend compte que ce n’est pas non plus comme dans les films. J’en ai envie mais je me crispe très fort. Je suis presque tétanisée. Je demande à mon mari de forcer. Je me dis tant pis si ça fait mal. Il tente et là, sa phrase : « C’est un mur ». Avant même qu’il me le dise, je l’avais senti.

 

On réessaye quelques fois et c’est la même chose, voire pire.

 

C’est bien pire en fait. 

Parce que je développe une grosse appréhension des relations sexuelles, la peur d’un autre échec, encore plus de frustrations, plus de culpabilité de mon côté vis-à-vis de mon mari, même s’il n’a jamais été dans le reproche et qu’il a fait preuve d’une rare patience.

 

Bref, on n’y arrive pas. Plutôt, je n’arrive pas à me détendre. On stagne. Et je me complais dans cette situation. Je me dis que c’est pas si grave, que ça va passer avec le temps et que même si ça ne passe pas, on a développé une sexualité un peu différente des autres. 

 

On se renseigne quand même tous les deux, chacun de son côté. Je vais voir une première gynécologue qui me conseille de me détendre, que c’est normal d’être crispée et qu’il faudrait que je boive «  un peu d’alcool pour arrêter de trop réfléchir ». Cette gynécologue était incompétente.

 

J’en parle à ma mère qui me confie qu’elle a eu le même problème. Elle me raconte que c’est l’hymen qui bloque. Encore une des nombreuses légendes à démystifier sur la sexualité ! Elle me conseille d’aller voir une autre gynécologue. Je prends rendez-vous. Je choisis une gynécologue avec un nom à consonance arabe en espérant que celle-ci me comprenne davantage que la précédente. 

 

Arrivée au cabinet, je lui explique ce qui ne va pas. Elle est très compréhensive. Elle m’écoute. Elle me regarde sans me toucher. Mon hymen est normal. Elle me demande si elle peut m’ausculter. Je suis rassurée donc j’accepte. Elle me dit que je peux l’interrompre dès que je le souhaite. Je me crispe, c’est douloureux, mais je suis en confiance. Elle m’explique que je n’ai pas de pathologie, mon périnée est très tonique, c’est lui qui bloque. Mon problème est psychologique, il faut que je fasse un travail sur moi-même. 

 

Le nom du vaginisme n’est pas encore posé.

 

C’est mon mari qui m’envoie un article parlant de vaginisme. Et je me reconnais totalement dans ce qui est expliqué : le mur !

 

Le diagnostic étant posé, il s’avère qu’il n’y a pas de médicament. Ce serait trop facile. 

 

Il faut surtout que je fasse un travail d’introspection, que je comprenne pourquoi mon corps fait ce blocage. Et à vrai dire, au début, je ne comprenais vraiment pas pourquoi. Lorsque je lisais les très rares témoignages sur Internet, j’avais l’impression que les personnes concernées avaient intégré dans leur cercle familial le gros tabou autour de la sexualité et de la virginité de la femme, très importante dans beaucoup de familles maghrébines. Le problème était que ce n’était pas mon cas. Nous sommes une famille nombreuse mais pas vraiment traditionaliste. J’ai grandi dans un cercle de femmes avec ma mère et mes sœurs. Pas d’hommes à la maison. Et même dans le cercle élargi de la famille qui comprenait des hommes – mes oncles surtout –, ils n’étaient pas dans le contrôle avec nous. 

 

Je fais partie d’une famille où l’on s’habille comme on veut. Le voile ou la jupe, chacun son choix. Très peu de jugement et une diversité de pratiques religieuses. Le prétexte de la « hchouma » ou du « hebb » propres aux sociétés maghrébines, n’a pas été beaucoup évoqué durant mon enfance et mon adolescence. J’ai pu parler plutôt librement de mes règles, de mes seins qui poussaient, de copains (ou petits copains) avec mes tantes et mes cousines (j’ai même regardé l’Île de la tentation avec ma jeune tante. On était fan et je ne suis pas fière…).

 

Bref, tout ça pour dire que lorsque j’ai commencé à grandir, je savais que spirituellement la virginité était importante aux yeux d’Allah. D’ailleurs, je me rendais déjà compte de l’hypocrisie de notre société quant à la différence de traitement à propos de la virginité des hommes et des femmes. Mais je n’avais pas cette épée de Damoclès au-dessus de ma tête où l’honneur et la réputation de toute ma famille, des générations passées et futures dépendait de ma virginité. C’est ridicule ! Et dans ma famille, personne ne m’a jamais fait sentir que c’était le cas. 

 

Par conséquent, je suis partie à ma nuit de noces plutôt sereine, plutôt tranquillou. J’ai vite compris que ça n’allait pas être aussi simple.

 

Lorsque j’ai éliminé la thèse de la hchouma qui s’était ancrée en moi, je me suis vraiment demandé ce qui créait ce blocage. Je ne m’étais jamais dit que la sexualité était sale. Pour moi, il ne devait pas y avoir de tabou entre mariés. La question du plaisir réciproque était très importante. Et avec mon mari, qui était à l’époque mon petit copain, on parlait sexualité aussi. Donc j’ai eu du mal à comprendre.

 

Et c’est au fur et à mesure de vivre au quotidien avec mon mari, que je me suis rendue compte que mon problème n’était pas une « socialisation de la hchouma ». Je me suis rendue compte que je ne connaissais pas mon corps, que la partie de l’adolescence où l’on se découvre physiquement et surtout où on n’apprend à aimer son corps, cette partie-là je l’avais complètement mise de côté. Dommage pour moi, c’est important de connaître un minimum son corps lorsqu’on découvre la sexualité. Et ce n’était pas mon cas. Bizarrement, je n’avais pas de complexe physique. Je ne me trouvais pas sublime mais je trouvais que mon corps était en fait plutôt neutre. Donc je me mettais en bikini et en jupe sans aucun problème. Mais par contre, je ne supportais pas d’être nue et surtout de me voir nue. Lorsque j’allais pour me laver, je me dépêchais d’enlever mes habits pour vite passer sous l’eau, la douche étant l’endroit où je pouvais être nue sans que cela me dérange. Puis, lorsqu’on découvre la sexualité, c’est important aussi de savoir ce qui se passe à l’intérieur, comment on est constituée. Je savais à quoi ressemblait un pénis, mais pas une vulve. J’avais encore du mal à faire la différence entre un vagin et un utérus. J’étais très mal à l’aise lorsque je m’épilais le maillot. Pour moi, toutes ces choses étaient normales. Je pensais que j’avais un rapport à mon corps un peu compliqué mais pas plus que la plupart des personnes. C’est lorsque j’ai vécu avec mon mari, qui était très à l’aise avec son corps, que je me suis rendue compte que ce n’était pas normal. Même si c’est très différent puisque c’est un homme. C’est lui qui m’a fait remarquer toutes ces petites choses, qui ne sont presque rien mais qui, accumulées, ont créé un gros blocage : mon vaginisme.

 

Lorsque j’ai réussi à identifier la cause du problème, il a fallu mettre en place  tout un travail de changement d’habitudes et d’introspection sur mon rapport à mon corps pour en finir avec mon vaginisme. Ce travail ne s’est pas fait du jour au lendemain, mais à travers plein de petites actions qui m’ont permis de mieux connaître mon corps et surtout d’être plus à l’aise avec lui. Toutes ces petites actions se sont traduites progressivement par une sexualité de plus en plus libre et de plus en plus facile. Pour arriver finalement à passer outre mon vaginisme. Hamdoulilah.  

 

Aujourd’hui j’ai des enfants, hamdoulilah, et je sais que mon éducation sera très importante pour qu’ils apprennent à connaître leurs corps et qu’ils soient à l’aise avec. Cette éducation se fait avant tout  en éliminant toute mention à la hchouma, ce mot qui sert de prétexte à toute interdiction et lorsqu’on demande des précisions sur le pourquoi, on nous répond « Parce que c’est hchouma, POINT ». Mais elle se fonde aussi sur l’importance de pouvoir parler de tout avec mes enfants, de sexualité, de porno, de masturbation, de règles, de désir… Il faut que mes enfants sachent que je suis présente pour la moindre question, même les sujets les plus gênants. 

 

 

Crédit photo image à la une: @annemarielea_geburtsfotografin

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