Déconstruisons les préjugés autour des femmes musulmanes !

par | 1/09/16 | (Dé)construction

Imaginez un instant: un.e élu.e de la République appelle au boycott de magasins qui ont eu l’audace d’embaucher des femmes… Et cela, au « nom de l’égalité femmes/hommes« . Cela vous paraît aberrant ? Pourtant, il y a quelques jours, Jacqueline Eustache-Brinio, maire de Saint-Gratien dans le Val d’Oise, a appelé publiquement au boycott de « tous les magasins qui [lui] imposent des vendeuses et des caissières voilées« 

 

A l’intersection du sexisme et du racisme

 

Aujourd’hui, dans un contexte social de plus en plus tendu, notamment après les attentats de 2015, les propos et les actes commis contre les musulmans, et plus précisément contre les musulmanes, sont de plus en plus nombreux. Selon le Réseau européen contre le racisme (ENAR), 81,5% des actes et des discours islamophobes sont commis contre les femmes en France. Les musulmanes qui portent le voile, en raison de leur visibilité, compteraient ainsi pour près de 100% des victimes de violences physiques.  
Les discriminations subies sont ainsi liées à la fois à leur statut de femmes, victimes de sexisme (harcèlement de rue, inégalités salariales, violences conjugales…), mais aussi de violences spécifiques liées à leur appartenance, réelle ou supposée, à la religion musulmane. Les femmes musulmanes semblent incarner cet « Autre », différent de « nous », et notre société ne cesse de leur renvoyer leur illégitimité à vivre en France… A moins qu’elles ne nient et effacent une partie de leur identité.

 

Exclues au nom de l’égalité et de la laïcité

 

Ces discours et actes oppressifs – de plus en plus banalisés- sont généralement justifiés par un attachement à l’égalité des sexes, à la laïcité et autres grands principes de la République. Dans les plus grandes sphères politiques, on a récemment entendu une ministre comparer le voile à l’esclavage ou une élue le comparer au brassard nazi, stigmatisant ainsi une partie des citoyen.ne.s que ces sphères sont censées représenter.
Chez les féministes dites « traditionnelles », certaines s’arrogent le droit de dicter à d’autres femmes comment mener leurs vies et jugent leur tenues vestimentaires, leur faisant croire qu’il n’y a qu’un seul chemin d’émancipation et qu’il passe nécessairement par une mise à distance du religieux. Ironie du sort: des femmes qui se sont battues pour s’émanciper reproduisent cette oppression sur d’autres femmes. Ce féminisme paternaliste sous-entend que des femmes, musulmanes en l’occurrence, sont incapables de faire leurs propres choix.
Au nom de la laïcité – bien souvent dévoyée et très différente de l’esprit de la loi de 1905-, elles sont également exclues. Confondant neutralité de l’Etat et neutralisation des individus, de nombreux employeurs et employés considèrent que le lieu de travail doit être « neutre » et « laïque ». Ils pensent de ce fait que l’injonction à la neutralité et le refus du port de signes religieux ne sont ni des discriminations ni des violations des libertés religieuses.
Enfin, ces dernières années, l’image réductrice et indélébile de ces femmes musulmanes éternellement soumises et oppressées par une religion violente s’est ancrée dans l’imaginaire collectif. Représentées comme un bloc homogène, avec une histoire unique, et réduites à un silence paradoxal: on ne cesse de parler d’elles, mais sans jamais leur donner la parole.

 

« Comme les canaris dans les mines de charbon »

 

Ces grandes valeurs de laïcité, de droits humains et d’égalité femmes/hommes ont pour mission de construire et de pérenniser une démocratie dans laquelle tous ces citoyen.ne.s peuvent vivre ensemble dans les meilleures conditions. Cependant, ces valeurs sont encore trop souvent utilisées comme arguments pour diviser et exclure une partie de la société.
Cette situation de tension, et même de peur constante du voisin ou de la voisine, a un impact réel sur notre démocratie et notre capacité de réflexion. Plus inquiétant encore, l’islamophobie peut facilement être utilisée comme un outil de manipulation publique, dont le but est d’éroder la base d’une société libre, à savoir des citoyens rationnels et informés. Comme l’explique Dalia Mogahed lors de sa conférence Ted Talk

 

Les musulmans sont comme les canaris dans les mines de charbon : nous sommes peut-être les premiers à le sentir, mais cet air toxique nous fait du mal à tous !

 

Changer la narration

 

Il est urgent de faire entendre les voix plurielles des femmes musulmanes afin de lutter contre l’exclusion et les violences dont elles sont victimes, mais aussi, et surtout, pour le respect de toutes et tous, en dépit de nos différences.
Il est primordial de leur laisser la parole, de les écouter raconter leurs vécus, loin des fantasmes que l’on entend régulièrement, et expliquer leurs besoins. Après tout, elles sont les mieux placées pour les identifier. Il est également nécessaire de mettre en avant des modèles féminins musulmans positifs, afin de contrer l’impact négatif du manque de représentation dans les médias et la culture: réduction du champ des possibles, difficultés à revendiquer une place légitime dans la vie publique et citoyenne, à prendre des décisions éclairées et librement choisies, etc.
Lutter contre les préjugés sur les femmes musulmanes, c’est donc se battre pour une société plus juste pour tou.te.s. C’est rêver d’un monde où les femmes pourront marcher fièrement dans la rue sans être jugées, discriminées ou violentées du fait de leur genre, leurs orientations sexuelles, leurs origines et encore leurs appartenances religieuses.
Posons-nous une seule question: souhaitons-nous construire un État appuyé sur la négation des identités, ou au contraire les assumer et en faire une véritable richesse pour tou.te.s ? Notre rêve est très simple: chaque personne doit pouvoir être, non pas ce que l’on souhaite qu’elle soit, mais bien ce qu’elle veut être. Alors ensemble, luttons contre nos préjugés !

 

Tribune rédigée par Sarah Zouak et Justine Devillaine,  co-fondatrices de l’association Lallab
Initialement publiée dans l’Express 

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