Quelle place pour la religion dans les centres hospitaliers ?

par | 22/02/17 | (Dé)construction

 

Je suis kinésithérapeute depuis presque 10 ans. J’ai essentiellement travaillé en service de réanimation pédiatrique. J’ai accompagné beaucoup d’enfants en fin de vie. Dans cet univers à part qu’est la réanimation, la peur de perdre un être cher fait rejaillir, plus que dans d’autres services, la notion de spiritualité, de religion. Cela devient, pour la plupart des familles, une force, un pilier auquel s’accrocher durant ces lourdes épreuves. J’ai croisé de nombreuses Bibles, Coran ou Torah sous les oreillers, entendu de nombreux versets récités, de prières murmurées…

 

Alors évidemment, lorsque l’espace Ethique Ile-de-France propose un débat sur « la laïcité à l’épreuve des pratiques soignantes », je fonce. Kiné et croyante, je me sens totalement concernée. Mais quelle déception : aucune des présentations, aucun des échanges ne parlait de mon quotidien. Seule une question de Blanche, étudiante en 3ème année de médecine, chrétienne, relance le débat. Elle demande :

Une patiente en fin de vie me dit qu’elle est chrétienne, qu’elle n’a pas peur de la mort et qu’elle va rejoindre son mari. Ai-je le droit de lui dire que je suis aussi chrétienne et que je la comprends ? Je souhaite préserver le lien de confiance qui s’est tissé entre nous.

La seule réponse qu’elle obtient ce jour-là est : « Je ne sais pas si juridiquement, tu as le droit ». Je me faufile à la fin du débat et nous restons discuter. Le directeur nous repère. Et c’est ainsi que la fois suivante, nous nous retrouvons toutes les deux sur l’estrade, à parler de notre réalité.

 

En théorie…

 

Pour débuter ce nouveau débat, je rappelle que la laïcité englobe la liberté de croire et de ne pas croire, l’indépendance et la neutralité de l’Etat et donc du service public qui s’impose aux agents (mais non aux usagers) et la notion de citoyenneté des Français.es égaux.les en droits et en devoirs, peu importe leurs identités, leur religion, sans discrimination.

Plusieurs documents sur la laïcité à l’hôpital donnent des réponses plutôt pragmatiques [1]. Elles sont liées à une écoute mutuelle entre les soignant.e.s et les patient.e.s « dans le respect de leurs croyances » et en « prenant en compte les convictions de ses usagers ». Une neutralité des soignant.e.s et une absence de prosélytisme de la part des soignant.e.s et des soigné.e.s est attendue.

Le principe de neutralité veut-il pour autant dire totalement nous nier ? Comment peut-on être un.e bon.ne soignant.e en se « soi-niant » ?

Mais à croire la juriste dans la salle, parler de religion à l’hôpital, « c’est mal et c’est non ». Elle n’arrête pas de nous parler du cadre, de la loi, des règles. J’ai comme une envie de l’inviter à passer une journée avec moi…

De la théorie à la pratique, il y a un fossé. Un gouffre. Les soignant.e.s comme les soigné.e.s ont des droits et des devoirs que les deux parties ignorent. Et en raison de fausses conceptions de la laïcité et du prosélytisme, on se retrouve dans des tabous parfois mortels. Pour information, le mot prosélytisme signifie : « Un zèle pour recruter de nouveaux adeptes, pour imposer son point de vue. » On a de la marge…
 
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En pratique : 5 exemples de cas où la religion a pu apaiser…

 

1) Il y a cet ado atteint d’une maladie grave, à qui ce médecin athée cite des versets du Coran. Grâce à cela, il lui a fait comprendre que dans son cas, sa religion l’autorisait à ne pas jeûner pendant ce mois de Ramadan.

2) Je me souviens de cette mère, dont l’enfant a été renversé par une voiture, dans un coma artificiel. Je lui propose de voir Murielle, notre psychologue, mais elle me répond, le sourire aux lèvres et apaisée : « Je suis un serviteur de Dieu. Je m’en remets à Lui. C’est Lui qui décide ». Pour être honnête, vu le pronostic de ce jeune garçon, sa réponse m’a rassurée. Pour la petite histoire, ce jeune garçon a pu sortir du coma, puis rebouger… un 25 décembre !

3) Et puis, cette maman d’une petite fille de 5 ans, en attente de greffe cardiaque, à qui je demande : « Est-ce que je peux faire quelque chose de plus pour vous aider ? ». Elle me répond : « S’il vous plaît, priez pour elle ». Alors, je lui ai dit oui, « Je prierai pour elle » et je l’ai fait.

4) Dans les services où j’ai travaillé, nous avions l’habitude d’accompagner les parents jusqu’au bout et parfois donc, jusqu’à la levée du corps. Il y a cette triste histoire, d’un bébé dont les parents sont de confession musulmane, décédé à à peine un an. Dans la religion musulmane, un enfant qui décède avant l’âge de 7 ans est considéré comme allant directement au Paradis. Sachant cela, je me suis permis de le rappeler aux parents au moment de la présentation du corps. La maman a souri à travers ses larmes et m’a dit « Merci ».

5) Une médecin diabétologue dans la salle raconte :

Une de mes patientes est arrivée 4 fois en réanimation, car elle ne prenait pas son insuline. Et ce n’est qu’au bout de cette 4ème fois que j’ai compris qu’elle pensait être possédée.

En questionnant les croyances de sa patiente, elle lui a sauvé la vie !

 

Alors, chère Blanche, quand tu réponds à cette vieille dame que toi aussi, tu es chrétienne et que oui, tu comprends son sentiment de paix à l’idée de rejoindre son mari décédé, je crois que tu fais bien. Je ne crois pas que cela ait à voir avec un quelconque prosélytisme que de répondre, d’écouter ou plutôt d’entendre ce que cette vieille dame avait à partager. Blanche me répond :

Si j’avais été musulmane, cela n’aurait peut-être pas été pris de la même manière.

Passons…

Le mot valise de laïcité, peu expliqué à l’hôpital, n’a pas donné un cadre aux pratiques religieuses, mais en a fait un tabou ! Pour info, sur les 350 étudiant.e.s de la promotion de Blanche, 6 futur.e.s médecins seulement ont assisté au cours sur l’éthique. Tous les ans, une journée obligatoire de sécurité incendie est organisée pour le personnel de l’hôpital. Ne pourrions-nous pas aussi avoir droit à une journée sur la laïcité ?

 

Et si nous pensions d’abord aux patient.e.s ?

 

Lors de ce débat, j’ai appris qu’un.e patient.e dans sa chambre est dans son espace privé. Dans la mesure du possible, les soins doivent respecter ses heures de prières si il.elle le demande.

Des consultations de religion/spiritualité existent dans d’autres pays (Belgique, Suisse, Canada) depuis bien longtemps. Alors qu’ici dans l’anamnèse (le récit des antécédents médicaux) du ou de la patient.e, aucune case sur la religion ! Pourtant, ce sont des vies qui sont en jeu !

Heureusement, il existe une initiative en France, celle du Dr Paul Atlan, gynécologue et psychiatre qui a ouvert la consultation « Ethique et religion ». Elle s’adresse aux femmes enceintes ou voulant avoir un enfant. Ces femmes n’arrivent pas à se positionner sur ce qu’elles ont le « droit de faire » (en particulier pour la fécondation médicalement assistée ou l’interruption médicale de grossesse). Comme il le dit, « un patient, c’est un tout ». Il les entend dans le respect de leurs croyances. Parfois, les patient.e.s ne sont pas informé.e.s et s’interdisent des choses qui, dans des situations d’urgence vitale, ne sont pas interdites par leur religion.

Malheureusement, niveau respect et tolérance, les soignant.e.s n’ont pas toujours les mots les plus tendres…

Il y a cette maman, 10 enfants, dont 4 en situation de handicap. Une de mes collègues me dit : « On devrait la signaler aux services sociaux. Ce devrait être interdit de pouvoir faire des enfants quand on sait qu’ils risquent d’être handicapés. » Cette maman était catholique et pratiquante et refusait tout type de contraception. Ce choix, elle l’assumait ! En étant là, plus que jamais, à chouchouter sa fille hospitalisée.

Et puis cette autre collègue, voyant une femme en jilbab (une longue tenue ample, portée par certaines femmes musulmanes) me dit :

Tiens, voilà Fantomas avec sa cape. On devrait interdire ces tenues à l’hôpital !

Je me suis empressée de lui rappeler que cette charmante maman était, elle, présente tous les jours auprès de son fils hospitalisé. Ce qui n’était pas le cas de toutes les familles. N’est-ce pas là le plus important ?

A la fin du débat, une femme vient me voir et me dit : « On ne peut pas nier qu’en terme d’égalité et de discriminations, il y a encore du chemin. Si je vais à l’hôpital et que je demande que ce soit une femme qui m’examine, on verra cela comme de la pudeur. Mais si j’étais voilée… ». Je souris et je lui réponds : « On pourra peut-être commencer le prochain débat avec ça ? »

Si j’ai tenu à parler de ce thème, c’est parce que je suis convaincue que d’un côté ou de l’autre du lit, le manque de connaissances nous porte préjudice. Soignant.e.s comme soigné.e.s. Et je crois profondément, comme le dit si bien Charlie Chaplin, qu’

Il faut apprendre, non pas par amour de la connaissance, mais pour se défendre contre le mépris dans lequel le monde tient les ignorants.

 

[1] Pour mieux comprendre les notions de laïcité à l’hôpital, quelques documents officiels pour les soignants et les soignés :

– le « Guide de la laïcité et de la gestion du fait religieux dans les établissements publics de santé »

– la « Charte de la laïcité dans les services publics »

– la fiche « Soin et laïcité au quotidien »

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