Affaire Aquaboulevard : Viens, je t’emmène à la salle !

par | 31/01/18 | (Dé)construction

 

C’est l’idée qu’a eue une jeune femme : emmener l’une de ses amies à la salle de sport où elle est abonnée, pour un cours collectif. Elles auraient pu passer un très bon moment, cependant elles étaient loin d’imaginer ce qui allait se produire. La scène se passe dans un complexe sportif du 15ème arrondissement de Paris, le Forest Hill d’Aquaboulevard. Les jeunes femmes s’installent pour débuter leur séance. Seulement voilà, l’une d’elle porte un turban et, devant les 200 autres personnes présentes, les responsables décident de les exclure pour « raison d’identification ». Sous le choc, l’une d’elle a tout de même le réflexe de filmer la scène et de la diffuser sur le web. S’en suit un tollé sur les réseaux sociaux, où les internautes ont vivement réagi.

 

Mais pourquoi cette exclusion ?

 

En entendant parler de cette histoire, on s’est posé plusieurs questions. Qu’est ce qui peut autoriser un établissement privé à expulser des adhérent·e·s pour cette raison ? En quoi un turban gêne-t-il un cours de sport ? On a l’habitude de certains arguments…

 

La laïcité ? On ne le répètera jamais assez : la laïcité est la neutralité religieuse de l’Etat, et n’interdit pas de porter des signes religieux dans l’espace public. Au contraire, elle garantit l’expression de culte à tou·te·s les citoyen·ne·s. La neutralité religieuse ne prévaut que pour les fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions, et les élèves de l’école publique depuis 2004. La laïcité garantit donc à cette jeune femme le droit de porter un foulard lors d’un cours de sport.

Un règlement intérieur ? C’est l’argument donné par les responsables de la salle. Le règlement intérieur de l’établissement interdirait le port d’un couvre-chef, y compris des casquettes, capuches ou bonnets. Premièrement, les jeunes femmes ont pu constater que plusieurs personnes autour d’elles portaient des casquettes sans en être inquiétées. Certains couvre-chefs semblent donc être admis.

De plus, un signe religieux n’est pas un banal couvre-chef mais représente un signe extérieur d’une conviction religieuse, appartenant de ce fait à la liberté de culte. Le droit national et international protège les femmes qui voudraient notamment porter un foulard.

Par ailleurs, un règlement intérieur ne peut comporter des articles qui ne seraient pas conformes à la loi. La liberté religieuse est un droit fondamental, garanti par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et la Constitution Française du 4 octobre 1958. En aucun cas, le règlement intérieur d’un établissement peut passer au-dessus de ce principe fondamental.

 

Des raisons de sécurité ? Dans certains cas, le port d’un foulard peut ne pas être adapté aux activités proposées. Il est possible qu’un foulard se coince dans une machine par exemple, et entraine des risques pour la personne le portant. Mais cet argument ne fonctionne pas ici : la jeune femme exclue de la salle de sport portait un turban qui ne pendait pas, et ne posait donc aucun problème de sécurité. A noter que l’argument de l’identification n’est également pas valable : la plaignante avait donné son identité à l’entrée de l’établissement, carte d’identité à l’appui, et son visage était bien visible.

Rien ne justifie donc l’exclusion de cette jeune femme. Nous sommes bien ici en présence d’un cas de discrimination sexiste et islamophobe. Et ce n’est en aucun cas acceptable.

 

 

 

Pourquoi est-ce si révoltant ?

 

Ce supposé règlement intérieur interdisant le port de turban ne permettrait-il plutôt pas d’exclure des lieux une seule catégorie de personnes : les femmes voilées ?

Il s’agit ici d’un complexe sportif, mais des faits comparables se sont déjà produits ailleurs : école, banque, restaurant, milieu médical… Les femmes désirant se couvrir les cheveux sont de plus en plus fréquemment exclues de certains lieux privés sous couvert du règlement intérieur. Il faut dire stop à ces mesures discriminatoires, ne pas les rendre courantes et acceptables.

Etant moi-même voilée, je déteste dire « les femmes voilées » ou « moi, femme voilée » car cette expression est réductrice. Mais ce type de comportement nous stigmatise toutes, nous réduit au seul fait que nous portons un voile, nous empêche de nous exprimer en tant que femmes. Exclure une personne en raison de sa tenue et in fine de son appartenance religieuse, réelle ou supposée, est profondément humiliant. Cela provoque inévitablement le sentiment d’être considéré·e comme un·e individu·e à part dans la société. A l’heure où l’on parle de violences faites aux femmes, il est temps de considérer ces comportements islamophobes comme tels.

Nous sommes souvent cataloguées comme « soumises » lorsque nous choisissons d’être femmes au foyer ou de rester chez nous. Nous sommes exclues des lieux publics lorsque nous voulons avoir des activités comme n’importe quelle autre femme. Et nous sommes ensuite accusées de communautarisme lorsque nous nous retrouvons entre nous, pour nous préserver de toutes ses violences. Cela doit cesser.

Dénoncer ces pratiques ne veut pas dire se victimiser. Se positionner en tant que victime ne veut pas dire que l’on est inactif·ve . Bien au contraire, la solution réside dans l’action.

 

Comment réagir ?

 

 

Quel comportement adopter face à ces événements ?  Il ne faut pas penser que nous n’avons pas de pouvoir, car même l’action la plus minime vaut mieux que l’inaction. Il ne faut pas se taire. Il faut soutenir les victimes de discriminations, et dans ce cas tout notre soutien va aux deux jeunes femmes. Il est également nécessaire de faire du bruit : en signalant son mécontentement sur les réseaux sociaux, mais aussi auprès des structures concernées, ici l’Aquaboulevard. L’appel au boycott peut aussi être envisagé.

Ensuite, il faut avoir recours à la voie juridique pour que ces faits soient punis et que cela serve d’exemple. Dans ce cas comme dans d’autres, le CCIF (Collectif Contre l’Islamophobie en France) a été saisi. Pour preuve que nous pouvons agir, dans des cas similaires, les personnes ayant porté plainte contre ces établissements ont eu gain de cause. En juin 2014, le Tribunal de Grande Instance de Thionville a retenu le délit de discrimination contre le gérant d’une salle de sport, car celui-ci avait exigé le retrait du foulard d’une cliente afin qu’elle puisse être adhérente.

La loi, contrairement à ce que l’on peut penser, n’autorise pas les règlements intérieurs des établissements privés à interdire ce qu’ils veulent. La législation protège les citoyen·ne·s en leur permettant de jouir de leur liberté religieuse dans des lieux privés. Il est donc nécessaire de ne pas abandonner et de toujours se battre pour ses droits et lutter contre les discriminations, que l’on soit concerné·e ou allié·e.

 

 

 

Crédit photo à la une : merdeka-online.com

 

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