Une vraie claque – Illégitimes de Nesrine Slaoui

par | 10/02/21 | (Dé)construction, Portraits

Au premier coup d’œil, Illégitimes, est un titre qui me fait directement écho, qui me procure un certain malaise mélangé à l’appréhension. Un titre qui m’attire, qui me guette, qu’est-ce que ce roman contient d’aussi bouleversant ?

 

« Aux écorchés, aux ambitieux, à tous ce qui se reconnaitront et aux miens pour toujours » N.Slaoui

 

Nesrine Slaoui nous entraîne au cœur de ses nombreux souvenirs. Elle raconte son parcours, d’une cité HLM à Sciences Po Paris, l’histoire de sa famille, mais nous offre aussi une réflexion sur la société.

Entraînée dans un tourbillon d’émotions entre nostalgie, honte, colère, indignation, Nesrine Slaoui, nous livre les non-dits cumulés au fil des années…d’une communauté qui se sent illégitime. Elle met des mots sur les maux les plus anciens et les plus profonds, voir les plus anecdotiques… Ce roman est une bouffée d’air.

 

« La femme, l’Arabe, et la banlieusarde de campagne » N. Slaoui

 

Nesrine Slaoui est née au Maroc. À l’âge de trois ans, elle quitte son pays natal, dans les bras de sa mère, pour le sud de la France. Aujourd’hui, elle est diplômée de Sciences Po Paris, et est journaliste chez Loopsider et France TV. Illégitimes est son premier roman, publié par les Éditions Fayard le 6 janvier 2021.

 

« Un hommage à tous ceux pour qui la légitimité demeure un combat permanent » quatrième de couverture –Illégitimes

 

C’est d’abord la province dans laquelle elle a grandi que Nesrine Slaoui décrit dès les premières lignes de son roman. Cela commence avec douceur, mais petit à petit, la tension monte. La situation évolue de manière crescendo, l’autrice nous offre un tableau qui présente la triste réalité d’une partie de la population française, depuis le début de la crise sanitaire.

 

« Ceux dont la vie est confinée en permanence » p19 – Illégitimes

 

Nesrine Slaoui ne tourne pas autour du pot. Elle dit ce qu’elle à dire. La plume vive et tranchante, elle dessine un portrait d’un père que la France a fragilisé, une description dans laquelle une partie des enfants d’immigrés pourraient se reconnaître.

Un père, une mère qui ont quitté leurs terres pour vivre le rêve français. Pour survivre, ils se sont sacrifiés, en retour, ils ont vu leurs corps se dégrader. Un sentiment bienveillant, presque protecteur, né à leur égard.

Nesrine Slaoui expose le rapport que son père et ses grands-parents ont avec la langue française, cette distance lointaine, ce malaise qu’ils ont avec la langue de Molière. À la lecture de ces pages, la langue de l’amour s’est transformée en une langue étrangement amère.

Illégitimes fait table rase, le silence n’est plus permis. Pour que les générations à venir puissent connaître l’histoire de leurs ancêtres, Nesrine Slaoui puise au fond d’elle, et utilise tout son courage, pour faire sortir son grand-père de son mutisme. 

 

 

Crédit photo : Kaoutar RH

 

« J’avais appris par cœur les règles du jeu, je croyais les maîtriser, et d’une certaine manière, je les maîtrisais, mais je n’avais pas compris que le jeu en lui-même était truqué » p22 – Illégitimes

 

La jeune femme confesse sa colère, et son ressentiment face au système. Elle met l’accent sur la culture dominante et les classes sociales. L’autrice met clairement des mots sur les maux, les non-dits refoulés sont exposés dans ce livre, dans ces pages. Chapitre après chapitre, les mots éclatent d’une rage qui soulage.

Elle partage avec nous son parcours, son fort désir de réussir et son envie de quitter sa banlieue. Nesrine Slaoui est déchirée entre plusieurs émotions, malgré le rêve de vouloir être à Paris, elle reste attachée à son milieu populaire.

Elle raconte son cheminement scolaire, et peint la dure réalité qu’elle a pu vivre « en tant que maghrébine » à Sciences Po : les paroles violentes de la part de ses camarades, les rumeurs, les critiques, les moqueries, les photos prises à son insu. On lui faisait savoir qu’elle n’était pas à sa place. Nesrine Slaoui a vécu un réel harcèlement scolaire. Pourquoi ? Car elle est un « bug dans la matrice »[1]

 

« Je rêvais de déchirer le filet pour me faire une place. Remonter à la surface de l’eau et crier notre existence. La France ne nous voyait pas. Nos visages d’Arabes n’étaient nulle part. Ni dans les journaux, ni dans les films, ni même dans les livres. Sauf pour nous dénigrer. Des voleurs, des menteurs, des délinquants et des terroristes. Nous étions de trop » p 43 – Illégitimes

 

Illégitimes est l’occasion également pour son autrice d’évoquer les violences policières, les contrôles de police injustifiés, le racisme et les discriminations. Elle dénonce l’utilisation du mot « beurette » et l’hypersexualisation des femmes nord-africaines.

Engagée, plus rien n’arrête la plume de Nesrine Slaoui : sa fureur contre l’injustice, et sa rage de réussir, on les sent, on les respire.

 

« Je voulais balancer ma réussite au visage de ceux qui n’avaient jamais cru en moi, je voulais qu’elle cingle comme une claque.» p159 – Illégitimes

 

Les mots de ce roman se confondent avec mes propres pensées. Autant, je me retrouvais dans certains passages, autant, je me sentais étrangère dans d’autres. Cependant, ce roman était une vraie « bouffée d’oxygène »[2] , un soulagement.

Illégitimes n’est pas un simple roman, mais un témoignage, un cri sincère qui vient du fond de l’âme et qui fend les cœurs. Une ode. Un puissant hommage.

Peu importe les barrières mises à l’entrée, osez changer les règles du jeu, brisez les codes…

C’était un livre touchant et j’aurais aimé lors de mon adolescence tomber sur un roman aussi sincère et simple, mais qui regorge de profondeur.

 

Crédit photo : Kaoutar RH

 

« Je tâcherai alors de jouir d’être à jamais illégitime » p193 – Illégitimes

 

Le podcast de Bookapax décrit Illégitimes comme « un titre qui claque pour un ouvrage qui tranche… Nesrine Slaoui s’empare du mot et en fait un étendard ».

[1] « je suis un bug dans la matrice » p175 de Illégitimes

[2] « une profonde bouffée d’oxygène » p190 de Illégitimes.

 

 

 

 Jou RH

Crédit photos à la Une : Kaoutar RH

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