Top 3 des visions fantasmées des femmes musulmanes dans les médias

par | 28/03/18 | (Dé)construction

 

« Celui qui contrôle les médias contrôle les esprits », affirmait le chanteur Jim Morrison. Compte tenu du nombre d’absurdités qu’on peut y voir, notamment sur les musulman·e·s, nous vous proposons de déconstruire trois préjugés concernant l’identité et le vécu des femmes musulmanes, souvent relayés dans les médias.

 

Toutes les femmes arabes sont musulmanes

 

Dans l’imaginaire collectif, les femmes musulmanes sont arabes. Pourtant, de nombreuses adeptes de l’islam ne le sont pas et le fait d’être d’origine maghrébine ne signifie pas que l’on est forcément musulman·e. Cela semble évident pour beaucoup de personnes, mais force est de constater que nous sommes encore loin de la fin de cette confusion entre arabité et islamité, encore très présente dans les médias traditionnels. La façon dont on qualifie Jeannette Bougrab en est la preuve. Elle se définit elle-même comme athée, mais elle est qualifiée de « musulmane » dans le Figaro ou encore considérée comme ayant une « apparence musulmane » dans l’Express.

 

Mais… Qu’est-ce que l’apparence musulmane ? Ces préjugés sont tellement ancrés dans la société que certain·e·s musulman·e·s finissent elles·eux-mêmes par les intégrer, ce qui entraîne certaines difficultés pour celles et ceux qui ne sont pas arabes. C’est la raison pour laquelle plusieurs femmes musulmanes aux origines et aux tenues vestimentaires variées s’expriment à ce sujet dans le cadre du récent projet la Muslim Wave, afin de montrer leur diversité.

 

C’est aussi l’ambition du projet Black and Muslim in Britain, soit « Noir·e et musulman·e en Grande-Bretagne », dans lequel les préjugés et leurs conséquences sont dénoncés. Ce projet permet de mettre en avant les personnes noires et musulmanes, souvent invisibilisées  à la fois par des non-musulman·e·s et des musulman·e·s. Il est temps de montrer les adeptes de l’islam d’une façon plus représentative. Faut-il rappeler que les pays arabes ne représentent que 20 % de la population musulmane mondiale et que l’islam est la religion majoritaire dans des pays où la population n’est pas arabe, comme en Turquie, en Iran ou en Indonésie, pays comptant le plus de musulman·e·s sur la planète ? Tout cela sans occulter le fait qu’au Maghreb, de nombreux·ses musulman·e·s ne sont pas arabes mais berbères, bien que la culture arabe y soit très présente.

 

Il existe donc des femmes musulmanes de toute origine, y compris en France, à l’instar de Maboula Soumahoro, franco-ivoirienne, Elsa Ray, attachée à sa Bourgogne natale, Mélanie Georgiades, anciennement Diam’s, Française d’origine chypriote, ou encore Anggun, franco-indonésienne. Ecoutons-les, plutôt que de biaiser le débat en demandant à des non-musulmanes de s’exprimer, sous prétexte de leurs origines maghrébines, au nom de celles l’étant vraiment.

 

Le sexisme subi par les femmes musulmanes vient uniquement des hommes partageant leur foi ou leur culture, ou tout simplement de l’islam

 

Crédit photo : mvzlamic

 

Dans son ouvrage, Au nom des droits des femmes : la montée du fémonationalisme, Sara Farris dénonce le fait qu’en Europe, il existe un véritable bloc islamophobe, à la fois constitué par des personnes se réclamant de droite et de gauche. Celui-ci condamne notamment les hommes musulmans, considérés comme beaucoup plus sexistes que les non-musulmans, au nom de l’égalité entre les femmes et les hommes. Les femmes musulmanes ne pourraient ainsi s’émanciper qu’à l’aide d’hommes non-musulmans, de la République ou des deux à la fois, comme nous le voyons souvent au cinéma, dans Le noir te va si bien ou encore dans Cherchez la femme. Nacira Guénif-Souilamas, dans son ouvrage Les féministes et le garçon arabe, ou encore François Vergès, dénoncent que le fait d’insister sur le sexisme des musulmans est une stratégie qui permet de se dédouaner du sexisme présent dans le reste de la société.

 

Il est vrai que les femmes musulmanes peuvent subir le sexisme de leurs coreligionnaires, mais au-delà de ces discriminations s’habillant parfois de religion ou de tradition, les femmes musulmanes subissent des discriminations de la part de personnes non-musulmanes, les empêchant d’étudier ou de travailler. Cela est légitimé par plusieurs discours, dévoyant complètement la laïcité et visant spécifiquement les femmes musulmanes. Leurs foulards devraient nous indiquer un danger important, selon Bernard de la Villardière dans Touche pas à mon poste.

 

On se souviendra également du reportage mensonger de France 2 sur le bar de Sevran, dans lequel les hommes du bar étaient accusés par les journalistes d’interdire aux femmes d’entrer, en raison d’un sexisme particulier lié à leur appartenance religieuse – affirmation dont l’absurdité a été démontrée par la contre-enquête du Bondy Blog. Ainsi, les banlieues sont souvent pointées du doigt comme des étendards de la menace musulmane en France, censées constituer les seuls endroits en France où l’égalité entre les hommes et les femmes ne serait pas respectée. De plus, le Collectif contre l’Islamophobie en France n’a cessé de nous rappeler que les femmes correspondaient à 80 % des victimes de l’islamophobie. Si nous souhaitons vraiment les aider, commençons déjà par cesser de les stigmatiser et de les agresser.

 

Comme l’avait très justement souligné Rokhaya Diallo, il existe un véritable « féminisme de circonstance ». Plusieurs individus se découvrent féministes uniquement pour « défendre » les femmes musulmanes, dans le but de les conformer à leur idéal ethnocentré et républicain, sans pour autant accorder autant d’énergie à s’interroger quant aux discriminations que subissent les femmes non musulmanes ou non voilées. Tout cela est complètement occulté.

 

Plus les femmes musulmanes sont couvertes, plus elles sont dangereuses

 

 

Affiche durant la colonisation de l’Algérie

 

De nombreuses femmes sont soumises à des injonctions contradictoires. Nous sommes nombreuses à faire attention au choix de nos vêtements, afin de s’assurer de ne pas lancer de mauvais signaux, susceptibles de nous placer dans des situations désagréables voire dangereuses, comme s’il s’agissait de notre responsabilité de ne pas être agressées.

 

Pour les femmes musulmanes, cela peut être encore plus présent. Encore aujourd’hui, de nombreuses personnes considèrent que les femmes musulmanes ne doivent être respectées que sous certaines conditions. Pour être une femme musulmane respectée et respectable, il faut à tout prix s’éloigner des stéréotypes de la fameuse menace islamo-terroriste : ne pas porter de foulard, manifester son admiration et sa dévotion la plus profonde pour la France et la République, condamner fermement tous les attentats commis dans tous les pays de la planète par des personnes supposées musulmanes, voire manger du porc et boire du vin…

 

Le traitement médiatique de l’affaire Mennel Ibtissem en est un bon exemple. Le fait que cette femme se couvre les cheveux a scandalisé plusieurs personnes. Sur Cnews, certain·e·s ne se gênaient pas pour affirmer que cela était une provocation suprême. Pour défendre cette femme, d’autres rétorquaient que ce foulard était léger et qu’il restait donc convenable, comme si cela était une condition pour que l’on puisse respecter cette femme. Qu’est-ce que cela signifie ? Si elle avait chanté avec un foulard couvrant aussi son cou, cela aurait bel et bien été choquant et provocant ?

 

Il existe cette idée selon laquelle les femmes musulmanes peuvent être jugées sur leur apparence et leurs tenues vestimentaires, et jugées comme trop ou pas assez couvertes. Si nous sommes considérées comme « trop » couvertes, nous sommes souvent perçues comme des « vraies » musulmanes, adeptes d’une idéologie totalitaire, allant à l’encontre des droits des femmes et constituant une honte pour toutes celles se battant dans d’autres pays afin de ne plus céder à l’injonction de se voiler. Parallèlement, si nous sommes considérées comme « peu » couvertes, cela signifie que nous ne sommes « pas trop » musulmanes, que nous avons bien compris la vie, loin de la piété islamique et donc tout-à-fait acceptables en société. Ne pas être voilée signifierait même que nous sommes plus disposées au plaisir des hommes, comme le sous-entendait Eric Zemmour dans On n’est pas couché, ou encore Robert Ménard, visiblement attiré par les « beurettes » qu’on ne peut « plus draguer » parce qu’elles sont désormais voilées, dans Salut les Terriens. Honnêtement, n’est-ce pas profondément exécrable de n’apprécier les femmes musulmanes que lorsqu’elles nous plaisent physiquement ? N’est-ce pas cantonner la femme à un corps sexualisé ? N’est-ce pas loin du féminisme ?

 

Malheureusement, ces préjugés sont loin d’être les seuls concernant les femmes musulmanes. Il est important de se rendre compte de l’influence considérable des médias dans la façon dont nous percevons les femmes, mais aussi les hommes musulman·e·s. Ces dernier·e·s sont loin de former un bloc monolithique et nos vies seraient sûrement moins difficiles si chacun·e veillait à combattre ses propres préjugés, totalement légitimés dans la majorité des médias et des discours politiques. Hélas, la réflexion de Malcolm X reste donc toujours d’actualité :

« Si vous n’êtes pas vigilant·es, les journaux arriveront à vous faire détester les opprimé·e·s et aimer celles et ceux qui les oppriment. »

 

Crédit photo à la une : Sanaa K

 

 

 

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