Muhammad Ali : militantisme, croyance et inspiration – Partie I

par | 12/04/21 | Nos Voix

Après le meurtre horrifique de Samuel Paty et le climat islamophobe qui s’en suivit, je me suis sentie, comme beaucoup de Musulman.es de France, troublée. J’ai la mauvaise habitude de me noyer dans le travail quand il arrive quelque chose qui perturbe mon quotidien. C’est un moyen pour moi de ne pas y penser, et selon la logique tordue de mon cerveau, si je n’y pense pas, ça n’existe pas. En l’occurrence, j’étudiais à ce moment-là en classe la Guerre du Vietnam ou, comme les Vietnamien.es l’appellent, Kháng chiến chống Mỹ (la Guerre de résistance contre l’Amérique), et le nom du boxer Muhammad Ali (rahimahullah) revenait souvent dans mes recherches.

 

Je décidais alors de pousser ma curiosité plus loin, car rares sont les personnes Musulman.es à être mis en avant par les livres d’Histoire bien qu’elles aient façonnées celle de l’Amérique, tout comme celle de la France. Je me suis donc plongée dans des livres, biographies et documentaires… encore une fois, vous l’avez compris, pour m’évader de notre triste réalité. Mais cette fois-ci, mes recherches auront un effet cathartique. Ce qui m’apporta du réconfort dans l’histoire d’Ali, à cet instant, ce fut sa fierté :  il était fier de sa religion et de ses principes, peu importe à quel point il était attaqué à cause de cela. Cependant, force est de constater que sa religion est trop souvent mise au second plan lorsque l’on parle de sa vie, bien qu’elle ait, dès le début, motivé son militantisme.

 

Muhammad Ali, né Cassius Marcellus Clay, se convertit à l’Islam sous l’influence de son ami proche, Malcolm X (rahimahullah), et annonça publiquement son appartenance à l’organisation Nation of Islam au lendemain de sa victoire contre Sonny Liston, le 25 févier 1964. Champion du monde de poids lourds à seulement 22 ans, Cassius Clay fut renommé Muhammad Ali et cette conversion ne laissa personne de marbre. La poète Sonia Sanchez témoigna : « Lorsque Muhammad Ali a changé son nom, on l’a tout simplement appelé par son nouveau nom. Quand les gens l’appelaient Cassius Clay on leurs répondaient : « Ce n’est pas son nom, appel notre frère par son nom. Son nom est Muhammad Ali. Ne l’oublie pas. » Nous étions très heureux et contents pour lui. » Mais les réactions furent loin d’être aussi positives et les attaques islamophobes et raciste ne se firent pas attendre.

 

Pendant plus de 8 ans, The New York Times refusa de l’appeler Muhammad Ali. Un combattant affirme qu’il voulait l’affronter pour « ramener le titre de champion du monde à toute l’Amérique. Pas qu’aux Musulmans. Je suis Américain. » Par conséquent, il insinuait qu’Ali ne pouvait être à la fois Musulman et Américain. La réponse d’Ali fut simple et claire : “Je n’ai pas à être ce que vous voulez que je sois. Je suis libre d’être qui je veux être”. Il fit remarquer à la presse qu’il n’était pas le premier athlète à avoir changé son nom. Il était en effet courant pour les enfants d’immigré·e·s de l’Europe du Sud d’adopter un nom à connotation plus américaine. Mais s’il est aujourd’hui habituel pour les Africains-Américain.es de porter des noms musulmans ou Africains, il n’en était rien en 1964. Ali voyait son changement de nom comme une séparation entre lui et l’Amérique blanche raciste. Il déclara : « Clay n’était pas mon nom. C’était le nom des esclavagistes qui possédaient mes ancêtres. Muhammad veut dire « digne de grâce » et Ali veut dire « l’élevé ». Je veux être connu dans le monde entier par ce nom. »

 

Peu de temps après sa conversion, le FBI lança une enquête sur son statut de conscription (service militaire). Les États-Unis étaient alors en guerre au Vietnam et Ali avait déjà passé un test d’intelligence qu’il avait échoué à deux reprises. Cependant en 1966, le centile de réussite du test fut abaissé et Ali fut reclassé 1-A, éligible pour conscription. « Je ne comprends pas. Moi je n’ai rien contre les Viêt-Cong, » fut sa réaction à l’annonce de son changement de statut. Cette simple phrase lui valut d’être traité d’antipatriotique et un appel à boycotter ses combats fut lancé.

 

En mars 1967, Ali reçoit sa notice de recrutement. Il clarifia son refus de s’engager lors d’une marche pour la déségrégation des logements, dans sa ville natale de Louisville : « Pourquoi devrais-je enfiler un uniforme et partir à dix mille kilomètres de chez moi pour larguer des bombes et des balles sur les gens de couleurs au Vietnam, alors que les Noir.es de Louisville sont traités comme des chiens et privés des droits humains les plus basiques ? Non, je ne vais pas à dix mille kilomètres de chez moi pour aider à assassiner et brûler une autre nation pauvre simplement pour continuer la domination des maîtres d’esclaves blancs sur les gens de couleur du monde entier. C’est le jour où de tels maux doivent prendre fin… Je ne déshonorerai pas ma religion, mon peuple et moi-même en devenant un outil pour asservir ceux qui luttent pour leur propre justice, liberté et égalité. Je dois obéir soit aux lois du pays, soit aux lois d’Allah. Je n’ai rien à perdre en défendant mes croyances religieuses. »

 

Lors de la cérémonie de recrutement, Ali refusa de prêter serment et expliqua dans un communiqué ses raisons : « Je suis fier du titre de Champion du monde. Son détenteur doit à tout moment avoir du courage dans ses convictions et les mettre en pratique, non seulement sur le ring mais aussi à toutes les étapes de sa vie. C’est à la lumière de mes propres convictions personnelles que je prends position en rejetant l’appel à être incorporé dans les forces armées. Je le fais en étant pleinement conscient de ses implications et de ses conséquences possibles. J’ai fait un examen de conscience et je me rends compte que je ne peux pas être fidèle à mes convictions religieuses en acceptant un tel appel. Ma décision est privée et individuelle. En la prenant, je dépends uniquement d’Allah en tant que juge final de ces actions provoquées par ma propre conscience. »

 

Le verdict ne tarda pas à tomber : on lui retira son titre de champion du monde et sa licence de boxe moins d’une heure après cette déclaration. S’en suivit un procès qui le condamna à 5 ans d’emprisonnement et à 10 000 $ d’amende. Son avocat fait appel immédiatement.

 

Selon son manager, Herbert Muhammad, : « La nuit, Ali recevait des appels téléphoniques de gens menaçant de bombarder sa maison, ils lançaient des pierres, certains passaient même en voiture, ivres, en criant et en tirant sur sa maison. » D’après l’activiste Kwame Ture, Ali fut la personne qui a le plus perdu, suite à son refus d’être enrôlé dans l’armée.

 

La violence dont fut victime Ali pour sa position s’inscrit dans un contexte plus large de répression contre les activistes Noir.es Américain.es et contre le mouvement d’anti-guerre. Le FBI lança le programme COINTELPRO, qui avait notamment pour but de « neutraliser les militants noir.es nationalistes ». Parmi les personnes visées l’on retrouve Martin Luther King, Malcolm X, l’activiste Angela Davis, l’auteur James Baldwin, et Muhammad Ali.

 

Ali devint rapidement un symbole de résistance à l’impérialisme américain. Privé du droit d’exercer sa profession, il donna de nombreux discours dans les universités et galvanisa le mouvement anti-guerre. Il expliqua comment sa foi fut un des principaux moteurs de sa décision : « La salutation dans ma foi est « que la paix soit sur toi ». C’est « As Salam Aleykoum ». Beaucoup de personnes m’ont fait remarquer tout ce que je perds en refusant d’être incorporé dans l’armée. Je voudrais dire à ces gens que je n’ai rien perdu. J’ai beaucoup gagné. J’ai gagné une tranquillité d’esprit. J’ai gagné une paix du cœur, je sais maintenant que je suis en accord avec la volonté d’Allah le tout puissant. Si la justice triomphe, je n’irai ni à l’armée ni en prison. » Et la justice triompha. Après plus de quatre ans de bataille judiciaire, Ali est exonéré par la Cour Suprême des États-Unis en 1971. Il regagna le titre de champion du monde en 1974.

 

Crédit image à la Une : The Gordon Parks Foundation.

 

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