Pourquoi la victoire des Chibanis est importante

par | 21/03/18 | (Dé)construction

Paris, 31 janvier 2018. C’est une journée historique pour les Chibanis (“cheveux blancs” en arabe), ces travailleurs immigrés à la retraite. En effet, la Cour d’appel de Paris condamne en appel la SNCF dans l’affaire des 848 immigrés marocains qui poursuivaient la compagnie ferroviaire pour discrimination. Il aura fallu 12 années de procédures judiciaires pour arriver à cette victoire. Et j’avoue que j’ai un peu pleuré ! Revenons sur leur histoire et pourquoi nous devons nous souvenir de leur lutte.

 

 

Retour sur un procès qui a duré plus de 10 ans

 

Les Chibanis sont arrivés en France dans les années 1970. Recrutés en Afrique du Nord – principalement au Maroc – par la SNCF, on leur promettait “un travail égal / salaire égal” à ceux des Français. La réalité était néanmoins différente : là où les travailleurs français avaient le statut de cheminots, les Chibanis étaient considérés comme contractuels. Leurs contrats de travail étaient rédigés suivant le statut “PS 25”. Ces derniers n’avaient donc pas les mêmes droits que leurs collègues français : ils devaient travailler 7 à 10 ans de plus que les cheminots, ils étaient moins bien payés, n’avaient pas de perspective d’évolution et donc pas d’augmentation de salaire.

 

Groupe de triage en juin 1970 / Crédit inconnu

 

C’est au moment du départ à la retraite que bon nombre de Chibanis se sont sentis lésés et humiliés. Des courriers ont été adressés aux DRH, et grâce au bouche-à-oreille, ils se sont réunis et ont porté plainte collectivement contre la SNCF. La procédure a débuté aux Prud’hommes en 2001, une plainte pour discrimination a été déposée.

Au départ, ils n’ont pas obtenu de soutien de la part des syndicats. A l’époque, la CGT menaçait même de faire grève si les droits de passer des examens étaient donnés aux Chibanis. Les organismes de retraite se montraient également récalcitrants face à leur démarche, comme le raconte un des Chibanis dans cette entrevue.

En 2015, les Chibanis ont gagné le premier procès : la justice a condamné la SNCF à payer 170 millions d’euros à répartir entre les différents plaignants. La SNCF a cependant fait appel de la décision, bloquant ainsi le versement des indemnités et allongeant la procédure judiciaire.

Le 31 janvier 2018, la Cour d’appel de Paris a confirmé la condamnation pour discrimination obtenue en première instance, seconde victoire pour les Chibanis.

 

Pourquoi cette victoire est-elle importante ?

En regardant ces Chibanis et en lisant leur histoire, on ne peut que penser que “c’est 40 ans de discrimination qui sont posés devant [la justice]”. Et la justice leur a donné raison.

Les Chibanis qui ont subi un traitement injuste se sont indignés. Ils me donnent l’impression de “passer le flambeau” aujourd’hui : celui de lutter contre les discriminations que nous pouvons subir ou dont nous pouvons être témoins. Je me souviendrai de leur histoire comme de celle des tirailleurs nord-africains victimes de la “cristallisation des pensions” durant la Seconde Guerre mondiale.

Entendre les Chibanis heureux et crier “Vive la République ! Vive la France !” à la sortie du procès m’émeut aux larmes et rappelle combien la France est plurielle. C’est fou l’espoir que cette affaire m’a donné. Cela m’a appris qu’il faut continuer à revendiquer ses droits et à lutter contre toutes les discriminations.

 

Ce que m’ont appris les Chibanis

Crédit photo : AFP/Stéphane de Sakutin

 

En voyant la nouvelle passer sur mon fil d’actualités, je n’ai pu m’empêcher d’avoir un sourire ému. J’ai aussi un goût amer pour toutes ces personnes décédées qui n’auront jamais pu assister à l’aboutissement de ce procès.

Il faut dire que ces Chibanis me font beaucoup penser à ma propre famille. Mon oncle ainsi que mon grand-père ont travaillé plus de 30 ans dans une usine automobile pour une retraite de moins de 1 000 euros par mois. Ils ne se sont jamais plaints de leur situation.

Après tout, cette mince retraite leur permettait de retourner vivre au Maroc et ils n’ont jamais osé s’indigner, sans doute par peur des représailles. Ils sont aujourd’hui décédés, mais on me racontait souvent la pénibilité de leur travail : leurs journées commençaient à 5h du matin, les augmentations de salaires étaient quasi inexistantes… Des points communs avec les discriminations qu’ont pu subir les Chibanis.

Ces Chibanis m’auront tellement enseigné par leur histoire. Ils sont aujourd’hui pour moi un modèle de résilience : ce combat aura duré plus de 15 ans, ils ont fini par faire valoir leurs droits sans violence mais avec beaucoup d’acharnement. Ils m’auront aussi enseigné que l’union fait la force. Il est essentiel aujourd’hui d’être solidaires entre personnes qui faisons face aux mêmes problèmes.

Malgré le fait que les Chibanis aient gagné au premier procès puis en appel, la SNCF se réserve encore le droit de passer en cassation, ce qui signifierait un nouvel allongement de la procédure judiciaire. Restons vigilant·es et n’oublions pas leur histoire qui fait aussi partie de la nôtre.

Si vous souhaitez en savoir plus sur l’histoire des Chibanis, je vous invite vivement à lire ce si beau portrait d’un Chibani par le magazine Dialna !

 

Crédit photo à la une : Nadir Dendoune
Fresque murale réalisée par l’artiste Vince, située rue de la Tour, à Malakoff (92) et représentant Mohand Dendoune, père du journaliste et écrivain Nadir Dendoune

 

 

 

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