Mon Ramadan idéal, entre douceur et difficultés

par | 2/04/24 | Nos Voix

J’adore le Ramadan.

Le jeûne a pour particularité d’être une pratique religieuse commune aux trois religions monothéistes et il s’y décline sous différentes formes.

Pour moi, femme, musulmane de naissance et française, le Ramadan est un mois que je chéris particulièrement. Il est un mois béni où Dieu a révélé le Message sacré à son Messager Mohamed (Paix et Salut sur lui). Dans la croyance musulmane, il est une miséricorde pour quiconque a la chance d’être en mesure d’accomplir le jeûne et tirer profit de ses bénéfices spirituels. Dieu dit d’ailleurs dans le Coran que ce mois contient une nuit particulière « meilleure que mille mois », souvent traduite comme Nuit du Destin.

Par ailleurs, notre réalité d’humain se déclinant sous trois aspects : physique, émotionnel et spirituel, le Ramadan vient faire le lien entre ces trois dimensions et nous ouvrir les yeux sur leur interdépendance.

C’est ainsi que ces dernières années, je me suis aperçue qu’en plus de l’aspect spirituel, il est aussi intéressant de l’expérimenter sur le plan émotionnel et physique car il nous challenge à plusieurs niveaux : manque de sommeil, course contre la montre, solitude, tentations diverses, troubles alimentaires, maladie, adaptation du rythme à l’école ou au travail, gestion des contraintes familiales etc.

C’est comme s’il venait tous les ans nous rappeler à notre condition d’humain et mettre en exergue nos défis du quotidien.

Nous sommes nombreuses à être très exigeantes avec nous-mêmes et avoir un sentiment de culpabilité lié à cette croyance de ne « pas faire assez » voire de « ne pas être assez ».

Ne pas faire assez de lecture de Coran, ne pas assez faire de prières surérogatoires, ne pas assez aller à la mosquée, ne pas assez nous occuper de nous et de nos proches (enfants, parents, conjoint, frères et sœurs) etc.

Cela met aussi en lumière des injonctions faites aux femmes qui semblent se renforcer pendant le Ramadan : Être une assez bonne croyante, une bonne cuisinière, une mère parfaite, ou encore une sœur ou fille à la hauteur, car prise par la fatigue et un rythme compliqué.

Ajouté à cela, un contexte sociétal où la majorité de la population ne jeûne pas et où beaucoup de personnes que nous côtoyons au quotidien ne connaissent que peu les rites musulmans, on se retrouve parfois dans une condition inconfortable, à devoir répondre à des questions concernant le licite et l’illicite comme si le collègue ou le camarade de classe voyait en nous un Imam ou un-e Représentant-e Universel-le des Musulman-es de la Terre.

Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai dû répondre à des questions liées à l’hygiène buccale ou corporelle, domaines qui suscitent une étrange curiosité à cette période de l’année.

Mais revenons-en à notre culpabilité. J’entends beaucoup de femmes de mon entourage souffrir de cela pendant cette période sacrée. Ce sentiment qui nous colle à la peau et vient entacher notre réalité.

Ces difficultés sont réelles et elles viennent encore une fois mettre le doigt sur la responsabilité que beaucoup de femmes portent au sein de leur famille ou foyer pendant cette période, la fameuse charge mentale et cette responsabilité de prendre soin des autres au détriment de sa propre personne, avec toute la frustration et la fatigue corporelle et morale que cela peut engendrer.

Étant moi-même concernée par cette réalité à travers mes contraintes professionnelles et familiales, j’ai eu l’opportunité de vivre le Ramadan dans plusieurs contextes.

J’ai d’abord commencé à jeûner en famille, avec ma sœur et mes parents où je ne me rendais que peu compte de la charge qui incombait à ma mère lors de la préparation des repas. Petite, j’entendais ma mère et ses sœurs parler de la « préparation » du Ramadan, je ne comprenais pas très bien ce que cela impliquait mais il s’agissait en fait d’une logistique assez bien ficelée entre la gestion des stocks, des courses et la préparation des repas en conséquence.
Plus tard, j’ai vécu seule, en plein confinement pendant l’épidémie de Covid et j’ai expérimenté ce qu‘était de rompre son jeûne seule, avec une table garnie à ma manière et un fond télévisuel. J’ai découvert le combo Ramadan et Solitude.
Pour moi, il s’agissait de deux concepts antagonistes mais je me suis tant bien que mal faite à cette réalité de célibataire ayant quitté le foyer de ses parents.

Ce sont tout de même des moments qui m’ont permis de me retrouver bien qu’en général je ne sois pas une grande solitaire. Je dirais que le fait d’avoir créé une atmosphère cocooning m’a aidé à mieux le vivre. Aidée de quelques bougies, d’une table avec des ingrédients sains et de quelques moments réconfortants lors de visios avec des ami.e.s pour réciter des prières ou des invocations en groupe, j’en garde plutôt un bon souvenir.

Aujourd’hui et à travers mon cheminement, j’éprouve tout de même un grand bonheur et une grande joie que je m’autorise à accueillir à l’approche de ces jours de jeûne car j’ai appris à en tirer un bénéfice à mon échelle, avec les moyens qui me sont donnés.

Je dois dire que cela ne fut pas un long fleuve tranquille, j’ai plutôt appris à aimer le Ramadan. En effet, n’ayant pas grandi dans une famille très religieuse, cet amour est né  à travers ma propre expérimentation :  lors des prières en groupe à la mosquée, en position gainage, essayant  de rester concentrée  en profitant de la belle récitation de l’Imam. Ou encore lors de moments de recueillements, seule avec mon Coran et quelques objectifs atteignables en tête. Et enfin lors d’écoutes de podcasts cherchant à approfondir ma connaissance religieuse tout en élaborant des plats équilibrés pour prendre soin de mon corps et mon esprit dans cette période de restriction mais aussi de réapprentissage.

Je me suis créée mes propres rituels pour cultiver cet amour et l’arroser de ce que je trouve de bon dans tout ce qui peut améliorer le spirituel, l’émotionnel et le corporel.
J’ai fait du Ramadan un moment de reset mental et corporel où mon esprit et mes pensées parasites prennent naturellement moins de place avec la faim qui s’impose à mon corps. Ce sont aussi ces sensations qui me font aimer ce mois béni et m’aident à trouver un équilibre entre le corps et l’esprit, ou devrais-je dire un rééquilibrage où chaque élément reprendrait sa juste place.


En m’autorisant à le vivre à ma propre échelle de connaissance et de pratique religieuse, je me suis rendue compte que le Ramadan venait décupler ma foi et que mon cœur était dans une posture de réceptacle de bonté et d’amour.

Alors, même si pour moi, cette période est synonyme d’exaltation spirituelle, je m’autorise aussi à enlever les œillères que je suis tentée de mettre pour rester dans une vibe positive. Et à mon niveau, cela consiste à reconnaître ces émotions perçues comme étant négatives mais qui ont le mérite de nous rappeler nos propres besoins.

Étant une personne qui aime beaucoup les moments de partage, je me retrouve souvent avec une fatigue physique importante liée à une forte charge de travail domestique que je m’impose en invitant mes ami.e.s ou ma famille à rompre le jeûne, à la recherche d’un moment de convivialité et de spiritualité à vivre en groupe.

Cependant, si je m’écoute sincèrement, je sais que cela a tendance à provoquer un grand sentiment d’épuisement et de saturation qui vient gâcher ma sérénité et cette recherche d’équilibre et d’alignement qui peuvent m’animer.

Alors cette année, j’ai décidé de me rendre service et de reconnaître mon besoin de repos et de préservation de mon temps/énergie.

En effet, même si le Ramadan a beaucoup de sens dans ma vie, qu’il me pousse au dépassement de soi et m’enrichit spirituellement, les difficultés de la vie quotidienne sont quant à elles bien réelles et il est important de les reconnaître si je veux continuer à tirer bénéfice de ce moment tant sur le plan physique, spirituel  qu’émotionnel. Un des plus gros challenges de la vie consisterait peut-être à  trouver l’équilibre entre ces trois composantes et c’est quelque part une chance d’avoir un rappel une fois par an à ce sujet. 

Le rythme quotidien de beaucoup de personnes, dont je fais partie, étant en grosse partie dicté par les contraintes extérieures, c’est un mois qui m’invite à renouer avec mon intériorité et remettre en question mon style de vie et c’est finalement pour cette raison que j’apprécie ses enseignements et que chaque année il arrive à un moment clé. Finalement, je me dis que c’est comme beaucoup d’apprentissage dans la vie, l’idée étant de garder en tête son objectif final, d’y aller par étapes pour préserver autant que possible son bien-être et cultiver la douceur malgré les difficultés qui sont parfois de bons rappels et une invitation à mieux se connaître.

A quelques jours de la fin de ce mois béni et à l’approche de la fête de l’Aïd, je suis donc pleine de gratitude et remercie Dieu de m’avoir permis de continuer à cheminer dans ce sens. L’invocation que j’ai choisi de faire cette année est un appel à l’équilibre, ainsi je demande à Dieu de m’aider à le trouver et surtout à le préserver.