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Le baiser du Ramadan ou le récit d’un parcours féministe, musulman et décolonial

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Myriam Blal est l’auteure du livre Le baiser du Ramadan.
Cet ouvrage aborde un moment précis de la vie de Myriam, lorsqu’elle décide d’épouser Maxime, un homme français de confession chrétienne.
Les récits similaires ne courent pas les rues, alors qu’il s’agit là des seules armes pratiques à même de contrer les discours dominants dans notre pays, en matière d’interreligieux.
Cette histoire illustre une des multiples façons de (ré)concilier activement plusieurs identités, quand on vit en France. La réussite de cette entreprise est imputable à l’honnêteté, à la soif de savoir et à la foi humaine de Myriam, soutenue par des allié·e·s bosseurs·euses et aimant·e·s, prêt·e·s à se remettre en question.
Si vous n’avez pas encore votre exemplaire en poche, lisez la suite : celle-ci devrait finir de vous convaincre !

 

Pour introduire son témoignage, Myriam raconte d’abord l’histoire des siens. Elle dénonce, entre les lignes, l’absence d’accompagnement dont a souffert sa famille venue de Tunisie, lors de son arrivée sur le territoire français. Aucune aide à l’orientation pour les enfants, pas d’évènement où la diversité soit célébrée, pas de guide pratique pour connaître ses droits et devoirs…

Par conséquent, entre les parents de Myriam et la France, aucun pont culturel ni cultuel n’aboutit. C’est ainsi que se produit pour eux une sorte d’arrêt sur image, quant à la possibilité de consolidation d’une identité multiple.
Myriam raconte alors comment son enfance en sera dichotomique, rythmée par :

• d’une part, une injonction à la réussite scolaire, qui représente la seule valeur quantifiable pour ses parents, et démontre la capacité des enfants à faire partie du « système » français ;

• d’autre part, une injonction au respect indiscutable des mœurs familiales. Ce baromètre maternel prouve la capacité des enfants à faire partie de la communauté tunisienne.

Cette dissonance imposée par les sociétés que traverse Myriam la suivra partout : à l’université, au Maroc, en Tunisie, avec ses amis, ses amants, sa famille… A plusieurs reprises, ses identités seront menacées et confisquées.

Jusqu’à ce jour béni où Maxime et elle se rencontrent. Le couple alors formé devient un espace bienveillant et sécurisant, permettant à Myriam de chercher et trouver les moyens de s’apaiser, allégeant ainsi le poids de cette dissonance.

Mais… pas si vite, mon petit ! Une musulmane et un chrétien, c’est IN-TER-DIT. Les boucliers des deux familles se lèvent contre l’altérité. Le mariage n’aura pas lieu !

Pourtant, Myriam est convaincue du bien-fondé de son histoire et va se mettre au défi de le prouver. Indéniablement, son ijtihad [1] s’inscrit dans une démarche musulmane, féministe et anti-raciste, et ce pour les trois raisons exposées ci-dessous.

 

Se réapproprier sa religion

 

Se fondant sur la religion, les parents de Myriam refusent de bénir son union. Sans vraiment expliquer pourquoi ils s’y opposent, ils lui répètent alors que cette union serait haram (« illicite », « interdite » en islam).

Je connais bien cette situation, dans laquelle il n’est pas question de discuter ce que te disent tes parents. Dans la culture arabo-musulmane, l’une des façons d’exprimer le respect filial consiste à ne pas contredire frontalement ses aîné·e·s.

Alors, comme Myriam, il m’arrive de rester sur ma faim quand je leur parle de sujets socialement épineux – en particulier, tu l’auras deviné, l’islam. Je me jette alors sur mon ordinateur, cherchant désespérément des éléments de réponse qui pourraient expliquer leur comportement, et justifier leurs inquiétudes.

Myriam Blal rencontre la même difficulté, face à la question : « Pourquoi une femme musulmane ne peut-elle pas épouser un homme chrétien ? ».

Sur internet, elle tombe sur des injonctions morales, des hadiths peu fiables, ou encore des récits désespérés et désespérants de femmes qui, comme elle, sont à la recherche de réponses.

Une musulmane ne peut pas tomber amoureuse d’un non-musulman. C’est comme de dire « ma sœur est tombée amoureuse d’un dauphin » […] Ta sœur n’est pas musulmane, ou alors elle n’a rien compris à l’islam, ou alors elle est folle.
Page 54

Tu l’auras deviné, Myriam ne trouvera pas de réponses concrètes, claires et sourcées à son questionnement théologique. Pour dépasser ce type de discours, elle décide d’aller plus loin.

Du Caire à Oman, elle envoie des e-mails aux oulémas, parcourt les bibliothèques pour déchiffrer les écrits supposés constituer la source de son malaise. Elle s’entretient avec des théologiens pour démêler l’histoire originelle des récits dérivés.

Enfin, Myriam trouve réponse à sa question. Elle découvre l’enchainement historique qui a conduit à l’interdiction légale du mariage interreligieux lorsque la femme est musulmane.

Cette recherche lui permet d’approfondir sa connaissance de la religion et d’assoir sa position, en tant que musulmane actrice de sa pratique. Ce repositionnement central est crucial à l’heure où le discours religieux est :

• soit confisqué par les médias, pour en diaboliser jusqu’à la dernière virgule. Je rappelle ici que le discours religieux appartient d’abord à celles et ceux qui se réclament de la religion en question ;

• soit déformé par les tentacules du patriarcat. Je rappelle là aussi que les intermédiaires, en particulier les imams, n’ont qu’un rôle de conseil, et n’interfèrent pas dans la relation du·de la musulman·e avec son Dieu.

La reconquête de la religion par les femmes et pour les femmes est donc un enjeu majeur de la conciliation que Myriam a entamée.

 

« C’est seulement lorsque nous sommes silencié·e·s que nous réalisons l’importance de nos voix » / Source : india.com

 

Produire une interprétation située et contextualisée

 

En recherchant la source de l’interdiction du mariage entre une musulmane et un chrétien, Myriam décortique minutieusement le contexte, les rapports de pouvoir, les rôles associés aux femmes et la place de l’argent, au temps où fut produite une telle interprétation.

Très vite, elle comprend la nécessité de proposer des interprétations nouvelles. En effet, le contexte justifiant l’interdiction d’alors ne correspond pas à la réalité de sa vie aujourd’hui. La règle n’est simplement plus pertinente, et c’est naturellement que l’interdiction s’assouplit au vu des conditions et modes de vie contemporains.

Avec humilité et courage, Myriam s’engage vers de nouvelles voies pour produire une exégèse située. Elle fera partie des Foyers islamo-chrétiens – le genre de groupes tellement bienveillants que tu ne les verras jamais ni sur ton fil Facebook, ni dans ta recherche Google –, et cherchera à éclairer d’une lumière nouvelle les textes qu’elle a lus.

Grâce à la concertation entre pratiquants et à la consultation de grands spécialistes musulmans et chrétiens ainsi que de membres du Conseil Européen de la Fatwa et de la Recherche (CEFR), Myriam peut interpréter le texte de façon honnête, et en cohérence avec sa pratique et son expérience de femme musulmane dans la société actuelle.

 

Visibiliser d’autres discours : perspective pro-choix et nouvel imaginaire

 

Certes, l’interprétation contextualisée fixe un nouveau cadre de pratique religieuse, mais encore faut-il inventer les modalités d’exécution de cette nouvelle interprétation.

Avec l’aide de Maxime, Myriam réfléchit à une représentation concrète véritable pour son couple dans la société. Guidée par les liens sacrés du mariage, elle met en place des rites inclusifs pour sa cérémonie, programme des discours interreligieux apaisants entre autorités chrétiennes et musulmanes.

Dans sa vie maritale, elle communique beaucoup avec Maxime, pour trouver des solutions claires aux contraintes pratiques liées, par exemple, à la consommation d’alcool ou de porc dans le foyer conjugal.

Dans son livre, Myriam partage non seulement sa propre histoire, mais elle en visibilise également d’autres. En effet, la dernière partie de son récit est un condensé d’exemples, de représentations multiples, de réponses pratiques mises en œuvre par d’autres personnes dans des situations similaires.

 

« Nous aussi, nous pouvons le faire ! » par Soufeina – Tuffix / Source : telenews.pk

 

Bref, tu l’auras compris, Myriam Blal partage le témoignage sincère d’une histoire de couple, mais son livre va en réalité bien au-delà : c’est un recueil indispensable pour outiller l’imaginaire collectif quant aux possibilités de l’interreligieux en France.

Il donne à voir des réponses contemporaines à une question trop souvent mise de côté.

Il visibilise un espace bienveillant dans lequel chrétiens et musulmans existent et vivent en amour et en harmonie. Et bon sang que ça fait du bien…

Alors, pour tout cela : merci à vous, Myriam Blal !

 

Photo de l’auteure Myriam Blal

 

[1] Effort de réflexion pour interpréter les textes fondateurs de l’islam, en déduire le droit musulman, ou informer le·la musulman·e de la nature d’une action (licite, illicite, réprouvée etc.).

 

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(Dé)construction

6 raisons pour lesquelles les réunions en non-mixité sont importantes

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« Une réunion en non-mixité ? Mais c’est choquant ! » J’avoue qu’au début, j’avais aussi ce genre de réactions. Je me disais que c’était injuste : si des gens voulaient nous aider, on n’allait pas quand même pas les empêcher de participer ?! Et puis j’ai participé à des réunions non-mixtes, et j’ai compris. J’ai compris en quoi ces espaces, pensés non pas contre les autres mais pour nous, sont nécessaires et même essentiels.

 

Ces derniers temps, plusieurs espaces en non-mixité ont soulevé de vifs débats : des réunions de féministes pendant les rassemblements de Nuit debout, des ateliers du festival Nyansapo organisé par le collectif afroféministe Mwasi, ou encore deux sessions réservées aux enseignant·e·s racisé·e·s lors d’un stage du syndicat SUD-Education 93. Il n’en fallait pas plus pour que les grand·e·s défenseur·euse·s de l’Egalité à la française montent sur leurs grands chevaux. « Communautarisme », « racisme anti-Blancs », « sexisme anti-hommes », tout y est passé.

Les auteur·e·s de telles accusations oublient simplement au passage que le racisme et le sexisme font partie d’un système à l’œuvre au quotidien, et se traduisent par des discriminations à l’échelle de la société – dans l’emploi, le logement, le traitement face aux autorités, etc. – et pas par quelques actions individuelles isolées. La comparaison paraît légèrement disproportionnée lorsque l’on parle d’ateliers réunissant quelques personnes en des lieux et des moments spécifiques. D’ailleurs, il s’agit à chaque fois de seulement quelques sessions au sein d’événements plus larges, ouverts à tou·te·s. Bizarrement, ces événements ne semblaient jusque-là pas intéresser beaucoup de celles et ceux qui se sont offusqué·e·s des sessions non-mixtes.

Beaucoup de ces indigné·e·s du jour sont en effet bien moins réactif·ve·s lorsqu’il s’agit du racisme et du sexisme ancrés dans la société que ces mêmes organisations et d’autres dénoncent. Caroline de Haas écrit à ce sujet : « Intéressant de noter que quand 15 ou 20 femmes décident de se réunir entre elles, le nombre de tweets et de papiers que cela peut déclencher. Il se passe chaque jour à la surface de la planète des centaines de réunions politiques, syndicales, professionnelles composées à 100% d’hommes sans que cela ne froisse personne. » En France, je dirais même de réunions composées à 100% d’hommes blancs, hétéros, valides, etc. Et pitié, ne venez pas chipoter en me disant que si, dans tel comité, il y a trois femmes dont une qui s’appelle Karima, ce qui fait baisser le taux à 94%.

 

Ceci n’est pas une rencontre en non-mixité. / Crédit : Jean-Sébastien Evrard / AFP

 

N’en déplaise à certain·e·s, les espaces non-mixtes sont essentiels pour les personnes discriminées dans la société, et voici pourquoi.

 

1. Avoir UN espace protégé des agressions qui ponctuent notre vie

 

Pour vous expliquer l’intérêt des espaces non-mixtes et le véritable besoin auquel ils répondent, je vais vous parler de mon propre vécu. Je suis une femme, jeune, musulmane, d’origine maghrébine, portant un foulard. Depuis que je suis petite, ma vie et celle de ma famille est parsemée de discriminations, sérieusement handicapantes pour évoluer dans la société, et d’agressions verbales, plus ou moins violentes. Les discriminations, c’est quand mon CV a trois fois moins de chances d’être retenu que celui d’une candidate avec un prénom français, quand je suis exclue de certaines associations ou d’autres lieux censés être ouverts à tou·te·s parce que j’ai un foulard, ou quand mon frère utilise le nom de famille (européen) de sa femme parce qu’il obtient bien plus de visites d’appartements qu’avec le nôtre. Les agressions verbales, c’est quand des inconnu·e·s dans la rue nous aboient de « rentrer dans notre pays », que la collègue de ma mère parle bien fort pour dire à quel point elle déteste les musulman·e·s, ou que des gens que je connais à peine me demandent pourquoi je suis une religion aussi arriérée / misogyne / débile / cruelle (entourer la mention correspondante).

 

Bon. Bah clairement, avoir UN espace dans ma vie où je ne serai pas agressée verbalement, renvoyée à des préjugés sur mes origines, ou sommée de me justifier sur mes croyances, ce n’est pas du luxe. On pourrait penser que notre cercle d’ami·e·s, par exemple, pourrait remplir cette fonction, mais ce n’est malheureusement pas le cas. Je ne compte plus les fois où j’ai été prise de court par des micro-agressions, qui n’étaient pas dues au fait que j’ai des ami·e·s racistes ou intolérant·e·s, loin de là, mais au fait que même les personnes les plus ouvertes peuvent avoir des propos ou des gestes blessants sans s’en rendre compte, tellement les préjugés sont véhiculés de manière insidieuse dans la société. « Mais ça va, ton père, il est sympa quand même » ; « Je comprends pas comment toi, qui es si indépendante, tu peux avoir choisi d’être oppressée en portant le voile » ; « En même temps, c’est un peu vous qui provoquez »

 

2. Eviter la remise en question de nos vécus par des militant·e·s non-concerné·e·s

 

Ne croyez surtout pas que les milieux militants sont par essence « safe », épargnés par ces micro-agressions. Dans ces espaces, il est courant que des personnes remettent en question les vécus des concerné·e·s. Vous n’imaginez pas la violence que cela représente lorsque l’on prend notre courage à deux mains, que l’on raconte des expériences douloureuses, et que l’on obtient pour réponse : « Mouais, y a des cons partout », « Mais t’es pas un peu parano ? », voire même « Arrête, c’est pas crédible, c’est trop gros pour être vrai ».

 

 

Sur le blog Crêpe Georgette, on retrouve un exemple typique : pendant Nuit debout, des femmes témoignent d’agressions sexuelles qu’elles ont subies pendant les rassemblements. « Et, aussitôt, comme à chaque fois (COMME A CHAQUE FOIS) un homme est intervenu pour dire qu’il n’avait pas constaté ce genre de comportements et que ça n’était pas l’esprit de Nuit debout. » Vous l’avez vécu dans votre chair, mais une personne qui n’est pas concernée vous explique tout simplement que vous inventez. Même mécanisme quand une personne blanche vous dit qu’elle n’a pas constaté de racisme, ou qu’une personne non-musulmane vous explique que l’islamophobie n’existe pas. Au lieu de recevoir de l’empathie et du soutien, nous devons prouver que nous n’affabulons pas. On a déjà vu plus constructif.

 

3. Libérer la parole en étant entre concerné·e·s

 

Toutes les personnes qui ont assisté à des réunions non-mixtes vous le diront : cela libère la parole. Le sentiment de sécurité créé par la non-mixité permet d’exprimer des choses qui n’auraient jamais été dites en présence d’autres personnes – de peur de voir nos propos remis en cause, par exemple, ce qui est d’autant plus violent que les sujets abordés sont à la fois intimes et porteurs de souffrances. Cette libération de la parole a une importance fondamentale pour les concerné·e·s, car elle permet de se libérer d’un poids pour avancer, mais aussi de recevoir du soutien, de se sentir moins seul·e dans cette situation, de partager des conseils, d’être orienté·e vers des ressources ou des structures adaptées, etc.

 

Pour les femmes racisées et/ou musulmanes, ces espaces sont salvateurs (et je pèse mes mots), car ce sentiment de liberté est tout simplement inexistant ailleurs. Nous sommes constamment sous la menace que nos propos soient instrumentalisés contre nos propres communautés, et alimentent encore les discriminations. Si nous sommes victimes du comportement d’un homme de notre entourage, par exemple, nous savons qu’en parler suscitera des réactions attribuant son comportement à son origine, sa religion et/ou sa classe sociale, renforçant ainsi les préjugés. Entre concernées, nous pouvons parler en étant libérées de cette pression, et ainsi nous exprimer sur des problématiques que nous aurions tues ailleurs. Ceci revêt une importance vitale lorsque l’on pense à des cas de violences conjugales, par exemple.

 

4. Se réapproprier la parole sur nos problématiques

 

Le fait d’être entre personnes concernées permet également d’éviter de reproduire les mécanismes de domination présents dans la société, chose qu’on observe particulièrement dans la répartition de la parole. Les personnes privilégiées n’ont pas conscience d’être favorisées par la société lorsqu’elles veulent s’exprimer, et les groupes minoritaires sont habitués à ce que leur voix soit étouffée et jugée illégitime, les faisant alors renoncer à prendre la parole. Encore récemment, je suis allée à une réunion d’information dont la problématique concernait principalement les femmes, qui représentaient d’ailleurs la majorité des personnes présentes. Pourtant, c’est quelques-uns des hommes présents qui ont monopolisé la parole (j’ai dit « quelques-uns », on sait que toi tu n’es pas comme ça, tout va bien), allant jusqu’à hausser la voix pour interrompre les rares femmes qui s’exprimaient. Dans une réunion non-mixte, nous aurions tout simplement PU nous exprimer sur ce sujet qui nous concernait en premier lieu.

 

En tant que femmes musulmanes, plus particulièrement, nous vivons dans une société où nos voix sont complètement ignorées, et où des personnes non-musulmanes – bien souvent des hommes –  sont jugées plus légitimes que nous à parler de notre situation et des sujets qui nous concernent.

 

Crédit photo : Capture d’écran BFM

 

Dans ce contexte, les espaces non-mixtes permettent de ne plus laisser d’autres personnes parler (souvent à tort et à travers) à notre place, de nous exprimer, de reprendre confiance en nous, et de prendre conscience que c’est notre parole qui est la plus légitime – contrairement à l’argument ahurissant selon lequel nous serions « trop concernées pour pouvoir en parler ». C’est donc une vraie démarche d’empowerment.

 

5. Eviter de perdre du temps et pouvoir enfin avancer

 

Il faut aussi savoir que dans les réunions mixtes, nous perdons énormément de temps à reprendre encore et toujours les mêmes sujets. Certes, il est nécessaire de permettre à tout le monde de participer et ainsi de se déconstruire, mais des moments sont également nécessaires pour a-van-cer. Car une immense partie des réunions est consacrée à expliquer à des personnes non-concernées que oui, le racisme/le sexisme/l’islamophobie/… existe(nt), ou que non, toutes les femmes ne rencontrent pas les mêmes difficultés – et à fournir des exemples pour que ces personnes daignent le reconnaître. Comment avancer dans la lutte contre un problème avec des gens qui ne reconnaissent même pas son existence, ou qui pensent juste à ramener la couverture vers eux·elles ?

 

Etre entre personnes concernées permet donc de conserver ce temps précieux pour aller directement à l’essentiel. Par exemple, au lieu de perdre deux heures de réunion à débattre pour savoir s’il faudrait dire « islamophobie » ou « racisme anti-musulman·e·s », un groupe de musulman·e·s passera directement aux besoins concrets, à savoir comment se protéger des discriminations et des agressions. Cela répond à une urgence que certain·e·s non-concerné·e·s ne comprennent visiblement pas lorsqu’ils·elles épuisent le peu de temps disponible en débattant sur les termes, en demandant aux concerné·e·s de prouver l’existence de leurs oppressions, ou en voulant à tout prix que l’on reconnaisse qu’ils·elles sont différent·e·s et ne sont pas racistes ou sexistes. Okay, nous sommes les mieux placé·e·s pour savoir que ça existe, appelle ce phénomène comme tu veux, et oui toi tu es gentil·le puisque tu es là. Maintenant on peut avancer ?

 

6. Définir nous-mêmes nos priorités et moyens d’action

 

En plus d’aller à l’essentiel, les temps en non-mixité, grâce à la libération de la parole, permettent de faire émerger des préoccupations communes, des priorités, des souhaits dans les moyens d’action, etc. Or, ceux-ci sont parfois à l’opposé de ceux identifiés par les allié·e·s. Par exemple, certain·e·s sont persuadé·e·s que la priorité pour les femmes musulmanes est de « s’émanciper » des hommes de leur famille, alors que la plupart des concernées estiment que leurs principales difficultés résident dans les discriminations qu’elles rencontrent dans la société, par exemple dans l’accès à l’emploi ou à des espaces publics.

 

En tant que concerné·e·s, nous devons donc être les acteur·trice·s de nos luttes, et définir notre agenda et nos moyens d’action nous-mêmes. Comme l’affirment les féministes de Mwasi, « nous pensons être les mieux placées pour saisir les armes de notre émancipation ».

 

L’affiche du festival NYANSAPO / Crédit : Mwasi

 

Dans cette approche, la sociologue et militante féministe Christine Delphy souligne l’importance des moments non-mixtes : « La pratique de la non-mixité est tout simplement la conséquence de la théorie de l’auto-émancipation. L’auto-émancipation, c’est la lutte par les opprimés pour les opprimés ».

 

Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de place pour les non-concerné·e·s dans la lutte : les allié·e·s sont précieux·ses et ont toute leur place dans l’immense majorité des temps de réunion des organisations. Mais c’est aux concerné·e·s de définir leurs besoins, et il se trouve que l’un d’entre eux est d’avoir des espaces safe, pour libérer leurs paroles et avancer selon leurs propres priorités.

 

 

Crédit image à la une : The Foxy five, web-série sud-africaine sur le féminisme intersectionnel

 

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Portraits

Des prolétaires silencées aux sultanes oubliées : Fatima Mernissi ouvre les voix/voies

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A l’occasion de l’anniversaire du décès de Fatima Mernissi, je souhaitais lui rendre un hommage / femmage et vous montrer pourquoi il est important de la lire, de la relire, de diffuser ses écrits et de se rappeler de son travail d’éclaireuse. Elle a ouvert la voie aux interprétations féministes des textes sacrés et sa vie et son œuvre sont intrinsèquement liées à la notion de sororité, si chère à Lallab !

 

 

 Sa vie : la sororité en action

 

Mernissi passe son enfance dans un harem dans le Maroc des années 1940-50, au moment où les nationalistes luttent contre la colonisation et accèdent à l’indépendance. Qu’est-ce qu’un harem ? C’est une maison entourée de quatre murs que seuls les hommes peuvent franchir librement. Elle saisit dès sa petite enfance la notion de « hudud », de frontière, dans un milieu très fortement marqué par la séparation hommes/femmes, privé/public, libre/enfermé. Cette notion reviendra tout au long de son travail, interrogeant sans cesse les barrières que rencontrent les femmes sur leur chemin.

Le harem n’est pas cet endroit rempli de femmes lascives et désirantes qu’imaginent les peintres orientalistes, mais bien un lieu d’enfermement au sein duquel des femmes se révoltent. Mernissi fait l’expérience de la sororité dès son plus jeune âge, en voyant sa mère et ses tantes se rebeller contre le patriarcat qui les retient prisonnières : elles convoquent différentes figures féminines par le conte, le chant, la lecture pour s’échapper au moins symboliquement des murs de la maison.

 

Il y a d’abord Shéhérazade, la conteuse des Mille et une nuits, convoquée pour son intelligence et sa maîtrise de la langue. Mernissi remarque avec malice dans Le Harem et l’Occident le fossé qui sépare la conception occidentale d’une Shéhérazade hyper sexualisée et dépolitisée, alors même que c’est une femme forte qui stoppe un féminicide perpétré par son époux. Pour rappel, ce dernier, après avoir été cocufié par sa première femme, s’est engagé à assassiner chaque nuit une de ses courtisanes afin de venger son humiliation. Shéhérazade met fin au massacre en le tenant en haleine chaque nuit par ses récits merveilleux, remplis de figures de femmes subversives.

Mernissi et ses tantes s’inspirent également des grandes chanteuses de l’époque dans leurs rêves de liberté : Oum Koultoum bien sûr, mais surtout la syro-libanaise Asmahan et sa vie romanesque de femme libre d’aimer et de voyager.

Enfin, c’est par la lecture que les femmes de la famille tentent de s’évader : elles qui n’ont jamais été alphabétisées forcent leurs maris à leur lire à voix haute les écrits des féministes égyptiennes du début du 20ème siècle. Leurs paroles d’égalité résonnent haut et fort entre les murs du harem !

 

Odalisque à la culotte rouge, Henri Matisse (1869-1954)

 

La jeune Fatima bénéficie quant à elle du projet des nationalistes marocains : elle échappe au sort de sa mère et de ses tantes, et passe la porte du harem chaque jour pour se rendre à l’école.

Sa mère reporte tous ses espoirs de libertés sur sa fille et la charge d’une mission : « Tu vas changer le monde toi, n’est-ce pas ? Tu vas conduire des voitures et des avions comme Touria Chaoui. Tu vas créer une planète sans murailles ni frontières, où les gardiens seront en vacances tous les jours de l’année. » (Extrait de son ouvrage Rêves de femmes, Une enfance au Harem)

Tout au long de sa vie, elle poursuit ces engagements aux côtés des femmes pour les femmes, notamment au sein de l’Association des femmes africaines pour la recherche et le développement, à partir de 1977, ou encore avec Musawah, mouvement pour l’égalité et la justice au sein des familles musulmanes.

Elle a également payé le prix fort de certains de ses engagements, contre la guerre du Golfe ou encore lorsqu’elle a pris place sur une flottille de femmes en direction de Gaza, ce qui lui a valu une certaine ostracisation dans le monde arabe.

 

Son œuvre nous fournit les armes de nos combats

 

Les femmes sont toujours au centre de son œuvre : à la fois en tant que sociologue du travail lorsqu’elle s’intéresse aux femmes prolétaires et paysannes du Maroc, mais également dans ses relectures des textes fondateurs de la religion musulmane.

Sa thèse majeure est que les graves atteintes à la liberté des femmes dans les pays dits « islamiques » ne trouvent pas tant leur origine dans les sources scripturaires que dans des formes de contrôle théorisées dans un second temps de l’Islam.

Dans Le harem politique, elle écrit : « Être prophète (…) consiste à pousser les gens à aller aussi loin que possible, à tendre vers une société idéale. (…) Mohammed était définitivement un prophète, un constructeur d’horizons si vastes que les contempler simplement donne le vertige » (p.194). Elle y expose le projet révolutionnaire en matière d’égalité hommes-femmes porté par Muhammad et présente les raisons de son échec aux vues du contexte défavorable de l’époque. Elle semble nous inviter à nous ressaisir de cet esprit égalitaire qui agite les débuts de l’islam et à continuer ce travail de re-contextualisation des révélations et des hadiths (ndlr : paroles rapportées de Muhammad).

Ses longues recherches l’amènent à la conclusion que : « Nous, femmes musulmanes pouvons marcher dans le monde moderne avec fierté, sachant que la quête pour la dignité, la démocratie et les droits humains, pour la pleine participation dans les affaires politiques et sociales de notre pays, ne proviennent pas de valeurs occidentales importées, mais font véritablement partie de la tradition musulmane ».

 


Crédit photo : Tumblr The Woman project

 

La force du travail de Mernissi, c’est qu’elle déconstruit la maison du maître « avec les outils du maître » (pour détourner la formule d’Audre Lorde) : elle s’appuie sur les sources et les méthodes de la jurisprudence, elle avance sur le terrain et avec les critères formulés par les oulémas (ndlr : théologiens) pour leur démontrer que les conditions qu’ils ont eux-mêmes définies concernant la validité de certains hadiths ou les interprétations de certains versets ne tient pas, justement lorsque cela concerne les femmes. Elle dit : « Enorme est la tâche de celui qui veut retourner aux sources ! J’ai donc lu, armée de cette farouche volonté de connaissance, Tabari et les autres auteurs (…). Et ce, pour comprendre et éclairer le mystère de cette misogynie que doivent affronter les femmes musulmanes en 1986. » (Le Harem Politique, p.17) Et nous d’ajouter… 30 ans plus tard, en 2017 !

 

L’exemple le plus frappant concerne le rôle politique des femmes musulmanes. Face à l’élection des premières députées au parlement marocain, la rumeur populaire enfle : le hadith court sur toutes les lèvres, jusqu’à ce qu’il arrive aux oreilles de Mernissi : « Ne connaîtra jamais la prospérité le peuple qui confie ses affaires à une femme » (rapporté par Bukhari).

Interrogeant le bien-fondé de cette parole attribuée au Prophète de l’islam, Mernissi démontre, preuves à l’appui, qu’il a été forgé de toutes pièces. Elle poursuit ses recherches en remontant dans l’histoire et exhume du passé les « sultanes oubliées » (ou plutôt occultées !) qui ont régné sur des pays musulmans de l’Indonésie à la Mongolie, en passant par le Yémen.

 

Mernissi n’a eu de cesse de donner à entendre des voix inaudibles, celles des femmes de sa famille ou des prolétaires marocaines, ou oubliées, comme les reines du passé ; mais elle a surtout ouvert une voie : celle de la relecture des textes selon leurs contextes, pour être plus fortes, moins dépendantes des lectures faites pour nous, mais sans nous, et donc au final contre nous.

 

Soyons ce que Mernissi appelait des « Shéhérazade modernes », contemporaines : ne nous arrêtons plus de parler à l’aube, mais plutôt saisissons-nous des moyens de communication qui sont à notre disposition pour faire porter nos voix, chacune avec ses spécificités, à toute heure du jour ou de la nuit – via Twitter, Youtube, Instagram et bien sûr Lallab, parce que : « La dignité c’est d’avoir un rêve, un rêve fort qui vous donne une vision, un monde où vous avez une place, où votre participation, si minime soit-elle, va changer quelque chose » (Rêves de femmes, Une enfance au Harem).

 

Article écrit par Diane, membre du collectif Musulmanes en mouvement

 

Crédit photo à la une : Amy Toensing

 

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Portraits

Malika Hamidi, la foi au service du militantisme féministe

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L’association Lallab a eu l’honneur d’accueillir Malika Hamidi, chercheuse en sociologie à l’EHESS (École des Hautes Études en Sciences Sociales) et directrice du Think Tank European Muslim Network à Bruxelles, lors du 3ème Lallab Day, week-end de formation et de rencontre de ses bénévoles. Les anciennes comme les nouvelles Lallas ont pu la rencontrer, échanger et débattre à propos de son livre qui vient tout juste de paraître, « Un féminisme musulman, et pourquoi pas ? » aux éditions de l’Aube.
À son arrivée, cette grande femme impose par sa stature mais inspire une profonde bienveillance. Elle met très rapidement tout le monde à l’aise et nous propose un échange sur son livre sans trop d’académisme, mais plutôt une conférence ancrée sur le terrain, teintée d’anecdotes et de conseils.

 

« Ma spiritualité devient même politique »

 

Malika Hamidi est engagée depuis 1998. Elle fait partie de cette génération de musulmanes qui s’interrogeaient sur leur citoyenneté. On est encore loin du débat « féministe et musulmane ». À ce moment-là, la question était « Est-ce que je peux être musulmane et engagée ? ». Elle s’implique alors dans différents réseaux inter-associatifs qui encouragent les musulman·e·s occidentaux·ales à s’engager. Elle est également l’une des membres fondatrices du Collectif des Féministes pour l’Egalité et fait partie du Collectif des Mamans pour Toutes et Tous. Elle mène des recherches de 2009 à 2014 et rédige une thèse doctorale de sociologie intitulée « Féministes musulmanes dans le contexte postcolonial de l’Europe francophone : stratégies identitaires et mobilisations transnationales », soutenue à l’EHESS en 2015. Entre temps, elle a eu deux filles et dirige l’European Muslim Network. C’est dans cet engagement qu’elle a compris le sens de sa spiritualité.

 

 « Ma foi, mon foulard me poussent à m’engager, à rayonner »

 

Elle considère que son foulard ne doit pas et ne devra jamais être synonyme d’enfermement. Elle montre dans son livre que le foulard cristallise les débats au sein des mouvements féministes. Pourquoi ? Parce que le foulard de beaucoup de femmes musulmanes, et notamment le sien, est synonyme d’empowerment, de prise de pouvoir politique et d’engagement. « Ce n’est plus le foulard de nos mamans qui rasaient les murs. Nos mamans portaient le foulard mais n’avaient pas vraiment de visibilité du fait de leur condition sociale. Aujourd’hui, nous sommes des femmes, nous portons un foulard et nous voulons accéder aux postes que nous méritons. »

« Mon engagement, je le vis comme un devoir »

Malika Hamidi ne considère pas son militantisme comme une « une activité à côté ». C’est aussi pour cela qu’elle arrive à gérer les multiples facettes de sa vie, celle d’épouse et de mère, celle de professeure, celle de chercheuse et celle de femme engagée dans différents réseaux. Ce militantisme, elle ne le considère pas comme un hobby. Elle s’engage car elle croit véritablement en la cause qu’elle défend. Elle puise sa force dans sa spiritualité, dans son lien avec Dieu. Son énergie et sa force de conviction viennent aussi de sa famille. Elle a deux filles, comme elle le dit « deux futures féministes ». Et c’est surtout pour celles-ci qu’elle se bat. Elle essaie de transmettre son combat car elle considère sa génération sacrifiée.

 

Crédit photo : E. Sempere pour Lallab

 
Malika Hamidi s’investit aussi et surtout sur le terrain, dans les maisons de quartier ou dans les sections féminines des mosquées. C’est là que la formation est indispensable. En effet, le discours féministe, et d’autant plus le discours féministe musulman, est assez élitiste. Il est donc nécessaire de procéder à sa vulgarisation, l’objectif étant que même celles qui ne se réclament pas du féminisme, ou que l’appellation « féministe » rebute, comprennent les enjeux et notamment la problématique des discriminations faites aux femmes musulmanes. Pour elle, il est indispensable que le discours féministe musulman ne vole pas que dans les sphères académiques.

Elle agit aussi directement sur le terrain afin de dénoncer certaines pratiques rétrogrades comme le mariage forcé ou l’excision. Elle a mené une campagne d’information en collaboration avec l’EMN, dans huit grandes villes européennes dont Rotterdam, sollicitant directement les imams des deux grandes mosquées pour que ces derniers condamnent la pratique du mariage forcé lors du sermon du vendredi.

Malika Hamidi met en valeur les recherches académiques permettant de mettre en évidence les discriminations faites aux femmes musulmanes dans une logique intra- et extra-communautaire avec, par exemple, le projet Forgotten Muslim Women de l’organisation ENAR (European Network Against Racism), et les met en lien avec des formations sur le terrain pour les non musulman·e·s mais aussi les musulman·e·s. Elle a notamment été l’une des pionnières (depuis vingt ans, elle le répète !) à ouvrir la voie à un engagement militant avec des non musulman·e·s, à appeler à l’ouverture du féminisme vers d’autres horizons au-delà de sa propre communauté. C’est cette volonté d’alliance qui a dérangé et qui dérange toujours.

 

Crédit photo : E. Sempere pour Lallab

 

« Lallab personnifie une génération de femmes qui fait voler en éclats une sagesse conventionnelle vers laquelle on veut nous pousser. »

Ainsi, elle met l’accent sur la nécessité absolue de ne pas se restreindre à un groupe ou une communauté, de s’ouvrir et surtout de s’associer à d’autres mouvements. Son mantra, c’est le partage de valeurs. Elle a grandi entourée de non-musulman·e·s et elle fait en sorte que ses filles aient elles aussi une ouverture d’esprit quant à d’autres religions, d’autres cultures. Son combat s’inscrit dans cette lignée. Il y a effectivement un travail intra-communautaire à faire afin de lutter contre les interprétations patriarcales de la religion ou les traditions associées à tort à la religion musulmane. Mais il faut aussi créer des alliances avec d’autres réseaux féministes, à l’échelle européenne, afin de porter un discours féministe, inclusif, intersectionnel, décolonial et antiraciste.

Ces alliances se font aussi là où on ne les attend pas. En effet, Malika Hamidi, lors d’un congrès féministe canadien, a fait preuve d’une certaine bienveillance (et d’une bonne dose de sang-froid) à l’égard d’une féministe « laïcarde radicale » qui refusait de lui serrer la main. Aujourd’hui, cette personne est une grande alliée et une grande défenderesse des femmes musulmanes au Canada.

« Les femmes musulmanes doivent lutter contre toutes les formes de discriminations, qu’elles proviennent des hommes ou des institutions. »

Nous sommes toutes sorties de cet échange motivées pour affronter tous les obstacles nous empêchant d’atteindre un monde où chaque femme aurait la liberté de faire ce dont elle a envie. Parce que Malika Hamidi mène ce combat depuis vingt ans et qu’elle nous transmet cette volonté et cette pugnacité. En espérant que Lallab contribue tout autant qu’elle à ce monde.

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Portraits

Elsa Ray : la plume au service de l’engagement

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C’est l’un des avantages d’écrire pour Lallab : je peux profiter d’écrire le portrait d’une femme musulmane que j’admire et qui m’inspire… pour la rencontrer. Elsa Ray, ancienne porte-parole du Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF), femme engagée et à la plume poétique, me reçoit chez elle. Son accueil naturel et chaleureux me met tout de suite à l’aise, et je découvre l’énergie positive et la philosophie de vie qui lui permettent d’être aussi active.

 

A première vue, le parcours d’Elsa Ray ne semblait sans doute pas une évidence. Elle grandit dans un petit village de Bourgogne, qu’elle quitte après un bac littéraire. Elle étudie les sciences politiques à Lyon et à Rennes, puis le journalisme à Montpellier. Mais malgré l’intérêt qu’elle porte à ses cours, notamment ceux qu’elle suit avec Edwy Plenel, elle sent que son chemin est ailleurs. A 22 ans, son diplôme en poche, elle part pendant un an comme jeune fille au pair aux Etats-Unis, dans le petit Etat du Connecticut. Inspirée par les cours qu’elle y suit et par l’esprit d’initiative qui y règne, elle décide de se consacrer à ses rêves dès son retour en France.

J’avais deux rêves : écrire un livre et m’engager dans l’associatif. (…) Si j’ai un rêve ou une ambition, je ne me mets pas de frein, pas de barrière : je me donne les moyens pour y arriver. 

De retour dans l’Hexagone, elle couche sur le papier son premier roman (non publié) ; l’idée ayant pris forme depuis un certain temps dans ses pensées, le processus prend moins de trois mois. Elle est ainsi libre de se consacrer à son deuxième projet, celui de s’engager dans le milieu associatif. Mais pas n’importe où : marquée par les émeutes de 2005 dans les banlieues, elle s’intéresse particulièrement aux quartiers populaires. Le contraste avec son propre milieu d’origine, à la fois rural et plutôt aisé, renforce la curiosité à laquelle son éducation l’a toujours encouragée.

 

Engagements associatifs et découverte de l’islam

 

Désormais installée en région parisienne, elle donne des cours d’anglais dans une agence, puis y devient chargée de recrutement. Ses activités professionnelles ne représentent toutefois qu’un à-côté, l’essentiel de son temps étant consacré à ses activités associatives. Elle s’engage notamment au sein du collectif Stop le contrôle au faciès, et est pendant plusieurs années la secrétaire du collectif Cité en mouvement, qui vise à mettre en réseau les initiatives dans les quartiers populaires.

Face à l’étendue des difficultés, on peut parfois se dire que ce qu’on ferait ne servirait à rien ; mais je pense qu’il est essentiel d’agir et de se rendre utile à son niveau. 

Ses engagements changent complètement son environnement : pour la première fois de sa vie, elle est entourée majoritairement de musulman.e.s. Elle se sent « comme chez elle » dans son nouveau milieu, y noue de solides amitiés, et est marquée par la gentillesse et la solidarité qu’elle observe. Fascinée par l’islam depuis toute petite, son intérêt est croissant. « Mais je ne voulais surtout pas apprendre l’islam par les gens ! »

Sa première lecture du Coran ne la transcende pas, mais elle continue à chercher la connaissance par elle-même, dans les livres. Convaincue par ce qu’elle lit, elle fait alors les choses méthodiquement, changeant son comportement petit à petit, avant même de se convertir. Ainsi, lorsqu’elle franchit le pas, au début de l’année 2013, elle se sent cohérente vis-à-vis de sa foi – elle a même déjà commencé à prier.

 

Sur le devant de la scène avec le CCIF

 

Peu de temps s’écoule avant qu’elle n’allie ses convictions et son engagement associatif : en mars de la même année, elle rejoint le Collectif contre l’Islamophobie en France (CCIF), en tant que chargée de communication et chargée de projet. Pendant deux ans, elle développe IMAN (Islamophobia Monitoring and Action Network), le premier projet paneuropéen de lutte contre l’islamophobie.

 

Crédit Photo : SaphirNews

 

Subventionné par l’Union Européenne et porté par le CCIF et le réseau d’associations de jeunesse musulmanes FEMYSO, il réunit une quinzaine d’associations musulmanes ou de lutte contre le racisme et les discriminations, venant de huit pays européens différents. Elsa Ray compare l’étendue de ce projet à « une maison à construire sur un terrain vague » : il s’agit de collecter des données sur l’islamophobie pour combler le manque en la matière en Europe, de créer une plateforme intranet, et de développer des supports de formation sur cette thématique.

 

C’est lors d’une formation IMAN à Londres qu’elle prend la décision de porter le foulard. Elle, qui avait auparavant l’impression que ce n’était pas quelque chose pour elle, le garde en sortant d’une mosquée, pour ne plus jamais le retirer. Elle se souvient de la date exacte : le 12 mars 2014.

L’annonce à la famille est difficile, mais elle vit une période d’exaltation spirituelle intense, heureuse d’avoir pris « la plus belle décision de [s]a vie » et d’avoir fait ce choix uniquement par amour pour Dieu. Bien que les plus simples moments du quotidien puissent maintenant être synonymes de difficultés, les regards, les remarques et les insultes glissent sur elle. Face à ces réactions hostiles, elle prône la douceur, mais aussi la fermeté : « Ne jamais, jamais céder sur ses droits ».

 

Cette position est sans doute influencée par les témoignages de victimes d’islamophobie qui sont accompagnées par le CCIF. Elsa Ray reste malgré tout optimiste : elle voit dans ces épreuves des opportunités de se réinventer et de se réapproprier son identité, comme en témoignent les initiatives de plus en plus nombreuses de femmes musulmanes qui tirent parti des difficultés pour se prendre en main. Elle se réfère notamment au verset 286 de la deuxième sourate du Coran, qui dit que « Dieu n’impose à aucune âme une charge supérieure à sa capacité » :

Si on subit ces épreuves, c’est qu’on est en capacité de les surmonter et d’en faire quelque chose de constructif. 

Mais la période après les attentats de janvier 2015 est particulièrement difficile. En parallèle du projet IMAN, elle est devenue porte-parole du CCIF, et elle est assaillie par des médias du monde entier pour commenter l’évolution de la situation en France. Au mois de juillet, la fatigue la pousse à prendre une pause, afin de se reposer et de prendre du recul.

 

Chroniques de Palestine : vers ses propres projets

 

Elle décide de prendre une année « sabbatique », dit-elle tout en précisant pourquoi elle utilise des guillemets : « Tout est relatif… ! ». En effet, elle continue à être très investie au niveau associatif, notamment en tant que bénévole chez We are solidarité, qui œuvre à la fois dans la bande de Gaza et en faveur des réfugiés en Île-de-France. C’est avec des membres de cette association qu’elle entreprend en 2016 un voyage en Palestine, qui sera un véritable déclic.

Tu ne peux pas aller en Palestine et revenir en étant la même personne que tu étais avant. 
Crédit Photo : Marion Pons

 

Suivant son intuition, elle veut absolument y retourner et ne cesse de se demander comment elle pourrait soutenir la cause palestinienne. Les paroles d’un homme rencontré sur place l’aiguillent : « Il faut que vous veniez et que vous rapportiez notre vérité ».

Elle sera donc une ambassadrice des voix des Palestinien.ne.s, en mettant à profit ce qu’elle sait faire : écrire. Lors de son premier voyage, elle avait déjà partagé des chroniques quotidiennes avec les milliers de personnes qui suivent sa page Facebook. Celle-ci est d’ailleurs devenue un espace de dialogue avec ses détracteurs.trices, du fait de son choix de répondre avec sincérité aux messages d’insultes qu’elle reçoit – conformément à un verset qu’elle cite :

Repousse le mal par ce qui est meilleur, et voilà que celui avec qui tu avais une animosité devient tel un ami chaleureux !  – (Coran / sourate 41, verset 34)

Toutefois, inquiète de voir son ego flatté ou de ne plus agir avec la pureté de ses intentions initiales, elle hésite à fermer sa page Facebook. Pour elle, il est en effet important de se réformer au niveau individuel pour être une force pour les autres. Elle cite un autre verset : « En vérité, Dieu ne modifie point l’état d’un peuple tant que les hommes qui le composent n’auront pas modifié ce qui est en eux-mêmes. » (Coran – sourate 13, verset 11). Ou, comme elle le dit de manière plus directe :

Ne t’attends pas à changer le monde si tu ne te réformes pas toi-même ! 

Après avoir refait le point sur ses intentions et s’être assurée de l’impact positif de ses publications, elle décide finalement de continuer à écrire ses chroniques lors d’un deuxième voyage, et surtout d’en tirer un livre. Son séjour dure cette fois trois mois, et elle en revient lorsque je la rencontre en janvier 2017.

 

Son objectif est de transmettre les voix des Palestinien.ne.s qu’elle a rencontré.e.s, de rapporter la vérité de ce qu’ils.elles vivent, et d’encourager chacun.e à s’y rendre. Elle souhaite également encourager la communauté musulmane française à s’engager, et l’y aider en montrant comment chacun.e peut être actif.ve.

 

Aujourd’hui, Elsa Ray veut créer ses propres projets, pour la Palestine et dans d’autres domaines, mais toujours avec le même état d’esprit : faire des choses qui ont du sens, et rechercher la satisfaction divine à travers des valeurs d’utilité, d’éthique et de justice.

 

A venir : exposition éphémère et soirée événement « Un autre jour viendra », avec les textes d’Elsa Ray et les photographies de Marion Pons. Vendredi 21 avril à 19h, à la galerie Echomusée – Goutte d’Or.

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Portraits

Mariame Tighanimine : l’empowerment par le business

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Mariame Tighanimine est entrepreneuse dans l’âme. Elle se lance pour la première fois en 2007 avec Hijab and the city, premier webzine féminin à destination des femmes françaises de culture musulmane avant de clore le chapitre 4 ans plus tard, en 2011. Aujourd’hui, elle se consacre à une nouvelle aventure : Babelbusiness, une méthode qui encourage les personnes désireuses de créer leur entreprise à sauter le pas.
Retour en 3 questions sur le parcours de cette femme persévérante, dont le travail est de changer la vie des autres de manière positive et remarquable.

 

Ex-Hijabandthecity, ex-Babelbag, actuel Babelbusiness, chargée d’enseignement au Centre pour l’entreprenariat à Sciences Po, chassez l’intrus ou le compte est bon ?

 

Le compte est bon et j’espère encore développer un tas d’autres projets ! Contrairement aux apparences, il y a une véritable continuité entre eux. Hijab and the City a été ma première startup. Créée en 2007 avec ma sœur, Khadija, il s’agissait du premier webzine féminin francophone et participatif à destination des femmes françaises de culture musulmane. On en avait marre d’entendre constamment parler des femmes musulmanes dans les médias alors que personne ne leur donnait la parole, ne leur tendait le micro. On a donc créé cette tribune qui réunissait jusqu’à 350 000 visiteurs uniques par mois, des femmes et même des hommes venant d’horizons culturels, cultuels et sociaux complètement différents, ainsi qu’une trentaine de contributrices de différentes sensibilités, nationalités et religions. On a bénéficié d’une couverture médiatique internationale puis nationale importante et on a eu la chance de rencontrer notre lectorat tous les mois, lors d’événements, de brunchs ou de soirées. Cette extraordinaire aventure humaine et entrepreneuriale a duré jusqu’en 2011. Puis elle a laissé place à Babelbag.

Si avec Hijab and the City, nous avons montré que la première action d’empowerment était la prise de parole, le droit et le devoir de se raconter soi-même, la seconde action devait être économique. C’est en discutant avec certaines de nos lectrices que nous nous sommes rendu compte que beaucoup de femmes avaient besoin d’avoir un revenu ou un complément de revenu pour mieux vivre et s’épanouir. Avec Redha, mon associé actuel, qui était notre mentor à l’époque de Hijab and the City, nous avons donc réfléchi à un projet qui pouvait répondre à cette problématique. Mais nous voulions qu’il s’adresse également à des femmes qui n’avaient pas forcément de problèmes économiques mais qui aspiraient néanmoins à sortir de leur routine, à exprimer leur potentiel et à tester leur emprise sur le monde. C’est comme ça qu’en 2012 est né Babelbag, un business collaboratif qui a consisté en la co-création d’un premier produit, le sac à main Babelbag, et à la promotion ainsi qu’à la distribution de celui-ci par le bouche-à-oreille et le main-à-main. Nous avons même créé une collection capsule avec le site Auféminin.com qui a soutenu le projet dès ses débuts. Nous avons permis à une centaine de femmes de démarrer leur micro-activité et de gagner un revenu. Plus de 500 sacs et plus de 10 000 petits accessoires (porte-sacs, accroche-sacs…) ont été vendus. De l’expérience Babelbag, nous avons compris qu’au-delà du produit, ce qui intéressait les femmes, c’était d’apprendre à faire du business. De ce constat est né Babelbusiness.

Nous nous sommes rendu compte que beaucoup de personnes voulaient se lancer dans le business mais avaient peur, ne savaient pas comment faire. Le manque de moyens était vraiment la dernière des craintes, c’est surtout la peur de l’échec, la peur du changement, le manque de compétences, qui étaient les véritables freins à leur lancement. Nous avons donc laissé de côté les produits et avons travaillé sur des programmes et outils qui s’adresseraient à tout le monde, sans distinction de diplôme, de langue, d’âge, d’origines ou de sexe… Et c’est comme ça que nous avons développé la méthode Babelbusiness, ainsi que les programmes et outils pour permettre à n’importe qui de se lancer en 24h avec très peu de moyens. Nous l’avons testé sur plus de 500 personnes, avec des associations d’insertion économique pour les jeunes et les femmes dans le 92, le 78, avec des allocataires du RSA, avec des vendeurs ambulants en France, au Maroc et en Ouganda, avec des grands groupes comme Danone pour former des micro-distributeurs… Aujourd’hui, nous sommes en train de mettre en place une plateforme sur laquelle tous nos outils et programmes seront proposés en ligne, à n’importe qui, que la personne soit à Paris, Lagos, Rio ou Singapour, qu’elle soit étudiante, retraitée, sans activité ou salariée. Pour nous, tout le monde peut et devrait faire du business. C’est une discipline formidable, dont on peut apprendre énormément de choses sur soi et sur les autres !

Vous voyez les liens entre ces différents projets maintenant ?

 

Pensez-vous que le business est un outil d’empowerment pour les femmes ?

 

Oui. En fait, il en est un pour tout le monde. Et tout dépend du type d’empowerment que l’on recherche, économique ou social.

Magellan par exemple est le premier homme à avoir fait le tour du monde de l’histoire de l’humanité pour une histoire d’épices, de négoce, d’appât du gain. Mais quand vous grattez bien, vous vous rendez compte qu’il l’a aussi fait pour sortir de sa condition, pour marquer l’Histoire.

On peut faire du business pour s’autonomiser ou pour n’importe quelle autre raison. Pour moi, il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises raisons. Mais il faut le faire sérieusement, comme n’importe quelle discipline, parce qu’on ne sait pas comment cela peut se terminer. Vincent Van Gogh ne savait pas qu’il deviendrait Van Gogh. Et pourtant, malgré la maladie, les difficultés qu’il a rencontrées, il n’a jamais cessé de produire des œuvres.

 

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Crédit photo : Mariame Tighanimine

 

En France aujourd’hui, de nombreuses femmes voilées, bardées de diplômes, sont exclues du marché de l’emploi à cause de leur voile. Que diriez-vous à celles qui veulent se lancer dans l’entreprenariat mais qui tanguent encore ?

 

Je n’ai pas de leçons à donner ni de conseils particuliers à adresser. Mais je vais vous raconter comment j’en suis venue à entreprendre.

Je portais le hijab et j’étais étudiante. Je voulais faire de la recherche en sciences sociales, j’étais plutôt douée selon mes professeurs. Mais je savais que cela poserait problème à un moment donné. Dans ce milieu, c’était déjà compliqué d’être issue de l’université et non d’une école, mais avoir un hijab, c’était une difficulté supplémentaire. J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec l’une de mes profs qui m’a dit texto :

Vous êtes une excellente étudiante, je n’aurais aucune difficulté à vous soutenir et à vous prendre dans mon labo, mais pas avec votre voile.

Je suis sortie de son bureau triste, en colère, mais je me suis juré de ne pas céder. Par principe. Au même moment, ma sœur Khadija, elle aussi voilée, venait d’être diplômée d’une école d’architecture et de l’université. Elle aussi était un très bon élément. On voulait bien d’elle dans certaines entreprises mais tête nue. Par principe, elle a également refusé. Quand j’ai vu tout ça, je me suis dit « à quoi bon continuer mes études ? ». Même si j’étudiais aussi par passion, je savais qu’à un moment donné, j’allais être confrontée au chômage et je ne suis pas issue d’un milieu aisé pour me permettre de vivre de passion et d’eau fraîche. Il fallait donc que j’anticipe tout ça et surtout, que j’évolue dans un milieu qui m’accepte comme je suis.

Un jour de 2007, ma sœur est venue me voir en me disant qu’elle voulait monter sa boîte. Je n’y connaissais strictement rien mais comme je bloguais, je lui ai proposé de tenir un blog sur son activité, une sorte de carnet de bord qu’elle pourrait partager avec ses potentiels clients. Puis de fil en aiguille, nous nous sommes retrouvées à créer Hijab and the City. Ça n’avait strictement rien à voir avec ce que nous voulions faire au départ mais c’était aussi un moyen pour nous de nous affirmer, de refuser un énième ostracisme. Même si je ne porte plus le hijab, je n’ai jamais pensé à toquer aux portes du marché du travail. Je suis entrepreneure, j’aime ce que je fais et je me rends compte que je ne sais pas faire autre chose.

Pour en revenir à votre question, en général, j’encourage tout le monde à faire du business, les femmes qui portent le voile et toutes les personnes qui sont discriminées sur le marché du travail en font partie. Maintenant, reste à savoir quoi faire. Beaucoup de femmes que je connais dans ce cas sont tentées de faire du business qui ne s’adresse qu’à la « communauté ». Je ne suis pas sûre que ce soit la meilleure des idées et en plus, je ne crois pas à ce concept de « communauté », sauf au sens marketing. Il faut faire quelque chose qui réponde à un besoin. Je le précise parce que beaucoup de personnes qui se lancent dans cette optique se retrouvent désillusionnées et écœurées par l’accueil que leurs soi-disant semblables leur réservent. Quand on faisait Hijab and the City, les premiers à nous mettre des bâtons dans les roues étaient les « nôtres » et malheureusement, les plus virulents étaient des femmes. Même si nos détracteurs étaient beaucoup moins nombreux que nos supporters, ils existaient malgré tout. Il faut juste être consciente de ces choses et se concentrer sur celles et ceux qui vous veulent du bien !

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Portraits

Ikram Ben Said : vers un engagement massif des femmes en politique

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Cinq ans après les prémisses de la révolution tunisienne, les femmes continuent de lutter pour ne pas être exclues de la reconstruction de leur pays et de la mise en place des nouvelles institutions. Déterminées dans la mobilisation pour leurs droits, elles sont pourtant inquiètes face aux résistances quant à leur émancipation. Comme dans toutes révolutions, l’inquiétude et la vigilance font suite à la période d’enthousiasme et d’espoir. C’est dans ce contexte que je rencontre Ikram Ben Said, fondatrice de l’association Aswat Nissa, « Voix des femmes », créée il y a cinq ans. Aswat Nissa se donne pour mission de lutter contre toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, de plaider pour des politiques publiques sensibles au genre et appuie également le leadership féminin. Portrait d’une femme et d’une initiative engagées.

 

Présidente de l’association Aswat Nissa, Ikram Ben Said est également « program manager » au sein d’une organisation internationale qui travaille notamment sur la construction de la paix. Cette jeune femme de 34 ans, plus qu’active, a grandi dans une famille au sein de laquelle la politique a une place importante. Ses parents ont toujours été passionnés par la gouvernance interne et les relations internationales, qui ont fait l’objet de débats galvanisants à la maison, éveillant l’esprit de la jeune femme sur ces questions. Ils l’ont également beaucoup encouragée à s’investir dans la société civile à travers des actions bénévoles. Dès l’adolescence, Ikram s’engage ainsi auprès des mères célibataires et des enfants abandonnés. Par la suite, elle se donne pour objectif de créer sa propre association, mais à cette époque, ce type d’initiative est entravé par le pouvoir en place. Avec l’avènement de la révolution, parallèlement à sa constance dans les manifestations, Ikram commence à réfléchir avec des amis à un autre moyen d’action : « La révolution nous a offert cette liberté d’association ». C’est ainsi que naît son association, Aswat Nissa.

 

Aswat Nissa, un véritable laboratoire d’idées, de remises en questions, de critiques constructives …

 

Bureaux de Aswat Nissa - Crédit photo : Sarah ZOUAK pour LallabBureaux de Aswat Nissa – Crédit photo : Sarah ZOUAK pour Lallab

 

Pour Ikram, les challenges sont nombreux dans le travail associatif. La société civile tunisienne est novice, du fait de son manque d’expérience et d’expertise sur ces questions. « Nous nous posons beaucoup de questions par rapport aux limites entre l’engagement et le militantisme ainsi que sur le fonctionnement des associations ». Aussi, dans le contexte politique et social actuel, l’évolution semble ne pouvoir se faire qu’à travers la critique, le doute et la réflexion, pour être au plus près des besoins de la population. Aswat Nissa défend ainsi les valeurs d’égalité entre les genres, mais aussi d’inclusion, en termes d’idéologie et de religion. Pour sa fondatrice, « la société civile doit vraiment être indépendante et non pas une vitrine des partis politiques car c’est un grand danger pour la démocratie ». Aussi, la volonté de l’association est avant tout d’axer son projet sur la collaboration entre les femmes et hommes.

 

Aswat Nissa est née d’une volonté d’un groupe d’hommes et de femmes de donner à la femme tunisienne la place qui lui revient dans la société

 

« Nous avons décidé de travailler avec les femmes et pour les femmes, car nous voulons une société égalitaire, inclusive, une société où tout le monde peut jouir de ses droits, de ses opportunités et de ses devoirs, où toutes les personnes sont égales devant la loi et dans la loi ». Voilà l’idée de base d’Aswat Nissa. Dès le départ, l’association travaille sur les problématiques des violences subies par les femmes en Tunisie. Mais rapidement, l’axe politique entre en jeu : « nous avons concentré notre travail sur la participation politique des femmes car les politiques publiques aident beaucoup dans la promotion des droits des femmes et les lois façonnent l’esprit ». Ainsi, dès le début de l’année 2012, Ikram et son équipe débutent leur accompagnement des femmes en politique afin de préparer les élections législatives. L’objectif est de renforcer leurs capacités afin que celles-ci puissent se présenter aux élections. L’association est très fière de pouvoir œuvrer avec tous les partis politiques, quel que soit leur idéologie et leurs antécédents. Plus qu’un espace de formation, c’est un espace d’échanges, qui permet aux femmes politiques d’avancer à partir de leurs points communs et de créer, ensemble, une solidarité féminine.

 

L’approche de l’association Aswat Nissa est une approche inclusive, un nouveau style de féminisme.

 

Atelier Aswat Nissa - Crédit photo : Sarah ZOUAK pour LallabAtelier Aswat Nissa – Crédit photo : Sarah ZOUAK pour Lallab

 

Le 25 novembre 2012, journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, Aswat Nissa a par exemple lancé un partenariat entre les féministes et les leaders religieux à travers une manifestation commune contre la violence à l’égard des femmes. « On a beaucoup travaillé sur la sensibilisation en engageant les hommes, notamment les jeunes garçons dans les quartiers et dans les universités, ainsi que les imams, à des séances de formation et d’échanges. Nous avons également travaillé avec des journalistes, en suivant les campagnes électorales des femmes, car ces derniers commettent souvent beaucoup d’erreurs qui peuvent nuire à la candidate et qui représentent une forme de violence psychologique ». Pour Ikram Ben Said, il n’y a aucune raison que la voix de 50% de la société ne soit toujours pas entendue. La démocratie a besoin de la diversité, d’un combat commun entre les femmes et les hommes. C’est toute la société qui est gagnante si les femmes sont politiquement engagées aujourd’hui : « Si les femmes étaient autour de la table des négociations, elles présenteraient des perspectives différentes sur les processus de construction du pays et de cohésion sociale. Les femmes apporteraient non seulement leur perspective mais les sujets les plus importants comme l’accès à la santé et l’éducation seraient à l’agenda politique »

 

Les femmes ont un véritable potentiel mais les politiques ne sont pas encore convaincus de cela.

 

Ikram a souhaité adapter son projet et donner des réponses à une réalité politique. En effet, le processus de transition entamé dans la majorité des pays arabes semble marginaliser les femmes, qui doivent pourtant être suffisamment représentées dans les organes de décision pour que leurs intérêts et leurs droits soient entendus et pris en considération. Les femmes sont ainsi confrontées à des défis majeurs en devant continuer d’affirmer leur dignité de citoyenne dans des sociétés où seule l‘égalité femmes-hommes pourra garantir leur caractère démocratique.

 

Nous travaillons avec les femmes politiques non pas parce qu’elles sont femmes, mais parce que nous sommes en train de construire une démocratie en Tunisie et que je demeure personnellement convaincue que la démocratie a besoin de pluralité

 

Loin d’avoir pour volonté d’être l’ennemi de l’homme, c’est dans une démarche partenariale que le projet se met en place. Ikram se définit elle-même comme féministe en défendant les intérêts des femmes, en les aidant à s’émanciper, à assumer et à faire respecter leurs choix. Mais de nombreux hommes comptent parmi les bénévoles de l’association et au sein du bureau exécutif.

 

Un travail sur ce que l’on attend vraiment des femmes politiques de demain.

 

Atelier Aswat Nissa - Crédit photo : Sarah ZOUAK pour LallabAtelier Aswat Nissa – Crédit photo : Sarah ZOUAK pour Lallab

 

En dehors des périodes de campagne électorale, l’association axe son projet sur l’échange entre les femmes politiques et la société civile, en mettant en place des temps de rencontres entre des femmes députés, des militantes, des mères célibataires ou encore des femmes victimes de violences, afin que les politiques s’inspirent des réalités de terrain vécues par ces femmes dans leur plaidoyer pour leurs droits. Aswat Nissa travaille également avec toutes ces femmes sur ce qui doit être changé dans le code du statut personnel.
Aujourd’hui, à la suite des récentes élections législatives, l’association entame sa période de planification stratégique pour les cinq années à venir, afin de réfléchir à la façon d’aider les femmes et d’augmenter leur empowerment politique. L’association prépare également, depuis juin dernier, les élections municipales. Les femmes ont en effet plus de chance d’être élues au niveau local et il est essentiel qu’elles puissent participer à la gestion de la communauté. C’est un véritable travail de terrain qui s’effectue dans cinq régions de Tunisie, où cinq femmes décident, indépendamment de leur parti politique, de collecter ensemble les revendications et priorités des femmes de la région. L’idée est bel et bien de créer des passerelles entre les femmes politiques et les citoyennes, afin d’intégrer les attentes de la société civile féminine dans le programme électoral.

 

L’espace privé en Tunisie demeure encore un handicap à la participation de la femme dans l’espace publique.

 

La société civile féminine a aujourd’hui besoin de voir des femmes qui sont engagées et qui allient à la fois leur vie de famille et leur vie politique. L’association a ainsi mis en place un salon politique, qui consiste à inviter des femmes qui ont mené leur carrière politique de front afin d’inspirer d’autres femmes candidates et de partager avec elles leur expérience. Il est très important que les femmes puissent s’identifier à des « modèles », rencontrer leurs homologues qui sont parvenues à concilier leur vie privée – qui sont mariées, qui ont des enfants – et leur carrière politique. Aujourd’hui, la société civile tunisienne veut voir les mentalités évoluer !

 

Ma plus belle réussite est de voir les femmes et les hommes épanouis au sein de mon association

 

L’association Aswat Nissa a reçu le prix Madeleine K Albright 2014 pour son projet l’Académie Politique des Femmes. Chaque année, le National Democratic Institute remet ce prix à une organisation dont le but est d’encourager et promouvoir le rôle des femmes dans la vie politique. « J’attendais de faire mon discours et il y a eu toutes ces images qui me sont passées par la tête depuis l’idée avant la révolution jusqu’à cette reconnaissance internationale. J’étais très émue et très touchée. C’est un de mes meilleurs souvenirs ».
Aswat Nissa est ainsi une autre façon pour les femmes de s’impliquer dans le contexte politique post-révolution, en revendiquant aujourd’hui leur place dans la transition. Ikram conclut d’ailleurs notre entretien par une phrase qui me guidera sans doute à mon tour dans mon engagement: « Le changement est en nous : si on veut un changement on doit commencer par nous-même et après aller vers l’autre. On n’attend pas le changement, nous sommes les acteurs de changement ».

 

Article rédigé par Camille Demange pour Lallab

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