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Sitt Al Mulk : femme de pouvoir

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[Publié initialement le 20 mai 2019]
L’histoire de ce soir est une histoire de pouvoir, une histoire faite de tolérance et de coexistence. Cette histoire, c’est l’histoire d’une femme que rien ne destinait à gouverner, c’est l’histoire d’une fille de calife fatimide que le sort amena à gouverner malgré une politique à l’égard des femmes faites de difficultés.
Sitt al Mulk dont nous allons parler n’était certes pas désignée pour régner mais une fois qu’elle fut nommée, fit bien mieux que ceux l’ayant précédée. L’histoire de Sitt al Mulk, c’est l’histoire d’une femme passionnée, d’une femme convaincue de ses idées qui milita pour les faire accepter.
En route, ensemble marchons sur les pas de la grande Sitt al-Mulk !

Si après cette lecture, vous souhaitez en découvrir davantage à son sujet, c’est auprès de la fabuleuse Fatima Mernissi qu’il faudra se tourner. Elle consacre à Sitt al-Mulk un chapitre entier dans son ouvrage Sultanes oubliées. Un récit complet et finement argumenté !

C’est en septembre 970 que la princesse Sitt al-Mulk naquit près de Kairouan. Son père était le célèbre prince Nizâr qui deviendra le calife fatimide al-Azîz et sa mère, une chrétienne d’origine byzantine fière de ce qu’elle était et décidée à le rester ; elle était surnommée Sayyida Al Aziziyya.

Les parents de Sitt al-Mulk étaient follement amoureux, si bien que cela fut parfois mal interprété. Sitt al-Mulk quant à elle défendait sa double identité et l’érigea durant sa vie comme un idéal.

Lorsque le calife fatimide quitta Ifriquiya pour s’installer à Al Qâhira, sa famille plia bagage et vint s’installer en Egypte. Sitt al Mulk avait alors 3 ans. Deux années plus tard, son père fut nommé calife. Il fit construire pour sa famille, et plus spécifiquement pour sa fille, un palais en bord de mer. C’est ainsi que Sitt al Mulk passa une enfance heureuse dans l’un des plus beaux palais d’Orient, le Palais de la Mer.

Alors qu’elle entamait sa quinzième année, son demi-frère al-Mansûr, qui deviendra par la suite le futur calife al-Hâkim naquit, en 985. La relation avec son demi-frère rendit la cohabitation quelque peu compliquée. Cela devint encore plus difficile lorsque Sitt al-Mulk perdit sa mère en 995.

Sitt grandissait et s’approchait de l’adolescence, elle devenait une femme, une femme d’une grande beauté et d’une intelligence hautement développée. Adulée par son père, les rôles qui lui furent confiés dépassèrent son rôle de princesse fatimide. Il la fit entrer dans le cercle politique du palais, jusqu’à ce qu’elle puisse avoir une influence sur les décisions et actions. Conscient de ses capacités, très tôt son père l’associa au pouvoir en lui demandant son opinion et en l’encourageant à l’exprimer.

Au sein de la cour, Sitt était très appréciée. Elle reflétait le luxe et l’influence des années de gloire du califat. Elle était toujours parfumée, ornée de bijoux et apprêtée des plus belles tuniques. Sous le règne de son père, elle contribua notamment à ce que les non musulman.e.s, chrétien.ne.s et juif.ve.s puissent bénéficier de privilèges qu’ils n’eurent jamais auparavant. De son père, elle hérita de qualités en matière d’ouverture et de tolérance.

Le 13 octobre 996, son père mourut subitement. Sitt était alors âgée de 26 ans.

Bardjawân, l’eunuque du palais, fit alors proclamer calife le jeune prince al-Mansûr, demi-frère de Sitt al-Mulk, qui n’avait que onze ans. Le jeune calife Al Hakim fut donc sous la tutelle des puissants de la cour fatimide. Il prit officiellement le pouvoir en l’an 1000. Personne ne s’était douté que la folie et la peur s’abattrait sur la ville lors de son règne. Il terrorisa le Caire par ses excès et sa sœur par sa jalousie débordante.

En 1009, al-Hakim ordonna la destruction de l’église du Saint-Sépulcre à Jérusalem et imposa des restrictions au comportement des juif.ve.s et des chrétien.nes, détruisant leurs églises et leurs monastères. L’entêtement et le comportement de son demi-frère Al-Hakim contribua à la dégradation des rapports que tous deux entretenaient. Sitt fit alors le choix de s’éloigner et quitta le palais royal pour s’installer dans l’une de ses nombreuses propriétés.

En 1021, Al-Hakim disparut lors d’une de ses promenades nocturnes habituelles dans la ville. Après quarante jours de disparition, il fut déclaré mort. Après la mort d’Al-Hakim, son fils, âgé de 16 ans, al-Zahir fut déclaré calife. Al-Zahir avait grandi et avait été éduquée auprès de sa tante Sitt Al Mulk en raison des violences physiques que son père lui infligeait à lui et sa mère. Il la choisit dont comme régente pour l’accompagner durant les premières années de son règne. Malgré les soupçons qui pesaient sur elle et en raison de sa popularité, Sitt pu occuper le poste de régente de l’empire. Très vite, elle reprit les choses en main et tâcha de se démarquer de la politique menée jusqu’alors par Al-Hakim.

Ainsi dès sa première année de régence, elle encouragea la reconstruction d’églises à Alexandrie que son demi-frère avait ordonné de détruire. Elle rétablit également le système de taxation commerciale qu’il avait aboli et permit de nouveau aux femmes de sortir de chez elles à leur guise, les autorisant notamment à porter à nouveau des bijoux. Elle inversa les interdictions au sujet des pratiques musicales et des cultes chrétien et juif.

Parmi l’une de ses entreprises politiques les plus importantes, elle tenta de réduire les tensions entre les empires fatimides et byzantins en essayant de trouver une solution au territoire litigieux d’Alep.

Le traitement plus équitable des habitants, sa politique de tolérance, d’ouverture ainsi que la rénovation des infrastructures firent d’elle une princesse très appréciée et très populaire.

Mais alors que les décisions qu’elle prenait laissaient espérer un rapprochement entre les différentes puissances impériales, Sitt al Mulk mourut après seulement deux ans de service en tant que régente.

Bien que Sitt n’ait jamais été officiellement érigée en calife, – il s’agissait d’un titre réservé aux homme sous le califat fatimide – Sitt al-Mulk dirigea dans les faits l’un des empires les plus importants du Moyen Âge. La paix qu’elle instaura, et l’héritage qu’elle laissa dépassèrent de loin la période de son bref règne.

Ses profondes convictions accompagnées d’un leadership naturel firent d’elle une princesse appréciée et respectée dans l’ensemble de l’Egypte. Femme de terrain, elle sut montrer son efficacité et faire oublier durant un temps les interdits politiques de gouvernance intrinsèquement liés au genre.

Crédit image à la une : Charlotte. Charlotte est une illustratrice passionnée de dessin et notamment par l’univers de la mode. Je vous laisse découvrir son univers :
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Femmes musulmanes dans l'histoire Portraits

Shajar al Durr : d’esclave à sultane

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[Publié initialement le 8 mai 2019]
Qui parmi vous a déjà entendu ou prononcé ne serait-ce qu’une fois le nom de la fameuse Cléopâtre ? Beaucoup j’imagine ! J’aimerais à présent tenter ma chance avec une femme ayant occupé des fonctions similaires en Egypte, mais semble t-il bien moins connue. Qui parmi vous a déjà entendu ou mentionné le nom de Shajar al Durr ?
Peu, n’est-ce-pas ?

 

Et pourtant, Shajar al Durr est une femme ayant occupé un rôle et une place tout autant stratégique que celle de la célèbre reine égyptienne. Elle fut notamment la 1ère femme après Cléopâtre à s’être assise sur le trône d’Egypte, jouant ainsi un rôle politique central dans l’histoire de l’Egypte et plus encore dans l’histoire de l’islam.

Esclave dans les 1ers temps de sa vie, elle deviendra par la suite épouse du sultan As-Salih Ayyûb, puis sultane d’Egypte, et enfin, elle fera partie des figures fondatrices de la dynastie des Mamelouks d’Egypte, dynastie qui règnera sur l’État islamique le plus puissant de son temps.

 

Avant de commencer le projet « Power Our Stories », je m’étais convaincue que les sources au sujet des femmes musulmanes ayant occupé des rôles politiques, militaires et/ou religieux au sein de l’histoire de l’islam étaient très limitées. C’était effectivement une réalité, trouver des sources ou références en français n’était pas chose aisée. Mais cette réalité mériterait mine de rien d’être nuancée, car en cherchant encore et encore on finit toujours par trouver.

En effet, n’en sachant que très peu sur la personne et l’histoire de Shajar al Durr, je me suis lancée un peu aveuglément à la recherche d’informations, en français dans un premier temps. Et à ma grande surprise ce fut le … NÉANT ! J’ai donc tenté ma chance en tapant quelques mots-clés dans le fameux moteur de recherche en anglais et SURPRISE, je suis tombée sur un grand nombre d’articles à son sujet.

Des articles humoristiques, nous expliquant à quel point Shajar al Durr était une femme BADASS, et des articles historiques insistant sur le rôle politique et militaire que cette dernière avait eu a joué. Le site de Muslim Heritage, en plus de me fournir des informations précieuses au sujet de Shajar, me permit de venir ajouter à ma liste un nombre important de figures musulmanes inspirantes et fascinantes. Le livre Sultanes oubliées : Femmes chefs d’État en islam, de la célèbre sociologue marocaine  Fatima Mernissi, s’est également avéré contenir une réelle mine d’or !

C’est donc grâce à toutes ces sources que je m’en vais vous faire voyager dans l’Egypte du XIIIème siècle.

De l’enfance et de la jeunesse de Shajar al Durr nous ne savons que très peu de choses. En effet, impossible de dire qui furent ses parents, ni même quel nom ces derniers décidèrent de lui donner. Personne, semblerait-il, n’avait jugé bon d’enregistrer les informations au sujet de cette jeune fille alors esclave. Ce que nous savons d’elle en revanche, c’est qu’elle naquit aux alentours des années 1220 de notre ère et qu’elle était probablement issue d’une ethnie turque, ou peut-être arménienne. Sa venue au haram de Salih Ayyub est en somme le marqueur historique de son arrivée. C’est en tant qu’esclave que Shajar-al-Durr arriva aux alentours de 1235 dans la forteresse de Kaya, où le prince Salih Ayyb était alors exilé.

En 1238, suite au décès du sultan Al Kamil, As Salih Ayuub est appelé à se rendre au Caire afin de succéder sur le trône. Épris par celle qu’il nomme sa favorite, As Salih Ayuub plia bagage et proposa à Shajar-al-Durr de l’y accompagner. C’est alors qu’une réelle histoire d’amour commença entre le sultan et Shajar-al-Durr. De cet amour naîtra leur fils Khalil. Puis, quelque temps, après afin de sceller leur union et de la faire connaître au grand jour, ils se marieront. Après 10 ans de règne et alors que François Louis IX lançait la 7ème croisade, le sultan As-Salih Ayyub tomba gravement malade et mourut la même année.

C’est ainsi que Shajar-al-Durr, consciente du danger auquel le royaume faisait face et consciente de l’importance de cette situation et du rôle qu’elle pouvait avoir à jouer, cacha à l’ensemble des membres de la cour la mort son époux. Elle prit alors les rênes du pays, et, avec l’aide du commandant en chef de son défunt mari, elle se prépara à la guerre en rachetant notamment 1000 jeunes esclaves turcs, qu’elle fit instruire au métier des armes.

Aussi stratège et rusée qu’elle fut, ses premières batailles firent un succès. En effet, à la suite de l’une des batailles, Shajar, grâce à l’aide de son armée, fit de Louis IX son otage. Précieux otage… En effet, elle troquerait la libération du monarque capturé contre la modique somme de … 400 000 livres, somme qui représentait environ 30% des revenus annuels de la France de l’époque.

Les stratégies militaires qu’elle mit en place et ses talents de négociatrice permirent donc en partie de mettre fin à la 7ème croisade.

En l’espace de quelques mois de règne et dans le plus grand des secrets, Shajar-al-Durr avait donc secrètement pris la tête du royaume et avait en partie renversé le cours de l’histoire.

Cet épisode permit à Shajarr-al-Durr de se faire pour alliés les membres de l’armée. Ainsi, suite à l’annonce officielle du décès de son époux, Turanshah, successeur légitime, se présenta au Caire dans l’optique de reprendre le trône d’Egypte. C’était sans compter sur le soutien de certains chefs de l’armée qui décidèrent de la soutenir dans son accession au trône, mettant ainsi différents stratagèmes en place pour éliminer Turanshah.

Après la mort de ce dernier, Shajar devint donc officiellement Sultane d’Egypte, possédant ainsi les pleins pouvoirs politiques et militaires.

L’ensemble du royaume la reconnaissait à présent comme Sultane d’Egypte. Des pièces de monnaie étaient frappées en son honneur et son nom figurait dans l’ensemble des mosquées lors des prières du vendredi. De quoi rendre à Shajar-al-Durr la légitimité qu’auparavant elle n’avait jamais pu espérer.

Cependant, dans le contexte patriarcal et misogyne de l’époque, certaines factions égyptiennes, ne supportant pas de se savoir dirigées par une femme, commencèrent à se rebeller. Afin d’apaiser les tensions, Shajar-Al-Durr fit donc le choix d’épouser un mamelouke, ancien comptable d’As Salih Ayyub, Aybek, qui devint ainsi officiellement sultan. Dans les faits, cependant, Shajar-al-Darr continua à diriger, bien épaulée par sa garde renforcée, qu’elle avait elle-même pris le soin de composer.  Quelques années plus tard, Aybek, frustré par les pouvoirs que son épouse possédait, et dans l’optique d’atténuer ses responsabilités, décida de contracter un nouveau mariage.

Furieuse et se sentant trahie par celui qu’elle avait fait sultan, Shajarr organisa le meurtre de son mari à l’aide de quelques membres de sa garde. N’ayant eu le temps de dissimuler le corps avant qu’il ne soit découvert, le meurtre d’Aybek devint public, ouvrant ainsi des débats sur le sort qui lui devrait lui être réservé. Elle fut emprisonnée et décéda peu de temps après, suite à une émeute d’esclaves du harem qui la battront à mort.

Mais l’influence qu’elle aura sur son temps ne s’arrêtera pas là. En effet, avant leur mort, Shajar-al-Durr et Aybak avaient fermement établi la dynastie mamelouke, dynastie qui finira par repousser les Mongols, expulser les croisés européens de la Terre Sainte et demeurer la force politique la plus puissante au Moyen-Orient jusqu’à la venue des Ottomans.

Du statut d’esclave au statut de femme de sultan, Shajar devint sultane d’Egypte. Voici l’ascension fulgurante que connut cette souveraine musulmane en quelques années, et ce dans une acceptation plus ou moins totale.

Face à cette histoire et au rôle majeur qu’occupa Shajar-al-Durr, je ne peux m’empêcher de me questionner sur le comment. Comment se faisait-il que jamais auparavant je n’avais rencontré la fabuleuse et stratège Shajar-al-Durr? J’aurais pourtant pu la rencontrer à tant de reprises. Moi qui avais suivi un cursus universitaire d’historienne, moi qui écoutais pourtant assidûment mes cours sur l’histoire de l’Orient musulman, moi qui assistait hebdomadairement à des cours d’éducation islamique, je n’avais jamais entendu ce nom être mentionné ?
À mon sens, il est aujourd’hui évident que l’invisibilisation de cette femme et de bien d’autres encore est la résultante d’une vision profondément masculiniste de l’histoire.

Qu’il s’agisse de savoir religieux ou de savoir  historique, l’oubli des figures féminines semble être la norme, nous rappelant ainsi avec force que les lectures patriarcales de l’histoire sont l’œuvre des hommes dans leur ensemble et non l’œuvre d’une religion en particulier.

Voilà 3 jours maintenant qu’ensemble nous avons embarqué à la rencontre de ces femmes musulmanes ayant tant contribué au développement et à l’essor de l’islam.

Je me suis engagée durant le mois sacré de ramadan à vous présenter 30 femmes musulmanes inspirantes, mais ces femmes importantes sont en réalité bien plus nombreuses que 30.

Ainsi, aujourd’hui, j’aimerais vous soumettre un défi.

C’est donc à votre tour de jouer ! Et si, ensemble, nous rendions gloire à toutes ces femmes musulmanes invisibilisées? Pour participer, présentez en quelques lignes grâce au hasthag #PowerOurStories l’une des femmes musulmanes d’antan que vous connaissez et qui à sa manière a grandement contribué à l’Histoire.

 

Ensemble, apprenons, créerons, diffusons.

Crédit image à la une : Imène. Imène est graphiste, illustratrice et rédactrice. Pour découvrir ses projets et travaux, je vous invite à visiter ses différentes pages :
➡️ benhimene.wixsite.com/nomfeminin
➡️ www.raconte-editions.fr
➡️ Et sa page Instagram @raconte_editions

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Diffuse la bonne parole

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Deena Mohamed, l’artiste engagée d’Al-Qahera

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Deena Mohamed est une jeune illustratrice égyptienne. Elle est surtout connue pour sa bande-dessinée, postée dès ses dix-huit ans sur son compte Tumblr, nommée Qahera, sur une super-héroïne du Caire portant foulard et ‘abaya (très long vêtement traditionnel). Elle travaille désormais sur une trilogie, intitulée Shubeik Lubeik, concernant les espoirs du peuple égyptien.

 

Qahera, la super-héroïne féministe, musulmane et traditionnelle du Caire

 

Qahera menaçant un agresseur : “N’embête plus jamais une autre femme !”. Crédit : Qahera

 

La BD Qahera a d’abord été mise en ligne en anglais, en 2013, les personnes suivant Deena sur Tumblr étant anglophones. Cependant, elle a décidé d’également publier cela en arabe, considérant que ce contenu devait aussi être lu par les arabophones, notamment les Egyptien·ne·s. Qahera signifie “la victorieuse” et ce terme désigne également la ville du Caire, capitale égyptienne. Deena a choisi ce nom parce qu’il fait référence à son pays natal, en plus d’être “puissant”. “Je n’aurais pas fait cette BD sans la révolution de 2011, cet événement influence mon art autant qu’il m’a influencée”, confie-t-elle. Deena affirme que l’Histoire nous montre que la révolution n’est pas suffisante pour améliorer les droits des femmes parce qu’il s’agit “de la dernière chose à laquelle les gen·te·s pensent”. L’illustratrice a d’ailleurs lancé sa BD après avoir lu un article misogyne sur les femmes musulmanes. Encouragée sur Tumblr, elle décide de continuer. Deena déplore également le fait que l’on croie que les Egyptiennes avaient plus de droits à l’époque où elles portaient des mini-jupes dans les années 50, puisqu’il s’agissait uniquement des femmes de milieux aisés. Il existait encore à cette période de nombreuses filles mariées à 13 ans. C’est la raison pour laquelle il était essentiel pour Deena de dessiner une super-héroïne portant un hijab (foulard), considérant les femmes “visiblement” musulmanes comme les “plus vulnérables et les moins représentées”. Elle tenait également à la ‘abaya, étant “très traditionnelle” afin de montrer que les femmes religieuses peuvent aussi être féministes et lutter pour leurs droits, bien qu’elles soient souvent perçues comme soumises. Deena souhaite également que cette superhéroïne ressemble à la plupart des femmes égyptiennes. “Elle ressemble à la majorité de mes amies”. L’illustratrice insiste aussi sur le fait de ne pas définir le féminisme uniquement par les problématiques de genre.
 
 

Image de gauche : “Regarde ! C’est une femme musulmane ! C’est la raison pour laquelle nous sommes ici ! Nous devons la sauver !”. Image de droite : “Oh regarde ! Tu peux le voir dans ses yeux !! ‘Aide-moi !’ ”. Crédit : Qahera

 

“On ne peut pas être féministe si on oppresse d’autres femmes. On ne peut pas être féministe en étant classiste ou raciste”. Elle prend notamment l’exemple de la classe aisée égyptienne, dans laquelle plusieurs personnes méprisent les femmes portant le hijab. Cela serait dû au fait que ces dernières soient considérées comme moins éduquées et issues des milieux les plus populaires. “Le classisme est partout en Egypte. Ailleurs, c’est l’islamophobie”, déplore Deena. Elle ne supporte plus les préjugés concernant les femmes musulmanes, venant d’ailleurs aussi de féministes. Elle avait notamment critiqué les Femen, dans une BD. Deena les avait présentées comme des femmes souhaitant absolument libérer Qahera de son foulard. Elle a cependant reçu une critique qu’elle avait jugée constructive, de la part d’un abonné. Ce dernier lui affirmait que les Femen subissaient beaucoup de violence et qu’il n’était donc pas forcément pertinent de faire une BD violente sur ces femmes, même s’il s’agit d’une attaque métaphorique. Cela la fait beaucoup réfléchir. Elle demeure cependant triste de voir que le féminisme exclut encore aujourd’hui beaucoup de femmes, en raison d’une “vision coloniale”. “Oui, les musulmanes peuvent être féministes. Oui, les femmes portant le foulard peuvent être des super-héroïnes. Oui, certaines femmes sont forcées à porter le foulard. Oui, forcer les femmes à retirer le foulard est également mauvais. Oui, le problème, c’est le patriarcat, le classisme et le capitalisme dans le monde entier. Oui, je ne pense pas que toutes les féministes blanches soient mauvaises. Oui, ni la pudeur ni la nudité sont des choix moraux supérieurs. Honnêtement, ça devient évident à quel point les gen·te·s ne nous écoutent pas”. Deena défend toutes les femmes. C’est la raison pour laquelle elle tenait à consacrer une BD à Qahera sauvant Laila dans la rue, critiquée en raison de son “manque de pudeur”, selon les agresseurs. “Nous serons toujours objectifiées, que nous portions ou non le hijab n’est pas le sujet. Le fait de contrôler la façon dont s’habillent les femmes est un phénomène planétaire, cela ne touche pas seulement les femmes musulmanes”, rappelle l’illustratrice. Cependant, Deena ne se perçoit pas comme militante. “Le problème des réseaux sociaux est je pense le fait de surestimer notre impact lorsque nous avons beaucoup d’abonné·e·s”.

 

Shubeik Lubeik, une satire sociale égyptienne

 

Un espoir dans une bouteille, tenu par une Egyptienne. Crédit : Deena Mohamed
 
Shubeik Lubeik pourrait être traduit par “abracadabra”. Il s’agit d’une trilogie de bandes-dessinées. Le premier ouvrage a reçu le prix du meilleur roman graphique au festival du CairoComix. Cela est disponible en arabe, mais en 2021, la trilogie devrait être traduite en anglais. Deena a d’ailleurs eu l’occasion d’exposer son art au Musée de la Bande-Dessinée, dans la ville française d’Angoulême, mais aussi à Berlin, en Allemagne, et à York, en Angleterre. Cette bande-dessinée dévoile les espoirs du peuple égyptien, dans une société encore très inégalitaire. Les personnages peuvent acheter des voeux. Plus ils sont chers, plus ils peuvent permettre aux personnages d’atteindre leurs objectifs. Les riches achètent des voeux dans des bouteilles, tandis que les pauvres les achètent surtout dans des conserves, à l’instar de l’écrasante majorité de la population égyptienne. Les voeux destinés aux pauvres sont interdits de vente en Europe et par le gouvernement, parce qu’ils seraient considérablement imprévisibles tout en devenant souvent réels, entraînant des conséquences dévastatrices. Ces voeux sont notamment disponibles dans des kiosques, un élément très important dans le paysage du Caire selon Deena. Le premier roman de la trilogie est consacré à Aziza, une jeune femme sérieuse, travaillant de façon acharnée. Abdo, un homme amoureux d’elle, la séduit. Cependant, lorsqu’elle le perd soudainement, elle décide d’acheter des voeux, alors qu’elle refusait auparavant de croire en leur efficacité. “Aziza est une histoire sur la perte et le regret, il s’agit aussi d’une histoire sur nos désirs les plus profonds et le droit humain d’avoir des rêves”, explique l’auteure de la satire sociale. Deena souhaitait absolument rendre hommage à l’héritage égyptien, notamment dans la façon de dessiner les BD. “C’est très important pour moi que cela parle avant tout aux Egyptien·ne·s”. Cela touche également à un certain héritage culturel, concernant les génies par exemple. L’auteure mêle donc plusieurs éléments traditionnels à une histoire contemporaine.

 

Il lui arrive également de créer des bandes-dessinées destinées à des organisations, telles que l’ONU Femmes ou encore pour l’application Harassmap. Cette dernière vise à répertorier le nombre de cas de harcèlement, d’agressions sexuelles et de viols en Egypte, tout en proposant des lieux où prendre des cours de self-défense. Cependant, Deena se considère avant tout comme une artiste. Pour les arabophones, son ouvrage est disponible ici. On espère également une traduction en français, mais en attendant, nous pouvons toujours nous consoler avec la superbe Qahera, en souhaitant beaucoup de succès à Deena Muhammad, inshAllah.

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