Pourquoi je ne me ferai pas « discrète » malgré le contexte du terrorisme

par | 30/01/17 | (Dé)construction, Nos Voix

En réaction à « Ma réponse aux 14 arguments les plus courants contre le hijab », on m’a demandé dans un commentaire ce que je répondrais à l’argument suivant : « Dans un contexte où l’islam fait peur en France, où le terrorisme islamiste (…) a frappé la France à plusieurs reprises, pourquoi, malgré cela, continuer de porter un voile qui choque les sensibilités, qui s’apparente à un islam rigoriste, traditionaliste et radical dans son interprétation des textes ? »
J’ai d’abord répondu dans les commentaires, puis je me suis dit que je pourrais compléter ma réponse et en faire un article, puisque c’est une remarque qui revient assez souvent. Comme le disait l’auteure du commentaire, le voile est parfois « vécu comme une provocation (même si ce n’est pas l’intention première) », et certain.e.s recommandent aux musulman.e.s de se faire « discret.e.s ». Mais voici 3 raisons pour lesquelles je ne le ferai pas.

 

1) Je n’ai pas besoin de changer ma pratique religieuse pour prouver que je suis bien différente des terroristes

 

S’il s’agissait d’un autre groupe que les musulman.e.s, on ne demanderait pas à tous ses membres de prouver qu’ils sont bien différents des personnes, EXTREMEMENT minoritaires, qui ont commis des atrocités. Personne n’a par exemple demandé aux Norvégien.ne.s de se faire un peu plus discret.e.s ou de changer leurs traditions pour prouver qu’ils ou elles n’étaient pas comme Anders Breivik.

Personne ne considère l’ensemble des chrétien.ne.s comme des bombes à retardement sous prétexte que des groupes haineux commettent des crimes au nom du christianisme, ce qui justifierait de leur demander de changer leur pratique cultuelle pour montrer qu’ils n’ont vraiment rien en commun avec eux. Mais pour les musulman.e.s, c’est différent, parce que l’islam fait PEUR, comme l’explique ce monsieur au charmant accent québécois :
 

 
On ne le demande pas aux autres croyant.e.s, parce qu’on ne voit pas de lien (et il n’y en a pas) entre leur pratique religieuse et la folie meurtrière de certaines personnes, simplement parce qu’elles partagent la même foi et qu’elles partageraient donc la même vision du monde. Il y a autant de manières de croire qu’il y a de croyant.e.s.

Mais pour les musulman.e.s, on fait un amalgame énorme entre signes extérieurs, piété, traditionalisme et violence, comme si un hijab ou tout autre signe religieux rendait plus « probable » que quelqu’un soit favorable à la violence ou au terrorisme. Or, l’habit ne fait pas le moine, et tous ces éléments sont loin d’avoir des liens évidents entre eux : un homme sans aucun signe religieux extérieur peut être bien plus pieux qu’un homme barbu en djellaba ; une hijabi peut être beaucoup plus libérale sur certains points qu’une femme qui ne porte pas le hijab ; et l’immense majorité des musulman.e.s, y compris les plus pratiquant.e.s et ceux.celles qui semblent les plus traditionnel.le.s, condamnent fermement le terrorisme (même si les médias relaient très peu les initiatives en ce sens et que ce n’est jamais assez).

On constate plutôt que les auteurs d’attentats sont des personnes complètement éloignées de la pratique religieuse, qui ne fréquentent pas les mosquées, n’ont pas de connaissances solides sur l’islam, et se font manipuler et embrigader sur internet par des gens qui cherchent avant tout à assouvir leur soif de pouvoir ou leurs intérêts politiques.

 

2) Ce n’est pas parce que je suis musulmane que je suis un danger potentiel

 
Malheureusement, les pommes pourries que sont les terroristes font croire que tout le verger est contaminé, et que le problème n’est pas la bactérie qui a ravagé quelques pommes, mais le type de pommes en lui-même. Demander aux musulman.e.s de changer leur pratique ou de démontrer qu’ils ne sont pas dangereux.ses, c’est considérer que c’est l’islam le problème, et que simplement parce que nous sommes musulman.e.s, nous sommes des menaces.

Or, aucune religion ne légitime la violence, et la lecture la plus stricte de l’islam devrait inviter à une bonté et un pardon exemplaires, tels que pratiqués par Muhammad (en effet, sa biographie dépeint un homme bien différent de ce que certain.e.s décrivent aujourd’hui sans connaissances).

Les terroristes sont d’ailleurs souvent des gens au passé déjà empli de violence, et qui ont simplement trouvé un alibi pour la légitimer à leurs yeux. Mais ils ne bernent pas l’immense majorité des musulmans, qui savent que cela n’a rien à voir avec l’islam.

Pour moi, garder mon foulard dans ce contexte, c’est donc montrer que les musulman.e.s qui pratiquent leur religion sont des gens comme tout le monde, et résister à cette confiscation de la religion par les terroristes, qui voudraient définir l’islam par la violence. Pour eux, nous ne sommes d’ailleurs pas de « vrai.e.s » musulman.e.s – ce qui explique pourquoi la majorité des victimes du « terrorisme islamiste » dans le monde sont musulmanes.

 

Crédit BDouin-Le Muslim show

Crédit BDouin- Le Muslim show

 

3) Le terrorisme ne fait pas partie et n’est aucunement justifiable par l’islam

 

Certaines personnes aiment aller piocher des versets dans le Coran pour « prouver » que l’islam est une religion emplie de violence. Et elles adorent demander aux musulman.e.s qu’elles rencontrent de leur expliquer comment ils ou elles peuvent dire que l’islam ne cautionne pas la violence barbare, malgré ces versets.

Personnellement, il ne me viendrait jamais à l’esprit d’interroger une personne juive ou chrétienne lambda pour qu’elle m’explique certains passages de son Livre saint qui me posent question, au lieu de me renseigner auprès d’un.e spécialiste ou d’un bon livre.

Car oui, il y a bien des passages de ce type dans la Bible, comme on le voit dans cette vidéo où deux jeunes Néerlandais présentent des versets à des passant.e.s en leur faisant croire qu’ils viennent du Coran… ce qui provoque des réactions pour le moins intéressantes :
 

 
Tout comme certains versets qui interrogent n’empêchent pas la grande majorité des juif.ve.s et des chrétien.ne.s de comprendre le message de paix et de justice de leur religion, les versets que l’on me cite ne font pas d’ombre, à mes yeux, au message global du Coran et de la vie de Muhammad. Or, beaucoup de personnes qui se prononcent sur la nature de ce message n’ont lu ni l’un ni l’autre. On cite moins d’autres versets, par exemple :

 « Si donc ces gens-là se tiennent à l’écart, et au lieu de vous attaquer vous offrent la paix, Dieu ne vous donne plus aucun droit de les inquiéter » (s4, v90)

« S’ils penchent pour la paix, fais de même en te confiant à Dieu, car Il est l’Audient et l’Omniscient » (s8, v61)

« Et si ton Seigneur l’avait voulu, tous les hommes peuplant la Terre auraient, sans exception, embrassé Sa foi ! Est-ce à toi de contraindre les hommes à devenir croyants » (s10, v99)

Alors comment j’arrive à accepter ces versets qui « posent question » ?
Comme le disait un de mes professeurs, « le Coran n’est pas un livre qui se résume, c’est un livre qui s’explique ». Il faut non seulement une bonne connaissance de l’arabe coranique et de ses subtilités pour interpréter le Coran, mais c’est loin d’être le seul prérequis.

Il faut surtout une véritable connaissance du contexte de l’époque, et du contexte de révélation de chaque verset. Il est essentiel de connaître les versets qui précèdent et qui suivent le verset en question, le moment où nous considérons que celui-ci a été révélé, l’éventuel événement qui a précédé, si ce verset en abroge ou est abrogé par un autre, à qui il s’adresse, etc.

Prenons un exemple concret, un verset très souvent cité lorsqu’on affirme que le Coran et l’islam sont intrinsèquement violents, LA PREUVE : « A expiration des mois sacrés, tuez les polythéistes partout où vous les trouverez » (s9, v5). Le mot arabe mushrikine  est d’ailleurs souvent traduit de manière erronée par mécréants ou infidèles, d’où l’importance de bien choisir la traduction que l’on lit (personnellement, j’utilise celle de Mohammed Chiadmi, qui est également disponible sur ce site).

En lisant le commentaire (tafsir) du verset, l’explication du contexte et les circonstances de sa révélation, on apprend qu’il n’est pas question des non-croyants ou des polythéistes de la Terre entière, mais bien de légitime défense envers ceux qui continuaient à persécuter les premier.e.s musulman.e.s – on peut par exemple penser aux Mecquois qui avaient violé le traité de Houdaybiya (qui était pourtant défavorable aux musulman.e.s) et la trêve qu’il garantissait. Ce verset n’a donc pas une portée générale (à l’attention de tou.te.s les musulman.e.s sans restriction de temps), mais une portée limitée (le Prophète et ses compagnons, lorsqu’ils étaient combattus).

Cela change quand même grandement l’interprétation que l’on peut faire de ce verset, qui est aussi bien brandi par les extrémistes que par des personnes s’opposant à l’islam ; ils se rejoignent finalement dans leur association trompeuse entre islam et violence aveugle…
 
Crédit DMB (Demner, Merlicek & Bergmann)

« Auf den ersten Blick scheint vieles unverständlich » – « Au premier coup d’œil, beaucoup de choses semblent incompréhensibles » (affiche en allemand, dans une police d’écriture qui laisse d’abord penser que c’est de l’arabe) Crédit : Agence DMB (Demner, Merlicek & Bergmann)

 

Même dans ces cas de légitime défense, l’islam est doté d’un cadre de règles de guerre, ici résumées par Abou Bakr, le plus proche compagnon de Muhammad et le premier calife :

Arrêtez-vous, ô soldats ! J’ai dix recommandations à vous faire pour vous guider sur le champ de bataille. Ne commettez aucune trahison et ne déviez pas du droit chemin. Ne mutilez pas les dépouilles de vos ennemis, ne tuez ni femmes, ni enfants, ni vieillards, ne coupez aucun arbre fruitier, ne détruisez aucun lieu habité et n’égorgez aucun mouton, vache ou chameau de vos ennemis sauf pour votre nourriture. Ne brûlez pas les palmiers et ne les inondez pas. Ne commettez pas de fraude. […] Vous trouverez sur votre chemin des gens qui se sont consacrés à la vie monastique, laissez-les tranquilles.

A cela s’ajoutent plusieurs interdictions, comme le fait de pratiquer la torture, de détruire des lieux de culte, de s’attaquer à des personnes qui demandent une trêve, etc. Ces éléments montrent le fossé qui existe entre ce que demande notre religion et les horreurs commises par un Etat qui se prétend « islamique » alors qu’il enfreint toutes les règles instaurées par l’islam.

Il ne suffit donc pas de citer des versets à la fois isolés de ceux qui les entourent et totalement sortis de leur contexte. A ceux et celles qui s’intéressent réellement à leur explication, je conseille de poser ces questions à un spécialiste, de suivre des cours, ou au minimum de lire le tafsir du Coran, c’est-à-dire son commentaire (par exemple de Ibn Kathir, qui est une référence). Honnêtement, ce n’est ni le rôle, ni dans les compétences d’un.e musulman.e lambda d’expliquer à Mr X ou Mme Y chaque verset qui l’interroge.

A moins que je puisse demander à n’importe qui des explications précises sur des articles spécifiques du Code civil, du Code pénal, etc… ? Puisqu’on ne suivrait tout de même pas un livre sans tout connaître à son sujet, ou en réservant son interprétation à des spécialistes…

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