Le féminisme, ce mot qui sent la poudre…

par | 14/04/17 | (Dé)construction

Tantôt revendiqué, tantôt décrié, le féminisme fait parler de lui et divise – même les femmes – . Certain.e.s voient en effet en lui une idéologie où les féministes, en véritable « anti-hommes » hystériques qu’elles sont, voudraient inverser l’ordre des choses en transformant notre société dominée par les hommes en une société dominée par les femmes.

 

 

 

« Les féministes ces hystériques »

 

Cette théorie est préconisée notamment par l’oracle Zemmour qui voit en cela le début d’une ère apocalyptique pour la France. Cette destruction du patriarcat est en effet pour lui une des raisons principales de « la mort de la France », cette France forte et virile où les femmes savent rester à leur place et n’aspirent pas aux absurdités kafkaïennes que sont l’accès au savoir et l’égalité homme-femme. De la même manière, depuis que l’on a permis aux femmes de s’exprimer sur le harcèlement sexuel, elles ne savent plus apprécier un gentil sifflement dans la rue, ni même une caresse innocente sur la cuisse sans crier au scandale.

 

 

En réalité, diaboliser les femmes qui revendiquent leurs droits n’est pas chose nouvelle et n’est pas réservé à la France, les suffragettes en Angleterre ont été l’exemple parfait de cette tendance qui consistait – et qui consiste toujours – à faire passer les féministes pour des hystériques ingrates et aigries qui demandent toujours plus de droit que de raison et qui finiront par mener toute l’humanité à sa perte.

Outre cette vision fanatique, qui n’est en réalité que la traduction d’une misogynie exacerbée, le féminisme est parfois même rejeté par des femmes elles mêmes. Combien de fois n’avons-nous pas entendu « Je suis bien évidemment pour l’égalité homme-femme, mais je n’irais pas jusqu’à dire que je suis féministe. Elles m’énervent les féministes ».

 

 

 

Force est de constater qu’il y a un rejet, voire une haine du féminisme qui peut certainement s’expliquer par la polysémie du terme.

Il s’agit en vérité de déterminer de quel féminisme parle-t-on ? Tandis que pour certain.e.s, le féminisme correspond simplement à la volonté d’accéder à une égalité entre les hommes et les femmes d’un point de vue légal, social et professionnel, pour d’autres, le féminisme est un mouvement assez extrémiste auquel ils ne préfèrent pas s’affilier. Ainsi, l’image qui vient à l’esprit de ces personnes à l’écoute du mot féministe est une horde de femmes en colère, manifestant le poing levé, les seins nus et étant très souvent irrespectueuses et intolérantes à l’égard des religions qu’elles jugent comme étant indiscutablement misogynes.

Or non, les féministes ne se résument pas à ce cliché. Une femme au foyer peut être aussi féministe qu’un homme qui peut être aussi féministe qu’une femme d’affaires qui peut être aussi féministe qu’une femme voilée.

 

 

« Des féministes musulmanes hein ? »

 

En effet, ce dernier point semble être une pilule difficile à avaler pour certaines personnes et notamment certaines féministes pour lesquelles l’association voile/féminisme est un paradoxe qui relève de l’absurde. Un discours a alors émergé consistant à dire qu’être musulmane et féministe, c’était probablement possible (il ne faudrait tout de même pas passer pour des islamophobes) mais qu’entre le voile et le féminisme, il fallait faire un choix. Ce discours séduit un grand nombre de personnes intolérantes au voile féministe dont la ministre des Droits des femmes, Laurence Rossignol, qui avait sans aucune honte comparé les femmes qui portent le voile aux « nègres américains qui étaient pour l’esclavage ». Outre l’utilisation nauséabonde et scandaleuse du terme « nègre », la ministre, dans une ignorance assumée, exclut purement et simplement l’idée qu’une femme voilée puisse penser librement en lui enlevant toute notion de libre-arbitre et de lucidité.

Mais quel est donc ce féminisme exclusif qui veut imposer une manière bien définie d’être libre à toutes les femmes ?

Ironiquement, en pointant ce soi-disant paradoxe, ces féministes deviennent l’incarnation parfaite de ce qu’elles condamnent, à savoir des juges bien-pensants qui, arbitrairement, décrètent ce qui est bon ou pas pour toutes les femmes, ce qui fait ou pas qu’elles sont libres. Elles imposent à toutes leur concept de liberté et leur vision du féminisme, s’arrogeant ainsi ce combat en regardant, avec une pitié condescendante, ces pauvres femmes voilées qui croient être libres. Ce féminisme paternaliste et exclusif est très courant en France.

Il est exclusif parce qu’il rejette de son cercle tout féminisme qui se pense autrement, toute femme qui pense sa liberté autrement.

Toutes les critiques, toutes les condamnations seraient donc pour le bien de ces femmes qui n’ont pas la lucidité de voir que le cocktail voile/liberté est un leurre. C’est ici que se justifie l’emploi du terme « paternaliste » pour ce féminisme. Il est en effet question de ce même paternalisme occidental post-colonial qui consiste à faire du « bon Homme occidental » un guide pour les autres, pauvres créatures qui n’ont pas accès à la lumière de l’intelligence, un peu à la manière des hommes enchaînés et aveuglés dans le mythe platonicien de la Caverne. Si l’on transpose cela au féminisme, cela se traduit par le fait que, estimant qu’elles ont eu la chance d’être illuminées en première de l’émancipation religieuse, elles veulent en faire profiter les autres, en niant par la même occasion les subtilités spirituelles et culturelles de chacun.e.

Crédit : Tuffix

 

Pourtant, le féminisme musulman et le féminisme islamique existent bel et bien.

De Fatima El Fihriya, fondatrice au IXème siècle de la plus vieille université du monde encore active à Fatima Mernissi, grande féministe marocaine et musulmane titulaire du Prix Érasme, en passant par Leila Ghandi, globetrotteuse, photographe et écrivaine, les exemples de féministes musulmanes ne manquent pas. Il suffit d’ouvrir ses yeux et son esprit. Mais l’ignorance des féministes anti-voile les pousse à mettre en exergue un paradoxe qui n’existe que de leur songe : celui d’être voilée et féministe, ou plus largement, celui d’être musulmane et féministe.

Les mouvements féministes ne sont pourtant pas nés dans les sociétés occidentales.

La remise en cause du patriarcat a été, dès la révélation de l’Islam, une question essentielle. En réalité, l’Islam a libéré les femmes de l’époque en leur accordant des droits dont elles ne disposaient guère comme la liberté d’expression puisque les femmes étaient invitées à parler directement au Prophète pour lui poser des questions ou lui faire part de leurs opinions politiques ou religieuses. Nul besoin d’homme intermédiaire donc. De la même manière, l’Islam n’a jamais interdit aux femmes le droit de travailler et a donc toujours permis l’émancipation financière des femmes. Il en va de même pour les postes de haut rang au sein des gouvernements qui n’ont jamais été interdits aux femmes. Dans ses nombreux ouvrages, tels que Sultanes oubliées ou encore Le harem politique : le Prophète et les femmes, Fatima Mernissi a démontré la place des femmes chefs d’État en Islam qui a été volontairement oubliée.

 

 

Ainsi, il s’agit d’un féminisme qui ne met pas à distance le religieux mais qui, bien au contraire, puise dans le religieux et dans les textes sacrés pour prouver que l’égalité homme-femme a toujours été consacrée dans l’Islam, à commencer par l’épisode du péché originel. En effet, pendant des siècles, cet épisode a justifié le patriarcat et la misogynie dans les sociétés occidentales chrétiennes, car la femme est, selon cet épisode biblique, à l’origine de l’expulsion du Paradis d’Adam et d’Eve et par conséquent, elle est la cause de tous les maux de l’univers. Cet épisode a donc servi de fondement au fait que la femme devait être contrôlée et encadrée par l’homme du fait de son inaptitude à résister à la tentation. Le péché originel est différent en Islam puisque c’est conjointement qu’Adam et Eve ont choisi de toucher au fruit défendu. Ainsi, cet épisode religieux n’a jamais pu et ne peut être instrumentalisé en Islam pour asseoir la légitimité du patriarcat. Dans les sociétés arabo-musulmanes, c’est donc sur la culture et sur des traditions que se fonde le patriarcat et non sur la religion musulmane.

 

 

Lors de l’affaire du burkini l’été dernier, les « féministes mainstream », soit celles qui pratiquent un féminisme exclusif et paternaliste, ont toutefois soutenu l’idée qu’aucune femme ne devrait être humiliée pour ce qu’elle porte, qu’il s’agisse d’une mini-jupe ou d’un burkini. Les bases sont posées, reste maintenant à considérer les femmes voilées comme des égales féministes et comme des citoyennes lambda, car le problème n’est définitivement pas dans ce qu’elles sont, mais bien dans la perception intolérante et condescendante que l’on a d’elles.

 
Photo de couverture : Crédit roaringsoftly

Diffuse la bonne parole