Récit de lutte en Belgique : le port du voile dans l’enseignement supérieur

par | 31/03/21 | (Dé)construction

Le 4 juin 2020, la Cour constitutionnelle autorise l’interdiction du port des signes convictionnels dans les établissements d’enseignement supérieur en Belgique. Une décision de justice accueillie avec «mécontentement et surtout incompréhension » de la part des étudiantes musulmanes belges «scandalisées » et des militant.e.s du plat pays. « Une colère, une frustration et une déception » qui vont pousser environ 4 000 personnes au Mont des Arts, à Bruxelles, le 5 juillet 2020, afin de protester contre l’arrêt constitutionnel. Le 16 janvier 2021, Wallonie-Bruxelles Enseignement annonce l’autorisation du port des signes convictionnels dans ses établissements supérieurs à compter de septembre 2021. Mais que s’est-il passé entre ces dates-clés ? Quels sont les collectifs qui se cachent derrière cette lutte ? Retour sur ce récit de lutte en pays voisin.

« Il y beaucoup d’initiatives et d’efforts complémentaires qui sont faits et ça ne peut qu’être bénéfique pour la lutte. », Sarah Tulkens-Azami, fondatrice de la plateforme Belges Comme Vous.

« Il faut savoir qu’avant nous, il y a eu des femmes qui ont fait des actions. Après nous, il y a des gens qui ont fait des actions et c’est l’addition de toutes ces actions-là qui fait qu’on a réussi à avoir une nouvelle positive le 16 janvier. », Souheila Amri, membre du collectif Imazi Reine.

Chez Lallab, nous avons conscience que nos combats sont l’héritage des luttes qui nous ont précédées et que d’autres nous ont ouvert la voie. Au-delà de la sororité internationale, il s’agit ici de mettre en lumière le combat de ces femmes musulmanes et allié.e.s belges qui, comme tout récit de lutte, constitue pour nous un véritable outil de pouvoir inspirant. Et pour ce faire, rien de tel que de leur laisser la parole pour raconter le pan de l’Histoire à laquelle elles ont participé.

 

« On a une décision légale qui légitimise l’interdiction du port du voile. »

« Avec une décision légale qui dit [aux établissements supérieurs], vous avez le droit d’interdire [les signes convictionnels], certaines écoles vont choisir d’interdire et sortir la décision de la Cour constitutionnelle. Connaissant le climat en Belgique, c’était extrêmement dangereux comme décision.», Souheila Amri, membre du collectif Imazi Reine.

« La plus haute juridiction du plat pays participe à la banalisation et à la légalisation de l’islamophobie ambiante. Au sein du collectif, nous trouvons cet arrêt islamophobe, sexiste et paternaliste. Nous sommes des femmes adultes qui pouvons disposer de notre liberté de nous vêtir comme nous le souhaitons. », Imane Nachat, porte-parole du collectif Les 100 diplômées.

« Étant donné qu’on a dû faire face à de l’islamophobie dans le milieu de l’enseignement supérieur et qu’on nous a refusé certaines formations parce qu’on porte le foulard, lire qu’on puisse se réjouir de l’exclusion de tant de femmes, […] se réjouir qu’on écrase [leurs] ambitions, c’était trop douloureux et on n’a simplement pas accepté de rester silencieuses, surtout parce qu’on savait qu’on n’était absolument pas des cas isolés. », Sarah Tulkens-Azami, fondatrice de la plateforme Belges comme vous.

« On a consulté nos étudiants et étudiantes qui nous ont dit, à une grande majorité, on veut continuer à le garder et d’un autre côté, on veut bien pouvoir le porter et c’est de là qu’est né le combat. […] On s’est saisi de cette problématique, d’une part, par souci d’uniformisation du respect du règlement et d’autre part, pour écouter les étudiant.e.s et par la même occasion, pousser vers l’inclusion et non l’exclusion. », Leïla El Guenouni, co-présidente du Conseil des Etudiants de la Haute Ecole Bruxelles-Brabant – CEHE2B.

 

« On a voulu réagir. »

« Le mouvement #HijabisFightBack est né de l’initiative de quatre jeunes femmes étudiantes scandalisées [Fatima Zohra et Souheila du collectif Imazi Reine, Sarah de la plateforme Belges comme vous et Selma du collectif La Cinquième vague]. Toutes les quatre, […] on a fini par se concerter et c’est là que l’idée de lancer la campagne a pris forme le 12 juin. […] C’était deux choses : un appel à témoignages et une manifestation. Pour ce qui est des témoignages, on a dit aux femmes concernées de nous les envoyer ou de les poster sur les réseaux avec le hashtag #HijabisFightBack. On a tout archivé et ce sera bientôt posté sur une plate-forme dédiée. […] Notre but, c’était surtout de faire assez de bruit pour qu’on soit contraint de nous écouter. […] Instinctivement on s’est tournées vers le CCIB [Collectif contre l’islamophobie en Belgique] évidemment, mais aussi vers les associations féministes d’une part et les associations anti-racistes de l’autre. », Sarah Tulkens-Azami, fondatrice de la plateforme Belges Comme Vous.

« Ce qui revient très souvent dans les débats autour du foulard, c’est cette idée de ce que ça représente, ce que ça peut avoir comme impact dans la société… tout en oubliant que derrière tout ça, il y a des femmes, des vécus. On voulait vraiment mettre en lumière ces vécus-là pour montrer les conséquences directes de ce genre d’arrêtés. […] Tout ce qui est de l’ordre de la campagne sur les réseaux sociaux, c’est nous quatre […], mais la portée du message n’aurait pas été la même sans tous les gens qui ont travaillé derrière. On a eu des centaines de bénévoles qui sont venus à la manifestation pour encadrer le tout. C’est vraiment là où on s’est rendu compte à quel point cette question était brûlante. Il y avait des gens – et on en fait aussi partie – qui en ont marre de cette situation. On a eu cette mobilisation collective de toutes les personnes qui veulent faire changer les choses. Et c’est encore le cas. Là, on est en train de parler, je suis sûre qu’il y a des gens qui organisent des choses pour essayer de faire avancer la situation.[…] Il y a des femmes avec qui on a travaillé, avec qui on a parlé pendant le mouvement qui sont sur le terrain depuis dix ans sur la même question.», Souheila Amri, membre du collectif Imazi Reine.

« Tout est parti d’une invitation des organisatrices de la manifestation Hijabis Fight Back […]. Ces jeunes militantes ont proposé à une de leur aînée un espace pour prononcer un discours lors de la manifestation. Après réflexion, s’est posée la question de la pertinence de tenir un énième discours sur la question : un exemple valait mieux qu’un long discours. Pour  cette raison, l’idée a été lancée de mener une action symbolique : réunir cent femmes qui portent le foulard et qui, en dépit des difficultés, ont réussi à décrocher un diplôme, voire plusieurs. […] Les images de ces cent femmes coiffées de leur foulard et de leur toque de diplomation qui se tenaient debout sur les marches du Mont des Arts, à proximité de la Cour Constitutionnelle, en solidarité avec leurs petites sœurs, a connu un relai médiatique inespéré. […] Aujourd’hui, nous  agissons sur plusieurs leviers : politique, médiatique et de sensibilisation. Nous interpellons les politiques à travers un processus de lobbying et de mentoring, nous occupons l’espace médiatique quand l’occasion nous est donnée, et nous faisons un travail de sensibilisation à travers le relai de témoignages. […] Cette récente décision de la Fédération Wallonie-Bruxelles d’autoriser le port de signes convictionnels dans son réseau, y compris le foulard donc, est une avancée, mais la lutte continue.», Imane Nachat, porte-parole du collectif Les 100 diplômées.

 

« Ça ne va pas supprimer les profs islamophobes, mais ils auront moins d’arguments. »

« En Belgique, on a une situation un peu complexe, dans le sens où il n’y a pas d’interdiction stricte et étatique du port du foulard dans les écoles, que ce soit dans les écoles du secondaire ou du supérieur. En gros, l’Etat a décidé de donner cette responsabilité aux différents établissements et il y a différents réseaux. », Souheila Amri, membre du collectif Imazi Reine.

« Au moment de la fusion [de la Haute École Bruxelles-Brabant – HE2B] entre la Haute École de Bruxelles où les signes convictionnels étaient interdits et la Haute École Paul Henri Spaak où ils étaient autorisés dans certains campus, ils ont indiqué dans le règlement que les signes ostentatoires philosophiques, politiques et religieux étaient interdits. On s’est retrouvés avec certains campus qui continuaient à autoriser les signes convictionnels et d’autres campus qui les interdisaient. », Leïla El Guenouni, co-présidente du Conseil des Etudiants de la Haute École Bruxelles-Brabant – CEHE2B.

« Nous avons demandé que le règlement soit appliqué partout de la même manière, en appliquant l’inclusion. Il y alors eu des débats, des réflexions […] et en septembre 2020, durant le conseil d’administration, au moment de voter le règlement des études, nous avons décidé de voter contre et avons réclamé l’uniformisation inclusive […]. Comme nous n’arrivions pas à trouver un consensus, le commissaire délégué du gouvernement a conseillé de renvoyer ce point à notre pouvoir organisateur, Wallonie-Bruxelles Enseignement, pour que la question soit tranchée pour l’ensemble de ses établissements. Nous avons accepté que le point soit envoyé et avons demandé que notre note de position soit envoyée. », Raoul Thelen, ancien président du Conseil des Etudiants de la Haute Ecole Bruxelles-Brabant – CEHE2B.

« Les suites des discussions ont débouché sur une levée de l’interdiction généralisée pour [tous les établissements] de ce réseau-là. Il y a encore toute une série de règlements de certaines Hautes Écoles en Belgique qui continuent d’infantiliser ces femmes adultes en leur interdisant de porter ce qu’elles souhaitent. », Imane Nachat, porte-parole du collectif Les 100 diplômées.

« Le réseau Wallonie-Bruxelles a essentiellement des Hautes Écoles et des écoles de promotion sociale, ce qui représente […] une vingtaine d’établissements. […] Donc c’est toujours une nouvelle qu’on accueille positivement. […] Même si c’est une portion d’établissements à l’échelle du territoire belge, c’est quand même des milliers d’étudiantes qui vont voir la liste de possibilités s’allonger. Là où certaines femmes se tournaient clairement vers des établissements parce qu’elle voulait garder leurs foulards, ce sera toujours le cas malheureusement, mais la liste s’allonge et elles ont plus d’opportunités. […] Notre plus grosse victoire, c’est peut-être le fait que quand on a organisé cette manifestation et qu’on a assumé nos identités pleinement, publiquement, on a eu des jeunes filles et peut-être même plus âgées, en tout cas des femmes qui n’avaient pas forcément honte de leurs identités, mais à qui on renvoyait tellement d’images négatives de leurs identités qu’elles avaient peur de s’exprimer là-dessus. […] Être à la manifestation et voir qu’il y a un tel engouement sur une question qui nous touche personnellement, se sentir réellement soutenues par des femmes qui nous ressemblent ou pas, par peu d’hommes, mais il y en avait quand même, ça a été une expérience positive pour beaucoup et là, on est peut-être plus dans l’ordre du symbolique, du sentiment personnel, mais je pense que c’est aussi un aspect important.», Souheila Amri, membre du collectif Imazi Reine.

« On a pu faire assez de bruit pour que plus de personnes s’intéressent et s’interrogent sur les réalités de vie des femmes qui portent le foulard en Belgique. Mais on est aussi conscientes que ce n’est que le début et qu’on devra faire bien plus pour arriver aux victoires qu’on espère.», Sarah Tulkens-Azami, fondatrice de la plateforme Belges Comme Vous.

Si vous voulez en savoir davantage sur les collectifs de femmes musulmanes mentionnés, retrouvez prochainement les interviews intégrales de de Sarah Tulkens-Azami de la plateforme Belges Comme Vous, Souheila Amri du collectif Imazi Reine et d’Imane Nachat du collectif Les 100 diplômées

Crédit image à la Une : Illustration de Myriam’s Arts

 

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