Finissons-en avec le tabou autour des règles pendant (et après !) le Ramadan

par | 21/05/20 | (Dé)construction

Force est de constater que les règles constituent encore un tabou très important, d’autant plus pendant le mois de Ramadan, durant lequel les personnes menstruées s’abstiennent de jeûner. Des confins du web aux témoignages partagés par d’autres Lallas en passant par ceux de ma famille, tout confirme une chose : les idées reçues et les oppressions liées à la menstruation au sein de la communauté musulmane perdurent. Et il est grand temps que ça s’arrête.

Premier tabou : la nature du sang menstruel elle-même. Celui-ci est un grand classique, véhiculé non seulement par notre environnement immédiat mais aussi par la société dans son ensemble. Les règles, c’est sale et impur. C’est du sang, oui, mais pas n’importe lequel. C’est celui d’un corps dont on ne se prive jamais de questionner la pureté le reste du temps. Il n’est donc pas étonnant de trouver moult interprétations misogynes de certains textes religieux afin de renforcer cette idée (par exemple : « on ne peut pas toucher le Coran quand on a ses règles car c’est non-hygiénique »). La religion est ainsi, comme souvent, instrumentalisée à des fins sexistes qui maintiennent les femmes dans une position d’infériorité vis-à-vis de leurs homologues masculins.

À cause de ces idées, nombreuses sont les personnes menstruées qui se retrouvent mises à l’écart pendant le Ramadan. Elles sont souvent exclues des mosquées et des rituels d’adoration pendant la période la plus sacrée du calendrier islamique. Je connais des femmes qui préfèrent éviter ces lieux pendant la durée de leurs règles, par peur de devoir se justifier sur la raison pour laquelle elles ne prient pas. Et ce, bien que l’abstention du jeûne et de la prière soient probablement toutes deux des autorisations octroyées en raison de notre condition physique souvent affaiblie par la menstruation, plutôt que des interdictions liées à un manque d’hygiène présumé.

 

Cachez cette chose que je ne saurais voir

Pire encore, certain.e.s d’entre nous ont intériorisé les messages du patriarcat par peur d’heurter la sensibilité des hommes. Pendant le Ramadan, de nombreuses personnes menstruées s’infligent une gymnastique sociale des plus habiles pour éviter de révéler qu’elles ont leurs règles, plus particulièrement aux hommes qui les entourent.

Qui d’entre nous n’a pas déjà caché avoir ses règles à ses homologues masculins pendant le Ramadan ? Qui n’a pas déjà fait mine de jeûner toute la journée pour éviter d’être « démasqué.e », malgré avoir été en droit de manger ? Qui n’a pas été se cacher dans une pièce ou un coin de la maison pour manger sans être vu.e ? Qui n’a pas été jusqu’à mentir à ses collègues ou à sa famille quant au fait de ne pas jeûner, pour éviter de dévoiler son intimité au grand jour ?

 

 

Les exemples sont malheureusement non exhaustifs. Il y a quelques années, une ancienne connaissance m’a même avoué avoir prétendu prier le Taraweeh derrière son père, un soir de Ramadan, pour éviter de lui admettre qu’elle avait ses règles. Les extrêmes jusqu’où nous sommes prêt.e.s à aller pour préserver les hommes de la réalité « horrible » d’un fait biologique pourtant naturel sont incroyables. Ceci perpétue une misogynie assourdissante qui veuille que tout ce qui représente la féminité doive être occulté et invisible. Qu’être une femme, c’est prendre le moins de place possible tant au sens littéral qu’au sens figuré.

C’est là que la culture entre en jeu. La « hchouma » au Maroc, aussi parfois qualifiée de « 3aib », est un terme utilisé comme qualificatif pour désigner un acte ou comportement honteux et/ou qui manque de pudeur. Historiquement, ce terme a été utilisé à tort et à travers pour ostraciser les femmes et leur sexualité. Parler des règles, comme bon nombre d’autres phénomènes qui touchent beaucoup de femmes, rentre d’ailleurs dans cette définition – c’est un acte inapproprié. Il s’agit donc de quelque chose que l’on préfère cacher plutôt que reconnaître, faute de quoi la stigmatisation serait accablante. Ce n’est donc pas une surprise que, pour éviter de subir le poids d’un jugement moral intransigeant – voire d’une forme de suicide culturel et social – certain.e.s préfèrent rester silencieuses par rapport à leur menstrues.

Le problème, c’est que ce silence occulte la réalité des personnes pour lesquelles les règles riment avec douleur et précarité. C’est en ouvrant le dialogue autour de cette thématique que l’on pourra sensibiliser et éduquer nos communautés au sujet d’enjeux de santé qui touchent un bon nombre d’entre nous pendant cette période, comme l’endométriose, le syndrome polycystic d’ovaire (PCOS) ou encore le syndrome pré-menstruel, pour n’en citer que certains.

À chaque fois que nous nous insurgerons contre ce silence imposé, à chaque fois que nous ferons savoir au monde qu’avoir ses règles n’est pas quelque chose d’honteux, nous étendrons le champ de communication qui s’offre à nous. Et, ce faisant, nous permettrons de renforcer un lien de solidarité infaillible non seulement entre personnes concernées, mais aussi entre croyant.e.s. Parce qu’on en a assez de devoir se cacher, de se justifier et de culpabiliser. Mais aussi parce que le poids des attentes sociétales et culturelles ne doit en aucun cas être une charge mentale qu’on doive soulever seul.e.s.

Crédit photo image à la une: Cactus Creative Studio