Histoire courte #7 : Le clash de Super M

par | 30/03/22 | Histoires courtes

Les histoires courtes de Pommette sont des petits textes de fiction destinés à  redonner espoir, inspirer et faire rêver les femmes musulmanes. Merci à la talentueuse Blachette pour ses illustrations ! 

 

« Si vous êtes ici, c’est que vous croyez comme moi en la France, en notre culture, en nos traditions. Si vous êtes ici, c’est que vous voyez, comme moi, que ce patrimoine est menacé. Le couscous et le kebab remplacent notre bœuf bourguignon, la chicha remplace notre cigare. Ils sont de plus en plus nombreux à s’appeler Mohammed au lieu de Pierre. Ils menacent nos traditions, harcèlent nos femmes dans la rue. Mais nous sommes là, vous êtes là ! »

La foule répondit par des cris virils à l’unisson, accompagnés de gestes rappelant les heures les plus sombres du vingtième siècle. S’il y avait eu des caméras, le staff aurait sans doute diffusé des consignes, mais ce jour-là, aucun journaliste ni militant antiraciste n’avait voulu s’inviter, sans doute par manque de goût pour le tabassage et les insultes. Ils étaient entre eux, les langues pouvaient se détendre et les bras se tendre.

Enfin, c’est ce qu’ils croyaient. En effet, Jean-Louis le vigil n’était pas Jean-Louis mais Habib. Grâce à ses yeux clairs, il avait pu passer incognito lors de l’entretien – qui aurait soupçonné qu’un arabe ressemble à un gaulois ? Il avait pensé exagérer en insistant sur sa passion pour les armes à feu auprès du recruteur, mais visiblement, cela n’avait pas attiré ses soupçons, puisqu’il l’avait rappelé dans la journée.

Son collègue Philippe, cependant, s’appelait vraiment Philippe. A chaque tirade d’Henri Zemar, il applaudissait en répétant ses dernières paroles. « Nous faisons face à une guerre de civilisation sans précédent ! », hurla Henri Zemar. « Sans précédent ! », répéta Philippe, avant de se resservir un verre de rosé.

Tout fonctionnait comme prévu. A vrai dire, Habib alias Jean-Louis était presque déçu. Il avait passé du temps à élaborer un plan A, un plan B, un plan C et même un plan D ! Il ne s’attendait pas à ce que le plan A : bouteille de rosé, marche directement.

Au bout d’un quart d’heure à peine de meeting, alors que Zemar enchainait sur les tout à la fois soumises et terriblement dangereuses femmes musulmanes, Philippe partit aux toilettes. Habib n’eut qu’à abaisser le compteur, et les lumières s’éteignirent instantanément, dans la stupeur générale.

Juste le temps nécessaire à Sylvie, alias Aminata, de changer la direction des projecteurs. Pour Aminata, le camouflage avait été plus compliqué, et pour cause : elle était noire. Cependant, en insistant sur son éternelle reconnaissance envers les blancs pour avoir civilisé l’Afrique, elle avait obtenu de participer à l’organisation du meeting, à condition de ne pas être trop visible. Un poste à la régie lui conviendrait parfaitement, avait conclu le recruteur.

Habib ralluma les projecteurs avant le retour de Philippe, puis s’esquiva par la porte de secours. Son seul regret était de ne pas pouvoir assister à ce qui allait suivre. Heureusement, il pouvait suivre le live sur la chaîne YouTube de Henri Zemar, piratée par Super M elle-même, cheffe d’orchestre de l’opération.

Les projecteurs étaient à présent braqués sur elle. Les mains accrochées à deux rubans suspendus au plafond de la salle, Super M volait au-dessus des spectateurs, toute de noir vêtue. Sur son estrade, Zemar gesticulait en s’énervant contre son micro, dont Sylvie-Aminata avait pris soin de couper le son. De toute façon, l’attention de la foule n’était plus du tout concentrée vers l’estrade. Tous les regards convergeaient vers Super M. Pris par surprise, les militants s’étaient brusquement tus.

Aminata lança l’instru, et Super M commença son rap.

Pour commencer khouya tu fermes ta gueule et t’écoutes

Jamais eu besoin de dix heures de BFM pour qu’on me respecte

Deux heures de meeting ? Ha, petit joueur

Une minute de Super M et tu repars en pleurs

Respire un coup, dis bismillah pour limiter les dégâts

Mon flow est si puissant qu’tes lunettes vont voler en éclat

D’ici je t’entends répéter « inchallah inchallah »

« Inchallah que je reste debout après que Super M m’a fait la hagra »

Des conneries sans t’arrêter t’en racontes à la pelle

Ton psy a tellement de taf qu’toutes les heures il te rappelle

Monsieur le comte du racisme entre nous on t’appelle

Antisémite, islamophobe, xénophobe, on compte plus les labels

Tu parles tellement de nous que ça en devient attendrissant

On dirait l’mec à qui j’avais mis un râteau, miskine il est si frustré

Tu dis tellement de la merde que ton haleine en devient fétide

Même pendant ramadan l’odeur de ma bouche n’est pas si acide

Le gars fait des refrains sur la virilité, toute la journée

De quoi tu parles, devant un voile tu t’enfuis sans autre forme de procès

Procès ça tu connais frérot, et pas parce que tu les as gagnés

Comment par un délinquant la France pourrait-elle être gouvernée ?

En boucle il répète qu’c’est les immigrés les sexistes

Rappelle-moi ton sport favori ? Agresser la gente féminine

Enfin c’est seulement le deuxième après lécher le cul à Poutine

Dis-moi Henri est-ce qu’un jour t’arrêteras de faire le gamin ?

J’ai pas trouvé à quoi tu sers à part effrayer ma p’tite cousine,

Faire pleurer ma mère et exciter une bande de miskines

J’suis pas Corinne, j’m’appelle Nesrine, qu’est-ce tu vas faire ?

J’suis une blédarde, je parle arabe, qu’est-ce tu vas faire ?

J’ai passeport français et marocain, je sais qu’tu rages mon frère

Ma grand-mère faisait toujours ses cinq salat pour se consoler de la misère

Petite fille de colonisés j’te clashe dans la langue de Molière

Islamo-gauchiste-progressiste-wokiste en chef, je t’emmerde

Pour finir je me présente car j’aime faire les choses à l’envers

Mon blaze à moi c’est Super M, pour vous déplaire

Ce que mes sœurs pensent tout bas j’le dit out loud

Bonne nuit les fachos et surtout imprimez ça : I’m Muslim and I’m proud

Crédit : @blachette

 

Sur ces entrefaites, Super M lâcha le micro, tandis qu’une pluie de confettis s’abattait sur la salle abasourdie. Depuis le banc sur lequel il s’était assis, Habib souriait, comme les millions de Français qui avaient suivi l’événement depuis leur téléphone.

Le plan avait marché cinq sur cinq.

 

 

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