L’évolution de ma foi : la nécessité d’une éducation islamique sans violence

par | 30/03/24 | Nos Voix

Trigger Warnings 
Mention de violence physique et psychologique, de suicide et 
d’automutilation.

Des pieds frappent le bitume et accourent dans un élan spirituel. Moi, je ne ferai aucun effort, je ne souhaite que m’affaler de fatigue sur le sol. Je souffle, parce qu’il est huit heures du matin. 

Fier de porter l’Islam dans son cœur, de suivre les pieux prédécesseurs, mon père marche devant. Mes frères suivent respectueusement. Ma sœur rit et trottine avec le plus petit – premier arrivé ! Ma mère, elle, répète “SubhanAllah” devant la foule de musulman.es, en direction de la mosquée.

J’entends d’ici l’imam scander son amour pour Allah et son messager Muhammad (Paix soit sur lui). Ce sont des noms, des discours que je ne connais que trop bien. Et je souffle encore, parce que les coutures de ma robe me grattent et ce foulard m’étouffe.

La salle de prière est pleine. Je salue la foule d’un geste, sans voir les visages, et on cherche difficilement une place. Ma mère répète encore “SubhanAllah”, car juste avec les femmes et les enfants, on a rempli la moitié de la salle. Parfois, on déborde et des gens prient carrément dehors.

Je ne comprends pas. J’aurais préféré dormir.

L’imam hurle dans son micro, j’ai mal aux oreilles. Il raconte des histoires et je hoche la tête – très bien, intéressant – mais le cœur n’y est pas. Puis, on prie et je répète machinalement ce que les autres font.

Mon seul objectif est de me fondre dans la masse. Je n’ai pas fait mes ablutions. Je n’ai pas prié depuis des mois. Je me suis forcée à écouter l’imam ; et maintenant, je suis juste fatiguée.

Lorsque l’on salue les anges sur nos épaules – ou les leurs – l’écho des voix simultanées me fait rire. Ma mère s’énerve : ce n’est pas drôle. Je baisse la tête.

Ce que j’aime, tout de même, c’est la fin de la matinée. Lorsqu’après la prière, tout le monde se dit Salam aleykoum, se demande comment ça va, et les enfants, et les parents, et les parents des parents, et les ami.e.s, et les ami.e.s des ami.e.s…

On s’embrasse de bénédictions et se câline de louanges. À cet instant, je réalise que je n’ai pas ma place dans cette magnifique communauté. Ils ignorent qu’en fait, je suis une hypocrite.

Et j’ai de gros, gros problèmes avec ma foi.

Petite, j’étais une enfant volontaire et curieuse. Je me rappelle des défis que mon père lançait à ma sœur, souvent réticente, d’apprendre telle sourate du Coran, plus ou moins longue ou compliquée. Nous y arrivions toujours, al hamdoulilah.

Mais il y avait un prix à payer. Je répétais les paroles d’Allah, mon Bien-Aimé, en pleurant. Mon père gardait sa main levée au-dessus de ma tête, en attendant la prochaine faute, et moi la prochaine gifle.

Elle arrivait forcément, car, qui de nous sait lire parfaitement le Coran ? Personne. Ça nécessite des années et des années de formation. Et mes erreurs étaient celles d’une enfant de six ans.

Donc, l’apprentissage du Saint Coran, la parole d’Allah le Très-Haut, le Miséricordieux, le Pardonneur, le Juste – était teinté de coups, d’insultes, de pressions physiques et psychologiques. Souvent, ces violences s’étendent au-delà des heures d’apprentissage.

Combien de gifles ? Combien de coups ? Et, en plus, cette interdiction de pleurer : c’était une torture. Apprendre le Coran était une torture. Apprendre la parole d’Allah était une torture. Je détestais cette violence.

On ignorait, à l’époque, que j’étais autiste, que j’avais un trouble du déficit de l’attention envahissant, un trouble anxieux et une hyperactivité mentale.

Les violences infantiles ont forcément des dégâts considérables sur l’enfant, son estime et sa confiance en lui, en les autres, sa vision de l’amour et sa relation avec l’oppresseur, en l’occurrence le parent.

Mais, avoir des troubles en plus, ne facilite pas la tâche. Là où j’aurais dû embrasser cette magnifique religion qu’est l’Islam, au fil des années, je l’ai rejetée.

Va prier, va prier, va prier, va prier…” Cette injonction incessante me faisait m’enfermer dans ma chambre, lire un bouquin, compter les moutons, apprendre à faire la roue, chantonner. Bref, une activité qui tienne le temps d’une prière pour faire croire que “Oui, ça y est, j’ai prié, al hamdoulilah”.

Donc, déjà petite, je mentais sur ma pratique. Je la faussais. J’ai fini par l’avouer et, dans un torrent de larmes, j’ai par la suite demandé pardon à Allah et me suis jurée de ne plus recommencer.

Seulement voilà, à l’heure où j’écris cet article, ça ne fait qu’un mois que je prie tous les jours, à l’heure, en étant impliquée émotionnellement. Cela m’a pris 14 ans de ma vie – et je parle juste de la prière.

Ne vous a-t-on pas répété que la prière est un pilier fondamental ? N’est-elle pas justement le deuxième pilier, juste après l’attestation de foi ? C’est dire son importance. Vous a-t-on assommé.e avec cette injonction “Prie avant qu’on ne prie sur toi !” Moi, oui.

Peu importe combien je me répétais que, cette fois, je ne manquerai pas Sobh, ou je n’attendrai plus l’Icha car sinon, ce n’est pas de la prière, mais de la gymnastique – combien de fois ai-je échoué ?

14 ans de ma vie. Parce que je ne comprenais pas ce que je faisais. Qui est Celui que j’invoque ? Mais pourquoi Lui demander de l’aide, si je dois Le craindre absolument ? Lui, m’aime-t-Il ? Mais comment peut-Il m’aimer, si c’est Lui qui me châtie ?

Mes questions peuvent choquer, mais elles sont nécessaires. Quand on adhère à un club, à une association, une école, on cherche bien sur internet qui sont ces gens. Pourquoi bosser pour eux. En entretien, on vous pose bien des questions sur l’entreprise, non ? Vous savez pour qui vous bossez. Quand on signe un contrat, ne lit-on pas ses termes et conditions ?

En quoi est-ce différent de la religion ? Ne dois-je pas justement connaître suffisamment son histoire, ses préceptes, mes prédécesseurs et, surtout, le Seigneur de ce monde ? Afin de mieux L’aimer et Le craindre.

Je n’ai pas appris cela. J’ai appris qu’il fallait faire comme ceci, comme cela, car sinon, il y aura une punition divine effarante et je m’en mordrai les doigts et mourrai de regrets.

Ai-je envie d’aimer cette divinité qu’on me dépeint comme un danger absolu ?

Allah n’est-Il pas Al Hafidh (le Protecteur) ? Al Ghafour (le Pardonneur) ? Al Wadoud (Celui qui aime et est aimé) ? Al Satir (Celui qui cache les défauts) ?
N’aime-t-Il pas Ses créatures ? Maintenant, je peux répondre que OUI. Et que j’aime fort mon Seigneur, très fort. Allah est grand.

Aujourd’hui, la santé mentale et la santé des jeunes est un sujet majeur en France. Le tabou est levé, chacun et chacune témoigne de son vécu dans une vague de partage et de résilience magnifique.

En tout cas, moi, je trouve cela magnifique, parce que j’ai pu m’auto diagnostiquer et sentir que j’étais moins seule dans mes difficultés. Cependant, la religion demeurait mon tabou.

À l’adolescence, je priais de temps en temps, par-ci par-là, un péché et une prière à la suite – histoire de. Le pire, c’est sentir qu’on ne vous comprend pas. Lorsque j’ai évoqué ces difficultés, on a soupiré et on a quitté la pièce.

Sans un mot.

J’étais comme une traîtresse. À la bourre. J’étais bizarre. Et, on m’a balancé que celui qui ne prie plus pendant plusieurs jours, n’est plus musulman. Je n’ai plus prié pendant deux ans.

Mes épisodes dépressifs ne m’ont jamais permis de me blottir près de Dieu. J’étais seule dans ma peine, mon malheur, consultant enfin une psy en 2021. Là, je remonte la pente.

Mais j’ai cette pensée qui me trotte dans un coin de ma tête : et si je n’avais pas subi de violences infantiles, aurais-je été différente ? Moins anxieuse ? Plus confiante ? Les traumatismes, je les extériorisais par l’automutilation et le perfectionnisme.

La thérapie et le sport ont été de véritables béquilles. Pourtant, rien de cette vie d’ici-bas ne guérissait ma peine. Allah nous suffit et Il est notre meilleur garant, je saisis maintenant ce que cela veut dire.

L’automutilation est un geste addictif ; forcément, j’eus des rechutes. J’eus une rechute après trois ans de sobriété et, là, une boucle infernale s’est lancée : jusqu’où pouvais-je aller dans la violence ? Vaincrais-je celle de mon père et de la société ? Jusqu’où va-t-on pour toucher le fond ?

J’ai touché le fond, lorsque j’ai attenté à ma vie deux fois, dans la même semaine. J’ai été sauvée de peu, à chaque fois.

Le suicide est illicite en Islam. Allah le Très-Haut répète à Ses créatures de ne jamais perdre foi et toujours s’en remettre à Lui. Aussi, “quiconque tue une âme qui n’a pas commis de meurtre ou de corruption sur la Terre, ce sera comme s’il avait tué toute l’humanité.”, Sourate Al-Maidah, 32.  Je me répétais donc que jamais je ne commettrais un tel péché. Eh bien, me voilà, deux fois, désireuse et actrice de la fin de ma propre vie.

Al hamdoulilah, j’ai été sauvée. Al hamdoulilah, aujourd’hui, je suis en vie. Al hamdoulilah, al hamdoulilah, al hamdoulilah…

J’abandonne la violence de mon enfance. J’abandonne les injonctions. Je pardonne à mon père, à ma mère, à ceux qui ont baissé les yeux, car souvent, eux n’ont jamais rien appris d’autre et ont subi ce que j’ai subi.

Je pardonne, surtout, pour ma paix d’esprit et par amour pour Allah.

Et je m’abandonne à Lui.

Le lendemain, j’ai prié. Avec tout l’amour du monde, j’ai prié. J’ai prié si fort, et je prie encore avec tant de ferveur, mais ce ne sera jamais assez et je l’accepte. Mais j’accepte, surtout, qu’Allah m’aime. Je n’y avais jamais cru. Je ne pensais pas Le mériter.

Aujourd’hui, je le jure que le Seigneur aime Ses créatures.

Car si aujourd’hui, moi, qui commettais les pires péchés, qui m’enfonçais dans la violence envers moi, les autres, mon corps, ma santé, qui blâmais le monde, qui me blâmais, qui me détournais de Dieu, puis revenais avec culot et mépris, qui m’en allais encore, qui me persuadais et persuadais la Terre qu’Allah a des préférés, que je n’en fais pas partie, qu’Il s’en moque, qu’Il ne me voit pas, qu’Il ne veut pas me voir…

Si ce Seigneur-là m’accorde aujourd’hui de vivre avec joie, reconnaissance ; de prier avec amour, soulagement ; de l’invoquer avec adoration, peur ; regretter avec larmes, espoir…

Si ce Seigneur-là m’accorde aujourd’hui la foi et le bonheur, alors, je le jure, Il aime Ses créatures.

Tu peines peut-être à prier, à accomplir de belles actions, à parler à Dieu, à trouver une place dans la communauté. Tu peines peut-être à rester ici, tu fais des allers-retours. Peut-être que tu pleures, que tu désespères, que tu t’anesthésies, que tu te fais du mal, que tu t’en veux, que tu en veux aux autres.

Je veux te dire que je te comprends. Qu’on emporte souvent la violence du monde et de nos proches avec nous, sans savoir quoi en faire, alors, on se lave avec, on s’habille avec, on se rince le visage avec ; bref, on s’en imprègne.

Je ne te mentirai pas : mon chemin vers la réconciliation et le retour à Allah fut douloureux et laborieux. Je garde à l’esprit qu’ Allah le Très-Haut a dit que l’épreuve élevait le.a musulman.e; tu touches le fond pour te propulser plus proche de Lui. Et je sais qu’Allah me voit et qu’Il est mon meilleur allié.

Jamais l’Islam n’a accepté ou toléré quelconque forme de violence, de pression, d’emprise. Notre religion est une religion de paix, de douceur, de pardon, de bienveillance, de justice et d’équité. Il est urgent de bannir de nos modes d’éducation les mécanismes de violence que l’on nous a transmis.

Il ne s’agit ni d’honneur, ni de trahison, ni d’héritage à perpétuer : tout ce que certain.es perpétuent en blessant leurs enfants, ce sont les traumatismes et les péchés de nos ancêtres.

Jamais le Prophète Muhammad (sws) – qui est notre exemple ! – n’a levé la main sur sa femme et ses enfants. En quoi un enfant est-il différent d’un autre ?

Le nécessiteux est certes le pauvre sans argent ni toit ; mais le nécessiteux est aussi l’enfant ! L’enfant qui dit stop, qui demande, qui pleure, qui doute ! Le nécessiteux est celui.celle avec une maladie, un trouble mental, cognitif…

Mes questions de tout à l’heure peuvent choquer, mais je répète qu’elles sont nécessaires : pouvons-nous y répondre ?

Sommes-nous capables de dire pourquoi nous prions ?  Pourquoi nous jeûnons ? Que nous apporte notre religion ? Comment l’avons-nous étudiée ? Sommes-nous d’accord avec ces méthodes de transmission ? Où flanchons-nous ?

Car nous flanchons toutes et tous. Je flancherai encore. D’où l’importance et l’urgence de retrouver de belles valeurs dans nos communautés, reconnecter nos cœurs et faire triompher l’amour, l’humilité, la justice, l’équité, la bienveillance et le pardon. La foi est un long chemin : chacun.e va à son rythme. Les injonctions sont inutiles. Ne bâtissons pas pour nos proches des routes pleines de crevasses. L’Islam est une religion de paix.

Crédit photo : Amani Haydar, à retrouver sur son compte instagram

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