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Femme exilée #2 : Saraya

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Cet article est le deuxième de la série Femmes exilées. J’y raconte de façon bienveillante les récits de femmes ayant dû fuir leur pays, avec qui j’ai échangé le temps d’un café. Dans ce portrait, je raconte l’histoire de Saraya* qui a fui l’Afghanistan.

 

Saraya se rappelle tout, dans les moindres détails. Elle se rappelle qu’elle a passé 6 mois en Iran, 4 mois et demi en Grèce, 2 mois en Serbie, 5 jours en Hongrie. Elle se rappelle le froid et l’obscurité après avoir traversé la frontière turque. L’épuisement après les seize heures de marche dans la montagne. Elle se rappelle tous ceux qui l’ont aidée, humiliée ou effrayée, aussi bien cette femme qui lui a appris le français, que ce chauffeur qui tapait les passagers du bus en direction d’Istanbul. Elle se rappelle les paroles. Rassurantes parfois : « on est là pour vous aider », « vous pouvez trouver une place pour vous ici », ou destructrices : « je ne peux pas faire grand-chose pour vous », « la police va garder votre neveu ».

Saraya est née deux fois. La première fois, quand elle est sortie du ventre de sa mère. La deuxième fois, lorsque les Talibans, ces êtres qui peuplent encore ses cauchemars, ont quitté son village. « C’était comme une fête. » Elle a 8 ans. C’est l’été, elle va à l’école pour la première fois. Elle étudie sous des tentes, avec des filles de tous âges. Les élèves supplient l’enseignante de continuer le cours l’après-midi.

Son amour pour les études vient sans doute du fait qu’elle a connu la vie sans école. Saraya a toujours les meilleures notes, elle rêve de devenir médecin. Lorsqu’elle obtient son bac, son père ne la laisse pas continuer ses études à l’université.

 

Le départ de l’Afghanistan

Saraya a la vingtaine lorsqu’elle quitte l’Afghanistan pour l’Iran avec son mari, sa sœur, le mari de sa sœur et leurs enfants. Ils ont pour objectif l’Allemagne. Il faut d’abord traverser la frontière turque. Imaginez-vous : minuit, une immense montagne face à vous, c’est l’hiver. Ils sont un groupe de 200 personnes accompagné de passeurs. Saraya est devant, avec son neveu Abdulmunib* de 10 ans. Eux deux passent de l’autre côté du fil barbelé. Son mari, sa sœur, le mari de sa sœur, le reste des enfants sont encore de l’autre côté. La police iranienne débarque et tire dans tous les sens.

Au chaud dans un café parisien, Saraya sort un mouchoir pour s’essuyer les yeux. Sur le moment, je ne comprends pas bien, j’attends que Saraya me raconte le moment où elle a retrouvé la trace de sa famille. Mais non, Saraya n’a jamais su ce qu’ils sont devenus. Partis à huit, ils ne sont plus que deux pour le reste du périple. Ils n’ont d’autre choix que de continuer.

Ils marchent de minuit jusqu’à 16 heures le lendemain. Des camions les conduisent jusqu’à un village turc. Ils dorment dans un endroit sale, et sont réveillés par les pleurs d’un homme que les passeurs sont en train de frapper parce qu’il ne les a pas payés.

Ils sont une cinquantaine dans le bateau vers la Grèce. Tout le monde pleure, sauf Abdulmunib qui regarde, et ne dit rien. Aujourd’hui encore, il n’aime pas voyager. Ils restent dans un camp en Grèce quatre mois et demi. C’est là que Saraya décide d’aller en France plutôt qu’en Allemagne. Ce pays qu’elle a brièvement étudié en cours d’histoire la fascine. On le lui déconseille, les réfugiés sont mieux accueillis en Allemagne. Saraya persiste : « Même si c’est difficile, il faut le faire. »

Après la Grèce, la Bulgarie. Après la Bulgarie, la Serbie. Saraya et son neveu restent deux mois dans un camp, puis rejoignent la Hongrie, prétextant qu’ils veulent faire une demande d’asile là-bas. Ils sont transférés dans un grand bâtiment, au même étage que les hommes célibataires. Elle reçoit l’appel d’un passeur au bout de quelques jours. Il leur a acheté deux billets pour l’Autriche, deux billets pour l’Allemagne. Elle reste éveillée toute la nuit dans la gare de peur de rater le train, son neveu épuisé s’endort sur le sol.

Dans le train vers la France, un homme a voulu voler le sac d’Abdulmunib, dans lequel il y avait des biscuits et quelques vêtements. Il est 3 heures du matin et tout le monde dort dans le wagon. Saraya poursuit le voleur, s’adressant d’abord à lui en anglais puis en persan, peu importe s’il ne comprend pas cette langue : « C’est pas à toi, c’est à mon neveu ! » Elle attrape le sac, tire, crie. Le voleur finit par capituler. « Même maintenant quand j’y repense je me dis que j’ai bien fait, c’était pas grand-chose mais c’était important. Peut-être qu’on aurait eu besoin de ces vêtements. Leur valeur n’était même pas de 5 euros mais on en avait besoin. »

 

L’arrivée en France

 

Crédits : Jessica Wright, @jessicawright_____

 

9 heures du matin, gare de l’est. Saraya et son neveu foulent pour la première fois le territoire français. Elle ne sait pas par où commencer, elle est fatiguée, Abdulmunib a faim. Elle se dirige vers des policiers, qui lui indiquent une station de police, dans laquelle on lui donne un papier avec une adresse qu’elle ne sait pas déchiffrer. Un homme qui ressemble à un Afghan passe, elle lui demande en persan s’il sait comment s’y rendre. A la place, il l’emmène au métro Jaurès : l’endroit où vivent les réfugiés afghans lorsqu’ils viennent d’arriver. « C’était la première fois que je devais rester dans la rue, j’étais choquée. »

Pour demander l’asile, il faut commencer par prendre un rendez-vous à la préfecture dans une SPADA (Structure de Premier Accueil des Demandeurs d’Asile). Saraya s’y rend avec son neveu. On leur dit qu’il n’a pas le droit de rester avec elle parce qu’elle n’est pas sa mère. Abdulmunib se met à pleurer, elle aussi. A partir de ce jour-là, tous les soirs avant de dormir, le neveu demande : « Est-ce que tu me promets de rester avec moi ? » Sa tante lui répond : « Bien sûr qu’on est ensemble, moi je resterai toute ma vie avec toi ! »

Un jour, la Croix-Rouge passe au métro Jaurès. Des bénévoles proposent à Saraya et son neveu un hébergement en attendant le rendez-vous à la préfecture. Pendant dix jours, ils peuvent dormir dans un hôtel. Dormir seulement : il faut libérer la chambre à 9 heures et ne pas revenir avant 18 heures. Puis le 115 leur propose un logement au bout de la ligne D. « Quand on est arrivés on était contents, parce que c’était une chambre, avec une salle de bain. » Il y a même une cuisine, Saraya a le droit de cuisiner deux fois par semaine.

Arrive la date du rendez-vous à la préfecture. « C’est vrai ça, que je vais être séparée de mon neveu ? » On l’informe que ce n’est pas le rôle de la police de décider : Abdulmunib restera avec sa tante sauf si le juge en décide autrement. Saraya décide de faire une demande pour devenir la responsable légale de son neveu. Abdulmunib est systématiquement terrifié et en pleurs devant les juges. Pour la dernière audience on l’autorise à ne pas venir.

 

Aujourd’hui, Saraya vit toujours avec son neveu dont elle est la responsable légale. Elle a obtenu le statut de réfugiée et a appris le français. Elle fait des études pour devenir aide-soignante, avec le rêve d’intégrer un jour Médecins sans frontières.

 

Où Saraya trouve-t-elle son courage ? « Il y a des choses qu’on dit et des choses qu’on vit. Il y a eu des moments difficiles, des choses horribles. Mais ici j’ai la liberté. Ici je peux décider pour moi-même. Ici il y a une sécurité, il y a une loi. J’ai perdu beaucoup de choses mais j’ai gagné la liberté et la sécurité. »

 

Crédits : Jessica Wright, @jessicawright_____

 

Depuis notre rencontre, une question me hante : et si j’avais vécu ça, moi ? Comment serais-je aujourd’hui ? Comment mon corps, mon esprit auraient réagi ? À quoi ressemblerais-je ? Quelle serait ma personnalité ? Serais-je plus fragile ou plus forte qu’aujourd’hui ?

Vous aussi, posez-vous la question : et si j’étais né.e en Afghanistan ?

 

 

 

Crédit image à la Une : Jessica Wright, @jessicawright_____

*Les prénoms ont été modifiés.

 

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Diffuse la bonne parole

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Femme exilée #1 : Haneen

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Cet article est le premier de la série Femmes exilées. J’y raconte de façon bienveillante les récits de femmes ayant dû fuir leur pays, avec qui j’ai échangé le temps d’un café. Je retranscris dans ce portrait la façon dont Haneen a réussi surmonter les difficultés liées à la guerre en Irak et à l’exil en France, pour être heureuse.

 

J’étais bénévole dans une association, elle était demandeuse d’asile. Elle souhaitait que je l’aide à effectuer les démarches nécessaires pour exercer sa profession de pharmacienne en France. C’est ainsi que Haneen et moi nous sommes rencontrées.

Inconsciemment, j’avais collé une étiquette à Haneen : elle n’était pas Haneen, elle était une demandeuse d’asile irakienne, arabe, musulmane. J’étais partie du principe que mes portraits seraient nécessairement politiques, que les femmes que j’interrogerais se confieraient sur les raisons qui les avaient poussées à fuir leur pays d’origine, sur les discriminations qu’elles subissaient en tant que femmes étrangères en France, sur leur précarité.

Lorsque j’ai demandé à Haneen si elle accepterait d’être interrogée pour mon projet d’articles sur la situation des femmes musulmanes exilées en France, elle m’a répondu : « Oui avec plaisir, mais je ne souffre pas de problèmes à cause d’être musulmane ici. Je ne sais pas s’il va enrichir ton article ou pas. » Étonnamment, Haneen a raconté son histoire sans s’exprimer sur les sujets que j’attendais. Elle a vaguement évoqué ses difficultés de logement, le fait qu’elle attendait depuis deux ans la décision de l’Ofpra (Office de protection des réfugiés et des apatrides) concernant sa demande d’asile. Mais c’est avant tout sa philosophie du bonheur, sa façon de surmonter les difficultés qu’elle voulait me partager.

 

Le long chemin vers le bonheur

A 18 ans, après le décès de sa mère, Haneen a décidé de s’occuper de son petit frère et de sa sœur handicapée mentale. A 28 ans, elle a quitté l’Irak pour la Jordanie après avoir été menacée à plusieurs reprises. A 32 ans, elle est arrivée en France.

Malgré toutes les souffrances qu’elle a vécues, Haneen est une optimiste, une amoureuse de la vie, qui s’émerveille devant une musique qu’elle entend pour la première fois ou devant le goût d’un gâteau. Ses phrases, retranscrites à l’écrit, perdent en profondeur. Plus trace de l’accent chantant, des fautes de français, du sourire lumineux de Haneen. Il faut être face à elle pour profiter pleinement de sa sagesse.

 

Crédits : Léa Trividic, @lea_trivi

 

C’est sans doute sa conception du bonheur qui m’a le plus marquée. « Le bonheur, ce n’est pas un état à atteindre, ce n’est pas un niveau, ce n’est pas quelque chose de concret comme une grande maison ou de l’argent. Toutes ces choses viendront, mais elles seront les conséquences d’une manière de penser. » Alors qu’elle ne sait pas encore où elle étudiera cette année, qu’elle attend toujours d’obtenir le statut de réfugiée, Haneen est heureuse, sa foi l’aide à être confiante. Elle fait ce qu’elle doit faire, accomplit les démarches logiques, puis laisse « la vie faire son travail ».

Haneen ne se raccroche pas aux catégories dans lesquelles on aurait tendance à la placer : elle est humaine avant tout. « Je sens que j’appartiens à toutes les religions, je trouve toutes les religions dans ma personnalité. » « Le karma », « Dieu », « le ciel », sont pour elle des mots différents qui désignent la même chose.

 

Une identité « orientale et occidentale »

Aujourd’hui, séparée pour la première fois de son frère et de sa sœur, Haneen se sent enfin libre. Elle prend le temps de façonner sa nouvelle identité, orientale et occidentale à la fois, en retenant le meilleur de chaque culture. De sa culture irakienne, Haneen conserve sa timidité. En France, elle apprécie le fait de pouvoir s’habiller comme elle le souhaite et sortir sans maquillage sans subir de jugement.

« La dignité, c’était le bonheur manquant dans mon pays. » C’est moi qui insiste pour qu’elle explique. Son front se plisse lorsqu’elle évoque la corruption, les meurtres de journalistes et de manifestants, les mères endeuillées, les ouvriers qui travaillent malgré le confinement pour ne pas mourir de faim. « Ce qui est considéré ici comme un droit c’est quelque chose qu’il fallait arracher là-bas : l’eau, l’éducation, la santé, le travail. »

Haneen dénonce plusieurs travers de la société irakienne concernant la situation des femmes : l’éducation des filles à être avant tout des mères et des épouses, la stigmatisation de la femme divorcée, l’obligation de porter le voile dans certains lieux. Gênée de critiquer son pays, elle nuance toujours, et insiste sur le fait que chaque société a ses défauts.

Elle me raconte ce qui lui manque de l’Irak. Là-bas, on finit de travailler à 14h, ce qui laisse le temps de faire la sieste, de regarder la télévision, de boire le thé. Elle et ses amies avaient l’habitude de boire le café ensemble, puis de lire l’avenir dans le fond de la tasse. En Irak, on peut voir le ciel car les rues sont larges, bordées de maisons, sans hauts bâtiments. On accorde beaucoup de valeur aux relations entre voisins : les nouveaux arrivants sont accueillis par un grand repas, on toque sans cesse les uns chez les autres, pour discuter ou apporter un plat.

 


Crédits : Léa Trividic, @lea_trivi

 

L’après-midi qui suit notre rendez-vous, Haneen reçoit la réponse de l’Ofpra : on lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire, qui lui donne droit à une carte de séjour de quatre ans. Elle espère obtenir à l’issue de ces quatre ans la nationalité française. Elle a finalement abandonné l’idée d’être pharmacienne, pour se consacrer à ce qui l’anime vraiment : l’humanitaire. Elle étudiera cette année en master de santé publique, tout en suivant une formation sur les migrations contemporaines. Sa carte de séjour lui permettra de travailler en parallèle de ses études pour payer son loyer. « C’est grâce à mon Dieu » m’écrit-elle.

 

Crédit image à la Une : Léa Trividic, @lea_trivi

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Diffuse la bonne parole

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